Nous avons abordé dernièrement la visite de Sarkozy, manager-général de l'Etat impérialiste français, en Chine. Nous l'avons analysée comme une tentative "d'apaisement" vis à vis du "géant" chinois, de "gagner du temps" dans une confrontation qui va grandissante avec un projet impérialiste chinois affiché - "être la première puissance mondiale en 2040".
Nous n'avons bien sûr, pauvres "vulgus pecum" que nous sommes, aucune idée de ce qui s'y est dit et décidé. Mais il se peut que l'on en voie actuellement les premiers effets.
Lundi a en effet été conclu un accord entre le Brésil, la Turquie et la république islamique d'Iran. D'après cet accord, l'Iran renonce à l'enrichissement d'uranium sur son territoire : celui-ci sera expédié et enrichi au Brésil et en Turquie sous la surveillance de l'AIEA, avant d'être renvoyé en Iran.
Dans la foulée, grâce à une médiation sénégalaise (Sénégal dont on connaît la relation semi-coloniale avec la France), la prisonnière française Clotilde Reiss (accusée d'espionnage par l'Iran) a été libérée et échangée avec un agent iranien ayant liquidé Chapour Bakhtiar en 1991.
Accessoirement, le Brésil s'est engagé à privilégier le Rafale pour équiper son armée de l'Air, Rafale jamais exporté jusque là, et en concurrence sévère avec un avion américain.
Les choses semblent s'organiser clairement. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, et encore dans notre récent article sur la visite de Sarkozy en Chine, l'élection d'Ahmadinejad et le "renouveau nationaliste" iranien sont l'expression de la pénétration dans le pays du Capital chinois (le Capital russe étant quant à lui présent depuis 1990), par l'intermédiaire des Gardiens de la Révolution, qui ne sont pas seulement une armée idéologique mais aussi une puissante entreprise, interface de nombreux investissements étrangers, et la base, le socle du pouvoir d'Ahmadinejad et du "guide" Khamenei.
Les protestataires iraniens anti-Ahmadinejad ne s'y trompent pas, ayant remplacé le "Marg bar Amrika" (Mort à l'Amérique !) du régime par "Marg bar China", "mort à la Chine"...
La question du nucléaire iranien est présentée ainsi : il ne faut pas que l'Iran développe l'arme atomique, car c'est un régime "voyou" qui serait une menace pour la région. En réalité, ce n'est pas la question. Toute agression nucléaire iranienne entraînerait immédiatement une riposte israélienne et probablement américaine (au minimum), qui réduirait le pays en cendres.
Il n'y a aucun risque que l'Iran, même si il la détenait, utilise l'arme nucléaire de manière offensive.
Par contre, une défense nucléaire iranienne jouerait un rôle dissuasif, et rendrait le pays inattaquable directement.
Mais surtout, le nucléaire civil iranien est en cause. Il donnerait une indépendance énergétique au pays. Celui-ci est pour le moment basé sur ses ressources en pétrole et gaz. Il est obligé (pour la survie du régime) d'en vendre une grande partie à l'étranger, aux tarifs d'une OPEP où il n'est pas en position de force. Il garde le reste pour ses propres besoins.
L'énergie nucléaire lui permettrait de bénéficier de plus d'hydrocarbures exportables, donc de renforcer sa position au sein des exportateurs et, surtout, de mener une politique "à la vénézuélienne", d'expansionnisme "nationaliste" régional aux moyens de ses hydrocarbures et des revenus qu'il en tire.
Une politique dont bénéficierait, bien sûr, son "associé-donneur d'ordre" chinois pour les juteux investissements de ses capitaux qui commencent à se suraccumuler (avec une croissance à 2 chiffres)...
Voilà ce que veut éviter à tout prix une coalition regroupant aussi bien les USA et l'Angleterre que l'Allemagne et la France (pourtant "partenaires" fidèles de l'Iran avant 2005), tandis que la Russie elle-même semble en position inconfortable.
De leurs côtés, que représentent le Brésil et la Turquie (sans même parler du Sénégal, qui reviendrait à avoir envoyé un préfet français en mission) ?
La Turquie est traditionnellement (depuis 1945) une tête de pont et un "porte-avion" occidental, principalement US, dans la région de la Méditerranée et du Moyen-Orient. Mais depuis 2002, le pays est dirigé par l'AKP, parti "islamiste modéré" ou "démocrate-musulman" comme ils aiment se définir. Le Conseil de Sécurité Nationale (conseil des principaux chefs militaires), qui dirige le pays en sous-main depuis 1960, a dû légèrement reculer, et accueillir des représentants civils en son sein.
En fait, l'AKP est très largement financé par la "diaspora" turque en Europe, principalement en Allemagne. Et sa victoire, devant laquelle l'armée a dû céder (elle avait empêché un premier gouvernement AKP en 1997) semble représenter une montée en puissance de l'Europe et surtout de l'Allemagne dans le pays, même si le parti était plus proche du SPD de Schröder que de la CDU de Merkel, qui s'oppose à l'entrée de la Turquie dans l'UE. Ainsi qu'un recul de la tutelle US : en 2003 le gouvernement AKP s'est opposé, aligné sur la France et l'Allemagne, à l'invasion de l'Irak par son territoire, et les Américains ont dû céder.
Donc, on peut considérer la Turquie de l'AKP comme un poste avancé des impérialistes européens au Proche/Moyen-Orient.
De son côté, le Brésil a été (largement) depuis 1945 une semi-colonie de Washington, avec notamment de 1964 à 1985 une dictature militaire contre-révolutionnaire, puis (comme d'autres pays d'Amérique du Sud) un "laboratoire" néo-libéral pour disciples de Milton Friedman... Mais en 2002, avec la victoire du centre-gauche de "Lula" da Silva sur un "néolibéralisme" discrédité, il est devenu une tête de pont de l'UE sur le continent américain. Non seulement ses échanges commerciaux (et surtout les investissements, l'exportation de Capital) avec l'Europe se sont multipliés, mais il s'aligne également presque systématiquement sur les positions européennes au niveau international (contre la guerre en Irak, contre le coup d'Etat au Honduras etc.).
Le Capital impérialiste français y est particulièrement bien placé (et maintenant, avec le Rafale, le complexe militaro-industriel va y faire son entrée).
Nous avons donc deux pays que l'on peut considérer, sans trop de mal, comme ayant agi en "service commandé" pour le "cartel" impérialiste européen, dominé par la France et l'Allemagne.
La France et l'Allemagne, qui ont pris depuis quelques temps (disons entre l'élection de Merkel et Sarkozy, et le départ de Bush) la tête de la "croisade" contre le nucléaire iranien. Il faut dire que les Américains et les Anglais, après le fiasco en Irak, ne sont plus vraiment en position de force, leurs menaces ne sont guère prises au sérieux : ce sont des tigres de papier.
Et puis surtout, leurs intérêts sont "géostratégiques" (la sécurité régionale), mais depuis 1979, ils n'ont presque plus d'intérêts impérialistes à l'intérieur de l'Iran. Alors que la France (à partir de 1990) et l'Allemagne (dès 1985) y ont beaucoup investi en Capital.
En réalité, les têtes de la "croisade" contre l'Iran sont plus certainement à Paris et à Berlin qu'à Washington, encore moins (bien sûr) à Tel-Aviv (Israël n'est pas un pays impérialiste).
Faut-il voir alors, dans les évènements récents, une "détente", voire le début d'une réconciliation ?
Pas sûr. Plutôt une "trêve", une pause dans les hostilités, une tentative de ramener tout le monde à la raison, tout en se préparant à frapper fort en cas d'échec. Sarkozy, s'exprimant sur le sujet, a bien semblé souligner que c'était la "dernière chance" du régime iranien. En cas d'échec viendra la guerre économique (les sanctions), puis peut-être les frappes "chirurgicales", que la France n'a peut-être pas les moyens de mener, mais Israël se tient prêt.
Une attaque directe contre la Chine n'est bien sûr pas possible (c'est une puissance nucléaire), mais l'Iran pourrait être le premier champ de bataille de l'affrontement annoncé, contre l'auto-proclamée "maîtresse du monde en 2050".
Nous ne sommes cependant pas devins, et tout peut aussi très bien rentrer dans l'ordre, au moins pour quelques années voire 10 ans... La guerre impérialiste est comme un volcan : on sait qu'elle éclatera un jour, et l'on peut parfois le pressentir, les signes avant-coureur s'accumulant, mais il est impossible de prédire quand exactement cela aura lieu. Des fois, l'éruption annoncée n'a pas lieu, et le volcan se calme. C'est peut-être ce à quoi nous assistons. Cela dépend de dizaines de facteurs, et notamment des rapports de force à l'intérieur de l'Iran, où chaque "clan" est l'intermédiaire d'une puissance impérialiste...
En tout cas, nous avons probablement sous les yeux un premier exemple, de ce qui s'est décidé et discuté derrière les murailles de la Cité Interdite.
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