Dans le cadre de l'affaire DSK, article bourgeois "de gôche" (au sentimentalisme social caractéristique), mais instructif.
Spécialement dédicacé à ceux qui pensent (les celles doivent être plus rares...) que hors du cambouis des chaînes de montage, point de prolétariat...
Célestine, "auteur" du Journal d'une femme de chambre, sous la plume d'Octave Mirbeau, serait-elle étonnée par la condition de ses collègues d'aujourd'hui ? Elle qui observa chez ses maîtres bien des travers de l'âme humaine… De l'inoffensif fétichiste M. Rabour qui mourut avec l'une de ses bottines vernies entre les dents, à l'acariâtre Mme Lanlaire, exigeante à lui casser le dos.
Exigeant, le métier de femme de chambre dans un hôtel quatre ou cinq étoiles, voire dans un palace, l'est sans aucun doute. Il suppose une surveillance constante de ses mouvements, une vérification quotidienne de la qualité du travail, une hiérarchie très formelle. Gouvernante d'étage, gouvernante générale, directeur d'hébergement et directeur de l'hôtel sont supposés avoir l'œil à tout.
Cette surveillance vaut aussi pour les clients – ce qui protège le personnel. Danièle (les prénoms ont été modifiés) a occupé pendant près de deux ans des fonctions d'encadrement au Sofitel de New York, où Dominique Strauss-Kahn s'est livré à une agression sexuelle présumée sur une femme de chambre. "C'est un établissement qui a accueilli Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, Jean-René Fourtou, l'ancien directeur de Vivendi, un habitué de la suite présidentielle, Gad Elmaleh, etc. Le directeur était toujours au courant de leur emploi du temps. Ils étaient pistés", explique-t-elle.
"DOS FRACASSÉ"
Car aussitôt le VIP sorti, le passe magnétique du client faisant foi, une femme de chambre se précipitait, comme dans tous les établissements de cette catégorie, pour remettre la chambre à neuf : remplacer une serviette, un "produit d'accueil" (savon et autres articles d'hygiène), tapoter le lit, vider une corbeille. Le ménage de fond vient seulement après le check-out. "Il y avait beaucoup de communication entre la réception, la conciergerie, le service clients, témoigne Danièle. Cela ne se fait jamais d'envoyer quelqu'un faire la chambre tant que le check-out n'est pas effectué." Nadia Giraud, 43 ans, dix années de métier, a fait des extras au Bristol et complète son salaire de 1 550 euros net par mois dans un hôtel du 8e arrondissement par des vacations au Pullman de Montparnasse.
"C'est un métier où la pression est énorme, comme un sportif au-delà du marathon. C'est parfois une exigence qu'on ne peut supporter", explique cette petite femme pleine de vivacité. Elle tient à préciser qu'elle aime beaucoup "l'ambiance familiale" de l'Intercontinental de l'avenue Marceau : "Le directeur est compréhensif, galant, d'une grande gentillesse. Il connaît la pénibilité des tâches." Le cauchemar de la femme de chambre ? Faire le lit. Danièle raconte qu'au Sofitel de New York, les puissants syndicats ont réussi pendant un certain temps à refuser "la belle couette My Bed", trop pénible à manier. "Au maximum au bout de six ans vous avez le dos fracassé. Il y a des matins où il faut dix minutes pour se redresser", raconte Fanny qui travaille au Bristol, rue du Faubourg-Saint-Honoré depuis de longues années.
Selon le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), "les matelas sont très, très confortables pour les clients, mais très difficiles à manier pour les femmes de chambre". Et d'ajouter : "C'est du béton." La direction du Bristol vient de contester devant le tribunal de grande instance de Paris une expertise sur le stress et la souffrance au travail commandée par le CHSCT, explique son secrétaire, Panagiotis Nikolaou. Elle a demandé le renvoi, l'audience est fixée au 30 juin.
"UNE CLIENTÈLE MOINS ÉDUQUÉE, PLUS JEUNE"
Bien des affaires – qui le mériteraient peut-être – ne vont pas jusqu'à la justice. Nadia, d'origine algérienne, s'est permis un jour d'écrire un petit mot de protestation en arabe, sûre d'être comprise, à un client qui avait uriné partout : "Pourquoi avez-vous fait cela ?" Non seulement elle a nettoyé, mais elle a dû s'excuser.
Si la plupart des clients se comportent correctement, certaines chambres sont épouvantables à nettoyer. Avec des préservatifs pendus au lustre ou des strings sales qui traînent par terre. "La clientèle a beaucoup changé, elle est moins éduquée, plus jeune, on voit beaucoup de nouveaux riches", témoigne Fanny. "Si je vous disais le nombre de top models qui font pipi au lit, qui se battent avec leur coiffeuse, ou qui sont sales." Aucune femme de chambre ne fait mention d'agression sexuelle. Mais les propositions sont assez fréquentes de la part des clients du Moyen-Orient, des Russes, du milieu du show-biz. "Ils amènent des prostituées dans les chambres, donc ils se disent pourquoi pas nous", s'indigne l'une d'elles.
"L'ARGENT, C'EST TOUT CE QUI COMPTE"
Crillon, Ritz, Bristol, Inès a fait les trois. Comme ses collègues, elle se plaint de l'augmentation des cadences, des chambres à faire toujours plus vite avec un degré d'exigence toujours plus élevé. "L'argent, c'est tout ce qui compte", dit-elle. Pourtant, la beauté des commencements l'avait touchée. "Je suis tombée amoureuse de l'hôtel. Je ne pensais pas qu'un tel luxe puisse exister, même avec beaucoup d'imagination." Elle regrette ce temps où l'apparence comptait. "Maintenant les filles peuvent venir les cheveux en bataille ou tirées à quatre épingles, c'est pareil." Elle s'horrifie de les voir en ballerines : "A quand les tongs ?" Parler un français correct n'est plus un critère, souligne-t-elle aussi.
"Ce n'est pas très politiquement correct de le relever, mais c'est une réalité, note un professionnel de l'hôtellerie. Quand on monte d'une catégorie, on passe de femmes qui viennent du Maghreb ou d'Afrique aux pays de l'Est." Inès regrette l'individualisme qui gagne, les revenus qui baissent – il n'y a pratiquement plus de pourboires depuis l'euro. Elle n'a cependant pas l'amertume de Fanny, qui n'en peut plus du choc des deux mondes dans lesquels elle vit. La femme de chambre qui gagne 1 600 euros net par mois voit traîner chaque jour "des mallettes de diamants, de l'argent en veux-tu en voilà, des sacs de courses du faubourg Saint-Honoré, on ne sait plus où les poser". Elle est de plus en plus pauvre et de plus en plus cassée, ils sont "de plus en plus riches et de plus en plus arrogants". Pas de quoi étonner Célestine.
Béatrice Gurrey