Nous sommes, en ce mois de septembre, à peu près à mi-chemin entre deux anniversaires de la plus grande importance pour nous maoïstes : les 45 ans de la Grande Révolution culturelle prolétarienne (décision du Comité central du Parti le 8 août 1966, manifestation d'un million de "gardes rouges" à Pékin et officialisation de ceux-ci par Mao arborant leur brassard le 18, etc.) et les 62 ans de la proclamation de la République populaire, le 1er octobre 1949.
À cette occasion, Servir le Peuple publie ce très long et intéressant article du PCR Canada, paru peu après les célébrations des 50 ans de la Révolution chinoise à Montréal, en 1999 :
[NDLR : en français québécois, "éventuellement" = "finalement", "en définitive" ou alors "plus tard", "par la suite"]
Vive le 50e anniversaire de la révolution chinoise !
Le texte qui suit reprend l'essentiel de l'intervention qui a été faite lors de la célébration du 50e anniversaire de la révolution chinoise organisée par Le Drapeau rouge et qui a eu lieu le 1er octobre 1999 à Montréal.
- Socialisme Maintenant !
Il y a 50 ans aujourd'hui, des millions de personnes en liesse réunies sur la célèbre Place Tienanmen à Pékin ont entendu Mao Zedong proclamer officiellement la fondation de la République populaire de Chine. « Le peuple chinois est debout ! », a-t-il lancé avec fierté : « Le Chine ne se laissera plus insulter ». Trente-deux ans après la Révolution d'Octobre en Russie, le triomphe des communistes chinois représentait sans aucun doute le deuxième plus grand coup à avoir jamais été porté au système capitaliste mondial. Imaginez ! Du coup, plus du quart de l'humanité venait de se débarrasser du féodalisme et de la domination impérialiste et entreprenait la tâche de construire une société nouvelle, dans un mouvement de lutte ininterrompu allant vers le socialisme et le communisme.
La Révolution d'Octobre 1917 avait inauguré ce qu'on a appelé l'ère de la révolution prolétarienne mondiale. Après une période tumultueuse et somme toute assez difficile pour le prolétariat et les peuples du monde - marquée notamment par la défaite de la révolution allemande, la montée du fascisme et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale -, la victoire des communistes chinois a relancé de manière spectaculaire le mouvement révolutionnaire, ramenant à nouveau l'espoir parmi les prolétaires de tous les pays et stimulant le mouvement de libération nationale dans les pays dominés par l'impérialisme.
Mais le peuple chinois revenait de loin, de très loin même. Sans vouloir trop insister là-dessus, il faut quand même se rappeler de ce qu'était la Chine avant la révolution de 1949 : à savoir un pays divisé, soumis à la domination des puissances étrangères qui se sont succédées pour le subjuguer, ou qui l'ont fait quelques fois en même temps, se partageant le pays en morceaux ; parmi elles, le Portugal, l'Italie, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, le Japon bien sûr, puis finalement les États-Unis.
Il faut se souvenir aussi de ce qu'était la situation abominable du peuple chinois lui-même, soumis à l'exploitation féroce des seigneurs de guerre - des féodaux alliés aux puissances étrangères -, aux idées les plus réactionnaires et à la misère la plus abjecte. Un peuple, faut-il ajouter, qui n'avait pourtant jamais cessé de résister, et dont les nombreuses révoltes ont marqué tout le XIXe et le début du XXe siècle. C'est fort de ces expériences monumentales, quoique tragiques - notamment l'écrasement de la révolution démocratique dirigée par le Guomindang de Sun Yat-sen en 1913 -, et en s'emparant du marxisme-léninisme que les communistes chinois, dont le Parti avait été fondé le 30 juin 1921, ont pu élaborer la stratégie qui devait finalement s'avérer victorieuse.
Mao Zedong, qui en fut un des fondateurs, a d'abord procédé à une analyse scientifique de la société chinoise. On retrouve cette analyse dans les premiers textes qu'il a publiés, notamment l'Analyse des classes de la société chinoise et le Rapport sur l'enquête menée dans le Hounan à propos du mouvement paysan. Rompant avec les conceptions de la bourgeoisie nationale, et aussi avec celles de certains communistes qui misaient d'abord et avant tout sur l'intelligentsia et sur le développement d'insurrections dans les villes, Mao avait compris le rôle central que devait jouer la paysannerie, et surtout la paysannerie pauvre, dans la lutte révolutionnaire. Pour lui, il était clair que la révolution n'allait pouvoir triompher sans la participation et la mobilisation des masses les plus larges.
Partant de là, Mao a su tracer les objectifs de la révolution chinoise. Il a établi clairement le lien entre les tâches démocratiques qui devaient être réalisées (telles la réforme agraire, la conquête de l'indépendance nationale et son corollaire, l'unification du pays) et les tâches socialistes encore à venir - un lien qu'il a systématisé dans le concept de « révolution de démocratie nouvelle ». Mao a également développé les principes et la stratégie de la guerre populaire prolongée, grâce à laquelle l'Armée rouge a pu vaincre, à toutes les étapes, des armées souvent bien plus nombreuses et toujours mieux équipées - qu'il s'agisse des armées locales dirigées par les féodaux, de l'armée japonaise qu'elle a réussi à repousser alors que les nationalistes du Guomindang n'arrivaient pas à le faire, puis finalement l'armée nationaliste elle-même qui était pourtant soutenue militairement par les États-Unis.
Mais nul doute que la bataille n'a pas été facile. On peut rappeler à cet égard cette fameuse « Longue Marche », commencée en 1934 après quelques défaites militaires bien senties : les combattantes et combattants de l'Armée rouge ont alors marché près de 10 000 kilomètres, en un an, perdant en cours de route plus de 70 p. 100 de leurs effectifs. Cette manœuvre avait été rendue nécessaire pour préserver non seulement l'existence de l'Armée rouge mais aussi celle du Parti, qui autrement auraient été tous deux anéantis. C'est aussi grâce à la Longue Marche qu'on a pu éventuellement constituer une base d'appui, dans la province de Shaanxi, à partir de laquelle la guerre populaire a pu ensuite s'étendre jusqu'à embraser tout le pays.
Mais si les masses de Chine ont eu à faire face à énormément de répression tout au long de la lutte révolutionnaire, elles ont aussi dû combattre d'importantes erreurs qui s'étaient développées au sein même du Parti qui les dirigeait : un Parti qui a d'abord gravement sous-estimé le rôle de la paysannerie, avant que Mao ne réussisse à le gagner à sa position là-dessus ; un Parti qui a également payé très cher sa soumission au Guomindang et à la bourgeoisie nationale (une position qui était soutenue par l'Internationale et qui devait s'avérer désastreuse politiquement et militairement). Pas à pas, étape par étape, Mao a combattu ces erreurs et amené le Parti communiste de Chine à les rectifier. Alors, c'est donc un peu tout ça, finalement - la résistance populaire, la lutte de lignes, la clarification politique, la méthode scientifique utilisée par Mao et les communistes chinois, et aussi une conjoncture plutôt favorable - qui a rendu la victoire possible en 1949.
Pour autant, la victoire de 1949 ne signifiait pas la fin de la révolution ; en fait, elle n'en marquait que le début. Octobre 1949 fut le point de départ d'une nouvelle lutte, elle aussi prolongée, entre ceux qui, en définitive, étaient prêts à se satisfaire des transformations déjà opérées à travers la lutte révolutionnaire - lesquelles se trouvaient à avoir été consolidées avec la prise du pouvoir (par exemple la réforme agraire et l'atteinte de l'indépendance nationale) - et ceux qui, tel Mao, voulaient poursuivre et approfondir la révolution, bref passer à une étape supérieure. Ces deux points de vue, qui sont rapidement entrés en opposition, reflétaient en fait les intérêts divergents des différentes classes qui avaient participé conjointement à la première étape de la révolution, alors que leurs objectifs se rejoignaient : d'un côté la bourgeoisie nationale, pour qui la réalisation des tâches démocratiques de la révolution était nécessaire à son éventuel épanouissement ; de l'autre le prolétariat révolutionnaire et les masses paysannes opprimées, pour qui la libération authentique impliquait nécessairement d'aller plus loin.
Essentiellement, on peut dire que Mao n'a d'ailleurs jamais vu la révolution comme étant quelque chose de statique, dont le triomphe aurait dû marquer l'arrêt ; elle était pour lui un mouvement ininterrompu, un processus dialectique fait d'avancées et de reculs. Les grandes luttes d'avant 1949, qui ont pourtant été nombreuses, n'étaient donc rien à comparer à ce qui allait suivre... Sans rien précipiter, Mao a toujours voulu s'assurer que le mouvement progresse, étape par étape, bond par bond.
Pour Mao, la contradiction principale en Chine, dès lors qu'il s'agissait d'entreprendre la construction du socialisme, opposait dorénavant le prolétariat à la bourgeoisie, ancienne et nouvelle. À l'époque, la conception dominante en Chine, et généralement même au sein du mouvement communiste international, était que la contradiction principale à laquelle on faisait face à l'étape du socialisme opposait d'une part l'existence d'un système socialiste avancé au niveau politique, et d'autre part le faible niveau de développement des forces productives, qui empêchait de satisfaire pleinement les besoins matériels des masses. Telle était la position défendue par ceux qu'on qualifiera éventuellement de révisionnistes, tels Liu Shaoqi et Deng Xiaoping.
Ceux-ci étaient présents en force à la tête du Parti communiste chinois au début des années 50 et ils s'inspiraient ouvertement des idées de leurs homologues soviétiques, qui défendaient eux aussi des conceptions similaires. Alors que pour Mao, l'essentiel était de développer la lutte de classes, pour les révisionnistes, c'était de développer les forces productives, à tout prix. C'est ce que Deng devait exprimer si clairement avec sa célèbre formule : « Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, pourvu qu'il attrape les souris ». Deng voulait ainsi signifier que pour lui, la ligne politique et le type de rapports sociaux qui étaient développés n'avaient pas d'importance et que seul le résultat comptait, à savoir le développement des forces productives.
Ce point de vue était d'ailleurs dominant au moment de la tenue du VIIIe congrès du Parti, en 1956. C'est aussi à la même époque que le révisionnisme allait se voir consolidé en Union soviétique, avec l'émergence de Khrouchtchev et de ce qu'on a appelé la « déstalinisation ». L'URSS, faut-il le rappeler, jouait alors un rôle très important en Chine avec l'« aide » matérielle considérable qu'elle apportait. Pour les nombreux conseillers soviétiques présents dans ce pays et leurs alliés à la tête du Parti, la priorité devait aller au développement de l'industrie lourde et d'un productivisme à tout crin, même si cela devait se faire au détriment de la consolidation du pouvoir de la classe ouvrière. Ce qu'ils proposaient dans les faits, c'était d'accentuer la concurrence et les divisions parmi la classe ouvrière et les masses populaires. C'était de s'appuyer sur les stimulants matériels, de réimplanter le travail à la pièce et les systèmes de bonis, d'accentuer les différentiations salariales, et ainsi de suite - toutes mesures qui à leurs yeux pouvaient seules amener l'augmentation de la productivité.
Le point de vue de Mao était tout autre. Pour lui, il fallait d'abord maintenir et renforcer l'alliance avec la paysannerie, qui était toujours la classe la plus nombreuse en Chine. Ceci impliquait donc de développer la petite industrie, et pas seulement l'industrie lourde, et surtout de s'assurer qu'un tel développement serve à soutenir le secteur agricole. Mao croyait profondément qu'il fallait continuer à s'appuyer sur les masses pour édifier le socialisme et pour le faire progresser. Il savait que c'était seulement dans la mesure où elles allaient être conscientes des enjeux qui se posaient qu'elles allaient pouvoir réellement s'impliquer et transformer la société. De là les initiatives qu'il a lancées ou favorisées, telles le Grand Bond en avant et l'établissement du système des communes populaires en 1957, le Mouvement d'éducation socialiste lancé au début des années 60 et la grande lutte anti-révisionniste menée contre la direction du Parti soviétique, qui participait elle aussi de la mobilisation des masses sur le terrain idéologique.
Mais à l'évidence, tout cela ne s'avérait pas suffisant. La droite relevait la tête constamment. Elle s'appuyait notamment sur les difficultés du Grand Bond, victime de désastres naturels, du retrait de l'aide soviétique et aussi du sabotage dans sa mise en application. Elle remettait en question les transformations socialistes déjà opérées et les campagnes politiques menées par Mao. Partant de là, celui-ci a compris qu'il faudrait faire encore plus pour vaincre la bourgeoisie et assurer la progression du socialisme, bref qu'il faudrait une « nouvelle révolution ». Ce fut alors la Grande Révolution culturelle prolétarienne (GRCP), sur laquelle nous allons maintenant nous attarder.
Après une décennie complète faite de consolidation du révisionnisme et de capitulation face à l'impérialisme US de la part des leaders de l'Union soviétique, la Révolution culturelle, si décriée à l'époque et plus encore aujourd'hui, a vraiment eu pour effet de remettre la révolution à l'ordre du jour. Elle a montré de manière non équivoque que la révolution ne devait pas obligatoirement se terminer par une défaite et que la restauration du capitalisme n'était pas l'aboutissement inévitable de la révolution socialiste. Elle a aussi prouvé qu'en mobilisant les masses et en les armant de l'idéologie prolétarienne, les vieux rapports d'exploitation et les idées réactionnaires pouvaient être renversés, et qu'il était bel et bien possible d'avancer sur la voie du communisme.
Une des leçons politiques les plus importantes que Mao nous a fait découvrir avec la GRCP, c'est que le quartier général de la bourgeoisie se retrouve à la tête même du Parti, car c'est là où le pouvoir est concentré, là où l'on peut agir le plus efficacement sur l'orientation de la société. Il faut se rappeler que cette idée était alors quasiment une hérésie au sein du mouvement communiste international, en particulier pour les bonzes du PC d'Union soviétique qui se sont sentis visés par l'analyse de Mao, non sans raison d'ailleurs !
Mais plus encore que cette idée qu'on peut et même qu'on doit contester la direction du Parti lorsqu'elle emprunte une voie erronée, ce que Mao nous a enseigné d'encore plus important avec la GRCP, c'est que l'existence de la nouvelle bourgeoisie a des bases au sein même de la société socialiste, qu'elle repose sur les contradictions qui la traversent réellement. Ce que Mao nous a montré, c'est que contrairement à ce qu'on avait surtout pensé jusque là, la bourgeoisie sous le socialisme, ce ne sont pas seulement les vestiges de l'ancienne société, de l'ancienne classe dominante qui a été dépossédée de son pouvoir ; la bourgeoisie sous le socialisme, ce n'est pas non plus seulement une « cinquième colonne » qui vient s'infiltrer au service de l'ennemi extérieur, des bourgeoisies étrangères ; mais que c'est surtout une véritable classe qui se développe sur la base même des « tares » qui caractérisent la société socialiste : la persistance du « droit bourgeois », des divisions entre ville et campagne, entre ouvriers et paysans, entre travail manuel et travail intellectuel, entre dirigeants et dirigés-es.
De cette conception nouvelle et supérieure de ce qu'est réellement le socialisme découle donc ce qui doit être fait par le prolétariat révolutionnaire. Le socialisme n'est pas un mode de production achevé. C'est une période de transition, qui ne lui est utile, au prolétariat, que dans la mesure où elle contribue à restreindre toujours plus ce qui vient du mode de production antérieur et à poser petit à petit les conditions au passage à un mode supérieur (le communisme).
Soit dit en passant, le fait que la GRCP n'ait finalement pas réussi à empêcher la réalisation du coup d'État réactionnaire mené par les partisans de Deng Xiaoping en 1976 n'altère en rien sa validité. Au contraire, cet événement - le coup d'État - et la restauration du capitalisme qui s'en est suivie prouvent qu'elle était d'autant plus nécessaire, et même qu'il en aurait fallu et qu'il en faudra encore d'autres à l'avenir. Mao l'avait d'ailleurs prédit, dès le départ, en 1967 : « La Grande Révolution culturelle prolétarienne actuelle n'est que la première du genre. Dans l'avenir, de telles révolutions auront lieu nécessairement à plusieurs reprises. [...] Tous les membres du Parti et la population doivent se garder de croire [...] que tout ira bien après une, deux, trois ou quatre révolutions culturelles. » [1]
Ce qu'il faut retenir de la Révolution culturelle, c'est que le socialisme, ce n'est pas seulement - ni même d'abord et avant tout - la transformation du système de propriété, i.e. les nationalisations et l'appropriation des moyens de production par l'État. Le socialisme, c'est aussi la transformation et la révolutionnarisation de toute la superstructure : les institutions politiques, l'éducation, la culture, l'idéologie. C'est une bataille constante pour renverser la pyramide sociale, pour faire en sorte qu'ultimement, le prolétariat et les classes révolutionnaires (i.e. « ceux d'en bas ») deviennent les vrais maîtres de la société.
Pour Mao, la Révolution culturelle était un moyen non seulement de barrer la route aux partisans du capitalisme qu'on retrouvait au sein du Parti, mais surtout de transformer les rapports sociaux sur la base desquels la nouvelle classe bourgeoise se développait. Dans un discours prononcé devant une délégation militaire albanaise en 1967, Mao s'en était expliqué clairement : « La lutte contre ceux qui sont au pouvoir et qui suivent la voie capitaliste est la tâche principale, mais ce n'est d'aucune façon l'objectif. L'objectif, c'est de résoudre le problème de la conception du monde ; c'est d'éradiquer les racines du révisionnisme. » (cité dans People's China, Milton and Schurman ed., pp. 263-264, notre traduction)
Le coup d'envoi de la Révolution culturelle a officiellement été donné en 1965 par la publication d'un article de Yao Wenyuan, que Mao a soutenu et popularisé, qui critiquait une pièce de théâtre intitulée « La destitution de Hai Rui ». Cette pièce se portait en fait à la défense de Peng Dehuai, ex-ministre de la Défense connu pour ses positions droitières, qui avait été démis de ses fonctions en 1959. Les révisionnistes se sont d'abord défendus en tentant de contenir la lutte uniquement sur le terrain culturel.
En mai 1966, Mao, qui venait de gagner une courte majorité au Comité central du Parti, fait adopter une circulaire qui donne véritablement le signal du déferlement révolutionnaire. Parmi les idées fortes qu'on y retrouvait, soulignons celles-ci : 1) qu'il y avait un réel danger de restauration capitaliste et que ce danger provenait de la bourgeoisie au sein du Parti ; 2) que la lutte contre la bourgeoisie devait être poursuivie de manière prolongée tout au long de la période du socialisme ; 3) que la mobilisation des masses était en tout temps nécessaire et qu'il fallait impérativement s'appuyer sur elles pour combattre les tentatives de restauration.
Cette idée de Mao comme quoi il fallait systématiquement mobiliser les masses et s'appuyer sur elles est sans doute une de celles qui ont été les plus dénigrées par la bourgeoisie, autant en Chine qu'à l'étranger. Encore aujourd'hui, on répète un peu partout que Mao a été une sorte d'apprenti sorcier qui a voulu délibérément créer le chaos. Dans un sens, c'est vrai ! Mais c'est ce qui était nécessaire pour barrer la route aux partisans du capitalisme. Mao ne s'en est d'ailleurs jamais caché, comme en témoignent ces propos qu'il a tenus en juillet 1967 : « On ne doit pas craindre les troubles : plus il y en a, mieux c'est. Avec sept ou huit troubles successifs, les choses ne peuvent manquer de se résoudre, et efficacement. [...] Mais il ne faut pas utiliser les armes à feu, c'est toujours mauvais. »
Un tel point de vue n'est bien sûr pas admissible par ceux qui croient qu'une révolution suit toujours une trajectoire droite, prévisible et contrôlée, comme c'est le cas des trotskistes. Que dans ce cadre il y ait eu quelques excès et des erreurs au cours de la GRCP, cela ne fait pas de doute. Mais il est encore plus certain que sans ce « chaos » et sans ces « troubles », il y aurait eu inévitablement une défaite rapide du socialisme et le triomphe du capitalisme et des forces les plus réactionnaires.
Tout cela a donc commencé, on l'a dit, sur le front culturel. Puis, le mouvement a pris un caractère de masse lorsqu'il s'est étendu chez les jeunes et les étudiants. Mais pour Mao, ce n'était là qu'un point de départ. Comme il devait par la suite l'expliquer, « les intellectuels révolutionnaires et les jeunes étudiants furent les premiers à prendre conscience, ce qui correspond aux lois du développement de la révolution ». Toutefois, « ce n'est qu'une fois que les larges masses ouvrières et paysannes seront dressées que toute la camelote bourgeoise sera radicalement balayée, tandis que les intellectuels révolutionnaires et les jeunes étudiants reprendront une place secondaire ».
Avec l'entrée en scène de la jeunesse et des étudiants, la Révolution culturelle a vraiment pris son envol. Les débats se sont multipliés, les fameux dazibaos (ces immenses affiches à grands caractères) sont apparus un peu partout. Mao lui-même a alors signé son propre dazibao, qui affichait le titre fort suggestif de « Feu sur le quartier général ! ». Pour donner une petite idée de l'ampleur du mouvement, on peut mentionner le cas de l'Université de Pékin, où en une semaine seulement, pas moins de 100 000 dazibaos ont été affichés, pour une population totale de 10 000 étudiantes et étudiants. L'encre et le papier étaient fournis gratuitement à quiconque en faisait la demande. Des journaux de toutes sortes sont aussi apparus et ont circulé à des milliers d'exemplaires, qui reprenaient le contenu des meilleurs dazibaos.
De la critique systématique des points de vue droitiers, on est ensuite passé à la transformation des rapports sociaux. De nouvelles organisations révolutionnaires ont été créées, de nouveaux organes dirigeants ont été établis. Des expériences de type « commune » ont été mises en place, des comités révolutionnaires nouvellement formés ont pris le pouvoir dans les municipalités, les écoles, les entreprises. Fin 1966-début 1967, le mouvement s'étendait enfin à la classe ouvrière et sortait des villes pour aller à la campagne (le transport par train était d'ailleurs fourni gratuitement aux « gardes rouges » qui souhaitaient se déplacer, dont l'hébergement était pris en charge par l'armée).
Une des caractéristiques les plus fortes du mouvement, c'est qu'on a permis, voire systématiquement encouragé l'expression de tous les points de vue, tout en tentant autant que possible de préserver l'existence et le bon fonctionnement du Parti et de l'État - ce qui ne fut d'ailleurs pas toujours évident ! Attardons-nous un peu sur la Décision du Comité central du Parti communiste chinois sur la Grande révolution culturelle prolétarienne, datée du 8 août 1966, afin de voir à quel point les conceptions des révolutionnaires maoïstes tranchaient avec une certaine vision sclérosée du marxisme-léninisme qui avait alors cours au sein du mouvement :
« Il faut faire une stricte distinction entre les deux sortes de contradictions de nature différente : les contradictions au sein du peuple ne doivent pas être traitées de la même façon que celles qui nous opposent à nos ennemis, tout comme les contradictions entre nos ennemis et nous-mêmes ne doivent pas être considérées comme des contradictions au sein du peuple. Il est normal qu'il y ait des opinions différentes parmi les masses populaires. La confrontation de différentes opinions est inévitable, nécessaire et bénéfique. [...] La méthode de raisonner avec faits à l'appui et celle de la persuasion par le raisonnement doivent être appliquées au cours du débat. Il n'est pas permis d'user de contrainte pour soumettre la minorité qui soutient des vues différentes. La minorité doit être protégée, parce que parfois la vérité est de son côté. [...] Au cours du débat, chaque révolutionnaire doit savoir réfléchir indépendamment et développer cet esprit communiste qui est d'oser penser, d'oser parler et d'oser agir. [...] »
Avec l'implication nouvelle et massive de la classe ouvrière, un moment fort est survenu à Shanghai, qui était traditionnellement un des bastions de la bourgeoisie en Chine mais où l'on retrouvait aussi une forte avant-garde prolétarienne : c'est ce qu'on a connu comme étant la « tempête de janvier » en 1967. La municipalité était alors contrôlée par la droite. Pendant que le mouvement de masse se développait ailleurs en Chine, les autorités municipales de Shanghai s'étaient mises à distribuer bonis, privilèges et augmentations de salaires à certains secteurs ouvriers, de façon à mieux diviser les forces prolétariennes. Parallèlement, elles encouragèrent les grèves et le sabotage de la production. Leur objectif était que les ouvriers, ou du moins certains secteurs parmi eux, se mettent à agir mais seulement pour eux-mêmes, et non pas dans l'optique de transformer la société et de la diriger collectivement. Le sabotage visait aussi objectivement à affaiblir la révolution, en accréditant l'idée que les « troubles » étaient nuisibles au développement économique.
En janvier 1967, donc, des millions d'ouvriers et de jeunes rebelles ont enfin réussi à renverser le comité municipal du PCC. Les masses ont occupé les principaux édifices administratifs, les journaux, les services publics. Un nouveau pouvoir fut établi, sous la forme de ce qu'on a appelé un « comité révolutionnaire de triple union », dont le tiers des membres provenaient des organisations de masse nouvellement créées dans le cadre de la Révolution culturelle ; le deuxième tiers étant formé de cadres du Parti et le troisième, de représentants de l'armée. Ce modèle a par la suite été généralisé à travers toute la Chine, avec toutefois plus ou moins de succès.
En 1968, sur la base de ces victoires, on assiste enfin à la destitution et à l'exclusion du « partisan numéro un de la voie capitaliste », Liu Shaoqi. Deng Xiaoping est lui aussi démis de ses fonctions. Une nouvelle génération de dirigeantes et de dirigeants se développe qui se sont aguerris-es dans les premières étapes de la Révolution culturelle. Ces nouveaux dirigeants viennent s'ajouter et renforcer les quelque 90 à 95 p. 100 des cadres qui sont jugés comme étant « fondamentalement bons ». Parmi eux, on retrouve les plus fidèles compagnons d'armes de Mao, ceux que les révisionnistes attaqueront après sa mort en les affublant du sobriquet de « bande des quatre » et qui sont : Jiang Qing (l'épouse de Mao), Zhang Chunqiao, Wang Hongwen et Yao Wenyuan. Éventuellement, au IXe congrès du Parti en 1969, 60 p. 100 du Comité central sera ainsi renouvelé.
Parallèlement à tous ces développements et à toutes ces mobilisations, on commence aussi à mettre en place ce qu'on appelle les « nouvelles choses socialistes » :
• Dans l'éducation, on s'attelle à la transformation des méthodes d'enseignement et des contenus de cours ; les ouvriers sont amenés à s'impliquer à la direction des écoles. On cherche à raffermir les liens entre théorie et pratique : les étudiantes et étudiants sont invités à participer au travail productif à la campagne. De nouveaux critères de sélection sont mis en place qui tiennent compte non seulement des performances académiques des candidates et candidats mais aussi de leurs dispositions politiques ; les frais de scolarité sont abolis ; etc.
• Dans le domaine culturel, de nouvelles pratiques et de nouvelles œuvres sont aussi développées qui visent à servir le peuple. Ce travail, qui est habilement dirigé par Jiang Qing, a produit des œuvres remarquables, telles les ballets intitulés Le détachement féminin rouge et La fille aux cheveux blancs.
• On assiste à la transformation du système de santé. Les services médicaux sont étendus à la campagne, là où ils étaient autrefois peu disponibles : c'est l'apparition des fameux « médecins aux pieds nus » qui apportent soins et éducation aux masses paysannes.
• Des « écoles de cadres » sont établies dans lesquelles ceux-ci sont appelés à participer à la production et à s'éduquer eux-mêmes au contact des paysannes et des paysans.
Mais encore là, la lutte n'est pas terminée. Elle porte désormais sur le maintien ou pas des acquis et des transformations qui ont été faites, et des verdicts qui ont été rendus. Lin Biao, ministre de la Défense et fidèle allié de Mao, en vient à défendre l'idée que la victoire est désormais définitivement acquise. Il propose de remettre l'accent sur le développement de la production et sur le retour à l'ordre. Son point de vue étant défait, Lin Biao tente un coup d'État qui échoue, puis meurt dans un accident d'avion alors qu'il tentait de s'enfuir en URSS.
Sa trahison place la gauche maoïste sur la défensive. Les centristes, que Mao avait jusque là réussi à neutraliser et même à utiliser à son avantage jusqu'à un certain point, sont maintenant appelés à jouer un rôle plus important. Sous leur influence, Deng Xiaoping est même réhabilité en 1973.
Bien sûr, officiellement, les acquis sont maintenus, la Révolution culturelle se poursuit. Mais petit à petit, les partisans du capitalisme reprennent leur place dans l'appareil du Parti et celui de l'État.
Le contexte international est un autre facteur qu'utilisent les révisionnistes à leur avantage. La Chine se trouve de plus en plus menacée par l'Union soviétique, ce qui place objectivement les secteurs pro-américains dans une position favorable. C'est d'ailleurs à cette époque que Deng Xiaoping présente sa fameuse « théorie des trois mondes », de triste renommée, qui propose au prolétariat mondial de s'allier à l'impérialisme US pour s'opposer au social-impérialisme soviétique et qui s'avérera un des principaux facteurs dans l'effondrement du mouvement marxiste-léniniste international à la fin des années 70.
Fidèles à leurs conceptions idéologiques et politiques, les maoïstes s'en remettent à nouveau à la mobilisation des masses pour contrer le « vent déviationniste de droite ». Cette lutte, qui se déroulera de 1973 à 1976 et qui produira des avancées théoriques très importantes (notamment quant à la critique du « droit bourgeois » et à l'étude de la dictature du prolétariat), permettra de repousser l'offensive de la nouvelle bourgeoisie. Ainsi, Deng est à nouveau démis en avril 76. [2]
Cette fois encore, les divergences entre les deux lignes se sont cristallisées sur les questions économiques. Le programme des « Quatre modernisations », attribué à Zhou Enlai, apparaît pour la première fois dans le décor. On y propose le retour à l'utilisation des stimulants matériels, l'abolition du travail à la campagne pour les étudiants, le démantèlement des écoles de cadres. Dans une de ses dernières interventions publiques, Mao déclare : « Vous faites la révolution socialiste et vous ne savez même pas où se trouve la bourgeoisie. Mais elle est directement à l'intérieur du Parti communiste - ce sont ceux qui sont au pouvoir et qui suivent la voie du capitalisme. Les partisans du capitalisme sont encore sur la voie capitaliste. » (cité dans Peking Review n° 11, 12/03/76, notre traduction)
Après la mort de Mao en septembre 1976, le coup fatal sera donné avec l'arrestation de ses plus proches camarades, qui avaient aussi été les dirigeants les plus solides de la GRCP (la soi-disant « bande des quatre ») et avec l'ignoble campagne, dénuée de tous principes, qui s'en est suivie. Contrairement à ce que certains ont pu penser, ce ne fut pas là seulement qu'une simple révolution de palais. Il y a eu d'importants mouvements d'opposition, à Shanghai notamment, et même des mouvements armés, qui ont malheureusement été réprimés et dont on a peu entendu parler à l'extérieur.
On a voulu laisser croire que les « quatre » étaient isolés et qu'ils n'avaient aucun soutien parmi les masses. Mais leur destitution et leur arrestation ont bel et bien eu toutes les caractéristiques d'un coup d'État. Dans l'éloge qu'il a écrit après la mort de Deng en 1997, Alain Peyrefitte, lui-même un chaud partisan de Deng et opposant notoire aux quatre, l'a admis à sa façon : « Personne n'a compté le nombre des partisans de la "bande des quatre" qui ont fini leurs jours avec une balle dans la nuque. Deng n'a jamais confondu pouvoir et mansuétude. » (La Presse, 22/02/97)
Au départ, les nouveaux dirigeants ont prétendu défendre l'héritage de Mao Zedong. Puis, assez rapidement, ils ont fini par ne lui reconnaître un rôle positif que pour la période allant jusqu'en 1956 - ce qui, soit dit en passant, en dit long sur les intérêts de classe qu'ils représentent. Après la deuxième réhabilitation de Deng en 1978, on a également fini par décréter officiellement la fin de la GRCP, désormais qualifiée comme ayant été une période de « 10 années noires », et par tout renverser ce qui ne l'avait pas déjà été. On sait maintenant ce qu'il en est advenu aujourd'hui.
Quand on regarde tout ce qui s'est passé en Chine depuis 20 ans - le développement du capitalisme sauvage, la réhabilitation du profit, le retour des valeurs traditionnelles obscurantistes, les différentiations sociales éhontées qui s'accentuent, le chômage qui se développe à nouveau, etc. -, on constate à quel point les tendances à la restauration capitaliste y étaient fortes et solides. Et on peut mesurer l'immense mérite qu'a eu la Révolution culturelle, grâce à laquelle le socialisme a pu se développer pendant dix ans de plus, malgré, justement, la force du capitalisme.
La Révolution culturelle est venue répondre en pratique à une des questions les plus importantes - sinon la plus importante - qui se pose pour l'avenir de la lutte pour le socialisme, à savoir comment on peut et on doit faire avancer la révolution après la prise du pouvoir. Elle constitue désormais un élément indispensable de notre compréhension de ce qu'est la lutte pour le communisme.
Évidemment, on peut se poser la question : la gauche maoïste a-t-elle commis des erreurs ? Aurait-on pu éviter le coup d'État de 1976 et prolonger ainsi cette formidable expérience ? Ce sont là des questions importantes, certes, qui pour nous restent d'ailleurs ouvertes. On peut se demander, par exemple, s'il n'aurait pas été préférable de liquider carrément un Deng Xiaoping, lorsqu'il a été démis une première fois en 1968, plutôt que de le laisser en vie et de lui donner ainsi la chance de revenir au pouvoir ? Sachant ce que l'on sait maintenant, on est d'ailleurs porté à répondre oui à une telle question, mais encore là, il faut faire bien attention. Car comme l'a expliqué Mao, « on aura beau destituer [on pourrait même dire liquider] 2 000 partisans de la voie capitaliste durant cette grande Révolution culturelle, si on ne transforme pas notre conception du monde, il y en a 4 000 autres qui vont apparaître la prochaine fois. La lutte entre les deux classes, entre les deux lignes, ne peut être résolue avec une, deux, trois ou même quatre révolutions culturelles. » Deng Xiaoping a certes joué un rôle exceptionnel dans le processus de contre-révolution en Chine, mais si ce n'avait pas été lui, un autre aurait sans doute pris sa place, étant donné la nature profonde de la lutte qui s'est menée entre le prolétariat et la nouvelle bourgeoisie.
Ce qu'on doit surtout retenir de tout ça, ce sont bien sûr les faits marquants et héroïques de la révolution chinoise - et ils sont nombreux : la Longue Marche, Ya'nan, la prise du pouvoir, la Révolution culturelle elle-même, etc. Tout cela fait désormais partie de notre histoire. Il faut certes aussi vénérer ceux et celles qui l'ont dirigée, et aussi les dirigeants à qui elle a donné naissance : en premier lieu, Mao, bien sûr, mais aussi Jiang Qing et Zhang Chunqiao, qui ont persisté dans la voie révolutionnaire jusqu'à la toute fin, faisant preuve d'un courage tout à fait exemplaire. Mais surtout, il faut mettre au premier plan le maoïsme à la tête de la révolution mondiale, à la tête de la révolution au Canada.
Nous pouvons dire aujourd'hui qu'à la lumière de tout ce qui s'est produit dans l'histoire du mouvement communiste international et de ses 150 ans d'existence, on ne peut désormais plus se dire marxiste si on ne s'approprie pas réellement et si on ne défend pas systématiquement les avancées théoriques apportées par Mao alors qu'il dirigeait la révolution chinoise. Ne pas le faire, ce serait en rester - ou bien retourner pour certains - au vieux révisionnisme failli condamné par l'histoire.
Quels sont ces acquis, si importants, qui nous sont nécessaires et qui doivent nous guider pour l'avenir ? Mentionnons-les rapidement :
• D'abord, il y a la stratégie de la guerre populaire prolongée : la participation des masses comme facteur décisif dans la guerre ; le principe des bases d'appui et de leur utilisation pour commencer les transformations sociales avant même la prise du pouvoir ; la direction du Parti sur l'armée ; « cette vérité toute simple que chaque communiste doit s'assimiler et qui est que le pouvoir est au bout du fusil » - une vérité que certains communistes n'ont d'ailleurs pas encore comprise même si les masses révolutionnaires, elles, n'ont jamais cessé de la mettre en pratique.
• La « démocratie nouvelle » comme stratégie révolutionnaire dans les pays opprimés.
• L'analyse des contradictions, du rapport entre théorie et pratique.
• Le concept de la « ligne de masse », basé sur le point de vue selon lequel « le peuple est la force motrice de l'histoire universelle ».
• La lutte contre le révisionnisme moderne.
• Le principe d'oser lutter, oser vaincre, celui d'aller à contre-courant.
• Et, surtout, ce qui apparaît comme étant le principal apport de Mao : l'analyse du socialisme, des contradictions qui le traversent, de la lutte de classes qui se poursuit pendant cette période ; la critique de la « théorie des forces productives » ; l'importance de mener la lutte de lignes au sein du Parti, de reconnaître le rôle et l'existence de la bourgeoisie au sein même du Parti - tout cela concentré dans la nécessité de la Révolution culturelle qui fait désormais partie du programme de toute révolution qui se veut sérieuse.
Aujourd'hui, 1er octobre, se déroulent deux types de célébrations : celles de la bourgeoisie et celles du prolétariat. Même si la nôtre est plutôt humble, il faut en être fier. Il n'y a pas de mal à brandir le « petit livre rouge » - pourquoi pas ? -, même si cela reste seulement symbolique. Mais ce qu'il faut surtout faire, on l'a dit, c'est d'appliquer tous ces acquis. Le mouvement révolutionnaire international semble plus faible aujourd'hui, en apparence du moins, que ce qu'il était dans les années 60 et 70. Mais là où il se développe présentement, c'est justement là où le maoïsme est appliqué. On le voit très bien au Pérou, aux Philippines, en Inde, au Népal, au Bangladesh, en Turquie, où se développe avec de plus en plus de force la guerre populaire.
La vérité, c'est qu'armé du maoïsme le mouvement révolutionnaire est maintenant plus fort qu'il ne l'a jamais été. Il est certes encore en période de réorganisation, mais c'est lui qui est porteur d'espoir pour l'avenir, pendant que le vieux révisionnisme achève de capituler.
Dans les prochaines semaines et les prochains mois, notre organisation lancera une grande discussion au sein du prolétariat canadien sur ce que nous appelons « les bases urbaines du maoïsme », i.e. comment le maoïsme s'applique dans un pays impérialiste, afin de définir quelle est la voie de la révolution au Canada. Des textes circuleront, des débats seront organisés un peu partout, dans les grandes villes, dans les milieux prolétariens, et dans le plus grand nombre de langues possible. Nous vous appelons à vous joindre à cette discussion, à l'organiser dans votre milieu, à y participer en grand nombre. Une discussion que nous souhaitons vivante et ouverte, à l'image du maoïsme lui-même, et qui nous permettra d'entreprendre le nouveau millénaire le plus rapidement possible avec un programme pour la révolution au Canada et avec une nouvelle organisation d'avant-garde pour la diriger. C'est à cette tâche, aujourd'hui, que nous vous convions.
Vive le 50e anniversaire de la révolution chinoise !
Gloire éternelle au marxisme, au léninisme et maoïsme !
Vive la lutte révolutionnaire passée, présente et surtout à venir !
1) Sauf indication contraire, les citations de Mao sont extraites des deux tomes de l'Histoire de la révolution culturelle prolétarienne en Chine de Jean Daubier, publiés chez Maspero.
2) Sur toute la période de allant de 1973 à 1976, on peut lire l'article intitulé « Comment les révisionnistes ont renversé la ligne de Mao », ainsi que le fameux texte de Zhang Chunqiao, De la dictature intégrale sur la bourgeoisie (qu'on peut considérer aujourd'hui comme étant un classique du marxisme-léninisme), tous deux publiés dans Socialisme Maintenant! n° 1, printemps 1997.
(paru dans la revue Socialisme Maintenant! n° 5)
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[Note SLP - Une petite impasse sur un point, mais c'est avant tout une impasse de la gauche révolutionnaire chinoise elle-même : pourquoi les révisionnistes prônaient-ils "de développer les forces productives, à tout prix", un "productivisme à tout crin, même si cela devait se faire au détriment de la consolidation du pouvoir de la classe ouvrière", en s'appuyant sur "les stimulants matériels, (...) le travail à la pièce et les systèmes de bonis, d'accentuer les différentiations salariales, et ainsi de suite - toutes mesures qui à leurs yeux pouvaient seules amener l'augmentation de la productivité" ; et pourquoi, en 1971, Lin Piao prônait-il "de remettre l'accent sur le développement de la production et sur le retour à l'ordre" ? La réponse coule pourtant de source : parce qu'ils en vivaient, tout simplement ! ]
Feu sur le Quartier Général !
Mettons le désordre sous le ciel !
Pourquoi une « nouvelle » révolution, après la Révolution ?
La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) est un épisode révolutionnaire court mais décisif de la révolution chinoise entre 1966 et 1969. C’est un mouvement social de masse, un combat de la lutte des classes, impulsé par les maoïstes pour s’opposer à la restauration du capitalisme et tenter de sauver le processus révolutionnaire et le socialisme. C’est un processus historique d’alliances et de positionnements très complexe, avec bon nombre de débats sur le sens à donner aux événements. Il faut être prudent dans les interprétations. La GRCP pose les questions concrètes du succès et des erreurs de la Révolution. Car il ne « suffit » pas de faire tomber des dirigeants corrompus pour transformer en profondeur une société. Les réactionnaires vaincus ne lâchent jamais l’affaire et les masses prolétaires doivent s’éduquer à diriger en vrai toute la société.
La lutte des classes continue après la révolution ? Oui…
Depuis la prise du pouvoir par le Parti Communiste Chinois en 1949, de profondes transformations de la société ont été engagées (éducation, santé, réforme agraire et collectivisations, communes populaires…) mais beaucoup d’inégalités subsistent et une nouvelle bourgeoisie s’est approprié des positions de pouvoir (dans le Parti, l’administration, les mairies des grandes villes, l’encadrement en entreprises, etc.).
Dans les usines, les contradictions de classe subsistent encore. Les cadres n’ont pas intérêt au même titre que les ouvriers aux transformations révolutionnaires qui réduisent les privilèges. L’éducation est encore largement élitiste et réservée de fait aux enfants de cadres, d’anciens propriétaires terriens...
Ainsi quinze ans après la prise du pouvoir, il y a toujours une lutte (de classe) entre deux voies, deux camps. Le camp prolétarien et révolutionnaire est partisan d’élargir le pouvoir ouvrier à tous les aspects (travail, éducation, vie collective…). Le socialisme est une phase historique (longue) de la lutte des classes. La société est encore marquée par la contradiction Bourgeoisie / Prolétariat, qu’il faut transformer avec une ferme volonté pour mener la Révolution jusqu’au bout. Le camp révisionniste est partisan d’un « statu quo » social conservateur des inégalités et de la division du travail (qui dirige, et qui exécute ?). Il mise tout sur le développement de la production, qui renforce inévitablement ceux qui occupent déjà les positions dirigeantes. Il est représenté par les « liu-dengistes » [1], alliance des partisans de Liu Shaoqi et de Deng Xiaoping.
Pour que la révolution continue dans le sens du communisme, c’est-à-dire de l’abolition complètes des classes, le processus révolutionnaire doit rester vivant et porté par les masses populaires. Sinon la situation se fige, les anciens réactionnaires et nouveaux bourgeois poussent au développement du capitalisme, d’abord un capitalisme d’État puis le capitalisme tout court !
Mao résume ainsi la situation au début des années 1960 : « En un mot, la Chine est un pays socialiste. Avant la Libération, c’était à peu près comme le capitalisme. Maintenant encore, on pratique le système des salaires à huit échelons, la répartition selon le travail, l’échange par l’intermédiaire de la monnaie, et tout cela ne diffère guère de l’ancienne société. La différence, c’est que le système de propriété a changé. »
La G.R.C.P. est donc une nouvelle étape du processus révolutionnaire, car la Révolution ne se limite pas à la prise du pouvoir. Le socialisme ne se limite pas à déclarer que « tout appartient à tous », à exproprier les exploiteurs au profit de la propriété collective, publique, d’État.
Pour les révolutionnaires, la suppression de la propriété privée des moyens de production (par la nationalisation, la collectivisation) est un premier pas, nécessaire, mais pas suffisant.
Pour les révisionnistes, c’est en fait l’aboutissement, et le début de la contre-offensive vers une politique toujours plus bourgeoise. Pour eux, à ce moment-là, comme Staline l’avait écrit dans la Constitution de l’URSS de 1936, la lutte des classes c’est fini ! Maintenant il faut produire pour développer le socialisme, donc les étudiants étudient, les ouvrier-es travaillent (avec ardeur et en la bouclant si possible) et les cadres dirigent.
Les communistes chinois s’appuient sur cette expérience de la révolution russe, où la lente désagrégation du processus révolutionnaire a débouché sur la bureaucratisation, puis la restauration du capitalisme. Ils développent donc une autre conception du socialisme, qu’ils essaient de mettre en pratique. Ils théorisent qu’il faut mettre la politique (le projet communiste) au poste de commande et non l’économie. Dans une société incomplètement transformée, l’économie repose toujours sur les inégalités antérieures, il faut donc lutter continuellement. C’est l’évolution de ces rapports qui permet de juger si la révolution avance vers le communisme.
Modèle chinois vs modèle soviétiqueDans le contexte international de l’époque de la guerre froide (affrontement des blocs USA/URSS), il est difficile de critiquer publiquement et ouvertement le « modèle » soviétique. Mais en 1963, les maoïstes chinois formulent dans la « Lettre en 25 points » les bases de l’existence d’une nouvelle bourgeoisie sous le socialisme, et dénoncent en 1964 Khrouchtchev comme révisionniste. C’est la rupture dite sino-soviétique. Cela aura des répercussions dans tout le mouvement communiste international qui va scissionner en deux, entre ceux qui resteront fidèles à l’URSS et à Khrouchtchev (comme le PCF en France et l’essentiel des Partis communistes) et ceux qui resteront fidèles à Staline, appelés « marxistes-léninistes ». Parmi ces derniers, ils vont eux-mêmes se diviser en deux. Entre d’un côté ceux qui resteront fidèles à Staline et à ses erreurs, emmenés par le Parti du Travail d’Albanie et son dirigeant Enver Hodja ; et de l’autre ceux autour de Mao et des maoïstes chinois qui entameront un bilan critique partiel des erreurs de Staline et de la restauration du capitalisme en URSS. L’OCML VP est issue de ce dernier courant (voir l’édito de Partisan Magazine N°4)
La lutte des classes traverse même le Parti Communiste ? Oui…
Au tournant des années 1960, face aux difficultés concrètes de la construction du socialisme, un premier bilan s’impose. Le mouvement révolutionnaire s’essouffle et la collectivisation (Grand Bond en Avant, voir article précédent dans ce magazine) a connu de graves échecs. Les révisionnistes au sein du Parti (Liu Shaoqi et Deng Xiaoping) exploitent ces erreurs et sont aux commandes de l’appareil d’État. Ils opposent les nécessités de la production, et mettent un coup d’arrêt au développement de la collectivisation. Ils mettent en avant le développement technique (la mécanisation) comme priorité par rapport à l’émancipation politique et à la transformation des rapports sociaux. Malgré des affrontements politiques avec le courant maoïste, ils ont réintroduit les primes et les salaires au rendement, une dose de propriété privée en faisant pression pour restreindre les communes populaires à la campagne. Sous couvert de « réalisme économique », il s’agit de revenir en arrière et « d’appâter » une partie des prolétaires avec des avantages matériels. Cette influence révèle la décomposition du lien entre le Parti et les masses dans de nombreux endroits, et la formation d’une petite bourgeoisie d’État, bureaucratique, dans les niveaux intermédiaires du Parti Communiste Chinois.
En 1962, Mao réagit et déclenche un « Mouvement d’Éducation Socialiste (MES) », une campagne politique pour « combattre l’individualisme et élever une conscience socialiste dans les masses ». Mao différencie les cadres « bons ou relativement bons, ceux qui sont rééducables après l’aveu de leurs fautes et de leurs erreurs, d’une petite minorité engagée dans la voie capitaliste » [2].
Le MES part du principe de l’enquête en invitant les masses à critiquer l’autoritarisme des cadres et leur servilité à l’égard du pouvoir. Les cadres responsables de province, de communes, les officiers supérieurs de l’armée doivent aller travailler pour les récoltes. Il en va de même pour beaucoup d’étudiants (encore très fortement d’origine bourgeoise) qui sont envoyés à la campagne pour les grands travaux. Les organisations de masse, de femmes, de paysans, sont redynamisées.
Mao affirme aussi que la lutte de classe trouve son expression au sein du Parti, et qu’il ne faut « jamais oublier la lutte des classes », ou alors « il se passerait peu de temps, peut-être quelques années ou une décennie, tout au plus quelques décennies, avant qu’une restauration contre-révolutionnaire n’ait inévitablement lieu à l’échelle nationale, que le Parti marxiste-léniniste ne devienne un parti révisionniste, un parti fasciste, et que toute la Chine ne change de couleur » [3]. Mao sonne ainsi la première charge politique à l’intérieur du Parti lui-même.
Dès le lancement du MES, les cadres révisionnistes réduisent les consignes à un travail administratif, par exemple la purification de la comptabilité au lieu de l’action et de la critique politique populaire.
Tactiquement les directives de Mao ne sont jamais critiquées frontalement mais réduites à une application bureaucratique. De fait, elles sont largement sabotées ! Le propre des révisionnistes est d’avancer en masquant leurs positions. Tous se revendiquaient sans cesse de Mao, et plus ils étaient engagés dans la voie capitaliste, plus ils se réclamaient du socialisme. Les maoïstes les accusaient « d’agiter le drapeau rouge contre le drapeau rouge ! » Il n’était pas facile de les démasquer aux yeux des masses et de différencier les amis qui se trompent des ennemis qui se cachent.
Ces luttes politiques sont le reflet, dans le Parti, de la lutte de classe qui continue dans la société. Ces évènements préfigurent par bien des aspects ce que va être la Révolution Culturelle, qui ne surgit pas d’un coup et de nulle part, mais exprime l’intensification des luttes politiques. Les maoïstes dans le Parti Communiste Chinois ont repris l’offensive politique. Mais la capacité de nuisance de la bureaucratie du Parti a été sous-estimée et s’est révélée plus forte que prévu. C’est ce qui poussera Mao à lancer une plus grande campagne de mobilisation des masses. Cette fois, la première cible qu’il désigne c’est le Parti Communiste Chinois lui-même : par le mot d’ordre Feu sur le quartier général ! C’est le début de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.
La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne est lancée de façon volontariste par le courant maoïste comme un mouvement de critique, idéologique, et « culturel ». Il s’agit d’implanter plus largement les idées révolutionnaires dans la vie sociale. Les masses populaires sont encouragées à s’organiser à s’exprimer (sous forme d’affiches et de journaux muraux, les dazibaos). Il faut former une nouvelle génération de militants et de dirigeants communistes, pour assurer l’avenir de la Révolution. La critique prend une ampleur inattendue, dépassant largement l’objectif assigné de quelques hauts dirigeants engagés dans la voie capitaliste : critique large des directions en usine, de l’éducation, politisation de la jeunesse, et elle se transforme en révolution politique. Mao qualifie la GRCP de forme enfin trouvée de la lutte des classes sous le socialisme [4].
Pourquoi une révolution « culturelle » ?
La Chine de l’époque est encore marquée par des mentalités imprégnées de féodalisme, opprimant les femmes, les minorités, de superstitions... Les maoïstes critiquent aussi la persistance de la pensée de Confucius (philosophe du 4ème siècle avant J.C.), et sa « théorie du juste milieu » [5], qui devient doctrine officielle de la dynastie des Han (à partir du 3ème siècle) et perdure encore. Présentée comme une sagesse, même encore aujourd’hui, c’est pour les maoïstes la défense du conservatisme social au profit des puissants. De même, ils dénoncent la « théorie du lignage » (à père cadre révolutionnaire, fils cadre révolutionnaire), servant de justification au népotisme politique dans le PCC, la Révolution n’étant pas héréditaire !
Les maoïstes combattent aussi la « théorie du génie » [6] (au sein même du PCC), développant le culte de la personnalité et le culte du chef, dont Mao est l’objet via le Petit livre Rouge, créé par le militaire de l’Armée Populaire de Libération, Lin Piao [7], au début des années 1960, véritable « catéchisme de citations », ou encore son portrait étincelant rappelant les anciennes divinités contre lesquelles Mao luttait !
Les maoïstes mettent donc l’accent sur la lutte idéologique pour l’émancipation populaire, pour faire de la société toute entière une école. Ils lancent l’étude des œuvres de Mao, qui sont encore peu connues, plutôt que le Petit Livre Rouge, pour développer un esprit matérialiste et critique, ainsi que la théorie révolutionnaire.
Les débuts de la révolution culturelle prennent ainsi la forme de la critique d’œuvres littéraires. En novembre 1965, Yao Wen Yuan, un des futurs « quatre » [8], s’attaque à un cadre historien du Parti, mais la polémique sur la pièce de théâtre soulève en arrière-plan les problèmes économiques. Jiang Qing prône le développement de thèmes révolutionnaires dans la culture. Elle a déjà créé en 1964 un ballet moderne, « Le détachement féminin rouge » qui raconte un épisode de la guerre, au lieu d’empereurs, et de mauvais génies. Il s’agit de favoriser une culture égalitaire, sans préjugés, et qui parle de la vraie vie du peuple. Cette première phase, jusqu’au printemps 1966, est peu spectaculaire. Elle se déroule surtout au sein du Parti, secoue les cadres révisionnistes et déclenche une lutte acharnée.
Le courant maoïste à l’origine du lancement de la GRCP !
Au printemps 1966, une série d’articles de presse popularise la critique des directions en en place et l’expression publique par affiches. L’effervescence critique gagne le mouvement de masses. Le courant maoïste lance alors véritablement l’offensive dans tout le pays. Il y aura deux circulaires politiques exprimant la vision de la GRCP.
L’une en mai 1966 marque le début d’une lutte ouverte contre la fraction de Liu Shaoqi, et l’autre en août 1966 donne plus d’ampleur encore au mouvement. Les circulaires préconisent « d’éliminer les représentants de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le Parti Communiste et qui s’opposent au drapeau rouge en arborant le drapeau rouge », de destituer les responsables pourris, jusqu’aux plus haut niveaux du Parti et de l’État.
Un des premiers responsables destitués est le maire de Pékin, rien de moins ! Mais dès le début, les révisionnistes essaient de saboter le mouvement de critique.
Les « groupes de travail » créés pour animer la révolution culturelle (pendant 50 jours en juin-juillet 1966) sous-direction de Liu Shaoqi (le Président de la République) et de Zhou Enlaï [9] (Secrétaire général du Parti), épurent massivement les cadres (des plus petits échelons) en assimilant à la « Bande Noire du révisionnisme » le plus grand nombre pour en protéger quelques-uns (hauts-placés). Ils accusent les activistes étudiants d’être contre-révolutionnaires et de désobéir aux ordres du Parti (alors que les directives du Parti étaient explicitement de faire « feu sur le quartier général ») en instruisant de véritables « procès ». Les groupes de travail seront très vite critiqués comme conservateurs. Ces méthodes seront caractéristiques des révisionnistes tout au long de la GRCP. Des étudiants et des travailleurs commencent à se regrouper en noyaux plus ou moins larges pour les combattre, groupes qui donneront naissance aux Gardes Rouges.
En août 1966, sous l’impulsion de Mao, la direction du Parti Communiste condamne ces « groupes de travail ». Cette seconde circulaire, dite « décision en 16 points », affirme que la résistance à la révolution est forte et pose les principes qui vont guider la révolution culturelle :
accorder la primauté à l’audace et mobiliser sans réserve les masses,
que les masses s’éduquent dans le mouvement,
résoudre correctement (pacifiquement) les contradictions au sein du peuple,
les cadres rentrent dans 4 catégories : bons ; relativement bons ; ceux qui ont commis des graves erreurs mais qui ne sont pas des droitiers antiparti et antisocialistes ; un petit nombre engagés irrémédiablement dans la voie capitaliste,
faire la révolution et stimuler la production (mettre la politique au poste de commande).
Le courant maoïste dispose d’une influence politique, celle de Mao au Comité Central, et de leurs positions dans la presse, le Quotidien du Peuple, et le Drapeau Rouge. Ces journaux sont de véritables médias de masse, qui diffusent des consignes politiques et des analyses au fur et à mesure des évènements. Mais au final leurs moyens d’actions sont vite limités. Même si les militants révolutionnaires du Parti se battent au sein des « groupes rebelles » ouvriers, ils manquent de lieux et de temps pour centraliser les expériences et se coordonner. La structure du Parti est éclatée par la lutte de ligne. La GRCP se développe contre le Parti, gangréné par le révisionnisme, et donc quelque part sans Parti pour l’animer !
La jeunesse aux avant-postes de la Révolution Culturelle
Le système éducatif, maintenu ou revenu à l’éducation traditionnelle après le Grand Bond en Avant, est contesté de manière virulente. Les Gardes Rouges se constituent sur la base des noyaux d’étudiants, d’élèves et d’enseignants. Ils recrutent uniquement les enfants d’ouvriers et de paysans (et aussi des enfants de cadres du Parti, selon la doctrine du lignage, qui sera critiquée plus tard. Leur âge varie de 12 à 30 ans environ, mais la plus grande partie est lycéenne et a tout au plus 16-17 ans.
Le 18 août 1966, un million de Gardes Rouges manifestent à Pékin, et Mao, en portant leur brassard, officialise leur existence. Le port des uniformes rappelle les grandes heures de la Révolution. Mao donne pour mission aux gardes rouges de « bombarder les états-majors ». Ils ne peuvent jouer seuls le rôle décisif qui appartient à la classe ouvrière mais doivent être le catalyseur.
S’ensuit une semaine de violence dans les rues. Les gardes rouges s’efforcent de reprendre le pouvoir aux cadres jugés mauvais du Parti. Liu Shaoqi est attaqué sans être nommé par la presse. Puis Deng Xiaoping. Mais aucune sanction n’aboutit contre eux.
Les gardes rouges entrent dans les usines. Zhou Enlai insiste pour que cela ne perturbe pas le travail et la production. À Shanghai, les cadres révisionnistes du PCC appellent même les ouvriers à participer à la Révolution Culturelle en dehors de leurs heures de travail… Ils mettront toute leur énergie à empêcher les rapprochements entre étudiants et ouvriers. Exploitant l’inexpérience et les critiques maladroites des gardes rouges, partout où ils le pouvaient ils les présentaient comme des éléments contre-révolutionnaires, pour dresser les masses contre eux. Les révisionnistes ont délibérément cultivé le chaos et les contradictions au sein du peuple. Il y a à Pékin jusqu’à Trois Quartiers Généraux des Gardes Rouges. Le troisième, à l’initiative des gardes rouges de l’Université de Tsinhua à Pékin qui avait résisté aux groupes de travail, est attaqué en novembre 1966 par le comité d’action uni (enfants de cadres réactionnaires), ainsi que par un groupe ouvrier (armée des travailleurs rouges).
La classe ouvrière entre en masse dans la Révolution Culturelle
Des organisations de masses ouvrières sous la forme de « groupes rebelles » se créent. Le prolétariat est présent surtout dans les villes, en particulier à Shanghai où se développe un foyer révolutionnaire très important. Fin 1966, les organisations ouvrières à Shanghai accusent le maire d’appliquer la ligne pro-capitaliste de Liu Shaoqi. Les ouvriers sont entrés massivement dans la révolution culturelle, mais les cadres conservateurs sont tenaces et se cachent sous une ligne « de gauche en apparence mais de droite en réalité ». Ils s’appuient sur la frange conservatrice des travailleurs pour désorganiser la production. Ils poussent par exemple les ouvriers à quitter le travail pour aller protester à Pékin. Ils présentent les maoïstes comme voulant parler seulement de politique alors que les ouvriers veulent des augmentations de salaires. Ils les incitent à se cantonner à des revendications économiques, et à « se servir » sans tenir compte des écarts de conditions de vie avec les paysans, pour briser leur alliance. Ils encouragent à parcelliser les luttes et à multiplier les organisations concurrentes, pour provoquer la paralysie et montrer que révolution et production sont incompatibles.
Mais le mouvement ouvrier à Shanghai est expérimenté, du fait de la longue lutte contre les occupations impérialistes. Il y a déjà eu des tentatives de « communes » dans les années 1920. Le débat se polarise sur la question des règlements d’usine, et des cadres, entre les révisionnistes pour qui seulement une petite minorité de cadres est à remettre en question, les maoïstes qui veulent rééduquer ceux qui peuvent l’être, et un courant pour qui 95% des cadres sont pourris et qui veut « tout critiquer, tout abattre », tout de suite. Les affrontements entre organisations se développent, et rend difficile le travail politique d’unité entre groupes rebelles révolutionnaires.
Le 6 janvier 1967, une alliance de groupes rebelles (un tiers environ des quarante organisations du moment) parvient à prendre le pouvoir et la Commune de Shanghai est proclamée (en référence à la Commune de Paris). Les anciens cadres sont destitués. Mais cette situation très avancée reste minoritaire [10].
Le courant maoïste soutient la création de la Commune et y voit potentiellement une nouvelle forme de pouvoir généralisable à tout le pays. Mais Mao y voit une initiative trop isolée et prématurée dans la situation générale chaotique du pays. La Commune de Shanghai est transformée fin février 1967 en Comité Révolutionnaire de Triple Union. La Triple Union comprend des rebelles révolutionnaires, des membres de l’Armée Populaire de Libération, et les cadres qui ont soutenu le mouvement. Rebelles et cadres doivent être désignés par les masses.
Pour Mao, c’est un compromis politique, censé consolider la Révolution Culturelle en isolant la droite. Dans la réalité, ce sera beaucoup moins évident. Dans tout le pays, c’est une période de lutte intense pour la mise en place de ces nouveaux organes du pouvoir. Mao demande à l’Armée Populaire de Libération de soutenir les rebelles révolutionnaires et d’assurer la production industrielle, par la force si nécessaire. L’Armée Populaire de Libération (APL) « arbitre » les affrontements entre factions, mais elle est elle-même divisée entre révolutionnaires et révisionnistes. Ceux qui ont le soutien du Comité Central du PCC et de I’APL locale renversent les cadres pro-capitalistes, ailleurs ils restent souvent en place. Les militaires de l’Armée n’appuient pas toujours la gauche, et les révisionnistes qui y ont des soutiens en profitent pour intensifier la répression des rebelles.
L’été 1967 : point culminant de la Révolution ou « guerre civile générale » ?
De vastes mouvements se sont développés, des grèves, des affrontements violents avec les autorités, ou au sein même des rebelles, entre fractions révolutionnaires et conservatrices, des répressions violentes jalonnent la Révolution Culturelle, à l’échelle d’un immense pays comme la Chine.
Se succède une alternance de courant de gauche et de droite, des mouvements complexes d’avancées et de reculs des rebelles révolutionnaires ou les cadres destitués sont souvent réhabilités. Le processus de critique contre les cadres pourris est parfois l’occasion de règlements de compte et de vengeances personnelles, et l’occasion de lyncher un adversaire en l’accusant d’être contre-révolutionnaire.
Des groupes d’opposition issus du PCC apparaissent (comme le Shengwulian) qui jugent le PCC irrémédiablement passés aux mains de la bourgeoisie et appellent à refonder un nouveau Parti Communiste. Ils seront éliminés, comme de nombreux groupes rebelles de toutes tendances.
À l’été 1967, Mao parle de « guerre civile générale ». Le Comité Central du PCC, et notamment Zhou Enlaï, décident de reprendre en main la situation. Mao se range à leur point de vue. Décision qui se traduit par l’action de l’Armée Populaire de Libération, qui va désormais « rectifier » les gardes rouges rebelles, en commençant par leur faire rendre les armes (démilitarisation). Les comités révolutionnaires de la Triple Union sont maintenant composés à 50 % par l’Armée et le reste divisé entre cadres et rebelles (eux-mêmes représentés au début à 50/50 entre révolutionnaires et conservateurs !).
Des centaines de milliers de jeunes sont envoyés à la campagne, pour « se rééduquer » et disperser les organisations de gardes rouges. Ce sont aussi les écoles des cadres du 7 mai, basées sur la participation accrue des cadres au travail manuel et à la production.
La critique est recentrée sur un nombre plus réduit de cibles. Elle se concentre contre Liu Shaoqi, qualifié de « Khrouchtchev chinois », destitué, arrêté et emprisonné.
La Révolution Culturelle s’éteint. Ce sont les dernières luttes, dont les pires heures de la Révolution Culturelle, comme dans le Guanxi en 1968, où 4000 rebelles affrontent 30 000 soldats. De nombreux rebelles sont massacrés ou torturés. Sur cet épisode, on peut lire « Les années rouges » de Hua Linshan, témoin et protagoniste des évènements.
Au 9ème congrès du PCC en 1969, la moitié des membres du Comité Central viennent de l’APL. La Révolution Culturelle est présentée comme une victoire et une plus grande unité. Derrière cette façade unitaire, c’est une stabilisation politique qui fige la situation au profit de l’armée, pivot de la « reconstruction » du Parti.
De 1973 à 1975, le courant maoïste dans un dernier sursaut, lance un grand mouvement d’études marxistes sur la dictature du prolétariat, et amorce un premier bilan de la Révolution Culturelle. Des textes qui nourriront la construction de I’OCML-VP à la fin des années 1970 [11]. Cependant, la base sociale chinoise continue de se transformer dans le sens de la restauration capitaliste, qui aboutira immédiatement après la mort de Mao en 1976. La « bande des 4 » est éliminée et toute contestation réprimée violemment. Puis c’est le grand retour de Deng Xiaoping, qui fait de la Chine à partir de 1978 un pur pays capitaliste, toujours en arborant la faucille et le marteau, bien sûr.
À l’avant-garde de la Révolution Culturelle, il y a quelques expériences très importantes, mêmes si elles ne sont pas étendues à tout le pays.
Produire et travailler autrement, c’est possible !
Avant la Révolution Culturelle, les usines du secteur d’État étaient à la fois dirigées par le comité du Parti et gérées par le directeur de l’usine, désigné et pas élu. La composition du comité du Parti était en principe décidée par les membres du Parti de l’usine même, mais en réalité il arrivait très souvent que le comité du Parti soit désigné par les instances supérieures de l’appareil du Parti. La révolution culturelle a développé une critique de masse de la division du travail, des directions, de la place de chacun, du système des primes, des règlements d’usine….
La nouvelle gestion dans le cadre de la production se passait ainsi : tous les problèmes essentiels sont discutés et approuvés en réunion par les ouvriers (planification, perfectionnement technique, sécurité et protection du travail, etc).
Dans le cadre de la triple union, les ouvriers ayant l’expérience pratique (c’est la force principale), les techniciens et les cadres unissent leurs efforts. Ils permettaient à la classe ouvrière d’intervenir dans le domaine des sciences et des techniques, de s’émanciper petit à petit du savoir des experts. « Rouges et experts » était leur slogan.
La GRCP a entrepris de résoudre les écarts issus de la division du travail. Les cadres devaient participer au travail productif comme les ouvriers. Des universités d’usine étaient créées, pour former des techniciens à partir des rangs de la classe ouvrière.
La résistance de la ligne révisionniste a été considérable. La ligne maoïste s’opposait depuis longtemps à la ligne de Liu Shaoqi. Mao avait formulé en 1960 une Charte d’Anshan (pour les ouvriers de l’aciérie d’Anshan) qui n’a pas été appliquée avant 1964 et a été popularisée ensuite par la GRCP.
Voici ce qu’elle disait :
Placer toujours la politique au poste de commandement,
Renforcer le rôle dirigeant du Parti,
Lancer vigoureusement des mouvements de masse,
Appliquer le système de la participation des cadres au travail de production et des ouvriers à la gestion, réformer les règlements dans ce qu’ils ont d’irrationnel et assurer une étroite coopération entre cadres, ouvriers et techniciens,
Encourager vigoureusement les innovations techniques et mener énergiquement la révolution technique.
Cette charte s’opposait au règlement en 70 points de Liu Shaoqi, copié sur le modèle soviétique, dite Charte de Magnitogorsk (du nom d’un combinat sidérurgique russe) et donnant la primauté aux experts et à la technique, et plaçant le profit et le rendement de la production au poste de commande. La GRCP avait critiqué le système des primes et des stimulants matériels (primes au rendement) comme développant l’égoïsme, renforçant le système du salariat, au lieu de le réduire pour l’abolir ultérieurement.
En critiquant les règlements abusifs, les ouvriers chinois critiquaient l’organisation du travail héritée du capitalisme, sous-tendue par le « profit au poste de commande ». Ces règlements protégeaient la division entre travail manuel et travail intellectuel, entre ouvriers et techniciens, au lieu de la réduire.
Deux expériences sont particulièrement popularisées pour être reproduites, celle de l’exploitation pétrolifère de Taking et celle du village de Tatchaï, qui reprennent les directives de la Charte d’Anshan.
L’agglomération industrielle (exploitation pétrolière) et agricole de Taking. À la fois urbaines et rurales, les agglomérations où vivent les ouvriers de l’entreprise et leurs familles sont reliées par un réseau routier. Une région industrielle socialiste de type nouveau commence à prendre forme, qui associe l’industrie à l’agriculture, la ville à la campagne, au lieu de développer l’un au détriment de l’autre. Les femmes sont pleinement associées à toutes les tâches de production comme de direction. Liu Shaoqi et ses acolytes critiquèrent les ouvriers de Taking pour s’être engagés dans les productions agricoles, disant que c’était « aller à l'encontre de la division du travail ». Ils accusèrent calomnieusement les femmes d’avoir « abîmé la prairie » en prenant l’initiative de défricher de nouvelles parcelles ! (Photo)
Tatchaï est une brigade de production agricole dans un village pauvre de montagne, en Chine du Nord. Il y a d’abord une lutte des paysans pauvres et moyens contre les paysans riches qui refusaient la collectivisation. Après quoi, au prix d’un travail acharné, tout le village a été aménagé, arraché à la montagne, des dizaines de culture en terrasse ont permis de développer les ressources. Il y avait un grand arbre où les anciens propriétaires fonciers battaient et pendaient les paysans pauvres accusés de vol ou autre, alors qu’ils voulaient juste se nourrir. Cet arbre était devenu un lieu de mémoire et de regroupement où ils apprenaient aujourd’hui le marxisme. La clé, c’était l’effort soutenu pour éduquer les paysans ; la clé c’était le facteur humain.
Apprendre et éduquer autrement, révolutionner l’enseignement !
Faire de la société toute entière une école de l’émancipation ouvrière, telle était la dynamique de la Révolution Culturelle. Éducation populaire contre éducation élitiste.
Mao avait dit : « Les écoles supérieures sont nécessaires. Toutefois, il faut réduire la durée des études, mener la révolution dans l’enseignement, et former un personnel technique issu des rangs des ouvriers. Les étudiants doivent être choisis parmi les ouvriers ayant une expérience de la pratique ; après quelques années d’études, ils retourneront à la pratique de la production. » [Cité dans Pour le Parti - Spécial Chine, 1978]
Le monopole de la compétence technique, source de hiérarchie dans l’organisation capitaliste du travail (et aussi des différences de salaires) est remis en cause par ce nouveau type d’enseignement. Capables aussi bien de fabriquer que de concevoir, capables de diffuser leurs connaissances parmi leurs camarades, les ouvriers- techniciens sont à même de diriger l’ensemble du processus de production. L’enseignement ne s’arrête pas à la formation de nouveaux experts, occupant la place des anciens : la révolution dans l’enseignement inclut le retour à la « pratique de la production ». Ces universités ouvrières (de même que celles mises en place à la campagne sur le même modèle) ont connu, à partir de la GRCP, un développement très rapide.
Les jeunes diplômés de l’enseignement secondaire doivent faire l’expérience du travail productif, connaître les conditions de vie et de travail des masses, participer à la lutte des classes dans l’usine ou à la campagne. Le recrutement des étudiants ne se fait plus selon le seul critère des connaissances intellectuelles et culturelles (examens), les étudiants sont choisis par leurs camarades de travail qui reconnaissent en eux la volonté et les capacités de se former pour servir le peuple. Apprendre, c’est aussi apprendre à ne pas mépriser le travail manuel, apprendre à utiliser ses connaissances pour transformer la réalité.
Une école bourgeoise « démocratisée » ne peut former que des cadres bourgeois avec des enfants d’ouvriers. La GRCP a montré que la révolution socialiste dans l’enseignement avait une autre dimension. (Extrait de Pour Le Parti - Spécial Chine 1978)
Penser autrement : Combattre les idées traditionnelles réactionnaires
Partie de la critique de pièces de théâtre, la Révolution Culturelle a mis en avant l’importance du bouleversement des idées reçues qui participent à la reproduction des systèmes de domination. Partout, dans les entreprises, aux champs, dans les écoles, à la maison, ces idées héritées des anciennes sociétés sont un frein au développement des idées révolutionnaires. Elles font partie des bases qui permettent à une société de se reproduire, mais elles sont dans chaque tête individuelle. Sur la place et le rôle assignés aux femmes dans la société par exemple, avec un mot d’ordre comme « ce qu’un homme fait, une femme peut le faire ; ce qu’une femme fait, un homme doit le faire ». L’aspect « culturel » de la révolution signifie cela : l’ampleur et l’enjeu décisif de réévaluer et changer les idées et comportements anciens qui en découlent, tout ce qu’on appelle l’idéologie.
Parce que la GRCP reste une expérience historique d’une portée immense, elle génère encore une lutte de classe autour de son bilan et de son existence. Comme l’écrivait Jean Daubier, historien français contemporain de la Révolution Culturelle : « La Révolution Culturelle constitue un défi général à la conception générale de la vie, aux sociétés dites de consommation, au culte de l’argent, à l’élitisme et à l’individualisme. Elle montre que la renaissance du pouvoir bourgeois en URSS n’est pas une fatalité pour les autres pays socialistes et que les valeurs exaltées par le capitalisme sont historiquement relatives et dépassables » [12].
Pourquoi la GRCP déchaîne-t-elle encore aujourd’hui la haine anticommuniste ?
Périodiquement, il n’y a qu’à voir à chaque anniversaire, les médias reprennent en chœur ce grand chapitre du « livre noir du communisme » qu’est la Révolution Culturelle !
La Révolution Culturelle est présentée comme une « guerre des chefs » autour de Mao, dirigeant omnipotent d’un Parti monolithique. Cela a l’avantage d’éliminer le « peuple », tous ces prolos et ces paysans suivistes, incapables, qui auraient été aux mains des élites pour faire régner la terreur. Car l’enjeu réel est bien là, pour la bourgeoisie : discréditer à tout prix, complètement et pour toujours, toute tentative de dictature du prolétariat.
La classe laborieuse (classe dangereuse pour la bourgeoisie) ne doit pas exister politiquement, elle doit être un « peuple » fictif et docile ! Elle ne peut pas diriger, elle ne doit jamais savoir diriger ! Car l’histoire et la mémoire des luttes est une arme pour nous, et donc aussi un champ de bataille pour la bourgeoisie !
Ces critiques se retrouvent chez un certain nombre d’intellectuels petits-bourgeois « démocrates » où transparaît clairement un mépris de classe, colonialiste de surcroît. Ceux-là même qui glorifient la Révolution française de 1789 ! Une des choses reprochées est la pratique d’autocritiques publiques, pancartes autour du cou, par ceux-là même qui pratiquent quotidiennement le lynchage médiatique télévisuel et hurlent avec les loups aux criminels, aux voyous à propos des militants radicaux, des syndicalistes, des immigrés, etc.
Ce qui est visé, c’est la critique par la Révolution Culturelle de l’origine sociale très favorisée et de la place des intellectuels de l’époque, qui furent envoyés travailler aux champs dans les mêmes conditions, certes très dures, que la masse des paysans ! Sont donc quasi toujours mis en avant des récits individuels biographiques d’intellectuels envoyés aux champs pour décrire toute la barbarie des communistes.
À ces critiques, nous ne répondons pas par des citations du Petit livre rouge, mais par l’analyse concrète des faits, qui ne sont encore que partiellement connus. Nous ne cherchons pas à minimiser les violences, et les morts, car la Révolution n’est pas un diner de gala, c’est une lutte de classe pour le pouvoir. Le nombre de morts pendant la Révolution Culturelle se monterait à presque 1 million [13]… se comptant au premier chef parmi les masses populaires, dans la répression après 1968. Mais c’est une falsification grossière de l’histoire de dire que Mao a ordonné lui-même des exécutions de masse.
De plus, c’est le pouvoir de Deng Xiaoping qui a fait systématiquement détruire toutes les archives, brûler les documents de l’époque, ce qui est un frein réel au travail critique des historiens aujourd’hui à la recherche de la vérité.
Les critiques « de gauche » faites à la GRCP
Plus intéressantes et d’une autre nature sont les critiques de gauche, qui regroupent sous des formes différentes le courant de l’opposition ouvrière (Rosa Luxembourg face à Lénine, voir Partisan Magazine n°4), des positions dites conseillistes et anarchistes, ou encore celles assez connues en France du philosophe Alain Badiou.
Ces critiques reprennent l’existence embryonnaire d’un courant politique de la RPC, « anti-autoritaire » voulant « tout abattre, tout dénoncer » selon les mots de l’appel de Shanghai du 8 février 1967. Ces positions ont en commun la mise en avant de la démocratie directe par la forme « communale », se prononcent contre l’État-Parti, et veulent passer de la prise du pouvoir à l’abolition de l’État tout court.
Reprendre le pouvoir central, le pouvoir d’État à la bourgeoisie, et le déconcentrer, le décentraliser sous la forme d’un pouvoir ouvrier : tout cela anime l’esprit et les directives de la collectivisation, de la pratique des milliers de communes populaires qui furent créées dès les années 1950 à travers toute la Chine. La dénonciation de la bureaucratisation, de la fusion du Parti et de l’État, ce sont des constats et des critiques justes, tirés du bilan des expériences révolutionnaires.
Nous prenons au sérieux ces critiques et nous ne les balayons certainement pas d’un revers de main. Cependant, de notre théorie politique et des leçons de notre pratique, et de celles du mouvement ouvrier avant nous, nous en tirons des objections.
Il est facile de désigner dans l’abstrait un ennemi à abattre (Bourgeoisie, État, Autorité, Hiérarchie, Parti, etc.), mais il est plus difficile de s’attaquer à la racine des problèmes, et de maitriser la critique et la lutte dans les faits.
En marxistes, nous ne jetons pas le Parti et l’État prolétarien avec l’eau du bain. Nous voyons la « nécessité » du Parti comme celle d’un État de type nouveau de dictature du prolétariat. Rien à rien à voir avec un modèle « fétiche », une marque de fabrique des communistes, il ne s’agit que d’outils et pas d'une fin en soi. C’est la forme qui a permis à travers l’histoire de prendre le pouvoir et de le garder un tant soit peu (pas assez longtemps encore) pour transformer la société, sans quoi les épisodes révolutionnaires se sont révélés éphémères (de cent jours à peu d’années). Le Parti et l’État sont des « stigmates », c’est-à-dire la marque que la société n’est pas majoritairement transformée. Lénine soulignait déjà en 1917 que « la transformation des rapports de production détermine le dépérissement de l’État » et du Parti, ou pas… si le pouvoir ouvrier ne progresse pas significativement dans les faits.
Décréter qu’on les supprime ne fait pas avancer plus vite la transformation des rapports sociaux et de production. Aucune forme ou règle collective d’organisation n’est à elle seule une garantie suffisante, ni la forme syndicat, congrès des producteurs, ni la forme Assemblée Générale… L’égalité comme principe « dans la loi » se proclame, mais l’égalité dans tous les aspects de la vie se construit, à commencer par l’éducation à prendre en mains toutes les questions politiques, économiques, écologiques… La seule chose qui est une garantie, c’est l’intérêt ouvrier réel en lutte, et l’implication consciente et active du plus grand nombre de travailleurs. C’est de réduire l’écart entre les prolétaires les plus conscient-es, qui sont les « leaders » au départ du mouvement révolutionnaire, et la masse… dans le partage des tâches de direction, d’organisation, de prise de parole, etc. Chasser un tsar, couper la tête d’un roi, enfermer des dictateurs ne suffit pas à supprimer l’existence collective de la classe exploiteuse. Même renversée, elle cherche toujours à réinvestir les lieux de pouvoir, peu importe ce qu’ils sont, et elle se dit rouge si le pouvoir est rouge…
Nous faisons aussi la critique, qui est au fondement de l’OCML-VP, du culte parfois aveugle de la spontanéité des masses, faisant fi des contradictions, des idées réactionnaires, de l’aliénation… Nous avons confiance dans la capacité des prolétaires à se libérer et à libérer l’humanité toute entière, mais nous ne sommes pas naïfs, ni conciliateurs. Mao avait surestimé cette confiance, en essayant d’unir 95% des masses à 95% des cadres, et il porte sa part de responsabilité dans l’échec final de la GRCP.
Débattons des enseignements de la GRCP !
L’appréciation de la fin de la GRCP a provoqué de vifs débats dans l’OCML-VP, malgré une étude approfondie sur plusieurs années. Les divergences portaient par exemple sur les positionnements du courant maoïste et la critique des décisions politiques de Mao. La question de savoir si la Chine était encore « socialiste » en 1967… L’organisation n’a pu à l’époque de l’étude se départager clairement sur l’expérience historique elle-même.
On retrouve une partie de ces débats dans les anciens numéros de la Cause du Communisme, n°12 à 14 entre 1998 et 2000.
Cependant, les leçons politiques tirées de l’expérience chinoise ont enrichi notre ligne politique et notre compréhension des tâches des communistes pendant le socialisme.
Pour neutraliser les nouveaux bourgeois, c’est la base matérielle de leur apparition qu’il faut changer, donc la transformation en profondeur, la révolutionnarisation de toute la société. La séparation entre l’État, investi par les ouvrier-es et prolétaires les plus conscient-es (ce qu’on appelle l’avant-garde), et la grande majorité des masses donne une base matérielle pour que se reproduisent des rapports de production capitalistes et une nouvelle bourgeoisie.
Seule l’action révolutionnaire pratique des masses est susceptible de créer progressivement les conditions de la disparition des rapports de production capitalistes et du développement des rapports de production communistes. Ce développement se réalise à travers l’élargissement du pouvoir, la suppression des classes et donc l’extinction de l’État.
La lutte politique, l’éducation et la lutte des classes, sont les moteurs de la transformation de la société !
Pour exercer leur action révolutionnaire, les ouvriers ont besoin de structures de masse à la base où s’exprime la démocratie prolétarienne, et où ils apprennent à prendre en main les affaires de la société toute entière. Ces structures apparaissent pendant le processus révolutionnaire, ce sont les soviets, ou conseils ouvriers. Ils sont le fondement, avec le Parti Communiste, de la transformation révolutionnaire des moyens de production et des rapports sociaux. C’est en leur sein, par le débat politique le plus large possible, et dans la lutte politique qu’ils préparent concrètement les conditions du passage au communisme.
Les soviets devront se doter de principes de fonctionnement qui leur permettent d’étendre le pouvoir parmi les masses.
Ces principes, ce sont :
La lutte contre la délégation de pouvoir ;
La révocabilité des élus par la base et le contrôle permanent des mandats ;
La limitation de la hiérarchie des salaires ;
L’aménagement du temps de travail pour permettre aux ouvriers de se former et d’accéder aux tâches de responsabilité ;
L’organisation collective de la production ;
Le droit d’expression et d’organisation, notamment syndicale ;
La préservation et la garantie des droits de la minorité.
Ces principes sont la condition de l’élargissement du pouvoir. Mais ils ne sont pas en soi une garantie absolue. Et les expériences ont montré qu’ils peuvent s’affaiblir à la suite d’erreurs politiques, des combats contre la bourgeoisie et de la guerre impérialiste. Il faut entretenir sans cesse l’élan révolutionnaire, et s’assurer que de nouvelles générations prennent le relais des premiers « vétérans », car la période de transition est longue !
Construire l’unité au sein du peuple par la juste résolution des contradictions
Il faut poser les contradictions, à chaque pas, mais combattre l’esprit de clan, le sectarisme et toutes autres tendances réactionnaires bourgeoises visant à saper la direction exercée par la classe ouvrière. On l’a vu pendant la Révolution Culturelle, la multiplication des organisations n’est pas nécessairement source de démocratie et de pluralisme. Cela a été source de concurrence, d’affrontements, de rivalités personnelles. Il faut donc toujours avoir à l’esprit le souci de l’unité la plus forte et la plus large possible. Unité au sein des exploités, qui ne consiste pas à mettre sous le tapis tout ce qui fait problème, mais à en débattre pacifiquement et à résoudre les désaccords par la voie de l’expérience et du bilan politique.
Une dure leçon, entre autres, de la Révolution Culturelle, est le rappel que l’unité est toujours transitoire et temporaire alors que les contradictions sont générales.
Faire vivre le Parti et la théorie marxiste !
La GRCP nous donne des chantiers pour la construction du Parti ici et aujourd’hui.
Comment préserver le Parti du développement du révisionnisme ? Mao malgré son expérience et son influence politique s’est retrouvé plusieurs fois minoritaire, de même que le courant authentiquement communiste…
Une des critiques que nous formulons a posteriori au PCC est qu’il semble avoir eu peu de vie démocratique en interne, par exemple par la tenue régulière de congrès. C’est souvent le premier symptôme de dégénérescence, et de bureaucratisation. Il n’y en a pas eu pendant des années ! Les luttes politiques se sont donc déroulées de manière rampante sans que la base puisse bien mesurer la lutte de ligne grandissante et sans doute se mobiliser, du moins assez tôt.
De même, le Parti en tant qu’organe collectif a délaissé le travail théorique, c’est-à-dire l’étude critique des contradictions et de la lutte des classes en cours. Sans une analyse concrète, critique et actualisée au fur et à mesure des avancées et des reculs, il devient impossible de comprendre et de savoir où est la bonne direction.
Enfin la critique déjà énoncée par Lénine de la fusion du Parti et de l’État doit être encore approfondie. Plus il y a de prolétaires éduqués et participant aux responsabilités d’organisation de la société, plus on réduit la fusion du Parti et de l’État, initiée par le manque de cadres ouvriers. De même, plus il y a de prolétaires éduqués qui prennent en charge toutes les affaires sociales, moins il y a besoin d’un État en tant que corps spécial et plus on décentralise les responsabilités et plus on a de chances de travailler à son extinction…
Il nous faut creuser encore comment assumer d’emblée la construction du Parti et son dépérissement à terme, mais dans un même mouvement. C’est un apport fondamental du maoïsme, d’avoir développé une façon de faire de la politique et des méthodes de travail luttant contre la délégation, pour devenir tous dirigeants, et tous dirigés.
[1] La droite révisionniste : Liu Shaoqi, Président de la République, sera dénoncé comme le « Khrouchtchev chinois ». Chen Pota, maire de Pékin, lui aussi une des cibles de la Révolution Culturelle. Il sera arrêté et mourra en prison en 1969. Sa mémoire est réhabilitée par Deng Xiaoping. Ceux qui seront les liquidateurs de la Révolution, Deng Xiaoping et Hua Guofeng, successeur de Mao, apparu tardivement mais qui va arrêter et réprimer les maoïstes dans tout le pays. Et surtout Deng Xiaoping, qui a fait ses études en France, et vécu en Union Soviétique, il a même travaillé brièvement à Renault Billancourt. Dès les années 1960, il cherche à diriger une politique économique capitaliste, en alliance avec Liu Shaoqi.
[2] Discours de Mao devant le Comité Central du Parti en septembre 1962, repris ensuite dans les circulaires de 1966 de la Révolution Culturelle.
[3] Idem.
[4] La formule fait écho à Marx « La Commune est la forme « enfin trouvée » par la révolution prolétarienne, qui permet de réaliser l‘émancipation économique du travail », dans La Guerre Civile en France, citation reprise par Lénine et transformée en « première forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat ».
[5] Seul le « milieu » est parfait, car une fois qu‘on se tient bien dans le « milieu », les choses ne peuvent aller à l‘extrême, et l‘ancienne stabilité qualitative des choses ne peut être détruite. En tant que conception de l‘histoire, cette théorie considère comme absolues et sacrées l‘ancienne forme socio-économique et sa superstructure ; elle nie la transformation révolutionnaire de la société, le mouvement de progrès de la société ; elle préconise les idées conservatrices, le retour à l‘ancien. La théorie du « juste milieu » de Confucius, Tcheh Kiun, 1975 http://chinepop.chez-alice.fr/chinepop2/justemilieu.pdf
[6] La théorie du génie était portée par Lin Piao, à propos de lui-même, mais aussi de Mao. Elle instrumentalise la reconnaissance politique par les masses des dirigeants, vainqueurs de la guerre, pour la réduire au prestige individuel et servir des ambitions personnelles, comme si la justesse d’une ligne politique était le fait de « grands hommes ». Théorie dont on retrouve aussi le contenu en France dans l’enseignement de l’histoire.
[7] Lin Piao ou Lin Biao : c’est un militaire, ex-ministre de la Défense, vétéran de la première heure de l’Armée Populaire de Libération. Il est l’auteur et l’initiateur du Petit Livre Rouge (recueil de citations de Mao diffusé dans les masses). Il entretient des liens avec l’URSS où il en tentera de s’enfuir en 1971. Il sera caractérisé « de gauche en apparence mais de droite en réalité » par le courant maoïste à l’issue de la Révolution Culturelle. De gauche, car il a notamment supprimé les grades dans l’armée, mais de droite en réalité car ce qu’il défend au final c’est le dogmatisme, un fort nationalisme, et le culte du chef.
[8] Les communistes autour de Mao, que les révisionnistes appelaient la « Bande des 4 » dans un sens péjoratif, se référant à l’accusation de « bande noire du révisionnisme ». Jiang Qing (stigmatisée aussi pour être la compagne de Mao), Zhang Chunqiao, Yao Wenyuan et Wang Hongwen.
[9] Ancien fondateur du PCC, diplomate, réputé habile, il a été Premier Ministre, puis Ministre des Affaires étrangères et enfin Secrétaire Général du Parti. C’est un centriste, très opportuniste, il soutiendra Mao tant qu’il sera fort, puis il s’alliera finalement à la droite.
[10] Voir à ce sujet, la chronique du livre de Hongsheng Jiang, dans Partisan Magazine n°1, http://www.vp-partisan.org/article1376.html
[11] Marx, Engels et Lénine sur la dictature du prolétariat, Mars 1975, http://www.vp-partisan.org/article1207.html
[12] Histoire de la Révolution culturelle prolétarienne en Chine, Petite Collection Maspero, Paris, 1971
[13] Chiffrage en 2009 par les historiens Roderick MacFarquhar et Michael Schoenhals dans la « Dernière Révolution de Mao », Éditions PUF, qu’on ne peut pas suspecter de sympathie envers le maoïsme.