1. Classe ouvrière et prolétariat
La classe ouvrière, on l’a dit, est le noyau dur des forces de la révolution socialiste et de leur avant-garde organisée, le Parti. Par contre, pour les ouvriéristes, elle est la seule admise dans le Parti, voire dans le Front révolutionnaire qui ne se ferait pas avec d’autres classes, mais avec d’autres organisations politiques du moment qu’elles sont ouvrières – conception trotskyste "orthodoxe", où l’idéologie (conscience révolutionnaire pour soi) ne compte pas, seulement la classe en soi. C’est cette conception que nous réfutons.
La classe ouvrière, au sens marxiste strict, est la classe qui par son travail crée la plus-value en transformant la matière. Cela peut consister en le mineur qui extrait la matière première du sol, ou encore en l’ouvrier agricole qui récolte le fruit sur l’arbre. Et bien sûr, en l’ouvrier d’industrie, qui agit sur un objet avec une valeur A pour lui donner une valeur B supérieure. On pourrait admettre, aussi, qu’il existe des ouvriers des services, du moment que ce service est manuel, qu'il s’exerce sur un bien : on pense par exemple aux réparateurs, plombiers, électriciens etc. Ils prennent un bien à la valeur zéro (car inutilisable ; parfois même l’appartement entier, privé d’eau ou d’électricité, ne vaut plus rien) et lui redonnent une valeur, à la fois d’usage et marchande.
Cette classe compte, dans l’État de France, 6 à 7 millions de travailleurs auxquels il faut ajouter leurs familles et les retraités. Cependant, ce sont des données statistiques qui incluent l’aristocratie ouvrière. Celle-ci ne compte, en effet, pas seulement des travailleurs avec une fonction d’encadrement, mais simplement des ouvriers qualifiés, auxquels les bénéfices de l’impérialisme permettent d’offrir un bon salaire et donc un standard de vie petit-bourgeois. Ces personnes sont certes des ouvriers, mais pas des prolétaires. Politiquement, ils forment la base du réformisme, du légalisme, du culte de l’État bienfaiteur et, souvent, du chauvinisme (qui peut déboucher sur la xénophobie et, de là, le vote fasciste). Cela, les ouvriéristes ont souvent tendance à l’oublier.
D’une manière générale, cette classe souffre aujourd’hui de la délocalisation de la production vers des pays à moindre coût de main d’œuvre, et (surtout) de l’atomisation par le développement de la sous-traitance en petites unités productives, et la multiplication de l’emploi précaire, à durée limitée. Se souvenant des grands mouvements de 1936, des années d'après-guerre ou de 1968-75, la bourgeoisie redoute les grandes unités de production, comme Renault Billancourt, préfigurant le socialisme et où des milliers d’ouvriers peuvent se dresser d’un seul coup contre le Capital.
Mais existe-t-il d’autres classes prolétaires que les ouvriers ? Pour les camarades italiens du nPCI, la réponse est oui : Aux premiers siècles de l’existence du mode de production capitaliste, le prolétariat n’était composé pratiquement que de travailleurs manuels dans l’industrie, parce que seule la production industrielle était absorbée par le mode de production capitaliste. De là l’habitude que l’on a par inertie de considérer comme ouvriers seulement les travailleurs manuels de l’industrie. Graduellement le mode de production capitaliste s’est cependant étendu aussi aux autres secteurs productifs, a créé de nouveaux secteurs et a approfondi la division du travail à l’intérieur des entreprises : par conséquent, les travailleurs des autres secteurs et les travailleurs non manuels sont aussi entrés dans le prolétariat. Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, la classe ouvrière et le prolétariat ont été toutefois grosso modo encore la même chose. “ Par prolétariat s’entend la classe des ouvriers salariés modernes qui, ne possédant aucun moyen de production, sont contraints de vendre leur force de travail pour vivre ” (Engels). Dans la phase impérialiste de la société bourgeoise, la prolétarisation de la société s’est étendue, d’autres travailleurs ont été réduits à l’état de prolétaires (c’est-à-dire des travailleurs qui pour vivre doivent vendre leur force de travail) même s’ils ne travaillent pas aux ordres du capitaliste pour valoriser son capital. De cette façon sont apparues de nouvelles classes prolétaires, différentes de la classe ouvrière.
Ces autres classes prolétaires sont : — les salariés (on en exclut les dirigeants) de l'administration publique centrale et locale et des organismes qui dépendent de l’État ;
— les travailleurs employés dans des entreprises non capitalistes (entreprises familiales, d'artisanat et d'autres que les propriétaires créent et gèrent non pour valoriser un capital, mais pour en obtenir un revenu) ;
— les travailleurs qui sont attachés aux services personnels (serveurs, chauffeurs, jardiniers, etc.).
Cette liste peut bien sûr être discutée : certains voudront en retirer des catégories de travailleurs, d’autres en ajouter. Mais, pour certains, la conception du prolétariat du nPCI est révisionniste : le nPCI construirait un prolétariat "de bric et de broc" et nierait la "centralité ouvrière" (ils disent pourtant bien que c'est la classe ouvrière qui dirigera la révolution socialiste. Le parti communiste est son parti). Alors, qu’en penser ?
Ce qui est sûr, c’est qu’autour de cette classe ouvrière, voire tout près d’elle (dans les mêmes quartiers, voire sous le même toit familial !) gravitent des millions de travailleurs salariés (non propriétaires des moyens de production), qui participent au processus de production, "intellectuels" (secrétaires, employé-e-s de bureau) ou manuels (préparateur-rice-s de commande, manutentionnaires, livreur-euse-s), et d’autres encore, qui participent à la distribution de la marchandise (serveur-euse-s, vendeur-euse-s, caissier-e-s) ou à son après-vente (réparateur-rice-s). Ou encore, qui participent au bien-être (et donc à la productivité) des producteurs (nettoyage). Etc. etc.
Sont-ils/elles des prolétaires ? Peut-être pas (certainement pas pour nos singes savants ouvriéristes)… Mais en admettant qu’ils et elles ne le soient pas, ce sont très clairement des travailleurs exploités. Le gain que leur travail rapporte au capitaliste, bien que moins facilement quantifiable que celui de l’ouvrier (qui est la différence entre la valeur du bien avant le travail et sa valeur après), ne leur est certainement pas intégralement, ni même en majorité, reversé sous forme de salaire…
On pourrait même dire que, s'ils/elles ne participent pas directement à la création de la valeur en transformant la matière, ils y contribuent, ils y collaborent activement : en permettant d’augmenter la productivité, en assurant la prise de commande (condition de la production) et la distribution de la marchandise (sans laquelle que vaudrait celle-ci ?) ou son maintien en état d'usage par la réparation ("capital confiance" du capitaliste) etc. etc. ; en d'autres termes en permettant la réalisation de la valeur ajoutée crée par le travail ouvrier, la transformation du capital-marchandise en véritable plus-value.
Donc, dire qu’ils sont des alliés naturels de la classe ouvrière est faible : ce sont des alliés automatiques, ni beaucoup plus, ni guère moins révolutionnaire que celle-ci dans les mêmes conditions objectives. On pourrait quasiment parler de prolétariat par assimilation.
Si l'on ne considère pas cela, il est impossible d’avoir une ligne de masse conséquente dans les pays impérialistes !
Dire cela n'a rien à voir avec la recherche de "nouveaux sujets révolutionnaires" (le hors-la-loi, l'immigré, "l'exclu"...) qui a foisonné dans les milieux intellectuels depuis les années 1970...
2. Le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière : une conception du monde
Ce que l’on entend systématiquement chez les ouvriéristes, aussi bien petits-bourgeois (L"o", P"o"I) que réellement ouvriers (ou aristocrates ouvriers), c’est que "la priorité est à la construction du Parti ouvrier", qui déterminera ensuite ses alliances de classe. Quand on voit celles que font les petits-bourgeois et les aristocrates ouvriers du P"o"I ou de L"o", on en tremble d’avance, et l'on se prend à espérer que les ouvriéristes réellement ouvriers soient mieux avisés…
En tout cas, ceci est absolument faux. Le "Parti ouvrier" existe déjà virtuellement (les ouvriers conscients que le capitalisme ne peut plus durer), et il devrait exister réellement depuis des années voire des décennies. Son noyau d’avant-garde existe, et sa base de recrutement existe aussi : on trouve des éléments, voire des groupes entiers d’ouvriers rouges dans toutes les UL de la CGT, dans toutes les sections de L"o" ou du P"c"F, et dans toutes les organisations issues du P"c"F lors de sa liquidation social-démocrate des années 1990. Dans ce cas, pourquoi ne pas leur passer simplement un coup de fil : « Bonjour, c’est l’avant-garde du prolétariat à l’appareil »… Je vous laisse imaginer le sketch qui s’ensuit. C’est ridicule, évidemment.
Pourquoi ? Parce qu’en dehors de l’avant-garde communiste révolutionnaire, les ouvriers les plus rouges aujourd’hui, les plus combattifs et déterminés, envisagent de faire plier le Pouvoir, mais pas de le prendre, ne sachant tout simplement pas quoi en faire.
Et pourquoi cela ? Parce qu’ils sont prisonniers de l’économisme, dont l’ouvriérisme n’est que la variante gauchiste, sectaire. L’économisme, c'est-à-dire quand la lutte de classe s’arrête à la porte de l’usine…
L’étape actuelle n’est pas là. La tâche actuelle des communistes, c’est que la lutte de classe jaillisse des usines comme un torrent, vers toutes les citadelles de l’exploitation (des McDo’s aux call centers en passant par les sociétés de nettoyage) et de l’oppression (quartiers-ghettos, Pôles Emploi, sociétés négrières d'intérim, prisons), et vers l’ensemble des masses populaires.
La conscience révolutionnaire de la classe ouvrière ne doit plus rester concentrée sur la relation de travail (et d’exploitation) patron/ouvrier, elle doit embrasser tous les sujets d’Hexagone, d’Europe et du monde (internationalisme), et avoir une position révolutionnaire sur chacun d’eux.
L’étape actuelle, c’est de briser le carcan de l’économisme, du mouvement purement ouvrier (Lénine, Que faire ?).
Cela passe par deux choses :
- les intellectuels organiques (Antonio Gramsci) : ce sont des intellectuels issus du prolétariat ; ou parfois, comme Lénine ou Mao, de la petite-bourgeoisie, mais sur les positions et au service du prolétariat – mais de préférence, ceux-là ne doivent intervenir qu’au début, lorsque les forces subjectives de la révolution sont encore faibles. Sans même parler de Lénine ou Mao, il y a des centaines de travailleurs intellectuels, liés au prolétariat par des liens familiaux, conjugaux, professionnels ou affinitaires, qui peuvent jouer ce rôle. Leur tâche est de dépasser (justement) l’économisme, d’élaborer une conception prolétarienne du monde et de briser l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie sur le prolétariat et les masses populaires (Gramsci encore).
- la ligne de masse, qui passe par des organisations de masse. Ainsi, la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste est la première organisation communiste révolutionnaire de masse, en direction de la jeunesse populaire, à voir le jour depuis près de 40 ans. Simultanément, le PCmF prône la création du Front révolutionnaire anticapitaliste/antifasciste et populaire (FRAP), avec pour organe de communication la Cause du Peuple. Sur la région de Toulouse, le collectif Coup pour Coup 31 multiplie les initiatives anti-impérialistes et anticapitalistes, de même que le Comité Anti-Impérialiste, plutôt sur la région parisienne. Le Comité de Soutien à la Révolution en Inde assure la solidarité internationaliste, en Hexagone, avec la plus grande Guerre populaire sur la planète actuellement.
Ce sont là des initiatives, idéologiquement et géographiquement diverses, mais qui ne peuvent aller que dans le bon sens, quels que soient les incidents de parcours qui pourraient survenir.
Le Parti ouvrier n’est pas un "syndicat politisé". On sait de toute façon parfaitement que "l’apolitisme" des syndicats en France est une mascarade, et qu’ils sont tous liés à un mouvement réformiste. On sait, aussi, que le problème du PCF pendant des décennies (des années 1950 à 1990), c’est (justement) qu’il n’a finalement été que la machine électorale de la CGT…
Non, le Parti de la classe ouvrière, communiste révolutionnaire, est un instrument de conquête et – demain – d’exercice du Pouvoir. Il doit reposer sur une conception communiste du monde.
Pour reprendre toujours le même exemple, Lutte Ouvrière compte des militants ouvriers héroïques, comme Xavier Mathieu. Mais voilà, le problème, c’est que LO ne sait parler que de cela : des conflits du travail, des mouvements sociaux contre les "réformes" réactionnaires de l’État bourgeois. Et lorsqu’ils prennent position sur d’autres questions, leurs positions sont fausses, comme celle de considérer que les luttes de libération sont "bourgeoises". Lutte Ouvrière est donc incapable de prendre et d’assumer le Pouvoir : ils repoussent éternellement l’échéance, en disant que "les conditions ne sont pas mûres" (elles ne le seront jamais, car les conditions de la révolution se créent par le travail révolutionnaire et, de toute façon, les conditions d’une révolution purement ouvrière ne seront jamais réunies).
3. La classe ouvrière et les autres classes dans la révolution
Une autre conception erronée, que l’on entend souvent chez les ouvriéristes, c’est que les autres classes exploitées ou écrasées par le capitalisme monopoliste sont les bienvenues dans le processus révolutionnaire… à condition de se plier aux intérêts et aux conditions de la classe ouvrière. C’est complètement faux. C’est perdre totalement de vue la mission émancipatrice de la classe ouvrière pour l’humanité entière.
La classe ouvrière ne "plie" pas les autres classes populaires à ses intérêts : ceci est une conception trotskyste, que Trotsky a partiellement mise en œuvre (vis-à-vis de la paysannerie) durant le communisme de guerre. Au contraire, elle réalise leurs aspirations (idéalistes) à la "justice", à la "dignité" et au "bien être", car c’est là un programme démocratique minimal, parfaitement englobé dans le programme maximal de la classe ouvrière qui est le socialisme et son aboutissement, le communisme.
Si l'on prend l’exemple de l’agriculture, les petits paysans ont intérêt à la collectivisation, à la mise en commun des moyens de production, à l’agriculture socialiste.
Cet intérêt est très clairement ressenti dans les pays où la grande propriété (semi-féodale ou agro-capitaliste) s’oppose à la micropropriété ou à une paysannerie sans terre. En France, il y a beaucoup de grandes propriétés agro-capitalistes (que la révolution expropriera et donnera aux masses laborieuses pour leur alimentation) d’un côté, et de l’autre, des paysans poussés par la faillite vers le prolétariat. Mais il y a entre les deux des petits paysans, pour qui la collectivisation sera la solution.
La révolution prolétarienne apporte aux paysans une solution qui est dans LEUR intérêt (ET dans celui des masses populaires), elle ne les "plie" pas aux intérêts de la classe ouvrière !
Post-scriptum : cet article a (sans surprise) soulevé quelques réactions (sans importance) sur un obscur forum où errent quelques vieux débris (sans importance...) de l'ouvriérisme et autres dogmatismes "ML". Qui n'ont d'ailleurs que cela à faire, ce qui en dit long sur leur militantisme révolutionnaire ...
Notons simplement, au vu de leurs réactions, qu'ils ont été ni plus ni moins qu'incapables de lire ce texte, ou en tout cas de le comprendre. Leur "grandiose" contribution au mouvement communiste en France, depuis plus de 30 ans, n'en est que plus compréhensible ...