La Bosnie-Herzégovine et les récents évènements qui s'y sont déroulés peuvent-ils être compris de manière correcte, sans commettre d'erreur dans l'évaluation ; et ces évènements peuvent-ils contredire nos découvertes et rendre notre analyse fausse ?
Pourquoi la Bosnie et les processus qui s'y déroulent sont-ils tant imprévisibles et difficiles à analyser ?
Il y a de nombreuses raisons à cela ; nous nous limiterons à en énumérer quelques-unes.
La première et la plus connue est que la Bosnie est l'épicentre où trois cultures et trois religions se rencontrent : celle de l'Ouest (catholique), celle de l'Est (orthodoxe) et celle d'Orient (islamique). Elle est partagée (ou plutôt mélangée) entre ces trois racines. Et toute distorsion de cet équilibre conduit à une escalade du conflit ethnique. Il faut souligner que les distorsions de cet équilibre, de cette coexistence, sont toujours venues de l'extérieur. Le facteur externe a toujours été décisif, en creusant ces différences pour servir ses intérêts. C'est ce qui s'est produit dans les années 1990, lorsque les nationalistes serbes et croates ont tenté de se partager la Bosnie-Herzégovine [NDLR cette tentative de partage aux dépens des "Musulmans" bosniaques est l'aspect principal du conflit jusqu'en mars 1994, lorsque la pression impérialiste US oblige les Croates à s'allier avec leurs ennemis de la veille...]. Le résultat en a été la guerre, dont le terrible coût est bien connu de tous, et il faudra sans doute encore longtemps pour surmonter toutes les divisions causées.
Une autre raison est que la Bosnie-Herzégovine a toujours été un puissant foyer d'idées supranationales. La Bosnie-Herzégovine durant la Seconde Guerre mondiale, au sein du mouvement partisan, et plus tard durant la période du soi-disant "socialisme" a engendré l'idée d'une Nation yougoslave transcendant les divisions religieuses et ethniques. Cette synthèse a laissé une profonde empreinte jusqu'à ce jour dans l'esprit des masses, plus comme une nostalgie que comme une force réelle, mais elle existe encore bel et bien.
La troisième raison est son retard historique : la Bosnie a conservé de profonds rapports sociaux patriarcaux, sans avoir le temps de bâtir sa société bourgeoise et de former clairement les classes de celle-ci, bourgeoisie et prolétariat [NDLR rappelons que pour SLP ceci est plutôt un "atout" : la vague révolutionnaire ne se déploie selon nous pas à partir des endroits où la société bourgeoise est la plus ancienne et "ancrée", hégémonique, ce que nous appelons les Centres, mais au contraire à partir de là où le capitalisme a le plus "fraîchement" pénétré et commencé à (très violemment) briser l'organisation sociale "traditionnelle" (communautaire/"solidaire" pré-capitaliste), les Périphéries "campagnes" de chaque continent et du monde, dont fait partie la Bosnie]. La bourgeoisie n'a pas eu le temps d'apparaître en tant que classe différenciée, pas plus que la classe laborieuse n'a eu le temps de devenir un prolétariat au strict sens du terme. La classe travailleuse a largement conservé son caractère rural : un pied à la campagne, un pied à la ville (à l'usine). Les processus qui ont suivi la dernière guerre (des années 1990) ont débouché sur une plus grande polarisation de la société et davantage d'appauvrissement et de marginalisation pour les travailleurs. Le chômage élevé et la paupérisation qui en résultent ont conduit à la création d’une nouvelle classe. Cette classe a surgi des élites des partis politiques ayant profité de la guerre ; elle n'est pas une bourgeoisie au sens classique du terme mais une mixture de népotisme politique et de forme primitive de mafia : autrement dit, il s'agit de crime organisé [NDLR il s'agit en fait d'une oligarchie bureaucratique-compradore de pays dominé, une "bourgeoisie" oligarchique marquée par le caractère féodal-patriarcal-clientéliste de
la société (expliqué plus haut), ainsi que par les caractéristiques propres aux "pays de l'Est" où sous le "socialisme" capitaliste d’État c'était dans l'appareil politique que se formait la nouvelle bourgeoisie, devenue ensuite ouvertement capitaliste sous une forme gangstero-oligarchique].
Aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine, seule environ la moitié de la population en âge de travailler est sur le marché du travail et le taux d'emploi est à peine de 20%. Cela signifie que les 3/4 de la population active sont sans emploi. Plus de la moitié de la population est au seuil de la pauvreté, et un cinquième au-dessous de ce seuil.
La quatrième raison est que les impérialistes, de par leurs intérêts, ne sont pas prêts à tolérer une radicalisation de la situation en Bosnie. Pour eux le problème est actuellement "gelé" ou "balayé sous le tapis", comptant que le temps qui s'écoule engendrera la forme étatique appropriée pour une pleine intégration dans le monde impérialiste moderne. Ils sont donc pour le moment satisfaits de maintenir la Bosnie sous protectorat.
La cinquième raison est justement que la Bosnie-Herzégovine est plus ou moins un protectorat sous un statut colonial, particulièrement en raison de la présence militaire occidentale. Les masses manquent de confiance en leur propre force, tout en étant animées d'un profond sentiment d'hostilité envers la présence impérialiste.
Nous avons déjà parlé de la récente révolte sociale en Bosnie. Il s'agissait d'une rébellion en réponse aux conditions dans lesquelles sont plongées les masses populaires de ce pays, dont la position sociale se détériore à grande vitesse. La Bosnie-Herzégovine est le premier pays de la région balkanique en termes de chômage, de bas revenus et de corruption. L'arrogance pure des représentants gouvernementaux, des magnats et des criminels a allumé la mèche de la révolte du peuple.
Les manifestations ont montré la force éblouissante des masses, mais aussi leur incapacité à élever la révolte à un niveau supérieur. C'est à ce moment-là que leur lutte a débouché sur la formation de plenums. Ces plenums ont vite montré leurs limites ; ils ont montré que sans une force révolutionnaire organisée, ils ne pouvaient pas évoluer en institutions parallèles au pouvoir officiel. Ceci débouchera certainement sur leur effondrement.
Devant les quelques groupes révolutionnaires de Bosnie-Herzégovine se dresse une tâche historique : mettre à profit la situation actuelle et créer une organisation révolutionnaire. Ce que ce mouvement révolutionnaire apportera est clair : la libération du Peuple des chaînes du capitalisme !
Devant toutes les forces révolutionnaires en Europe se dresse dans le même temps une mission : AIDER la situation actuelle en Bosnie à devenir révolutionnaire. Les évènements en Grèce ont été une leçon pour tous. Le réformisme et la capitulation du soi-disant mouvement révolutionnaire en Grèce est évident pour tout observateur. La différence entre la Bosnie et la Grèce, au regard du mouvement de révolte de masse, est essentielle pour comprendre les tendances futures dans les Balkans et, au-delà, dans toute l'Europe. En Grèce, les masses ont formé des organisations pour les diriger, tandis qu'en Bosnie-Herzégovine il n'existe pas de telles organisations. Mais en Grèce, les masses se sont révoltées parce qu'elles sont appauvries, tandis qu'en Bosnie elles se révoltent parce qu'elles ne peuvent pas tolérer plus longtemps la pauvreté et l'humiliation. C'est une différence fondamentale. Il n'y a pas en Bosnie d'organisation ou de mouvement révolutionnaire, mais il y a en revanche toutes les autres conditions pour permettre le début d'un processus qui aurait une portée incommensurable pour l'ensemble du mouvement révolutionnaire en Europe. Il y a en Bosnie-Herzégovine les conditions pour commencer à construire un mouvement anti-impérialiste. Il ne semble cependant pas, hélas, y avoir une grande conscience de cela dans le mouvement marxiste-léniniste européen qui, et pas seulement dans l'exemple bosniaque, ne se situe même pas à la remorque des masses mais complètement à côté.
Peut-être les réponses du passé peuvent-elles être une partie des réponses d'aujourd'hui, pour comprendre la Bosnie-Herzégovine.
Lorsqu'on lui demandait pourquoi la révolution avait éclaté en Russie, l'écrivain Ilya Ehrenbourg répondait : "Peut-être parce que nous avions tellement de cœur, et si peu de pain".
PARTIJA RADA
2014