Retrouver l'article en bon état ici : Gramsci et la théorie de la Guerre populaire en pays capitaliste très avancé (1ère partie)
Voici la traduction d'un article du (nouveau) Parti communiste italien publié dans son organe La Voce n°44 de juillet 2013. Encore une fois, QUELS QUE SOIENT nos désaccords (que nous n'avons jamais cachés) avec la ligne ‘tactique’ actuelle du (n)PCI, dans sa lutte en Italie même comme sur ses positionnements internationaux, nous considérons que cet article apporte une CONTRIBUTION CONSIDÉRABLE à la réflexion communiste quant aux moyens de mener à bien la révolution socialiste en Europe (États impérialistes ou en tout cas économiquement avancés). Les notes encadrées sont celles de l'article du (n)PCI (traduites par nos soins). Nos notes critiques sont en bas de page.
Le format d’édition OverBlog nous oblige malheureusement à publier cet article en deux parties.
Gramsci et la Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée
La “guerre de position” de Gramsci est substantiellement une périphrase pour la plus explicite expression Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) que nous utilisons, reprenant celle-ci de Mao.(1)
1. La Voce du nouveau PCI, n° 43, mars 2013, p. 5
Nous publions avec grand plaisir l'article du camarade Folco R. qui illustre l'apport d'Antonio Gramsci à l'élaboration de la stratégie de Guerre populaire révolutionnaire comme stratégie de la révolution socialiste dans les pays impérialistes.
Avant toute chose parce que le mouvement communiste de notre pays a un besoin absolu d'affiner son analyse quant aux formes de la révolution socialiste. Plus notre lutte avance, plus se développe largement la guerre que nous avons commencée avec la fondation du Parti, plus la crise du capitalisme pousse les masses populaires à s'engager dans la Guerre populaire révolutionnaire comme en 1943-45 un nombre croissant de jeunes, d'ouvriers, de paysans et de femmes au foyer s'engagèrent dans la Résistance, le plus il est nécessaire que le Parti apprenne à traduire la conception générale de la GPR en initiatives concrètes : en campagnes, batailles et opérations jusqu'à la mobilisation des larges masses qui instaureront le socialisme en Italie et donneront ainsi leur contribution à la seconde vague révolutionnaire prolétarienne qui avance dans le monde entier.
En second lieu, pour donner à Antonio Gramsci la place qu’il mérite pour son œuvre dans le mouvement communiste italien et international. Contre le travestissement de son œuvre par Togliatti et ses complices qui ont présenté Gramsci comme un précurseur de la voie pacifique au socialisme, soit concrètement de la renonciation à la révolution socialiste. Mais aussi contre l’usage anticommuniste que cherche à faire de Gramsci, depuis quelques années, la gauche bourgeoise : celle-ci le présente en Italie et dans le monde comme un opposant à la conception et à la ligne personnifiée par Staline, qui a guidé l’Internationale et le mouvement communiste jusqu’en 1956. Alors qu’en réalité, bien qu’enfermé dans les prisons fascistes, Gramsci a élaboré à la lumière des tâches de la révolution socialiste et de l’expérience du mouvement communiste la critique la plus exhaustive des conceptions de Trotsky et de celle de Boukharine, qui furent les principaux opposants à Staline quant à l’orientation à donner à la révolution en URSS et au niveau international et à la ligne avec laquelle la poursuivre.
Ces deux motifs justifient amplement la publication de la contribution du camarade, bien que son étude de l’œuvre de Gramsci soit encore en cours, ce qui transparaît dans l’incertitude à indiquer les textes principaux utiles à l’assimilation des enseignements de Gramsci sur la GPR.
La rédaction
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Dans le n°43 de La Voce, Umberto C. écrit que Gramsci, “unique dirigeant communiste (...) à avoir réfléchi sur la forme de la révolution socialiste dans les pays impérialistes, (...) a élaboré (v. Carnets de Prison (CP) 7 (§ 16), 10 (I) (§ 9), 13 (§ 7) et autres) la théorie de la “guerre de position” que, en nous libérant du langage imposé par la censure de la prison fasciste, nous appellerions aujourd’hui guerre populaire révolutionnaire de longue durée. [NDLR : ces travaux de Gramsci sur la "guerre de position" sont disponibles en français aux éditions La Fabrique]
La Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) est la révolution socialiste qui se construit. La GPR de LD, comme conception, s’oppose à la conception du sens commun (c’est-à-dire des manières courantes de dire et de penser, fruits du rôle dominant du clergé et de la bourgeoisie) selon lesquelles la révolution socialiste éclaterait, c’est-à-dire serait une rébellion spontanée des masses populaires condamnées à des conditions intolérables. Le mouvement communiste à ses débuts (1848) a hérité de cette conception et a compris la révolution socialiste comme révolution qui éclate, à la manière des révolutions du passé. Mais cette conception se heurtait à l’expérience du mouvement communiste, qui allait en se développant. Les communistes se rendirent peu à peu compte de cette contradiction entre leur conception et la pratique de la révolution socialiste.
Engels fut le premier à exposer de manière organique, en 1895, le concept que la révolution socialiste avait par sa nature même une forme différente des révolutions du passé, qu’elle n’éclate pas mais se construit.(2) Mais les partis socialistes d’alors (réunis dans la 2ème Internationale) n’accueillirent pas sa découverte. Même parmi ceux qui se proclamaient marxistes, comme le Parti social-démocrate allemand, l’adhésion des dirigeants au marxisme était dogmatique, à des degrés divers. Le communisme, le socialisme et la révolution socialiste étaient des articles de foi, qui ne se traduisaient pas dans les lignes guidant l’activité courante des partis. Précisément pour cette raison, ceux-ci ne surent pas faire face à leurs tâches, comme cela fut théâtralement démontré par les évènements de 1914. Parmi les partis socialistes d’alors, seul celui de Lénine traduisit dans sa pratique la conception d’Engels. Mais il la traduisit sans faire de la conception d’Engels une arme dans la lutte contre le dogmatisme, l’opportunisme et l’économisme.(3) Il construisit la révolution en Russie comme une GPR de LD, mais sans en avoir conscience (ce qui confirme que la pratique est en général plus riche que la théorie). De même, l’Internationale communiste et Staline conduisirent dans la première partie du siècle dernier, avec succès, la révolution socialiste au niveau international comme GPR de LD dont l’Union Soviétique était la base rouge mondiale, mais ils n’atteignirent pas la pleine conscience de ce qu’ils étaient en train de faire. Ceci laissa au sein de l’Internationale communiste le champ libre au dogmatisme, à l’opportunisme et à l’économisme qui apparurent au grand jour dans les années 1950. Mao Tse-tung fut le premier dirigeant de Parti à élaborer la conception de la GPR de LD comme stratégie de la révolution socialiste. Mao Tse-tung énonça cette conception comme stratégie de la révolution en Chine, la liant aux caractères spécifiques de la situation sociale et politique chinoise (Pourquoi en Chine peut exister le Pouvoir rouge ? - octobre 1928 en Œuvres de Mao Tse-tung, Editions Rapporti Sociali vol. 2, disponible sur le site du (n)PCI http://www.nuovopci.it/arcspip/article0c16.html). Par la suite, elle fut indiquée comme stratégie de la révolution pour tous les pays coloniaux, semi-coloniaux et néo-coloniaux où la masse de la population était encore formée de paysans. C’est seulement avec l’affirmation du marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieure phase de la pensée communiste, que fut acquise la conception que la GPR de LD est la stratégie universelle de la révolution socialiste ; la stratégie que les communistes doivent suivre dans tous les pays pour l’emporter.(4)
2. Manifeste Programme du nouveau PCI, Ed. Rapporti Sociali, Milano, 2008, sous-chap. 3.3 pp. 199-201 et suivantes, avec les notes 133-138 aux pp. 298-299 (p. 127 et suivantes dans la VF en lien)
3. Trois déviations sont costamment présentes dans les Partis des pays impérialistes qui se disent marxistes :
- Dogmatisme : avoir une relation au marxisme analogue à celle du croyant envers les doctrines religieuses, l’assumer comme description du monde mais non comme science guidant l’action pour le transformer.
- Opportunisme : participer à la lutte politique bourgeoise uniquement ou principalement pour saisir les possibilités (opportunités) qu’offre celle-ci d’améliorer la condition des travailleurs dans le cadre du système de relations sociales bourgeoises. [Nous ajouterions : et les opportunités d’ascension pour soi-même dans ledit système !]
- Économisme : limiter la lutte de classe aux revendications d’améliorations salariales et des conditions de travail.
4. Voir à ce propos La Huitième ligne de démarcation en La Voce n°9 de novembre 2001 et n°10 de mars 2002.
Gramsci, dans sa condition de prisonnier des fascistes de 1926 à sa mort en 1937, n’a pas dirigé le processus révolutionnaire en Italie, mais en recueillant l’expérience de la révolution socialiste en Italie et dans les autres pays impérialistes, et en analysant également la manière dont les bolchéviks avaient vaincu en Russie, il a apporté une contribution importante à la formulation de la stratégie de la GPR de LD.(5)
5. De la transformation du capitalisme en impérialisme et du changement de la forme de la révolution, Gramsci parle dans le Carnet 8 §236 p. 1088 et le Carnet 10 § 9, p. 1226, en Carnets de Prison, Einaudi, Torino, 2001. De là en avant dans les autres CP.
Je vais exposer ci-après les principaux aspects de la GPR de LD que Gramsci a plus ou moins largement abordés dans ses Carnets de Prison. Les citations de Gramsci ou d’autres sont en italique. Les évidentiations en gras sont de moi. [Les soulignements sont de SLP]
1. La révolution prolétarienne dans la phase de l’impérialisme
L’impérialisme est la dernière phase du capitalisme, mais aussi la dernière phase de la société divisée en classes. Elle referme donc non seulement une période séculaire (celle du capitalisme), mais millénaire (celle de la division de l’humanité en classes d’opprimés et d’oppresseurs, d’exploités et d’exploiteurs). La révolution socialiste est donc différente de toutes les autres révolutions, dans le sens précis où les précédentes révolutions servaient à une classe pour conquérir le pouvoir dans une société qui restait divisée en classes d’exploités et d’exploiteurs ; tandis que la révolution socialiste sert à la classe ouvrière à conquérir le pouvoir à la tête du reste des masses populaires, pour établir une société qui pas après pas abolit la division en classes. La forme de la révolution est donc différente : ce n’est plus une insurrection qui éclate, au cours de laquelle une classe prend la tête de la révolte des masses populaires et s’en sert pour s’installer au poste de commandement comme nouvelle classe exploiteuse, mais c’est une révolution qui se construit pas à pas, bataille après bataille, campagne après campagne, comme une guerre au cours de laquelle les masses populaires se transforment, car en s’organisant dans le Parti communiste et les organisations de masse, elles commencent à acquérir le rôle de créatrices conscientes de l’histoire. La révolution socialiste commence donc bien avant la conquête du pouvoir politique et en Italie elle est déjà en œuvre. C’est une révolution qui se construit, conquête de l’hégémonie comme extension et enracinement du Nouveau Pouvoir, initiée comme GPR de LD avec la fondation du nouveau Parti communiste italien, en novembre 2004.
Le pouvoir, ce que Gramsci appelle hégémonie,dans la société Italienne comme dans toutes les sociétés modernes, est en dernière analyse la direction de l’activité pratique des masses populaires. La direction combine la conquête des cœurs et des esprits des masses populaires avec l’exercice de la coercition et avec l’organisation de la vie quotidienne dans tous ses aspects.(6)
6. MP, p. 203.
Dans notre pays, la GPR de LD suivra un parcours déterminé par des conditions spécifiques, à savoir la voie de l'accumulation des forces révolutionnaires par la constitution et la résistance du Parti clandestin et par sa direction sur les masses populaires, 1. pour qu’elles s’agrègent en organisations de masse de tout type, nécessaires pour satisfaire leurs besoins matériels et spirituels, 2. pour qu'elles participent à la lutte politique bourgeoise pour en subvertir le cours et 3. pour qu'elles conduisent les luttes revendicatives jusqu’au commencement de la guerre civile [c'est-à-dire l'affrontement entre les forces armées des deux camps]. Ceci est dans notre pays l’équivalent de “l'encerclement des villes par les campagnes” dans les pays semi-féodaux. Il est impossible dans les pays impérialistes d’encercler les villes par les campagnes, mais il est tout à fait possible, et la pratique l’a montré, de définir le développement quantitatif spécifique qui constitue la première phase de la GPR de LD et à travers lequel on va vers sa seconde phase. Avec la guerre civile générée par ce développement quantitatif débutera la seconde phase de la GPR de LD. Le commencement de la guerre civile sera caractérisé par la constitution des Forces Armées Populaires, qui a partir de ce moment disputeront le terrain aux forces armées de la réaction.(7) (1)
7. La Voce du nouveau PCI, n°17, juillet 2004, p. 31.
2. L’essence de la Guerre Populaire révolutionnaire de Longue Durée
L’essence de la GPR de LD consiste en la constitution du Parti communiste comme centre du nouveau pouvoir populaire de la classe ouvrière ; en la mobilisation et l’agrégation croissante de toutes les forces révolutionnaires de la société autour du Parti communiste ; en l’élévation du niveau des forces révolutionnaires ; en leur utilisation selon un plan établi pour affaiblir le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste et renforcer le nouveau pouvoir, jusqu’à renverser les rapports de force, éliminer l’État de la bourgeoisie impérialiste et instaurer l’État de la dictature du prolétariat.(8)
Gramsci décrit ces traits essentiels en parlant :
1) du Parti comme Prince moderne,
2) de forces révolutionnaires qui s’agrègent comme volonté collective nationale-populaire dont le Parti est en même temps l’organisateur et l’expression active et opérante,
3) de l’élévation des forces révolutionnaires comme réforme intellectuelle et morale,(9)
4) de l’utilisation des forces révolutionnaires jusqu’à l’instauration de l’État socialiste, c’est-à-dire jusqu’à l’accomplissement d’une forme supérieure et totale (c-à-d. regardant tous les aspects de la société, ndr) de civilisation moderne.(10)
La GPR de LD commence avec la constitution du Parti communiste. Le Parti communiste se fonde sur la conception communiste du monde : “Dans la pratique nous avons besoin d’un Parti uni, discipliné, fort et sur le long terme un Parti révolutionnaire ne peut être uni et discipliné que si ses membres sont unis par une conception du monde (pour les mouvementistes cela s’appelle une secte, mais c’est une accusation à laquelle les communistes sont habitués) et s’il personnifie ce qui unit les ouvriers au delà des differences et des contradictions de catégories et de métiers, de culture, de nationalité, de sexe, de traditions, et les constitue comme nouvelle classe dirigeante des masse populaires : la conception communiste du monde.”(11)
La conception communiste du monde est l’idéologie qui pas après pas unifie les masses populaires en leur donnant un objectif commun. Gramsci parle de cela comme du Prince deMachiavel : c’est une conception vivante et concrète qui se matérialise dans la pratique, et non une abstraction dogmatique.(12) C’est le matérialisme dialectique et sa forme la plus avancée qu’est le maoïsme, troisième et supérieure étape de la pensée communiste.
8. MP, p. 203.
9. Gramsci parle explicitement de la necessité de donner une direction consciente aux mouvements spontanés des masses populaires, de les élever à un niveau supérieur dans lesCP, pp. 328-332 (Carnet 3 §48).
10. CP, pp. 1560-1561 (C13 §1).
11. MP, p. 164.
12. CP, p. 1555 (C13 §1).
Machiavel désigne comme guide de la collectivité un individu, un condottiere, un Prince, capable de convaincre en parlant “aux cœurs et aux esprits” des masses populaires, c’est-à-dire par la science et l’art, avec le détachement du savant et la participation de l'artiste. [Note SLP : cette idée de gagner ‘‘les cœurs et les esprits’’ a été depuis reprise, pendant la guerre de libération algérienne... par la doctrine FRANÇAISE de guerre contre-révolutionnaire, qui comme chacun(e) le sait a fait le tour du monde (Amérique du Sud etc.). Formulée autrement : Mao dit que les révolutionnaires doivent être dans les masses ‘‘comme des poissons dans l’eau’’, il faut donc vider l’eau. Encore une preuve que l’ennemi a souvent bien mieux compris la stratégie de la révolution que 90% des autoproclamés révolutionnaires !] Aujourd’hui, la direction des masses populaires ne peut plus être un individu, car le processus révolutionnaire n’est plus de substituer une classe dirigeante de ces masses à une autre, mais de conduire les masses à se transformer jusqu’à se diriger elles-mêmes. Le sujet qui dirige ce processus n’est donc plus un individu, mais un collectif, qui déjà en soi, justement parce que collectif, reflète l'exigence (la possibilité et, à certaines conditions, la capacité) que la collectivité se gouverne d’elle-même et expérimente en son sein la manière de le faire. Ce sujet collectif est le Parti communiste, et c’est avec sa constitution que la révolution commence sous la forme de GPR de LD.
Là où le Parti communiste est absent ou là où il n’est pas encore assez fort pour pouvoir se mettre à la tête de la mobilisation des masses populaires, celle-ci suit d’autres dirigeants, qui peuvent être des groupes arriérés ou réactionnaires, ou des individus qui endossent le rôle de ‘tribun du peuple’ comme Beppe Grillo. Celui qui critique les masses populaires parce qu’elles suivent Grillo est un analphabète politique ou un incapable qui se refuse à analyser ses propres limites, qui ne se demande pas quelles sont ses limites à cause desquelles les masses populaires suivent Grillo, et non pas lui ou son groupe. Il se consolera avec l’idée fausse et absurde que les masses populaires sont arriérées, incapables de progresser, en raisonnant de la même manière que la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire en partageant le mépris de la bourgeoisie pour les masses populaires.
Le Parti que décrit Gramsci est aujourd’hui le nouveau PCI avec sa caravane, c’est-à-dire avec les forces qui partagent son parcours en terre encore inexplorée, vers une destination concrète et rationnelle certes, mais d’une concrétude et d’une rationalité non encore vérifiée et critiquée par une expérience historique effective et universellement connue.(13) La caravane du nouveau PCI fait la révolution dans un pays impérialiste, entreprise nouvelle pour le mouvement communiste international, et expérimente une méthode nouvelle dans un pays impérialiste, la GPR de LD. Nous ne pouvons donc compter sur des expériences précédentes effectives, qui auraient été efficaces. Nous n’avons pas d’exemples à apporter à ceux hésitent ou doutent.(14)
Celui qui continue a hésiter, à garder des réserves, à regarder avec scepticisme la passion qui nous anime, ne peut de toute façon rester tel qu’il est, car l’avancée de la crise lui impose de se transformer. Quand la maison brûle il faut sortir, dit Bouddha dans le poème de Brecht.(15)
Si nous ne pouvons apporter la preuve d'un résultat avéré, car personne n’a encore fait ce que nous faisons aujourd’hui, nous apportons cependant animés par la passion de celui qui découvre des terres nouvelles et construit quelque chose de nouveau, la conscience que nous sommes en train de réaliser “le rêve d’une chose” que le monde possède depuis longtemps : l’abolition de la division des êtres humains en classes d’exploités et classes d’exploiteurs.(16)
13. CP, p. 1558 (C13 §1).
14. Bien entendu, à l’appui et comme “démonstration” de notre ligne, nous pouvons apporter, outre l’analyse de la lutte de classe en cours aujourd’hui, l’expérience de la première vague de la révolution prolétarienne : tant des succès obtenus avec la fondation des premiers pays socialistes (à partir de la Révolution d’Octobre et de la création de l’Union soviétique), qui pour quelques décennies jouèrent le rôle de bases rouges de la révolution prolétarienne mondiale, que des échecs que nous avons subis. Nous sommes radicalement contre l’oubli et à fortiori le dénigrement de l’expérience historique de la première vague de la révolution prolétarienne, et en particulier de celle des premiers pays socialistes. Notre position est scientifique : nous usons de l’expérience, des réussites et des échecs, pour élever à un niveau supérieur la science de la transformation de la société bourgeoise en société communiste, la science par laquelle nous remporterons la victoire. Cette attitude nous distingue nettement de la gauche bourgeoise, y compris de ses représentant-e-s qui se disent communistes (comme par exemple les fondateurs de Ross@ réunis en Assemblée à Bologne le 11 mai 2013) et y compris des adorateurs du “socialisme du XXIe siècle” d’ici ou d’ailleurs, à la Luciano Vasapollo et à la Martha Harnecker, qui insidieusement présentent l’importante lutte en cours au Venezuela et dans d’autres pays d’Amérique latine principalement comme une alternative et une négation du socialisme du XXe siècle, celui de la première vague de la révolution prolétarienne et des premiers pays socialistes [SLP : Il l’est pourtant, mais dans le mauvais sens du terme, c’est-à-dire non pas d’un dépassement positif des limites du ‘socialisme réel’ du siècle dernier, mais d’un rejet des principes socialistes scientifiques les plus élémentaires, au profit d’une social-démocratie redistributive se voulant ‘radicale’ – en paroles en tout cas. Nous publierons bientôt un EXCELLENT texte vénézuélien à ce sujet...]. Que dirait-on, dans quelque domaine de l’activité humaine que ce soit, de personnes qui se disent décidées à poursuivre un objectif mais qui ignorent, occultent voire dénigrent l’expérience de tous ceux et celles qui l’ont poursuivi avant eux, au prétexte qu’ils et elles ne l’ont pas atteint ?
15. “Il y a quelque temps je vis une maison. Elle brûlait. Le toit était léché par les flammes. Je m’approchai et je m’aperçus/ qu’il y avait encore des gens, là-dedans. Depuis le seuil/ je leur criai que le toit était en feu, les appelant à sortir et vite. Mais ils ne paraissaient pas être pressés. L’un d’eux me demanda, tandis que le feu déjà lui brûlait les sourcils/ quel temps faisait-il, s’il pleuvait,/ s’il y avait du vent, s’il y avait une autre maison,/ et ainsi de suite. Sans répondre, je m’en allai de là. De tels gens, pensai-je/ devraient brûler avant qu’ils ne cessent de poser leurs questions”. (B. Brecht, La parabole de Bouddha sur la maison en flamme).
16. “Il sera alors avéré que le monde possède depuis longtemps le rêve d’une chose, et qu’il ne lui manque que d’en posséder la conscience pour la posséder réellement.” (K. Marx, Lettre à Ruge, septembre 1843 - Œuvres complètes, Editori Riuniti 1976, vol. 3 pag. 156).
3. La révolution se construit
Selon le sens commun, la révolution socialiste éclate : c’est donc un évènement limité dans le temps, une insurrection, une révolte, un soulèvement populaire spontané, comme dit précédemment. Cette conception s’est sedimentée dans le sens commun car les révolutions jusqu’à un certain moment de l’histoire se sont toujours manifestées, du côté des masses populaires, comme des insurrections, comme des explosions spontanées dues à la maturation de conditions qui rendaient impossible la perpétuation des conditions existantes. Mais dans le sens commun, au concept de la “révolution qui éclate” fait face le concept opposé, celui de “faire la révolution”. Dans le premier cas, les masses populaires s’insurgent face à une situation devenue intolérable. Leur mouvement est donc un mouvement passif : un mouvement que les masses effectuent mues non pas par une transformation internes à elles-mêmes, mais par des facteurs externes déterminés par l’action des autres classes, comme un corps qui se meut parce qu’impulsé par un autre. Dans le second cas, les masses populaires font (c-à-d. construisent) la révolution: c’est un mouvement actif. L’activité requiert une conscience: idéation, programmation, examen en cours d’œuvre, bilan, détermination ; en somme, implication de nos facultés intellectuels et morales au plus haut niveau, car la révolution signifie découvrir des choses nouvelles et inventer, et parce que la classe adverse utilise tous les moyens, infamies et cruautés pour maintenir son propre pouvoir.
Les deux manières d’entendre la révolution se distinguent comme opposés, car le premier conduit la révolution socialiste à la défaite, tandis que le second la conduit à la victoire. La première manière fonctionne effectivement et depuis des millénaires, dans les sociétés divisées en classes ; mais cesse de fonctionner à un moment donné de l’histoire, précisément lorsque sont mûres les conditions pour l’abolition de la division en classes, c’est-à-dire en Europe au milieu du XIXe siècle. À ce moment-là naît le sujet qui dirige l’abolition des classes : le mouvement communiste conscient et organisé (avec ses Partis, ses syndicats et autres organisations de masse). La publication du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, en 1848, en est “l’acte de naissance”. Le mouvement communiste conscient et organisé commence à faire la révolution, et ne l’emporte, que lorsque plus ou moins consciemment il construit la révolution, et lorsqu’il ne le fait pas, il apprend à ses dépens que la révolution, désormais, n’est plus quelque chose qui éclate.
Le tournant est d’importance historique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un changement social va être pensé par les masses populaires qui le mettent en œuvre, et non déterminé par des causes externes à elles. La conscience (la raison et la volonté) des êtres humains, leur conception du monde, assume un rôle sans précedent. Nous pouvons, et donc devons, réaliser l’antique rêve de construire une société et une civilisation par des méthodes rationnelles, et il appartient à la classe ouvrière de diriger ce processus.(17)
17. Construire la société et une civilisation selon une méthode rationnelle suscite l’horreur dans le camp de la bourgeoisie impérialiste. Selon la conception bourgeoise du monde, c’est une “limitation de la liberté individuelle” : en realité c’est une négation de la liberté de la bourgeoisie. Refuser l’usage d’une méthode rationnelle dans la construction de la révolution socialiste, c-à-d. la position de ceux qui considèrent que cette méthode limite la “spontanéité” des masses populaires et de leur “insurrection qu’on attend”, est un expression de la conception bourgeoise du monde.
Cette conception du monde a parmi ses fondements la conscience que la révolution se développe (se fait) à la manière dont se fait (se promeut et se conduit) une guerre, et aujourd’hui la conscience qu’il s’agit d’une GPR de LD, expérimentée dans les pays opprimés et semi-coloniaux de manière consciente par le Parti communiste chinois. Sur la base de l’expérience de la révolution socialiste en Europe au début du XXe siècle, Gramsci explique que cette stratégie vaut également pour les pays impérialistes, donc également pour l’Italie.
4. La lutte de classe est une guerre
Gramsci décrit la lutte de classe comme une guerre. Il dit que le passage de la guerre de manœuvre (et de l’attaque frontale) à la guerre de position advient aussi dans le domaine politique et critique Trotsky qui, d’une manière ou d’une autre, peut être retenu comme le théoricien politique de l’attaque frontale dans une période où celle-ci mène uniquement à la défaite.(18)
18. CP, pp. 801-802 (C6 §138). Les CP contiennent la critique la plus exhaustive qui ait été faite à ma connaissance de l’acception que Trotsky fait sienne de l’expression “révolution permanente” utilisée par Marx et Engels et de la conception construite par Trotsky à l’enseigne de la “révolution permanente”. La plus exhaustive dans le sens où la critique est menée non seulement à la lumière des tâches de la révolution socialiste en Russie et de l’Internationale communiste dans les années 1920, mais de toute l’expérience historique du mouvement communiste en Europe et en Russie à partir de sa fondation en 1848.
Par guerre de manœuvre ou de mouvement, Gramsci entend celle qui considère l’attaque comme une opération rapide et conclusive, comme une insurrection populaire dont le Parti communiste prend la tête. C’est une guerre destinée à la défaite face à un ennemi qui de son côté conduit une guerre planifiée, avec tous les instruments politiques et militaires dont il dispose en grande quantité.
À partir du moment, au milieu du XIXe siècle, où sont mûres en Europe les conditions pour l’abolition des classes, la bourgeoisie met en place des instruments politiques et militaires pour empêcher que ceci advienne. Dans les régimes de contre-révolution préventive prévalent les instruments politiques [SLP : c-à-d les instruments d’encadrement pseudo-‘démocratique’ et/ou ‘social’ et, surtout, d’aliénation INTELLECTUELLE, culturelle et morale des masses par l’idéologie dominante du Grand Capital : ce que Gramsci appelle la société civile ; par opposition à la société politico-militaire qui est prosaïquement ‘‘la mitraille pour la canaille’’, l’appareil RÉPRESSIF d’État, les méthodes de gouvernement qui prévalaient encore en 1871 lors de l’écrasement des Communes. L’on peut dire que c’est entre cette répression et le début du 20e siècle (‘Belle Époque’) que s’est mise en place en Hexagone, notamment avec l’école de Jules Ferry et les réformes politiques et sociales de la République, cette société civile. Cette prévalence de la société civile est la marque d’un capitalisme monopoliste ou en tout cas très développé. Le (n)PCI distingue au total cinq piliers de la contre-révolution préventive : aliénation idéologique et culturelle, concessions sociales (récupérées de l'autre main par la "société de consommation"), illusion démocratique avec les élections ("pièges à cons") etc., syndicats et autres structures "jaunes" voire empêcher toute organisation pour ses intérêts (s'organiser serait "d'la meeerde"), et répression ciblée des révolutionnaires - lire le Manifeste traduit p. 33] .(19)
Plus la crise avance et s’effritent les piliers des régimes de contre-révolution préventive, plus la lutte de classe manifeste ouvertement son caractère de guerre de classe (et plus l’inconsistence du mouvementisme devient évidente).(20) Ici, dit Gramsci, l’on passe à la guerre de siège, éreintante, difficile, demandant des qualités exceptionnelles de patience et d’esprit inventif.(21) La guerre de siège, ou guerre de position est la GPR de LD contre la bourgeoisie impérialiste, et le Parti communiste qui la conduit doit avoir patience, fermeté stratégique face aux attaques de l’ennemi et capacité à combattre pour tout le temps nécessaire, et esprit inventif, flexibilité tactique et capacité d’innovation nécessaire pour qui s’aventure en terrain inexploré, comme c’est le cas de la caravane du nouveau PCI.(22)
19. Ce que sont les régimes de contre-révolution préventive est expliqué dans le MP, pp. 46 et suivantes.
20. Mouvementisme : limiter la lutte de classe aux formes d’action conformes au sens commun et aux relations propres à la société bourgeoise, excluant la projectualité et encore plus la conception communiste du monde. En substance, équivaut à du spontanéisme.
21. CP, p. 802 (C6 §138).
22. Gramsci revient sur l’opposition entre guerre de position et guerre de mouvement ou frontale, c-à-d. entre GPR de LD et insurrection dont l’éclatement est attendu par les spontanéistes, économistes ou mouvementistes, dans les CP, p. 865 (C7 §16). Ici Lénine est désigné comme celui qui a mené la GPR de LD. Du côté opposé Gramsci place Trotsky, Sorel et Rosa Luxemburg.
(1) Pour nous, il y a ce que nous appelons l'étape zéro de la Guerre populaire, entendue dans un double sens :
- La résistance spontanée des masses à l'oppression du Capital (‘‘là où il y a oppression il y a résistance’’, ‘‘on a raison de se révolter’’), atteignant parfois un certain degré d'antagonisme, un degré ‘visible’, mais sans direction ni stratégie visant, pour les masses populaires, à prendre le pouvoir. L'on peut faire, en réalité, remonter le début de cette étape zéro au moment où le prolétariat prend conscience de lui-même et commence à lutter pour ses intérêts propres (en Hexagone, on admet généralement la date de 1848), ou encore au triomphe total de la bourgeoisie capitaliste sur la féodalité (fin 18e-début 19e siècle), ou encore aux débuts du capitalisme lui-même, au Moyen Âge. Mais en réalité, c'est dans tous les cas un conflit diffus, avec ses périodes de grande radicalisation et ses périodes de ‘trêve’, de ‘calme’, de ‘paix sociale’ : les périodes de grande accentuation sont globalement ce que le (n)PCI appelle ‘situation révolutionnaire en développement’, une situation ‘potentiellement révolutionnaire’ comme typiquement le Biennio rosso (1919-21) ou les années 1970 en Italie, ou 1968 et les années suivantes en Hexagone.
- Les préparatifs du Parti, lorsqu’il existe, visant par l’élaboration et la diffusion pratique de sa conception du monde à constituer une ‘masse critique’ de soutien populaire où il sera ‘‘comme un poisson dans l’eau’’ ; le ‘‘remplissage du bassin’’ en quelque sorte…
Ce que le (n)PCI appelle ici ‘‘première phase de la Guerre populaire’’, c'est en fait le travail préparatoire du Parti prétendant à la direction révolutionnaire des masses, au sein de l'étape zéro, pour passer à l'étape 1 : la défensive stratégique de la Guerre populaire déclarée, proprement dite. C'est le travail de construction de l'antagonisme et de la ‘rupture ’ sur le terrain de la société civile, et de préparation organisationnelle et opérationnelle sur le terrain politico-militaire. La ‘seconde phase’, c'est la Guerre populaire proprement dite ; une guerre d'intensité variable, peut-être faible au début mais allant en s'intensifiant, qui se caractérise par 1°/ un Parti dirigeant et identifié comme tel par les masses, avec sa Force combattive et son/ses Front(s) révolutionnaire(s) et populaire(s) uni(s) (organisations de masses générées, organisations alliées diverses), 2°/ une conception du monde (idéologie), une STRATÉGIE, un PLAN DE TRAVAIL et de lutte clairement établi (modifiable et rectifiable, mais établi dans son principe) pour la conquête du pouvoir par les classes exploitées. C'est l'affrontement clair entre deux camps, deux armées : la bourgeoisie avec principalement son État, mais aussi éventuellement des forces para-étatiques ; et le prolétariat à la tête des masses populaires, avec le Parti, sa Force de combat et son/ses Fronts. C'est à partir de là qu'il y a un sens à parler de défensive, équilibre et enfin, un jour (oser l'espérer, c'est oser lutter donc oser vaincre...), offensive pour la conquête du pouvoir.
L'erreur du (n)PCI, selon nous, est de qualifier la phase préparatoire au sein de l'étape zéro de ‘défensive stratégique’, ce qui est la source de ses erreurs ou en tout cas, des malentendus qu’il suscite au sein des FSR (forces subjectives de la révolution). Par exemple, il qualifie pour le Parti bolchévik la période qui va de sa fondation (1903) à février 1917 de défensive stratégique, la période de février à octobre d'équilibre et la Révolution d'Octobre puis la Guerre civile jusqu'en 1920 voire 1921 d'offensive. Pour nous, 1903 à février 1917 correspond à une phase de préparation dans l'étape zéro, février à octobre 1917 est une situation de défensive parvenant au début de l'automne au bord de l'équilibre (situation de double pouvoir), équilibre atteint avec la Révolution d'Octobre et ensuite c'est l'offensive (la Guerre civile) jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul pouvoir en Russie, celui des soviets et des bolchéviks : défensive et équilibre sont donc très courts, et l'offensive longue et difficile (ainsi que la préparation). Les différentes phases sont d'amplitude variable (de plus, dans l'exemple précis, les bolchéviks n'avaient pas eux-mêmes conscience du plan qu'ils suivaient), selon les milliers de situations révolutionnaires possibles : en Chine, au contraire, c'est la défensive stratégique qui est très longue, du premier Front uni (1924-27) jusqu'au sortir de la Guerre mondiale (1945-46) où l'on avait atteint l'équilibre, puis vint enfin l'offensive (1946-49). La situation fit que les préparatifs (1921-24) furent très courts et le Parti se lança très vite dans la guerre civile qui ravageait le pays. La période de réorganisation 1927-1930 (après le revers sanglant des massacres de Tchang Kaï-chek à Shanghai et Canton) est également assimilable à une phase préparatoire. Mais ce qui est certain, c'est que dans des pays ‘avancés’ (à forte société civile), la Guerre populaire ouverte et sa préparation tendront certainement à être l'équivalent du papillon et de la chenille... Dans les pays ‘arriérés’ à société politico-militaire ultra-dominante en revanche, comme la Chine des années 1920 ou le Pérou de 1980, le Parti peut se lancer dans la Guerre populaire ouverte assez rapidement après sa création.
Cela ne veut pas dire que tous les aventurismes sont permis dans le ‘tiers-monde’ (l'exemple tragique de Che Guevara est là pour le démontrer), et cela ne veut pas dire que dans les pays ‘avancés’ il faille ‘attendre’ tranquillement, dans une activité revendicative légaliste, la ‘situation’ permettant de ‘donner l'assaut’ : une situation permettant de passer à la guerre ouverte contre les dominants, cela se construit. Mais cela veut dire qu'il faut savoir être patients et agir conformément à l'analyse concrète de la situation concrète, même si la situation (misère ou appauvrissement des masses, crise, montée de l’État policier et du fascisme, du militarisme etc.) peut donner un sentiment d'urgence. Y aller en kamikazes comme les CCC, la RAF ou le PC politico-militaire d'Italie, c'est réellement faire perdre aux masses (en prison ou au cimetière) des cadres révolutionnaires de très haute qualité !
Néanmoins, et cela reste pour nous le PRINCIPAL, le (n)PCI a l'insigne mérite de nous INDIQUER (même partiellement) la voie, dans une période où, quelles que soient les chansons que certain-e-s se chantent, le mouvement communiste avance encore à tâtons, encore abasourdi par l'onde de choc de la trahison ou de la faillite des expériences du siècle dernier. Il nous montre la voie en rejetant, d'un côté, le militantisme revendicatif ‘plan-plan’ (social/syndical, démocratique, internationaliste, écologiste, peu importe) qui attend désespérément les ‘conditions’ pour le 'Grand Soir' insurrectionnel ; et de l'autre, les appels aussi exaltés (‘possédés’ pour plagier Dostoïevski) que groupusculaires à l'insurrection ou à la ‘Guerre populaire’ (ce qui, comme incantation, revient au même), dont les sacro-saintes conditions ne sont là non plus jamais réunies, puisque les conditions OBJECTIVES de la révolution prolétarienne sont déjà là depuis plus d'un siècle tandis que les conditions SUBJECTIVES (celles qui manquent !) ne tombent pas du ciel mais SE CONSTRUISENT. Il nous indique la voie en rejetant aussi bien le ‘massisme’ (mouvementisme, spontanéisme), sacralisation de l'initiative des masses ou d'une fraction de celles-ci (la ‘classe ouvrière’), ce qui est par exemple le problème du NPA trotskyste ; que le ‘partidisme’, l'ultra-avant-gardisme pour lequel ‘‘sans le Parti il n'y a rien’’, un Parti omniscient et infaillible qui a toujours raison y compris contre les masses et, lorsque la réalité contredit son dogme, c'est la réalité qui se trompe (typiquement le ‘p’‘c’‘mlm’ ou encore les trotskystes de LO). En rappelant, également, le principe marxiste-léniniste essentiel de fermeté absolue dans la stratégie et souplesse absolue dans la tactique, contre les opportunistes qui rejettent la première (voire n'ont PAS de stratégie, voire ne veulent PAS la révolution, ce qui clôt le débat) et les dogmato-gauchistes (‘massistes’ comme ‘partidistes’) qui rejettent catégoriquement la seconde, rejoignant de fait les ‘incantateurs’ de l'insurrection ou de la Guerre populaire cités plus haut et, devant l'absence des ‘conditions’ pour que les masses ou la ‘classe ouvrière’ (fantasmée) mènent la révolution ‘puriste’ qu’ils appellent de leur vœux, tombent de facto dans le militantisme plan-plan ou ne font carrément RIEN.
Un point reste cependant à éclaircir : lorsque le (n)PCI dit que ce qui a conduit à l'échec de la première vague révolutionnaire mondiale, c'est que les communistes n'ont pas réussi à prendre le pouvoir dans les pays impérialistes. Entendu dans le sens où, en laissant les ‘têtes’ du système impérialiste mondial intactes, celles-ci ont fini par reprendre le dessus (comme une tique ou un ver solitaire), nous sommes d'accord. Si les communistes chinois n'avaient pas réussi à prendre les villes et les avaient laissées au Kuomintang et à l'impérialisme, il est évident que ces derniers auraient fini tôt ou tard par reprendre l'initiative et écraser les campagnes rouges. Ils y ont réussi, car dans les villes il y avait aussi des communistes qui faisaient leur travail. Mais si le (n)PCI entend que la nouvelle vague révolutionnaire mondiale doit PARTIR des pays impérialistes, des pays les plus avancés, que le ‘problème’ de la première vague a été justement de partir de pays arriérés, nous ne sommes pas du tout d'accord. Pour nous, l'universalité de la Guerre populaire est que la révolution (négation du capitalisme par le communisme) se déploie des PÉRIPHÉRIES, là où le capitalisme est à la fois le plus violent et le moins fort (et souvent un phénomène récent), vers les CENTRES (là où il est le plus avancé, généralement le plus ancien, et le plus fort). Nous pouvons nous agiter dans tous les sens que nous voudrons, nous pensons qu'il n'y a RIEN À FAIRE : le ‘Tiers-Monde’ (Asie, Afrique, Amérique latine et caraïbe) aura toujours un mouvement révolutionnaire quantitativement et qualitativement plus important que la ‘Triade’ Europe de l'Ouest/Amérique du Nord/Japon (+ Australie et Nouvelle-Zélande) ; et les régions et autres territoires les plus arriérés, ‘sous-développés’, ‘relégués’ d'Europe (péninsule ibérique, Italie du Sud, Balkans et ‘pays de l'Est’, Irlande-Écosse-Galles, Sud occitan, Ouest et bordure Nord de la ‘France’, Borinage wallon, ex-RDA etc., + les grands ghettos urbains) et d'Amérique du Nord (territoires à forte concentration indigène/métis, afro-descendante ou hispanique) auront toujours un mouvement révolutionnaire supérieur aux zones plus avancées, plus ‘développées’. Cela ne veut pas dire que les forces révolutionnaires de ces pays et zones avancés n'aient rien à faire sinon attendre passivement le ‘Messie’ d'une révolution à l'autre bout du monde (ce serait, en l'occurrence, une forme spécifique d'‘attente des conditions’) : au contraire, être aux portes des Centres veut justement dire beaucoup de pain sur la planche révolutionnaire, beaucoup de responsabilités ! Mais il y a un sens historique, objectif de déploiement de la révolution prolétarienne ; un ‘‘sens du vent de l'histoire’’ contre lequel on ne peut rien. Notre tâche est de déterminer dans chacun de nos États impérialistes où sont les périphéries, qui sont en quelque sorte les "failles de la forteresse". Nous y reviendrons dans la note critique n°2, après la deuxième partie de l'article.