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5. Guerre et crise
Dans le §17 du Carnet 13, le sujet est Analyse des situations : rapports de force.(23) Gramsci décrit la situation dans laquelle se déroule la guerre entre classes. Il s'agit de la situation révolutionnaire qui se développe parallèlement à la crise générale par surproduction absolue de capital : Gramsci fait référence à la première crise. Sont évidentes les analogies avec la situation actuelle de la seconde crise générale [NdT : depuis le début des années 1970. Le (n)PCI fait commencer la première ‘autour de 1900’. Pour notre part, nous la faisons commencer au début des années 1870 (une grande crise mondiale, et non localisée à un ou quelques pays, éclate en 1873) et durer jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1945), avec une ‘embellie’ au début du siècle dernier (‘Belle Époque’, qui contredit l’affirmation du (n)PCI sur une crise générale au début du 20e siècle) permise par l’expansion coloniale mais celle-ci (en ‘saturant’ le partage colonial de la planète) conduit précisément à la Première Guerre mondiale (avec ses prémisses dès 1898 : guerre hispano-américaine, incident de Fachoda, guerre des Boers, guerre russo-japonaise, crise du Maroc etc.)].
23. CP, pp. 1578-1589 (C13 §17).
Gramsci parle des polémiques idéologiques, religieuses, philosophiques, politiques qui se déroulent autour des mille phénomènes par lesquels la crise se manifeste (les différentes formes par les-quelles la résistance des ouvriers, des travailleurs, des masses populaires s’exprime, les différentes formes de massacre social des gouvernements de la bourgeoisie impérialiste qui forment une guerre d’extermination non-déclarée contre les masses populaires et, quant aux phénomènes plus éclatants, les suicides, les meurtres de femmes, etc. etc.). Ces polémiques n’ont un sens que si elles convainquent et in fine ne se démontrent vraies que lorsqu’elles vainquent. Dans l’affrontement, les communistes sont autant convaincants que vainquants parce qu’ils relient le phénomène occasionel à la question générale, c-à-d. à la crise ; parce qu’ils ont une conception du monde qui d’un côté a connaissance de la nature de la crise, de l'autre a la stratégie pour la surmonter (la GPR de LD). Convaincre, c-à-d. conquérir “les cœurs et les esprits” des masses populaires, est ce qui décide de l’issue de la guerre. Il suffit de voir tout l’appareil mis en place par la bourgeoisie impérialiste pour convaincre les masses populaires qu’il est juste d’aller à la misère et à la mort pour sauver une classe politique en putréfaction et le système financier derrière elle, géré par un infime groupe de criminels au niveau international et dans chaque pays, qui se font passer pour ‘Communauté internationale’ (comme ils font passer leurs guerres pour du ‘maintien de la paix’).
“Une fois réunies les conditions objectives du socialisme, qui existent en Europe depuis plus d’un siècle, le facteur décisif pour la victoire de la révolution socialiste sont les conditions subjectives”. (MP, p. 35) Le mouvement communiste conscient et organisé peut donc construire la révolution socialiste. Gramsci le confirme en disant qu’existent les conditions nécessaires et suffisantes pour que des tâches déterminées puissent et donc doivent être accomplies historiquement, ajoutant que ceci doit être fait car chaque manquement au devoir historique augmente le désordre nécessaire et prépare de plus graves catastrophes, c’est-à-dire que prévale la mobilisation réactionnaire des masses populaires, que la bourgeoisie parvienne à imposer le fascisme et la guerre.
Les communistes doivent accomplir historiquement leurs tâches, dit Gramsci : ne pas le faire prépare de plus graves catastrophes. C’est-à-dire que les tâches que les communistes doivent accomplir sont posées par le cours de l’histoire et identifiables en étudiant le cours de l’histoire. Il faut s’acquitter de ces tâches. La société qui ne s’en acquitte pas ira à des catastrophes toujours plus graves. La crise impose que nous luttions pour faire de l'Italie un nouveau pays socialiste. La classe dominante et le sens commun voient de la crise les aspects négatifs, mais tous les aspects négatifs de la crise ont leur origine dans le refus de faire ce que la crise impose de faire, la volonté de persister dans ce système économique, social et politique, la volonté de maintenir cette condition matérielle, ne pas vouloir croire possible et réaliser le futur que la crise impose comme nécessaire.
Ne sont ni convaincants ni vainquants les économistes, incapables de voir au-delà du phénomène; et les dogmatiques, qui substituent à l'examen de la realité leurs propres schémas.
Gramsci insiste sur le fait qu’il faut absolument tenir compte du lien entre la crise générale et chacune de ses manifestations particulières (chacun des phénomènes locaux, de secteur, du moment, etc.). C’est seulement ainsi que l’on est en mesure d’attaquer l’ennemi de manière efficace. Laisser notre action se perdre dans les détails, nous disperser dans les luttes isolées les unes des autres est une arme de guerre entre les mains de l’ennemi. Qui subit l’influence idéologique de la bourgeoisie (la gauche bourgeoise et ses partisans) tombe facilement victime de cette arme de l’ennemi, car justement la bourgeoisie n’a pas de connaissance théorique du lien entre général et particulier, elle n’a et ne peut pas avoir de science de la réalité économique, sociale et politique (science qui lui montrerait que son règne est fini). L’analyse théorique que fait la bourgeoisie de la réalité est toujours une analyse des détails (analyse unilatérale), ne montrant pas le lien entre ceux-ci, lien qui seul permet de comprendre le véritable rôle et le sens de chaque détail. Tenir compte du lien entre chaque manifestation et la crise générale signifie placer chaque bataille, chaque campagne dans le cadre de la stratégie générale de la GPR de LD, construire la révolution, car il s’agit ici non de reconstruire l’histoire passée mais de construire l’histoire présente et avenir.
Après l’analyse de la situation,Gramsci passe à l’examen des rapports de force, quis’articulent en moments.
Le premier de ces moments est le point de départ, c-à-d. les rapports de force entre classes par rapport à la situation objective, à l’organisation économique de la société et la composition de classe qui en découle.
Le second moment est celui où une classe commence à prendre conscience d’elle-même comme classe [classe pour soi - NdT]. À ce moment-là, son activité prend place sur le terrain des luttes revendicatives d’abord, puis de la lutte politique qu’il y a, c’est-à-dire de la lutte politique bourgeoise. Ce passage est désigné dans le MP comme le passage de la lutte revendicative à la lutte politique, qui se situe en Europe à la fin du XIXe siècle, avec la formation des grands syndicats et des partis socialistes de la IIe Internationale.
Le troisième moment est le passage de la lutte politique à la lutte révolutionnaire. La classe ouvrière comprend que pour défendre ses intérêts il ne suffit pas d’agir dans le cadre politique prédéterminé par la bourgeoisie. Dans le MP (p. 26) ceci est expliqué comme suit : “Avec le marxisme, les ouvriers atteignirent la conscience la plus pleine de leur propre situation sociale. Leur lutte devint plus consciente, jusqu’à assumer un caractère supérieur. Elle devint lutte politique révolutionnaire, lutte pour abattre l’État de la bourgeoisie, construire leur propre État et, grâce au pouvoir conquis, créer un nouveau système de production et un nouvel ordre social, éliminer l’exploitation et son expression historique : la division de la société en classes”. Dans ce troisième moment, la classe ouvrière comprend que ses propres intérêts de classe sont les intérêts de toute la société.
Dans ce troisième moment, le rapport entre classes est inévitablement destiné à devenir un rapport de guerre entendu au sens classique, c-à-d. un rapport de force militaire. Gramsci affirme que la confrontation militaire est un passage obligé de la révolution socialiste. C’est précisément sur ce point que s’est concentré le principal travestissement de Gramsci par les révisionnistes modernes, depuis Togliatti et le 8e Congrès du PCI (1956), qui a consacré la voie pacifique et parlementaire au socialisme comme doctrine officielle du Parti.
Quant à ceux qui, à la différence des révisionnistes, sont pour la révolution socialiste, mais non pour la révolution socialiste qui se construit comme une guerre mais pour la révolution socialiste qui éclate, Gramsci démontre par l’expérience qu’il n’est jamais certain que les crises économiques génèrent automatiquement des insurrections. La dégradation des conditions économiques ne génère pas nécessairement la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire, et à l’opposé la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire ne requiers pas que les conditions économiques soient à un degré déterminé d’intolérabilité [NdT : la situation très ‘chaude’ des années 1968-75 en Europe de l’Ouest le démontre parfaitement. Au contraire, la situation de crise aiguë des années 1930 a souvent plus amené une montée du fascisme que du mouvement révolutionnaire]. Que les masses populaires se mobilisent dans un sens révolutionnaire dépend de l’action d’un Parti qui guide leur parcours de bataille en bataille, de campagne en campagne, jusqu’à culminer dans le rapport militaire décisif, c’est-à-dire jusqu’au moment où la bourgeoisie impérialiste, qui défend son propre régime, est contrainte soit à battre en retraite soit à recourir à la guerre civile. Ce parcours est décrit ici en détail par Gramsci : il s’agit de trouver les points faibles de l’ennemi, là où le coup est le plus efficace, de comprendre quelles sont les opérations tactiques immédiates, … comment peut-on le mieux mener une campagne d’agitation politique, quel langage sera le mieux compris des masses etc.
Tout ceci est précisément le développement de la GPR de LD dans un pays impérialiste comme l’Italie, dont Gramsci décrit ici la première phase, la phase de défensive stratégique, lorsque la superiorité de la bourgeoisie est écrasante. Le Parti communiste doit accumuler des forces révolutionnaires. Recueillir autour de lui (dans les organisations de masse et le front) et en lui (dans les organisations du Parti) les forces révolutionnaires, étendre sa présence et son influence, éduquer les forces révolutionnaires à la lutte en les menant à lutter. La progression du nouveau pouvoir se mesure à la quantité des forces révolutionnaires recueillies dans le front et au niveau de ces forces. Dans cette phase l’objectif principal n’est pas l’élimination des forces ennemies, mais de recueillir parmi les masses populaires les forces révolutionnaires, étendre l’influence et la direction du Parti communiste, élever le niveau des forces révolutionnaires : renforcer leur conscience et leur organisation, les rendre mieux capables de combattre, rendre leur lutte contre la bourgeoisie plus efficace, élever leur niveau de combattivité.(24)
24. MP, pp. 203-204. Gramsci se réfère à l’accumulation des forces révolutionnaires en parlant de force organisée en permanence et prédisposée de longue date. (CP, p. 1588 (C13 §17))
6. La révolution socialiste n’éclate pas
Il y a la spontanéité et il y a le spontanéisme. Gramsci critique ceux qui par principe refusent de donner au processus révolutionnaire une direction consciente,(25) ceux selon qui une direction de ce genre signifie emprisonner, schématiser, appauvrir le processus révolutionnaire. Un exemple actuel de cette tendance mouvementiste est la tentative de construire un mouvement Anticapitaliste et Libertaire (Assemblée de Bologne, 11 mai 2013).(26)
25. CP, pp. 328-332 (C3 §48).
26. Voir la critique diffusée par le nouveau PCI dans l’Avis aux navigants n°18, 5 mai 2013 ici : www.nuovopci.it/dfa/avvnav18/avvnav18.html.
· Il se proclame mouvement, non dans le sens où il veut seulement unir des organisations et des classes diverses, indépendamment de leur orientation particulière dans d’autres domaines, dans une bataille politique concrète, mais dans le sens où il veut se déclarer contre l’état actuel des choses (le capitalisme), mais refuse l’instauration du socialisme, le Parti communiste et la conception communiste du monde (donc se place sur le terrain de la gauche bourgeoise).
· Il est contre quelque chose (contre le capitalisme), mais non pour quelque chose (le socialisme et le communisme). Qui veut être “pour”, doit faire des plans, s’organiser, comme chaque fois que l’on veut construire quelque chose, quelle qu’elle soit.
· Il est libertaire, c’est-à-dire qu’il proclame la liberté en général, mais ne dit pas “liberté des masses populaires vis-à-vis du capitalisme” ; il utilise le terme “libertaire” car c’est celui utilisé par les tendances anarchistes qui refusent tout schéma, organisation, imposition, règle, discipline d’où qu’elles viennent : même celles qu’un collectif se donne, même celles que la lutte elle-même requiert. Elles les refusent au point de renoncer à la lutte et d'en rester au capitalisme. [Servir le Peuple rappelle cependant ici qu’il n’est pas anti-libertaire : les libertaires sont selon nous une ‘piqûre de rappel’ salutaire rappelant aux marxistes la vocation de l’État socialiste à son propre dépérissement (par la disparition des classes et de toute division permanente du travail), ce que beaucoup ont eu tendance au siècle dernier, et ont encore tendance aujourd’hui à perdre de vue (d’où, par exemple, la sympathie pour des régimes qui n’ont rien de ‘socialiste’ au sens marxiste, voire rien de ‘progressiste’ au sens léniniste).]
La liberté et le mouvement dont il s’agit dans cette énième tentative sont ceux de l’eau qui est libre d’aller vers le bas. Il n’y a pas de pensée, pas de réflexion, pas de bilan de l’expérience de ceux qui avant nous ont lutté, du pourquoi et du comment ils ont gagné ou perdu, il n’y a pas de programme pour l’avenir, et donc pas d’élan. Tout se réduit, au final, au contraire de la liberté, à une réaction mécanique (à la manière d’un mécanisme qui ne se meut pas par un mouvement propre, mais par l’impulsion qu’il reçoit d’un autre) à l’attaque de l’ennemi, qui au contraire dispose d’armées organisées (qui depuis l’Antiquité romaine, et même avant, ont démontré pouvoir vaincre des masses en révolte inorganisée, même en nombre dix fois supérieur) et d’un plan pour maintenir son pouvoir, etc.
Gramsci explique ici comment ce qui se veut liberté se renverse en riposte mécanique et expression de subalternité vis-à-vis de la classe ennemie, car elle ne se qualifie pas par elle-même, par ce qu’elle veut construire, mais par l’ennemi auquel elle s’oppose, et donc dépend de lui, à la manière dont un travailleur dépend du patron [NdT : c’est ce que Gramsci appelle subversivisme, qui peuple les rangs de ce que le (n)PCI appelle la gauche bourgeoise et nous (plutôt) la gauche petite-bourgeoise (la gauche bourgeoise étant vraiment l’aile gauche de la grande bourgeoisie, les Mélenchon, Montebourg etc.), et que le ‘sens commun’ appelle ‘gauche radicale’... mais aussi les rangs de la mobilisation populiste fasciste. Cette qualification est particulièrement valable pour le mouvement Grillo, particulièrement ‘anti-tout’, qui finira soit dans l’un soit dans l’autre]. Si un groupe ne s’efforce pas de se créer une science propre de la réalité et de l’histoire, ses analyses sont en définitive celles de la propagande bourgeoise, sont tirées des journaux et des livres de la bourgeoisie, fut-ce “lus à l’envers” (en les critiquant, en les dénonçant, en s’indignant, etc.). Ceux qui évoluent dans ce sens ne soupçonnent même pas que leur histoire puisse avoir une quelconque importance, dit ici Gramsci. Quand ils s’occupent de cette histoire, ils le font quant au contenu en utilisant en économie, politique, philosophie les critères et les données fournies par la bourgeoisie, conformes à la conception bourgeoise du monde. Quant à la forme, soit ils parlent et n’agissent pas, et ne courent donc pas le risque d’être démentis, soit ils séparent la parole de l’action, ne reflètent pas la parole dans la pratique, n’apprennent pas des erreurs. Quand ils remportent un succès, ils ne l’utilisent pas comme base pour construire le nouveau Pouvoir, ni comme base pour passer à une lutte de niveau supérieur. Ce que nous avons bien vu l’an dernier : passées les grandes manifestations du 31 mars et du 27 octobre 2012, l’état d’esprit prédominant parmi leurs promoteurs était : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
Les conditions objectives qui poussent les masses populaires à se mobiliser pour créer une nouvelle société (qui rendent nécessaire sa création car ne pas la créer amène des catastrophes plus graves encore) existent depuis longtemps, et donc leur mouvement est spontané comme l’eau du fleuve qui va à la mer. Mais elle est différente de l’eau du fleuve qui va à la mer, car il s’agit d’êtres humains. Ceux-ci ont besoin de se représenter le chemin qu’ils parcourent : l’eau ne va à la mer qu’à des conditions déterminées.
‘‘Cette unité de la «spontanéité» et de la «direction consciente», c’est-à-dire de la «discipline» est précisément l’action politique réelle des classes subalternes, en tant que politique de masse et non simple aventure de groupes qui se réclament des masses’’ dit Gramsci, et il ajoute que renoncer à leur donner une direction consciente, à les élever à un niveau supérieur signifie laisser le champ libre à la bourgeoisie impérialiste, qui dévie la mobilisation des masses populaires dans un sens réactionnaire. La mobilisation des masses dans un sens réactionnaire (fascisme, guerre) est le fruit de la renonciation des groupes responsables [des communistes, ndr] à donner une direction consciente aux mouvements spontanés et à les faire devenir dès lors un facteur politique positif. Celui qui nie le principe selon lequel la révolution se construit, qu’elle doit être dirigée, et dirigée comme une guerre populaire révolutionnaire, celui qui espère “que les masses bougent” et ne voit pas que les masses sont déjà en mouvement (mais bien sûr, à la manière dont les masses opprimées peuvent l’être lorsqu’elles n’ont ni objectif conscient et juste, ni organisation ni direction), laisse un espace vide qui est occupé par la réaction. Tous ceux qui peuvent aujourd’hui assumer le rôle de gouvernement du pays, en Comités de Libération Nationale, en Administrations Locales d’Urgence, en un Gouvernement de Salut National (2), en somme en organismes qui mobilisent les masses populaires contre la guerre que la bourgeoisie impérialiste leur livre, et hésitent à le faire, sont en hésitant ainsi objectivement responsables de la mobilisation réactionnaire des masses populaires.
Les mouvementistes s’opposent à faire des plans. Selon eux, dit Gramsci, tout plan préétabli est utopique et réactionnaire.(27) Quiconque s’est adressé aux mouvementistes en leur montrant comme nécessaire un parcours vers l’objectif de la transformation révolutionnaire, s’est entendu répondre que le parcours indiqué était une imposition, une tentative de mettre en cage, de briser les ailes du mouvement spontané, et qu’ainsi le plan était réactionnaire et que prévoir un parcours concret vers la révolution était utopique.
27. CP, p. 1557 (C13 §1).
Ce type de réponse est l’expression d’une tendance générale, répandue dans les masses populaires et expression de leur subalternité, expression du fait d’être encore sous l’influence de la conception bourgeoise dans leur conscience. Il est clair que la bourgeoisie a intérêt à combattre l’élaboration de tout plan visant à renverser son pouvoir, et il est encore plus clair que son intérêt est de déclarer cet objectif irréalisable. Le maximum que la bourgeoisie impérialiste peut concéder aux masses populaires est qu’elles rêvent à la révolution comme quelque chose que l’on voudrait, mais qui ne pourra jamais exister. Des héros admissibles sont ceux qui y ont cru et ont perdu (ont été vaincus), ce qui prouverait que ce rêve est irréalisable. Che Guevara en est l’exemple le plus connu. Qui a au contraire guidé les masses populaires à la victoire, comme Staline qui les guida à la victoire contre les nazi-fascistes, est un “dictateur” et un “réactionnaire” a priori.
Qui est seulement contre, attend l’insurrection et ne fait pas de plans, s’exalte face à chaque mobilisation spontanée des masses populaires pour ensuite tomber en dépression quand cette mobilisation prend fin. Car qu’elle prenne fin est inévitable : si l’on présume qu’elle est une chose naturelle, elle a un début et une fin, comme un orage, s’éparpillant en une infinité de volontés individuelles,dit Gramsci.(28) Telle est l’histoire de beaucoup de regroupements comme Unis contre la Crise, Comité Non à la Dette, Comité NoMontiDay, pour ne citer que les plus connus et actifs ces deux dernières années : des groupes qui surgissent dans des circonstances determinées, produisent des initiatives où la participation des masses populaires dépasse leurs espérances, ce qu’ils ne savent pas gérer justement parce qu’ils n’ont pas de ligne, pas de “plan préétabli”, leurs promoteurs faisant alors machine arrière comme des apprentis sorciers incapables de gérer les “pouvoirs simples et magiques” dont était capable de parler, le 6 avril 2013, un enfant de cinquième élémentaire [CM2] de la province d’Avellino, faisant référence à la classe ouvrière.
28. CP, p. 1557 (C3 §1).
En somme, pour ne pas vouloir se donner des règles conformes aux exigences de la réalité, pour ne pas vouloir apprendre la dialectique entre liberté et nécessité ; pour vouloir rester “libres” dans le sens de ne pas vouloir être encadrés dans aucun parti, de ne vouloir suivre aucun plan, et encore moins tenter une expérience jamais tentée, la révolution dans un pays impérialiste, chose tellement neuve et pleine de risques que la proposer sans analyse et sans plan est d’une irresponsabilité confinant au crime ; pour vouloir garder cette attitude infantile et inacceptable dans toute activité humaine un minimum complexe ; l’on finit par être le contraire de libres, l’on finit par être des marionnettes entre les mains de l’ennemi.
Dans le §7 du Carnet 13, Gramsci dit que la révolution comme insurrection fonctionne pour la bourgeoisie de la Révolution Française (1789) jusqu’au moment où la classe ouvrière surgit comme nouvelle classe révolutionnaire (1848). Passée cette date, la bourgeoisie cesse d’être une classe révolutionnaire en lutte contre le clergé et les nobles, et se met en état de guerre contre la classe ouvrière. La guerre contre la classe ouvrière, la bourgeoisie la prépare minutieusement et techniquement en temps de paix, avec quantité de tranchées et fortifications dans la structure massive des démocraties modernes, tant comme organisations étatiques que comme ensemble des relations dans la vie civile.(29)
29. CP, pp. 1566-1567 (C13 §7).
Cette structure massive des démocraties modernes est le régime de contre-révolution préventive. La révolution ‘pousse’, c’est un mouvement objectif, et la bourgeoisie construit un appareil fignolé dans ses moindres détails pour contrer la volonté et la necessité de participation et d’auto-gouvernement des masse populaires, contre le moindre délegué syndical non asservi, contre le centre social autogéré, contre un Mouvement Cinq Étoiles [de Beppe Grillo] qui n’accepte pas les normes préétablies pour participer au petit théâtre de la lutte politique bourgeoise, et surtout contre la plus grande expression d’autonomie et d’indépendance de la classe ouvrière et des masses populaires, le Parti communiste. Cet appareil est précisément la contre-révolution préventive, appliquée dans les pays impérialistes. Contre cet appareil, la stratégie des communistes est la GPR de LD, par laquelle l'accumulation de forces et la conquête de nouveaux territoires (l'expansion de l’hégémonie sur les masses populaires aux dépens de la bourgeoisie) sont un travail tout aussi minutieux, qui pas à pas amène à l’affrontement militaire proprement dit.
Gramsci explique combien est impossible une guerre de mouvement qui enfonce les lignes ennemies et par laquelle l’on s’empare des centres de pouvoir, lorsque derrière ces lignes ennemies il y a tout un appareil dont elles ne sont que le premier front.(30) La société, dit-il, est devenue une structure extrêmement complexe et résistante aux “irruptions” catastrophiques de l’élément économique immédiat (crises, dépressions) ; les superstructures de la société civile sont comme le système des tranchées dans la guerre moderne (…) ni le troupes assaillantes, par l’effet de la crise, ne s’organisent [spontanément ou sous une direction ‘insurrectionnelle’ NdT] de manière fulgurante dans le temps et l’espace, ni encore moins elles n’acquièrent un esprit agressif. Le conseil de Gramsci est d’étudier la Révolution d’Octobre à la lumière de la théorie de la GPR de LD. À ceci nous pouvons ajouter que depuis la victoire de la Révolution d’Octobre, la bourgeoisie impérialiste a pris toutes les contre-mesures dont elle est capable pour ne pas se faire surprendre par une quelconque insurrection.
30. CP, p.1615-1616 (C13 §24).
Qui a la prétention de faire irruption dans le camp ennemi, de semer parmi les troupes adverses une panique et une confusion irréversible, d’organiser ses propres troupes à l’improviste, de mettre tout aussi à l’improviste ses cadres existants en position de direction immédiatement reconnue par une population en révolte, d’unir immédiatement cette population vers un objectif commun, est un mystique, dit Gramsci.(31) De fait, qui raisonne en ces termes religieux reste statique en attendant que quelqu’un d’autre commence, ou que quelqu’un vienne de l’extérieur apporter la révolution, de Russie ou de Chine hier, des peuples opprimés aujourd’hui (de la Palestine, de l’Inde, du Népal ou de pays comme le Venezuela ou Cuba, selon les tendances préférées).(32)
31. CP, p. 1614 (C13 §24).
32. CP, p. 1730 (C14 §68).
L’examen des positions de Gramsci confirme son anticipation de l’un des fondements de la théorie révolutionnaire, à savoir la stratégie de GPR de LD, l’une des contributions les plus importantes du maoïsme à la science révolutionnaire, à la conception communiste du monde.(33) Gramsci, outre cela, a apporté d’autres anticipations très importantes. L’étude en cours de l’œuvre de Gramsci permet de récupérer ces précieuses anticipations que Gramsci a élaborées, pour donner toute sa valeur à sa stature de dirigeant du mouvement communiste au niveau national et international, et surtout pour continuer son œuvre jusqu’à la réalisation des objectifs pour lesquels il a donné sa vie.
Folco R.
33. L’étude est basée sur les références de Gramsci aux deux formes opposées de stratégie pour la révolution, c-à-d l’insurrection et la GPR de LD, appelées ici guerre de mouvement et guerre de position, du Dictionnaire gramscien sous la direction de Guido Liguori et Pasquale Voza (Carocci editore, Urbino, 2011).
(2) Nous sommes entièrement d'accord, et tout aussi enthousiastes que le (n)PCI pour l'exploration de ce territoire inconnu qu'est de vouloir construire consciemment la révolution dans un pays impérialiste, et non faire du militantisme de gauche plus ou moins ‘dur’ en attendant la ‘crise aigüe’ qui sonnera l'heure du Grand Soir. Pour autant, et nous l'avons déjà dit, nous pouvons être grandement en désaccord avec les méthodes proposées.
Ainsi, appeler à un Front ou ‘Bloc’ populaire (quel que soit le nom qu'on lui donne) implique selon nous un mouvement communiste suffisamment puissant (en quantité et en qualité, c'est-à-dire en influence idéologique sur la société), qui ‘pèse’ assez pour pouvoir en retirer des bénéfices pour lui et pour les masses, sans quoi l’on ne fait qu'‘offrir’ son appui et ses forces ‘sur un plateau’ à la gauche bourgeoise (qui au demeurant s'en contre-cogne). Un Front populaire, c'est quelque chose qui implique certes des concessions de la part des communistes, mais qui N'EXISTE PAS non plus sans eux ; c'est être en mesure de dire à la gauche bourgeoise (sans faire rigoler) : "la mobilisation réactionnaire, le fascisme, vous balayera vous aussi et même les premiers, accepter notre ‘soutien’ (comme la corde soutient le pendu) c'est votre dernière chance" ; en somme, c’est le Front commun avec nous… ou Dachau ! L'émergence d'une ‘gauche’ bourgeoise favorable à l'alliance avec les communistes est en réalité un symptôme 1°/ de l'importance du mouvement communiste et d'un mouvement ouvrier/populaire ‘radical’ d’un côté et 2°/ de l'inquiétude que cela suscite, et de la mobilisation réactionnaire de la droite (la majorité !) bourgeoise de l’autre ; autrement dit de l'imminence de la guerre civile, de la guerre de classe ouverte. Sans cela, il est hautement improbable que les personnalités citées par le (n)PCI (si l'on se base sur leurs équivalents hexagonaux), sans même parler du populiste semi-fascisant Grillo, fassent autre chose que continuer à ‘gérer le malheur’ et à écoper désespérément la barque qui prend l'eau - pour finalement sombrer avec elle, dans le triomphe de ce que le PCmI appelle ‘fascisme moderne’, c'est-à-dire la bourgeoisie réactionnaire qui répond à la crise et aux explosions sociales qu'elle provoque, mais pas à une menace révolutionnaire conséquente (contrairement au fascisme proprement dit). Souvenons-nous aussi que les Fronts populaires de ‘France’ et d'‘Espagne’ n'ont pas été finalement des expériences si concluantes, puisqu'ils n'ont pas pu réellement gouverner et ont très vite été balayés, en ‘Espagne’ par le coup d’État fasciste et la guerre civile (1936-39) et en ‘France’ par le ‘choix de la défaite’ de 1940 : la vraie mise en œuvre du programme des Fronts populaires, en Europe de l'Ouest (sauf Espagne et Portugal), c'est à la Libération, lorsque le capitalisme ‘purgé’ par la guerre mondiale pouvait se ‘rénover’ de la sorte mais aussi... face à des Peuples en armes, sous direction principalement communiste.
Ce qu'il faut donc, c'est construire patiemment cette ‘importance’, cette hégémonie même partielle du mouvement communiste sur les masses, sans céder au sentiment de l'urgence. Il est certain que si l'on fait, comme le (n)PCI, englober au prolétariat quelques 36 millions de personnes sur 57, gagnant jusqu'à... 50.000 euros par an, il est fort possible de céder à l'urgence car ces couches moyennes du salariat voient leurs conditions de vie se dégrader à grande vitesse depuis la seconde moitié des années 2000. Mais pour le vrai prolétariat, qui en réalité ne dépasse pas 50% de la population dans un État impérialiste, le capitalisme est en crise depuis les années 1970 (mettant fin à l'amélioration toute relative mais continue du niveau de vie), le reflux/capitulation du mouvement communiste et même réformiste conséquent et la lutte acharnée de la bourgeoisie pour le maintien de ses profits ont amené une situation de ‘fascisme moderne’ depuis les années 1980, et depuis lors la dégradation est certes continuelle mais pas ‘brutale’, et n'implique pas de sentiment d'urgence. Céder à l'‘urgentisme’, c'est de toute façon et dans tous les cas mal faire. Il faut savoir garder son sang-froid comme un capitaine dans la tempête. Toutes les enquêtes d'opinion (et le bon sens minimal face à la merde social-libérale au pouvoir) indiquent sinon la victoire du FN, du moins celle d'une droite ultra-‘décomplexée’ (se posant en ‘dernier recours’ face à un FN à 25% ou plus) pour 2017, soit dans trois ans et demi... Pour autant, nous ‘gardons le cap’ et avançons patiemment sans céder à l'urgence ni à la panique, car ce serait la voie royale du fiasco.
Nous sommes totalement en accord avec le Plan Général de Travail du (n)PCI, et comptons bien le faire nôtre pour le Parti que nous voulons créer : faire de chaque action, chaque lutte, chaque initiative une ‘école de communisme’. Nous interviendrons sans problème, nous ‘ferons irruption’ dans le ‘petit théâtre’ de la politique bourgeoise, notamment dans les ‘moments électoraux’ qui sont des ‘moments-clés’ pour la société civile dont parle Gramsci, selon des modalités que nous aurons fixées. Mais pour le (n)PCI, il semble bien que le deuxième front du PGT soit aujourd'hui hypertrophié, au détriment des autres. Et faire du succès électoral de telle ou telle liste ou personnalité une déstabilisation majeure pour le régime/système que l'on combat, c'est faire des assemblées légiférantes électives le ‘cœur de l’État’, ce qui est profondément erroné : ces assemblées sont des machines à faire loi la volonté des dominants, et non les centres de production de cette volonté. L'intérêt des ‘moments électoraux’ pour les communistes, c'est le rôle que jouent ces moments dans la construction de la société civile qui protège le Capital et donc dans sa destruction ; mais ce n'est pas de permettre des ‘attaques’ significatives au ‘cœur de l’État’, qui ne sont de toute façon pas possibles en phase préparatoire/étape zéro. En ‘France’, d'ici la présidentielle (suivie de législatives) en 2017, il y a les européennes et les municipales l'an prochain et les régionales en 2015, ce qui ne fait pas beaucoup (en Italie c'est un peu différent, toutes les régionales et les municipales ne sont pas en même temps et il y a souvent des législatives anticipées). Le reste du temps, SLP garde un ‘œil’ vigilant sur les mouvements de la ‘classe’ politique bourgeoise pour en présenter aux masses une ‘lecture’ marxiste, ce qui est important. Mais tout cela n'est pas plus ni moins important que les autres ‘fronts’ du PGT : lutte contre la répression, à laquelle on peut ajouter la lutte contre le fascisme (répression para-étatique, en dernière analyse) et les luttes démocratiques des secteurs sociaux particulièrement opprimés (LGTB, colonies intérieures, travailleurs ‘sans-papiers’) ; défense intransigeante des droits sociaux des travailleurs (arrachés de dure lutte au siècle dernier) ; et (très important selon nous, le seul peut-être qui soit plus important) construction de l'autonomie populaire contre un capitalisme qui a fini par régir le moindre aspect de la vie des masses ; on pourrait également ajouter l'internationalisme anti-impérialiste, dont le défaut est un ‘secret de l'impuissance’ des prolétariats et des classes populaires occidentales. Tout cela participe à la guerre de tranchées sur le front de la société civile, front fondamental dans les pays impérialistes et avancés, contre la mobilisation réactionnaire impulsée par la bourgeoisie face à la (à sa !) crise (pour ce qui est du front politico-militaire, il est évident qu'un Parti communiste n'en parlera pas publiquement sur un site internet...).
Pour revenir sur le mouvement Grillo, nous le caractérisons comme des cyber-Arditi du 21e siècle, un mouvement petit-bourgeois radical-populiste, "ni droite ni gauche", "tous pourris", antiparlementaire comme si le problème du capitalisme résidait dans le Parlement bourgeois, etc. etc. Un Parti communiste conséquent peut certes gagner à lui des éléments arditi ‘de gauche’, déçus justement par l'évolution droitière inévitable de ce genre de mouvement, comme les Arditi del Popolo de 1921-22. Mais EN AUCUN CAS on ne peut baser une mobilisation révolutionnaire de masse sur des Arditi, sur un mouvement ambigu, contradictoire et voué à l'éclatement. Il ne s'agit pas d'être des ‘analphabètes politiques’ en reprochant aux gens de voter Grillo plutôt que de nous interroger sur nos propres limites ; mais de nous demander en quoi la guerre de position pour l'hégémonie se gagne en cautionnant sans critiques des conceptions aussi ouvertement réactionnaires que "il y a trop d'immigrés en Italie", "Nichi Vendola (un leader de la gauche bourgeoise - NdlR) est un pédé" ou encore "les syndicats nous font chier, vivement qu'on les interdise"... Le (n)PCI rétorque au PCmI que "l'on pourrait en dire autant de beaucoup de forces ayant participé aux Fronts populaires des années 1930 ou à la Résistance en 1940-45". Pour la Résistance, c'est bien possible, puisqu'il y avait une occupation étrangère donc une dimension patriotique incluant des éléments de droite voire d'extrême-droite. Pour les Fronts populaires, avec un Grillo qui proclame publiquement sa sympathie pour des fascistes (Casapound), c'est nettement plus improbable... Et comme l'expliquait Gramsci, il faut vivre et comprendre son époque : la conscience humaine évolue avec les forces productives, la limite entre ‘progressiste’ et ‘réactionnaire’ évolue et des choses qui pouvaient ‘passer’ il y a 80 ans (homophobie, xénophobie) ne le peuvent plus aujourd'hui. D'autre part, la conception kominternienne des Fronts populaires était elle-même l'expression de grandes limites du marxisme-léninisme à cette époque.
Enfin, parler de "Comités de Libération Nationale" (??) n'a aucun sens si cette ‘libération’ est celle d'un État impérialiste qui n'est pas occupé militairement par un autre. Cela peut en avoir si l'on considère l'Italie comme un État plurinational, où des Peuples sont soumis à UNE bourgeoisie ‘italienne’ (monopoles du Nord, bureaucrates de Rome, clique vaticane etc.) qui les exploite et les opprime... Mais c'est une autre histoire. L'Allemagne de Merkel n'impose pas militairement l’austérité aux ‘PIIGS’, ce qui signifie que l'austérité est une politique acceptée par les bourgeoisies dirigeantes de ces États, et que le problème principal se trouve là. Parler de ‘libération nationale’, c'est vouloir ‘revivre’ la Résistance antifasciste de 1940-45 dans un contexte totalement différent, travers dans lequel tombent beaucoup de communistes d'un côté comme de l'autre des Alpes, et qui mène souvent au social-chauvinisme (car qui dirige, exploite et opprime alors, si ce n'est pas le Grand Capital national ? une ‘hyper-classe mondialisée’ ? la bourgeoisie impérialiste US et elle seule ?). Il ne faut pas chercher, entre ‘Fronts populaires’ et ‘Libération nationale’, à revivre l’histoire, car le marxisme nous enseigne que l’histoire ne se revit que comme farce…
En définitive, nos divergences avec le (n)PCI ne sont pas dans leur travail théorique et stratégique primordial comme (au moins) matériau de réflexion, aspect qui reste principal, mais bien plutôt dans la source même de ce qui (selon eux-mêmes) guide la stratégie et (de là) toutes les tactiques : la conception du monde. Comme l'explique le (n)PCI lui-même, des limites dans la conception/compréhension du monde, si elles ne sont pas rectifiées, amènent une stratégie erronée (dans son contenu, car il n'est pas difficile de dire que c'est "la Guerre populaire", mais quel contenu lui donne-t-on ?). Par exemple, on peut tout à fait être hostile à ce qu'un coup d’État impérialiste renverse un régime ‘de gauche’, réformiste, progressiste en Amérique latine ; mais si l'on considère que la politique de Chavez au Venezuela était du socialisme (ou une nouvelle démocratie le préparant), au sens scientifique marxiste, alors il y a un problème quant à la conception du but (le socialisme)... donc des moyens pour y parvenir. Ne parlons même pas de considérer comme tels Kadhafi ou encore Assad...
De même, sur le bilan du siècle dernier : pour le (n)PCI, il y a l'URSS et l'Internationale communiste de 1917 à 1956 et ensuite, plus guère de salut : la Chine de Mao tente quelques années de ‘raviver la flamme’, de cette ‘croisade’ anti-révisionniste naît le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, mais au final, rien de bien concluant. Pour nous, au contraire, cette première partie de la première vague révolutionnaire mondiale a fait de grandes et glorieuses choses, mais a également montré de grandes limites, dont la répétition est pour ainsi dire la cause de tous les échecs ultérieurs, et les tentatives de dépassement sont la cause de tous les succès. Alors que la seconde partie (1956-1993 selon nous, càd jusqu'à la défaite au Pérou) REGORGE LITTÉRALEMENT d'expériences lumineuses et passionnantes, tant par leurs succès que par leurs échecs, et absolument pas seulement dans les pays semi-coloniaux dominés : dans les États impérialistes également, des Black Panthers US aux communistes révolutionnaires italiens des années 1970, des grandes luttes de l’État espagnol sous la 'transition' juan-carliste aux luttes révolutionnaires de libération basque et irlandaise en passant par les maoïstes de l’État français (1968-75), etc. etc. C'est même, serions-nous tentés de dire, la période la PLUS intéressante dans ces pays : dans la précédente, le mouvement communiste avait encore beaucoup de traits du mouvement socialiste 'revendicatif' antérieur, à l'exception peut-être du Biennio rosso italien de 1919-21 et de la situation révolutionnaire allemande de 1918-20 (et de l’État espagnol des années 1930, mais ce n'était pas vraiment un pays impérialiste à l'époque), et bien sûr de la Résistance antinazie mais dans des circonstances très particulières (occupation étrangère, pas la même chose que combattre sa propre bourgeoisie...). C'est également la période la plus intéressante en Amérique latine, ainsi qu'en Afrique : en fait, sur 3 continents sur 5 ! Bref...
C'est pourquoi nous attachons autant d'importance, dans la ‘première phase’ que le (n)PCI appelle ‘défensive stratégique’ et nous étape zéro préparatoire, à forger la CONCEPTION DU MONDE, conformément aux enseignements de Marx et Engels, de Gramsci et du (n)PCI lui-même, car cette conception/compréhension de la société et du monde qui nous entoure sous-tend, en dernière analyse, tous les ‘axes’ de la lutte pour l'hégémonie idéologique dans la ‘société civile’ capitaliste, pour nous permettre de créer des ‘bases rouges’, c'est-à-dire des territoires populaires LIBÉRÉS de l'emprise idéologique de la classe dominante, de la ‘mental slavery’ vis-à-vis du Grand Capital... Ce n'est par exemple ni plus ni moins que cela qui fonde notre ‘occitanisme’ révolutionnaire : pour le Peuple occitan, ‘méridional’, se réapproprier sa culture et (surtout) son HISTOIRE, souvent tragique sous la botte de l’État ‘français’, signifie briser les chaînes de l'aliénation vis-à-vis de la ‘république’ et de la ‘nation française’, synonyme d'allégeance à la bourgeoisie monopoliste, à son idéologie et à sa culture, à ses plans impérialistes etc. Il en va de même, selon nous, en Italie (et pas seulement dans le Mezzogiorno), où l'‘italianité’ n'est autre qu’une allégeance à la grande bourgeoisie piémontaise, lombarde, toscane et romaine qui a fait l'Unité politique de la péninsule en s'alliant avec la Maison de Savoie (puis, après quelques frictions, avec la Papauté et l'oligarchie du Sud), et s'est transformée en bourgeoisie monopoliste ‘italienne’. Mais cela, c'est aux communistes d'Italie d'y réfléchir : nous ne pouvons le faire à leur place que de manière très approximative et superficielle. Dans l'État espagnol, les forces révolutionnaires les plus avancées l'ont déjà fait, et cela donne une multitude de groupes marxistes-léninistes au Pays Basque, le Parti communiste maoïste en Galice, Andalucia communiste en Andalousie, Frayando Cadenes en Asturies, le Journal d'une Colonie aux Canaries ou encore Yesca... en Castille.
En dernière analyse, ce qui a selon nous ‘péché’ dans l’État français au siècle dernier, c'est de vouloir faire la révolution à partir du Centre, sur le ‘modèle’ de la révolution bourgeoise qui d’Étienne Marcel au 14e siècle à Gambetta proclamant la république définitive en 1870, en passant par les Guerres de Religion, la Fronde du 17e siècle, 1789, 1830 et 1848, s'est toujours décisivement jouée à Paris. Il en va de même, à notre avis, pour tous les grands États impérialistes, même si ce n'est pas à nous d'en juger dans les détails. Cela a conduit (selon nous) à mettre la direction révolutionnaire entre les mains de couches sociales comme l'aristocratie ouvrière, la ‘petite-bourgeoisie salariée’ intellectuelle, les fonctionnaires etc., couches qui doivent leur position sociale au capitalisme et à l’État capitaliste moderne-contemporain, et ne sont donc pas les plus aptes à DIRIGER efficacement leur remise en cause et, à terme, leur destruction.
En synthèse :
- Le (n)PCI a une STRATÉGIE, une vision stratégique à long terme, ce que beaucoup d’autres organisations y compris maoïstes n’ont pas. Il a raison de le rappeler à ses contradicteurs. Mais ceci est une condition nécessaire mais non suffisante. Une mauvaise stratégie ou pas de stratégie du tout garantit une pratique erronée (ou de faire du sur-place), mais l’inverse n’est pas automatiquement vrai : une bonne stratégie ne garantit pas, systématiquement et en tout, une bonne pratique.
- Ensuite, avant même la stratégie, il y a la CONCEPTION DU MONDE (la ‘pensée’ comme disent d’autres). Le (n)PCI le dit, mais semble avoir beaucoup plus travaillé sur la première que la seconde. Il semble se contenter, comme conception du monde, du marxisme-léninisme-maoïsme tel qu’il le comprend. Au regard, par exemple, de ses prises de position internationales (sur Chavez et consorts, la Libye, la Syrie, la guerre en ex-Yougoslavie hier), bien que d’autres (sur l’Égypte) soient très correctes, ou de son analyse de l’histoire du mouvement communiste (typiquement sur la vision dithyrambique de l’URSS et de l’Internationale communiste avant 1956), sa conception du monde semble être en fait un ‘bon vieux’ marxisme-léninisme ‘maoïsant’ de type PC des Philippines ou PCR argentin. Sur le champ de bataille où il opère, l’État italien, il a produit une assez bonne réflexion (qui nous a profondément inspirés à l’époque de notre traduction) dans le chapitre 2 de son Manifeste Programme, mais sans aller selon nous jusqu’au bout de toutes les conséquences. Les Gardes rouges chinois des années 1960-70 disaient parfois que la révolution devait ‘‘retourner la Chine comme un gant’’, et le maoïsme c’est effectivement cela : une DÉCONSTRUCTION, une remise en cause permanente de ce que la pensée dominante, qui imprègne toutes les masses populaires, présente comme l’ordre naturel des choses. Le (n)PCI semble vouloir ‘prendre’ l’État italien pour le faire fonctionner au service des masses populaires, et non le détruire, ne pas en laisser pierre sur pierre. Dès lors, les institutions électives (où l’on accède par des élections) deviennent pour eux un champ de bataille essentiel, la ‘fenêtre de tir’ pour ‘infiltrer’ l’État sans recourir, à ce stade ‘défensif’ de la lutte révolutionnaire, à des moyens illégaux ; et non un simple terrain d’agit-prop (sur le front de la société civile) parmi d’autres.
Pour notre part, notre conception du monde et notre stratégie sont toujours en cours d’élaboration, à travers la réflexion/analyse permanente, le débat franc et ouvert (sans insulte ni ton hautain, c’est la condition) et la pratique.
* Après les hécatombes de Lampedusa et de Malte, le (n)PCI a tout de même fini par réagir aux sorties anti-immigrés de Grillo : ‘‘Ils se contredisent eux-mêmes : un Italien sur huit n’a pas de quoi manger, disent à raison Grillo et Casaleggio, soit 7 millions de personnes ; le problème n’est donc pas 50 ou 100.000 désespéré-e-s qui arrivent chaque année en Italie ! Si Grillo et Casaleggio persistent à relayer cyniquement les préjugés criminels des fascistes, de Maroni et Bossi, des promoteurs de la mobilisation réactionnaire, des auteurs et supporteurs des lois Turco-Napolitano et Bossi-Fini, ils finiront certainement très mal. S’ils cerchent à faire du M5S le parti de la mobilisation réactionnaire, le mouvement leur explosera entre les mains, car il n’est pas adapté pour cela’’. Certes... et c’est ce que nous disons depuis le début : le M5S est un mouvement contradictoire qui éclatera, certain-e-s suivant la dérive réactionnaire de Grillo, d’autres la rejetant. Il n’est donc pas possible de faire de ce mouvement le ‘centre’ d’une quelconque mobilisation révolutionnaire ou, en tout cas, progressiste de masse.
[Concrètement, et après mûre réflexion sur cet épineux sujet, nous en sommes venus à la conclusion que :
- Le (n)PCI a PENSÉ l'Italie, là-dessus il n'y a pas photo, et c'est peut-être la seule grande organisation ML ou maoïste existante à ce jour à l'avoir fait de manière aussi poussée dans ce pays. C'est l'objet de tout un immense chapitre 2 de leur Manifeste Programme que nous avons traduit ; et dont nous avons repris une bonne part dans notre article sur la construction historique de cet État.
- Mais attention, les conclusions auxquelles ils aboutissent ensuite sont un peu boîteuses : l'idée que le "vrai" pouvoir en Italie ("République pontificale") serait en fait le Vatican et son (bien réel) empire financier ; lui-même pilier essentiel d'une espèce d'"ordre mondial" aux côtés de l'impérialisme US-UE, du sionisme etc. L'Italie est "pensée", sur la base de Gramsci et d'une très sérieuse étude, mais à l'arrivée on a l'impression que la subjectivité des auteurs, anticléricale et "Italie = colonie du Système impérialiste mondial" (raisonnement très présent dans le mouvement communiste révolutionnaire des années 1970), finit par prendre le dessus. Cela revient un peu, en définitive, à nier l’État italien (qui serait finalement "fantoche"), la bourgeoisie italienne et (puisqu'on a parlé de Gramsci) la "société civile" qui les protège.
- C'est sans doute là qu'il faut voir la source de la "Guerre populaire révolutionnaire" qui devient in concreto électoralisme pour un "Gouvernement de Bloc Populaire" (GBP) jusqu'au soutien au mouvement populiste de Beppe Grillo (qui est une "grogne" de la "société civile" protégeant l’État et la bourgeoisie, mais nullement une rupture avec celle-ci). L'aboutissement logique de cette erreur finale d'analyse étant que, bien que soit affirmé et réaffirmé le contraire dans le Manifeste et par ailleurs, l'étape première de la lutte en Italie serait finalement une révolution démocratique bourgeoise... qui peut tout à fait, du coup, passer par les urnes (et un activisme démocratique et syndical principalement légal). Des sympathisants du P-CARC avec qui nous avons pu discuter, nous ont d'ailleurs confirmé que le GBP serait quelque chose comme un gouvernement "à la Chávez" : les communistes et les "organisations ouvrières et populaires" prendraient, finalement et en quelque sorte, l’État italien ; puisque celui-ci est en dernière analyse "fantoche" ; et le conduiraient à ne plus être "fantoche" et à l'affrontement ouvert avec (donc) le Vatican et le "Système impérialiste" dont il est un pilier. En gros, c'est de cela qu'il s'agit. Et oui... mais NON !]