1. C’en est donc fait : dans sa campagne interne contre François Fillon (le représentant de la droite post-gaulliste ‘’humaniste et sociale’’, ‘’modérée’’, bref la droite ‘’Chirac’’ des années 1990-2000), Jean-François Copé a rendu public son Manifeste pour une droite décomplexée. Il y aborde notamment la thématique du "racisme anti-blancs", sur laquelle nous nous étions déjà exprimés voici bientôt deux ans. SLP avait déjà pressenti, depuis un bon moment, que Copé serait le nouveau Sarkozy, celui qui prendrait le relais du ‘’à droite toute’’, de la crispation réactionnaire de la bourgeoisie imposée par la crise générale économique, politique, sociale et culturelle dans laquelle nous vivons depuis maintenant 40 ans : pousser la réaction ultra, le semi-fascisme au maximum en évitant le fascisme pur et simple – c'est-à-dire, l’arrivée au pouvoir du Front national. ‘’Éviter’’ étant un bien grand mot ; repousser l’échéance étant plus approprié. Car ce faisant, "l'accumulation quantitative de réaction" par la droite "décomplexée", tout en étant toujours en retard d'une longueur sur les nécessités de restructuration et de "reprise en main" que la crise générale pose devant la bourgeoisie, ne fait que creuser le lit de la déferlante fasciste qui gronde derrière elle (plus fort que jamais depuis les dernières élections).
Sarkozy et Copé partagent un profil fortement similaire : milieu aisé de la banlieue ouest de Paris, proches des milieux d’affaire (comme avocats, Copé ayant un parcours plus complexe, passant notamment par l’ENA), esprit de ‘’gagnants’’, reagano-thatchériens à la française… Des réactionnaires ultras, ‘’décomplexés’’, mais refusant d’assumer le fascisme comme forme de gouvernement et d’organisation sociale.
Pour Jean-François Copé, le ‘’frein’’ à cela est évident : son grand-père, Marcu Hirs Copelovici, était juif et a quitté la Roumanie en 1926 devant les persécutions antisémites de ce pays ; en 1943, la famille échappa de justesse à la rafle d’Aubusson… Il ne peut donc assumer le programme ‘’pur et simple’’ de l’extrême-droite, même celle qui dans ses préoccupations relèguerait le ‘’mondialo-sionisme’’ loin derrière la résistance à ‘’l’invasion islamique’’ ; et encore moins ses références. La même barrière se posait, sans doute, devant Nicolas Sarkozy.
Mais, depuis l’élection présidentielle et la défaite de l’UMP à celle-ci, Copé est tombé dans les griffes du même homme qui a tenté de faire de Sarkozy un semi-fasciste : le ‘’conseiller de l’ombre’’ des campagnes 2007 et 2012, le très maurassien Patrick Buisson, partisan de la ‘’convergence de toutes les droites’’ (y compris le FN), et d’une droite réactionnaire bourgeoise au discours ‘’clivant’’ face à la gauche (ou au ‘’centrisme mou’’ de la tradition rad’soc’ à la française)…
Le ‘’cerveau’’ de la ‘’droite décomplexée’’ qui a conduit Sarkozy à l’Élysée en 2007, c’est lui : ne pas établir un ‘’cordon sanitaire’’ idéologique autour du Front national, mais au contraire chasser sur ses terres, en faisant valoir que son programme est juste mais que le FN n’est simplement pas le mieux habilité à le mettre en œuvre.
Il n’y a là nulle ‘’contradiction’’ entre deux bourgeoisies (‘’traditionnelle’’ et ‘’financière’’ ou ‘’impérialiste’’), mais simplement entre deux branches de la tradition réactionnaire hexagonale (et de la frange la plus réactionnaire de la bourgeoisie), ‘’remises au goût du jour’’ et susceptibles, si ce n’est déjà fait dans l’intention (le programme politique), de muter en fascisme, qui est moins une idéologie en tant que telle qu’une forme de gouvernement : l’abandon des ‘’formes’’ humanistes-libérales de la domination bourgeoise pour assumer des formes répressives terroristes, militaristes génocidaires etc., dans la mobilisation des masses populaires au service de ces plans de la frange la plus agressive de la bourgeoisie monopoliste.
Si l’on laisse de côté les courants marginaux ultra-atlantistes, ‘’néo-conservateurs bleu-blanc-rouge’’ à la Del Valle, ou ‘’eurasistes’’ à la Bouchet, qui veulent arrimer la France et l’Europe à une grande puissance impérialiste (USA ou Russie) en niant les contradictions d’intérêts qui existent obligatoirement entre elles ; ces deux principaux courants sont :
- le courant maurasso-pétainiste, dont une frange ultra tend à s’unifier dans l’Union de la Droite nationale (dans laquelle la ‘’Troisième voie’’ de Serge Ayoub cherche, certainement, à jouer le rôle ‘’populaire et social’’ du PPF de Doriot), tandis qu’une frange plus "modérée" (De Villiers) gravite autour de l’UMP, des électrons libres comme Buisson se font ‘’conseillers du prince’’, d’autres éléments évoluent dans la mouvance identitaire, ou national-catholique autour du Renouveau français etc. ; c’est, schématiquement et de manière non-absolue, la ‘’droite radicale’’ des ‘’notables de province’’ (et de la ‘’vieille France’’ hantant les hôtels particuliers de l’ouest parisien). On peut aussi rattacher à ce courant l’éditeur-polémiste Richard Millet, national-catholique occidentaliste et anticommuniste viscéral, ‘’ancien combattant’’ aux côtés des Phalanges libanaises, très ‘’terroir’’ (corrézien en l’occurrence) et ‘’défense de la langue française’’ ; qui a récemment fait le ‘’buzz’’ avec son Eloge littéraire d’Anders Breivik.
- le courant ‘’césariste’’, tradition courant du bonapartisme au gaullisme, avec ses ‘’hommes providentiels’’ ayant ‘’une certaine idée de la France’’, en ‘’lien direct’’ plébiscitaire avec le peuple des petits propriétaires (de moyens de production ou de patrimoine personnel) ; c’est plutôt la ‘’droite radicale’’ de la bourgeoisie des grandes métropoles, des classes urbaines aisées mais aussi des paysans propriétaires (dans la tradition bonapartiste). Si l’on laisse de côté les gaullistes ‘’humanistes et sociaux’’ à la Fillon – totalement dans le champ de la démocratie bourgeoise – on les trouve à l’UMP, principalement dans le courant ‘’Droite populaire’’, dans le camp ‘’souverainiste’’ autour de Dupont-Aignan ou Asselineau, et bien sûr dans le lepénisme (Jean-Marie et Marine Le Pen) dirigeant le Front national (même si beaucoup de maurasso-pétainistes s’y retrouvent aussi, de même – en version plus ‘’modérée’’ ou simplement pragmatique – qu’à l’UMP). Mais dans la dimension de masse, c’est aujourd’hui clairement le Rassemblement Bleu Marine, autour du FN de Marine Le Pen, avec des souverainistes gaullistes (Paul-Marie Coûteaux) voire ex-chevènementistes (Florian Philippot), qui assume cette posture ‘’tribunicienne’’ et ‘’populaire’’ auréolée de références au gaullisme, à la ‘’grandeur’’ des années 1960, avant que ‘’tout foute le camp’’ avec le libéral-européisme giscardien puis le ‘’socialo-communisme’’ mitterrandien. Un paradoxe, tout de même, pour un mouvement formé à sa naissance pour moitié de vétérans de ‘’l’Algérie française’’ et pour l’autre de nostalgiques du régime de Vichy. Mais c’est toute la modernité du fascisme que de savoir remiser ces références dépassées ; et aujourd’hui, les éléments pétainistes/OAS irréductibles ont globalement quitté le FN, pour se retrouver plutôt du côté de l’UDN.
Entre ces courants, nulle frontière imperméable bien sûr, les deux partageant la défense des mêmes intérêts (ceux de l’impérialisme et du capitalisme français) sur une ligne ‘’dure’’, la même haine de la révolution et même du réformisme bourgeois, et la même détermination à écraser les masses populaires si nécessaire.
Mais il y a bien deux courants, avec des conceptions de la (construction bourgeoise) France, du monde et des stratégies sensiblement différentes, et qui tendent à s’affronter.
L’un est plutôt pragmatique, cherchant à infiltrer et influencer la droite de gouvernement (comme Buisson) ou à développer ‘’l’implantation locale’’ d’élus ou de ‘’groupes d’influence’’, l’autre cherche le lien ‘’tribunicien’’ avec ‘’le peuple’’ sur un discours ‘’social’’. L’un est plutôt républicain centraliste, l’autre plutôt attaché aux ‘’mille terroirs’’ et aux ‘’petites patries’’ dans la ‘’grande’’. L’un assume mieux les ‘’partenariats’’ avec les puissances du moment (hier l’Allemagne nazie, aujourd’hui le bloc anglo-saxon ou le ‘’partenariat’’ européen avec l’Allemagne etc.), l’autre est très ombrageux de la ‘’grandeur de la France’’, qui ne doit pas forcément toujours faire "cavalier seul", mais toujours être guidée par ses seuls intérêts. Globalement, le maurasso-pétainisme penche plutôt vers l’occidentalisme (sans être totalement ‘’atlantiste’’, aligné sur les Anglo-saxons, ce qui n’est pas la même chose) et le ‘’césarisme’’ plutôt vers la vieille antienne gaulliste ‘’de l’Atlantique à l’Oural’’.
Ceci est ‘’l’abscisse’’, l’’’ordonnée’’ étant le degré de terrorisme réactionnaire assumé contre les masses populaires (ou la frange de celles-ci qu’ils n’auront pas réussi à rallier à leur cause). Sur ce point l’UMP et ses satellites (CPNT, MPF) sont simplement plus ‘’modérés’’ et le FN (tout en assumant un discours plus ‘’social’’, en apparence plus sensible aux ‘’petites gens’’) plus radical. Et c’est là, aussi, que le bât blesse pour la bourgeoisie la plus réactionnaire, au regard des exigences que la crise met à l’ordre du jour, en termes de trouble croissant à l’ordre social ; et bientôt peut-être, de reprise en main autoritaire de l’économie et de l’organisation sociale toute entière, et d’affrontement aigu avec les autres puissances impérialistes (et les ‘’émergents’’ etc.).
Il va désormais de soi que, dans la crise TERMINALE du capitalisme où nous sommes plongés depuis 2008 (et qui n’a pas encore, en France, donné toute sa ‘’puissance’’), JAMAIS PLUS la droite réactionnaire ‘’classique’’ ne sera en position de force face à l’extrême-droite fasciste – FN et ses épigones. Soit elle devient l’applicatrice ‘’autorisée’’ de son programme (c’est-à-dire, dans les faits, fasciste elle-même) ; soit elle disparaît.
2. Quelle est la différence entre cette droite bourgeoise ultra-réactionnaire, ‘’décomplexée’’, que prétend incarner Copé, et le fascisme ?
La droite ‘’décomplexée’’ représente la frange de la grande bourgeoisie qui veut faire payer au prolétariat et aux masses populaires le prix de la crise générale du capitalisme, de la chute vertigineuse de son taux de profit – raison d’être de tout bourgeois capitaliste ayant investi un capital dans une activité productive.
Pour faire simple, quitte à être trivial, elle veut ‘’tirer sur la corde’’… en espérant qu’elle ne casse pas. Elle est aidée, en cela, par le ‘’dialogue social’’ avec les bureaucraties syndicales jaunes, éventuellement par un tissu politicien local ‘’de gauche’’, qui puisera dans les fonds de tiroirs pour ‘’faire du social’’, essayer d’atténuer un peu les effets les plus durs des ‘’mesures’’ décomplexées pour les masses… Elle se moque de cette ‘’gauche’’ bourgeoise (la bourgeoisie qui craint pour sa peau et évite de trop provoquer la colère populaire), qui n’a ‘’pas le courage’’ de ‘’prendre les mesures urgentes qui s’imposent’’ ; mais dans le fond, elle peut s’estimer heureuse de la soupape de sécurité que celle-ci représente, pour enfermer les masses dans le réformisme et les détourner de la révolution, jusqu’à accéder pour ‘’un petit tour’’ aux affaires, comme Blum en 1936, Mitterrand en 1981 et Hollande cette année. Dans la ‘’démocratie’’ qui n’est que répartition harmonieuse des rôles dans la dictature du Capital, la social-démocratie joue toujours un rôle essentiel, celui de faire ‘’passer la pilule’’.
Cette droite ‘’décomplexée’’ au pouvoir, en alternance occasionnelle avec une social-démocratie ultra-‘’molle’’ (purement gestionnaire, sans la moindre ‘’audace’’ réformiste), correspond à ce que le PC maoïste de France appelle le ‘’fascisme moderne’’ : ce que nous avons en France depuis la première cohabitation de 1986-88, voire depuis la présidence Giscard ; en Italie depuis l’avènement de la ‘’2e République’’ au début des années 1990 ; en Grande-Bretagne depuis Thatcher (1979), aux États-Unis depuis l’ère Reagan des années 1980, en Allemagne depuis l’ère Kohl (1982-96), etc. (on notera que dans ces pays impérialistes plus ‘’compétitifs’’, la ‘’gauche’’ bourgeoise gestionnaire, beaucoup plus molle encore que notre PS, peut revenir au pouvoir pour d’assez longues périodes).
Le fascisme, lui… intervient lorsque ‘’la corde a cassé’’. Les effets de la crise et des ‘’mesures’’ prises pour redresser le taux de profit ont rendu les masses populaires quasi ingouvernables. Une situation révolutionnaire est à l’ordre du jour – éventuellement, la ‘’gauche’’ réformiste de la bourgeoisie a tenu les rênes du gouvernement pendant un certain temps : République espagnole, Front populaire en France, Allende au Chili, radicaux (1958-62) ou ‘’printemps camporiste’’ (Hector Campora, 1973) en Argentine, etc. La classe bourgeoise va alors se ranger aux conceptions de sa frange la plus ‘’ultra’’ (grossie, par la situation, d’éléments ‘’radicalisés’’), qui va mobiliser les masses dans une insurrection du capitalisme contre sa propre crise : une politique volontariste, ‘’révolutionnaire’’, contre les symptômes de la crise générale en phase terminale : le ‘’désordre’’ (situation révolutionnaire en développement, agitation révolutionnaire par des organisations prolétariennes ou même simplement explosions populaires spontanées), la ‘’spéculation’’ et la ‘’finance’’ (qui sont des symptômes de la surproduction absolue de capital), la misère galopante par des ‘’mesures sociales’’ qu’il va falloir (rapidement) financer (nous verrons comment…) et les tensions internationales, les contradictions entre puissances impérialistes ou avec d’autres ‘’forces’’ agissant dans l’arène mondiale, qui s’aiguisent comme des lames de rasoir ; et cela veut dire la mobilisation chauvine dans une perspective de guerre impérialiste. Actuellement, ceci apparaît très nettement dans le cas de la Grèce, pays que la crise générale a rendu ingouvernable par sa "classe" politique traditionnelle soumise à la "Troïka" Commission européenne-BCE-FMI et confrontée à une résistance populaire sans précédent dans l'histoire récente du pays (hélas, privée d'une direction révolutionnaire à la hauteur des enjeux) ; avec l'émergence de l'Aube Dorée, parti assumant ouvertement la référence au nazisme et aux régimes fascistes du siècle dernier, disposant de relais solides dans l'appareil d'État (police, armée, "justice", clergé orthodoxe religion d'État etc.) et prenant de plus en plus en charge la sécurité publique, l'assistance aux plus pauvres etc. tout en se livrant aux pogroms d'immigrants et bien sûr... à l'action paramilitaire ultra-violente contre les "gauchistes".
Le fascisme va tendre à synthétiser (quitte à ce que le résultat soit un peu ‘’bric-à-brac’’) les grandes traditions réactionnaires du pays, tout en se plaçant résolument ‘’dans l’air du temps’’ de la société actuelle et à la hauteur des défis (pour le capitalisme national) du moment et de l’avenir : entre tradition et modernité, les ‘’pieds’’ solidement ancrés dans la tradition et le regard tourné vers l’avenir. Au sens strict, le fascisme n’est pas une idéologie bien définie, et s’embarrassant encore moins de cohérence ; c’est une FORME DE GOUVERNEMENT de la société capitaliste : 1°/ dictature terroriste réactionnaire OUVERTE (contre les révolutionnaires, toutes les forces progressistes et même la bourgeoisie ‘’antifasciste’’ – libérale, démocrate-bourgeoise, réformiste modérée façon PS, ‘’centriste’’ à la Bayrou, ‘’humaniste et sociale’’ comme un Borloo voire un Fillon) ; 2°/ MOBILISATION DE MASSE au service des plans de leurs exploiteurs : contre-révolution, restructuration de l’organisation productive et sociale capitaliste (contre la crise générale économique, politique, sociale et culturelle que traverse le mode de production), et guerre impérialiste tous azimuts comme sortie de crise obligée (pillage, destruction de forces productives chez les puissances rivales, et restructuration mondiale du système). La droite réactionnaire ‘’classique’’, même ULTRA-réactionnaire dans les valeurs qu’elle assume, n’assume pas (ou faiblement) cet aspect mobilisateur de masse ; ce qui la distingue du fascisme (alors qu’elle peut assumer une ‘’pression’’ répressive très forte sur les masses populaires, comme dans la France de la "tourmente algérienne" 1956-62 ou de Raymond Marcellin 1968-74, l'Italie de la fin des années 1970 etc. - pour citer des exemples "au bord du fascisme").
L’’’énergie’’ dégagée par les contradictions, qui s’aiguisent dans la société, va être mobilisée et utilisée au service des intérêts et des plans du Grand Capital – en tout cas, de sa fraction la plus agressive et réactionnaire.
Pour résumer, là encore de manière triviale, ‘’la corde a cassé’’, la colère des masses devient incontrôlable et le fascisme va la canaliser en lui proposant un exutoire : ‘’il faut aller casser la gueule’’ à quelqu’un…
3. Déjà dans les années 1970, au tout début de la crise que nous traversons actuellement (et qui n’a fait, depuis 2008, que franchir un nouveau cap), avec les ‘’chocs pétroliers’’ de 1973 et 1979, le dessinateur petit-bourgeois Reiser résumait on ne peut mieux cela : il croquait des ‘’français moyens’’ pour lesquels ‘’il suffit d’aller casser la gueule aux Arabes’’. Comment ne pas voir – abstraction faite de l’auteur, petit-bourgeois ‘’libertaire’’ et anticommuniste farouche – le caractère annonciateur de cette caricature ?
Il y a des personnes, dans la ‘’gauche radicale’’ petite-bourgeoise (PG, LO) mais aussi chez les ‘’révolutionnaires’’, même prétendument ‘’maoïstes’’, pour nier l’islamophobie (et d’autres, malheureusement, pour y répondre en essentialisant l’islam : l’islam serait attaqué parce que islam, et non pour des raisons d’économie politique bien plus concrètes). Celle-ci est pourtant, sans être la seule, une mobilisation réactionnaire de masse essentielle de notre époque : simplement, un ‘’glissement sémantique’’ s’est opéré entre les ‘’Arabes’’ des années 1970 et ‘’l’islam’’ (généralement associé au ‘’terrorisme’’) d'aujourd’hui. Tout simplement parce qu’entre la confiscation de la révolution iranienne par les mollahs en 1979, et le 11 septembre 2001, la résistance nationale arabe et des pays de la ‘’région intermédiaire‘’ (qui recèle la grande majorité des ressources énergétiques de la planète ; on pourrait y ajouter la région Indonésie-Malaisie, également très riche en énergies fossiles et très majoritairement musulmane) a globalement abaissé le drapeau du nationalisme ‘’laïc’’ à la Nasser ou Mossadegh, pour hisser celui d’un nationalisme religieux, mettant en avant la religion islamique, avec Khomeiny ou Ben Laden et Zawahiri (et les talibans afghans, des éléments de la bourgeoisie pakistanaise, Omar el-Béchir et Hassan al-Tourabi au Soudan, etc. etc.).
La crise générale du capitalisme, que nous traversons depuis les années 1970 (avec même des prémisses dès la fin des années 1960), a pour origine une SURPRODUCTION ABSOLUE DE CAPITAL. Mais cela, les bourgeois ne peuvent l’admettre, puisque cela prend sa source dans l’accumulation capitaliste elle-même et oblige, par conséquent, à remettre en cause le mode de production – et leur position en tant que classe. Ils vont donc s’attacher à des symptômes, particulièrement marquants, qui jalonnent la plongée du monde capitaliste dans la crise. Les ‘’chocs pétroliers’’ des années 1970 ont été parmi les tous premiers de la crise actuelle. Aujourd’hui encore, ils sont décrits par tous les ouvrages bourgeois d’histoire, d’économie etc. comme le point de départ de celle-ci. En réalité, ils reposaient sur une logique toute simple : la crise, déjà commencée (avec des conséquences comme notamment la mise en flottement du dollar, détaché de toute référence-or), aiguisait les contradictions entre les bourgeoisies impérialistes (d’Occident, du Japon, d’URSS) et les classes dominantes des pays producteurs de pétrole. Celles-ci ont tout simplement voulu… valoriser leur capital (leurs réserves d’or noir) en augmentant les tarifs de la marchandise pétrole (pour cela, il suffit de faire jouer la rareté : extraire moins de pétrole, ou le garder en stock et ne pas le mettre sur le marché). Tout le reste (guerre du Kippour, etc.) n’a été qu’un prétexte.
Cela, évidemment, a impacté durement les économies occidentales en augmentant les coûts de production, et de réalisation de la valeur (transport, acheminement de la marchandise). D'où, déjà, une certaine animosité et une volonté de ramener ces effrontés à la docilité, en leur "cassant la gueule" si nécessaire (par exemple, en lançant l'Irak contre l'Iran aux velléités nationalistes et expansionnistes de Khomeyni, permettant au passage d'affaiblir le premier, d'acheter sa docilité par l'indispensable soutien impérialiste à son effort de guerre, et d'engraisser le complexe militaro-industriel - français notamment - par de juteux contrats d'armement... puis, l'Irak se montrant à son tour indocile en envahissant le Koweït, il fut écrasé par une intervention impérialiste qui fit 100.000 morts et soumis à un embargo aux 500.000 victimes).
Mais, d’autre part, cela a amené (par la vente de pétrole plus cher) une masse financière considérable dans les gros pays producteur (pays du Golfe, Iran etc.), un (nouveau) CAPITAL qu’il s’agit alors pour eux de valoriser, de faire fructifier – les classes dominantes ayant maintenant beaucoup plus de pétrodollars qu’il ne leur en faut pour simplement s’assurer une vie de luxe. D’où la tendance de ces pays à ‘’s’affirmer’’ sur la scène internationale, à mener une politique plus ‘’indépendante’’ voire, pour des États en tant que tels comme l’Iran, l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Kadhafi dans les années 1980, ou encore pour des fractions de classes dominantes comme celles du Golfe (et/ou des éléments de l'appareil d’État, à l'image des services pakistanais qui ont appuyé les talibans afghans) qui financent le djihadisme, une politique agressive vis-à-vis des pays impérialistes et de leurs alliés : ils cherchent tout simplement des débouchés pour leurs capitaux, suraccumulés à travers la vente du pétrole (ou du gaz).
Choses qu’évidemment, les puissances impérialistes (déjà en crise) ne peuvent tolérer. ‘’Casser la gueule aux Arabes’’ (leur faire la guerre, pour mettre fin à leurs tentations émancipatrices et contrôler leur pétrole aux meilleures conditions) n’est alors plus un propos de comptoir, mais une option très sérieuse des pays impérialistes pour se sortir (à court terme) de leur crise. Les propos de comptoir signifient simplement qu’une mobilisation réactionnaire de masse s’est opérée, dans le sens de cette option.
Si des actions militaires (‘’terroristes’’) frappent le sol des pays impérialistes, depuis les attentats de Paris en 1986 à ceux de Londres en 2006, en passant par une litanie sans fin (premier World Trade Center en 1993, Paris en 1995, Madrid en 2004) et bien sûr les actions spectaculaires du 11 septembre 2001 ; c’est évidemment encore pire (la sécurité intérieure est menacée).
Si des pays impérialistes abritent d’importantes populations originaires de pays musulmans ; que celles-ci, ayant conscience de leur situation particulière d’opprimés au sein des classes populaires en général, refusent de ‘’s’assimiler’’, c'est-à-dire de se soumettre aux valeurs de la nation impérialiste ; qu’elles gardent un rapport de solidarité avec leurs pays d’origine, opprimés par l’impérialisme, et avec le ‘’monde musulman’’ en général (notamment les pays directement occupés : Palestine, Iraq, Afghanistan) ; alors nous voilà partis sur le thème de l’ennemi intérieur, bien au-delà de la réalité des quelques individus qui pourraient, au nom d’’’Al-Qaïda’’ et du salafisme (expression militaire de la frange ‘’radicale’’ des capitaux du Golfe) ou de l’Iran, ou par émulation solitaire (Mohamed Merah), commettre des attentats… En France, de plus, le thème de l’ennemi intérieur arabo-musulman a des racines culturelles plus anciennes encore (les opérations du FLN en métropole, pendant la guerre de libération algérienne).
Ainsi naît l’islamophobie, que seuls des aveugles pourraient nier aujourd’hui. Celle-ci n’est qu’un approfondissement, un élargissement (l’islam, c’est plus large et plus adéquat à la ‘’région intermédiaire’’ que ‘’les arabes’’) et un glissement sémantique (d’Arabes à ‘’musulmans’’, ou ‘’muzz’’ en jargon d’extrême-droite), du ‘’casser la gueule aux Arabes’’ de Reiser.
Ceci dit, dans le bloc impérialiste ‘’européen’’ (autour de l’axe franco-allemand), et ceci dès les années 1960, des éléments fascistes minoritaires vont prendre le contre-pied de ce point de vue : le contrôle (impérialiste) de la ‘’région intermédiaire’’ passe selon eux par de bonnes relations avec la Russie (hier l’URSS), certes, mais aussi avec les nationalistes de la région, fussent-ils religieux (bien que les ‘’laïcs’’ à la Saddam Hussein, Assad, Kadhafi etc. aient longtemps eu leur préférence, mais ce nationalisme-là est largement révolu et il faut s’adapter…). Leur ennemi principal et absolu est le bloc impérialiste USA-Commonwealth-Israël. Ils tendront, à l’intérieur de leurs pays, à rechercher l’alliance avec des éléments réactionnaires arabo-musulmans ; et la ‘’cinquième colonne’’, à combattre, sera essentiellement pour eux les ‘’américano-sionistes’’… auxquels ils identifieront la quasi intégralité de la communauté juive. Ce courant sera aussi, évidemment, très fort en Russie impérialiste, bien que celle-ci subisse également (dans le Caucase et en Asie centrale, hier dans les Balkans) l'offensive du Capital suraccumulé du Golfe (l’Iran, lui, étant un pays allié). Mais là, "pas de problème" : pour les "eurasistes", les djihadistes s'en prenant à la Sainte Russie (ou à la Libye de Kadhafi, à la Syrie d'Assad et autres régimes réactionnaires qu'ils encensent) deviendront sans problèmes des "agents de la CIA et du Mossad", en vertu des liens entre les oligarchies pétrolières de Riyad et Doha et l'impérialisme "USraélien", comme si ces forces capitalistiques ne pouvaient avoir leur propre agenda autonome...
L’antisémitisme développé en France, à la ‘’Belle époque’’, par les nationalistes tels que l’Action française, visait les Juifs comme 1°/ incarnations de la ‘’finance’’ (surproduction de capital, qui avait déjà frappé : crise de 1873), 2°/ porteurs d’idées ‘’libérales’’, ‘’démocratiques’’ et même ‘’socialistes’’ (Marx en chef de file), faisant refleurir le spectre de la Commune, 3°/ liés (par la ‘’finance’’ et le libéralisme) aux puissances anglo-saxonnes rivales, 4°/ enfin, les Juifs de l’époque, essentiellement ashkénazes, portaient surtout des noms à consonnance germanique… suivez mon regard (ils comptaient quelques 500.000 ‘’coreligionnaires’’ dans l’Empire allemand).
Pour l’antisémitisme allemand ayant conduit au nazisme, les Juifs incarnaient la ‘’finance’’/surproduction de capital, ainsi que la ‘’subversion’’ libérale et révolutionnaire de l’Allemagne chrétienne, conservatrice, attachée aux valeurs prussiennes etc. ; et se divisaient en deux catégories : une bourgeoisie libérale-démocrate et des classes populaires très ouvertes aux idées socialistes et communistes. Autrement dit, d’un côté les puissances ‘’libérales’’, les vainqueurs de 1918, et de l’autre l’URSS : l’étau qui broyait l’impérialisme allemand vaincu.
Bref : il ne s’agit pas de faire là un cours de géopolitique, matière qui n’intéresse pas le prolétariat révolutionnaire, mais de bien montrer comment les mobilisations réactionnaires (fascistes) de masse, dirigées contre telle ou telle ‘’communauté’’ (généralement plus définie par les fascistes que réellement par elle-même…), sont le reflet et la conséquence de la mobilisation ‘’des cœurs et des esprits’’ contre telle ou telle partie du monde, elle-même conséquence de la nécessité pour l’impérialisme de sortir (par la guerre) de sa propre crise. Une porte de sortie qui est, en définitive, la seule qu’il peut envisager (la seule autre étant la révolution prolétarienne).
Voilà des choses qu’il est important de rappeler, à l’heure ou des ultra-gauchistes pseudo-‘’maoïstes’’, dans une nouvelle bouffée délirante, nient (encore et toujours) l’islamophobie comme mobilisation réactionnaire de masse, sous prétexte que l’islam recouvre des réalités très diverses (comme si ce n’était pas le cas du judaïsme, ou de la ‘’judéité’’ à l’époque de Maurras et Hitler ; et comme si ce qui comptait, dans une mobilisation réactionnaire fasciste, était la réalité et non ce que pensent les idéologues fascistes !), et en viennent à agiter… le ‘’péril qatari’’, à la manière des Identitaires parisiens, et à dénoncer les ‘’islamo-gauchistes’’ (en l’occurrence les ‘’anarchistes petit-bourgeois tiers-mondistes’’) qui en seraient les ‘’agents’’ (alors que pas une fois le texte dénoncé ne mentionne cet émirat du Golfe arabo-persique) !!! Certes l’émergence géopolitique du Qatar comme ‘’acteur’’ sur la scène internationale est une donnée importante à prendre en compte, pour comprendre le monde qui nous entoure ; mais pas un prétexte pour se joindre à une mobilisation réactionnaire chauvine (« ils sont en train de racheter la Fraaaaance !!! ») promue par l’extrême-droite – de plus, les salafistes sont surtout appuyés par la pétroligarchie saoudienne, le Qatar soutenant plutôt les organisations rattachées aux Frères musulmans (UOIF en Hexagone).
Le Qatar, l’Arabie saoudite ou encore l’Iran (au Bahreïn notamment) ne font de toute façon que récupérer des mouvements populaires de contestation, ou des résistances nationales, qui existent déjà en tant que tel-le-s, de par les contradictions existant dans chaque pays, et existeraient de même sans leur intervention ; ils n’en sont nullement les initiateurs.
La question pour les communistes n’est pas de savoir quel ‘’jeu’’ jouent l’Arabie, le Qatar ou encore l’Iran ; mais pourquoi, dans les contradictions qui secouent les pays arabes et majoritairement musulmans en général, CE NE SONT PAS LES COMMUNISTES, mais les forces politiques liées à ces trois pays qui prennent la tête des masses populaires en lutte – pour les conduire dans l’impasse que l’on sait. Comprendre… pour en tirer les conclusions et le plan général de travail qui s’impose !
Servir le Peuple, pseudo-maoïste petit-bourgeois tiers-mondiste à la solde du Qatar.