... et fait d'une révolte populaire l'armée supplétive d'une guerre inter-impérialiste.
Ce qui s'est passé en Libye n'a pas à être considéré négativement : cela permet au contraire d'apporter de riches enseignements à tous les mouvements populaires arabes en cours et à venir.
Ce qui a manqué en Libye est évident pour tout marxiste, et SLP l'a déjà expliqué plusieurs fois : c'est une DIRECTION RÉVOLUTIONNAIRE armée d'une véritable théorie révolutionnaire, fut-elle pas exactement MLM. En réalité, il n'y avait pas de direction du tout, même sur un programme nationaliste et/ou démocratique !
Il y a eu au départ, inspirée par les exemples tunisien et égyptiens, une mobilisation démocratique petite-bourgeoise "facebookienne" de la jeunesse éduquée (la Libye a un assez haut niveau d'éducation de la jeunesse). Celle-ci a été rapidement rejointe par une mobilisation des masses populaires contre la hogra, ce mélange de corruption, d'arbitraire des élites et d'absence d'avenir, qui n'est pas spécifiquement liée à la misère (la Libye a le plus haut niveau de vie de la région, la Tunisie n'étant d'ailleurs pas spécialement déshéritée non plus), et contre la discrimination des régions réputées hostiles au clan dirigeant. Kadhafi ayant fait, échaudé par la chute de ses deux voisins, le pari de la répression brutale, le mouvement a rapidement fait tâche d'huile.
Mais voilà : toujours pas de direction, sinon des "comités insurrectionnels" dans les localités où les forces du régime avaient rapidement été débordées. Et surtout, toujours pas de théorie révolutionnaire, en réalité même pas de programme clair.
La vérité, c'est qu'on ne fait pas la révolution avec des réseaux sociaux, même si ceux-ci peuvent être un appui. Mélange de blanquisme (pour le côté "coup de force", "le pouvoir va tomber tout seul") et de proudhonisme (pour le côté "horizontaliste", "réseau" sans direction), la "révolution facebook" est un concept qui partout dans les pays arabes, à d'ores et déjà montré ses limites.
Les insurgés se sont rapidement procurés des armes, qui circulent largement dans ce pays de tradition bédouine. Mais aucune idéologie, aucun état-major centralisé ne commandait aux fusils...
La jeunesse populaire a alors vu venir à elle TOUT UN ENSEMBLE de dirigeants tribaux, d'officiers de l'armée et de politiciens nationaux ou locaux, sentant le vent tourner ou ayant des comptes (plus ou moins vieux) à régler avec la famille Kadhafi ; et qui en ont pris la tête. Ces gens étaient les représentants du système TRIBAL, qui en Libye, est l'armature de l'État. Autrement dit, la révolte s'est pratiquement d'entrée de jeu placée sous la direction d'une fraction de la CLASSE DOMINANTE libyenne, contre celle restée fidèle au "Guide"...
Que pouvait-il alors se passer ? La réponse est une question : à quoi ces gens doivent-ils leur position un tantinet privilégiée ? Réponse : ils la doivent à leur position d'intermédiaires locaux des monopoles impérialistes.
Entendons nous bien : ce ne sont pas des bourgeois nationaux. Il n'y a pratiquement pas de bourgeoisie nationale en Libye, qui en 1969, était un pays désertique peuplé de tribus d'éleveurs bédouins, aux villes et aux souk de taille réduite. La bourgeoisie nationale qu'il y a est plutôt d'idéologie national-islamique de type Frères Musulmans, tandis que les intellectuels se répartissent sur un spectre politique "à l'occidentale" allant de la monarchie parlementaire au marxisme : ces classes ont généralement participé au soulèvement, mais ne l'ont pas dirigé.
La classe dominante en Libye est donc cette aristocratie tribale, qui est devenue la gestionnaire des ressources hydrocarbures du pays. Elle doit son opulence, basée sur la rente pétro-gazière, uniquement à son rôle d'intermédiaire. Elle ne peut exister autrement.
Les nouveaux dirigeants proclamés de la "révolution" se sont donc cherchés des maîtres impérialistes à servir. Un pétrolier est d'abord parti de Cyrénaïque insurgée vers la Chine... Puis les USA et l'impérialisme britannique se sont imposés comme une évidence, contrôlant chacun moins de 5% de pétrole libyen. Enfin, après beaucoup d'hésitations et de propos contradictoires, la fraction la plus atlantiste de l'impérialisme BBR, représentée par Sarkozy, s'est ralliée à la "croisade" et en a même pris la tête. L'impérialisme tricolore était "moyen-plussement" placé dans le pays depuis les années 1990, après les frictions des années 1980 ; sans doute TOTAL et consorts ont-ils pensé pouvoir rafler quelques parts de gâteau supplémentaires, cela dit, quand on voit la position des fascistes, il est évident que les monopoles BBR ne sont pas unis sur le dossier.
Sous direction réactionnaire, l'insurrection a inévitablement - par les lois de la dialectique ! - dérivé dans la réaction : vengeance minable contre de pauvres bougres de milices kadhafistes capturés, pogroms de migrant-e-s africain-e-s accusés d'être des "suppôts du régime", etc. Le drapeau senoussi de l'insurrection, choisi pour montrer le rejet du drapeau vert de l'escroquerie "socialiste" kadhafiste, est redevenu ce qu'il était à l'origine : le drapeau de la monarchie du roi Idriss, celui des aristocraties tribales évincées par les Kadhafa en 1969 et/ou malmenées depuis.
La révolte populaire est devenue l'armée supplétive d'un guerre impérialiste franco-anglo-US pour évincer leurs concurrents impérialistes qui tenaient le pays : Italiens, Allemands, Autrichiens, Russes, ainsi que ceux vers qui s'était tourné un Kadhafi "trahi" : la Chine et les compagnies pétrolières du Brésil et d'Inde (qui ne sont pas, toutefois, encore des pays impérialistes, mais qui comptent déjà des monopoles). Sarkozy et BHL, Obama et Cameron sont les nouveaux Lawrence d'Arabie, les nouveaux Allenby et Gouraud, les nouveaux Sykes et Picot : il n'y a pas plus de "libération" et d'"humanitaire" dans cette guerre que dans la "libération" du Machrek de la domination ottomane en 1918 (domination derrière laquelle il y avait, déjà, les impérialismes allemand et autrichien !). Pour comprendre cela, il n'y a pas besoin d'être un génie : juste d'avoir un peu étudié l'Histoire...
Voilà où l'on en est. C'est donc une grande leçon à retenir pour toutes les masses exploitées arabes en lutte : il n'y a pas de conquête du pouvoir sans direction et pas de direction sans théorie, sans même un véritable programme immédiat (qui pourrait débuter une Révolution de Février 1917 !). Car finalement, mis à part qu'il aura fallu des frappes aériennes (et leurs "dommages collatéraux") pour venir à bout de Kadhafi et de son armée privée, il ne s'est pas passé grand chose de différent qu'en Tunisie et en Égypte. En Egypte, l'impérialisme US a fait sauter le fusible Moubarak et remis le pouvoir à l'Armée... pilier de l'État depuis sa fondation par Mehmet Ali et puisant son origine dans le règne des Mamelouks (maîtres du pays du 13e au 19e siècle). En Tunisie, où pourtant les syndicats de base et des organisations politiques marxistes ont joué un certain rôle d'encadrement, Ben Ali est parti sur injonction des ambassades US et BBR, et c'est toujours la même oligarchie, les mêmes bureaucrates et les mêmes compradores qui tiennent le pays (même si là, les masses exploitées ne se laissent pas faire !).
Et il n'y a PAS de révolution sous la direction d'une fraction, même minoritaire, de la classe dominante : en Libye sous la direction des clans dirigeants des différentes tribus ; en Égypte (née comme État mamelouk) sous la direction d'une Armée qui, dans un immense élan de générosité, aurait refusé de tirer sur le Peuple... En réalité, il ne peut y avoir de révolution arabe sans balayer ces féodalités (tribalismes, castes militaires) qui dominent encore, dans une large mesure, l'aspect capitaliste bureaucratique-compradore de ces différents pays (comme les forces féodales "encadraient" le capitalisme français naissant de l'Ancien Régime).
Mais un pas a été accompli dans la conscience révolutionnaire des masses opprimées, un pas que tout communiste révolutionnaire marxiste doit savoir reconnaître à sa juste valeur, en comprenant bien la révolution démocratique arabe comme un processus extrêmement prolongé.
Pour autant, il n'est toujours pas question de qualifier la base populaire de la révolte libyenne de mouvement réactionnaire. Pour certains, ce n'est rien là que d'habituel : pour eux il y a d'un côté "l'Empire" et de l'autre "ceux qui résistent" et sont victimes de "complots impérialistes" ; une vision du monde qui se trouve parfois à la tête d'États (comme au Venezuela) et qui est totalement dépassée à l'époque de la nouvelle vague révolutionnaire mondiale. Mais il y a plus grave. Il y a ceux pour qui, disons le clairement, sans Parti communiste ("marxiste révolutionnaire", "ouvrier", ML ou MLM), les prolétaires et les masses exploitées n'ont pas le droit à la révolte. C'est là une négation pure et simple des principes communistes élémentaires, énoncés par Mao Zedong : "là où il y a oppression, il y a résistance", "on a raison de se révolter" ; c'est à dire, tout simplement, la lutte de classe comme moteur de l'histoire, car par "on" Mao entend bien sûr les classes exploitées, et par "oppression" l'oppression des exploiteurs, des détenteurs des moyens de production.
C'est tout simplement la négation de ce qu'est d'être communiste*. Soyons clairs : être marxiste c'est être scientifique. C'est considérer qu'il faut une théorie scientifique pour guider l'avant-garde du prolétariat, guidant elle-même les masses prolétaires et populaires exploitées vers la conquête du pouvoir. Mais pour être marxiste il ne suffit pas d'être scientifique : il faut déjà être COMMUNISTE. C'est un cercle plus large, qui comprend des libertaires, des utopistes, des idéalistes, parfois religieux comme Camilo Torres... Être communiste, cela pourrait se résumer à cette phrase du "Che" Guevara : "Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire"
C'est quelque chose qui vient des tripes ; dont le fasciste pseudo-"marxiste" Alain Soral a pu dire que "ce qui sort, en général, c'est de la merde", belle preuve de sa nature 100% réactionnaire...
C'est seulement à partir de là que l'on peut commencer à être scientifique, donc marxiste. Sans cela, on N'EST PAS, on ne PEUT PAS ÊTRE un communiste. Et tout marxisme, tout marxisme-léninisme ou maoïsme n'est alors qu'INTELLECTUALISME PHRASEUR ou DOGMATISME scolaire, livresque et généralement aigri. À bon entendeur...
[* Par exemple, comment peut-on se dire communiste en écrivant que "évidemment le régime de Kadhafi est sanglant, tentant de préserver son existence face à un soulèvement (...) (mais) il est dans la nature de tout État de réprimer un soulèvement armé contre lui (!!!). Un État est par définition le monopole de la violence " ????? Oui, d'un point de vue strictement objectif, récitation de classiques, c'est vrai : l’État est l'instrument de domination d'une classe, qui détient le monopole de la violence légale. Mais où est la capacité de révolte, d'insurrection dans ces propos ? Marx, Lénine, Mao ne disaient pas cela de manière froide et détachée, "la nature de l’État est de réprimer...", mais avec la révolte aux tripes : "la nature de l’État est de réprimer, d'assurer la domination d'une classe sur les autres, c'est pourquoi il faut renverser l’État des dominants et le remplacer par l’État des exploité-e-s" ; voilà ce que disaient les grands révolutionnaires !]