La semaine dernière, du 28 au 30 avril, le président de la république bourgeoise Nicolas Sarkozy s'est rendu en Chine pour une visite "exceptionnelle" d'une durée (exceptionnelle aussi) de 3 jours.
Il y a rencontré les principaux dirigeants du pays. Cette visite nous a été présentée, dans un déferlement médiatique, de "sommet de la réconciliation", "après les clashes du Tibet, des JO et du dossier iranien"...
L'occasion, aussi, de toute une propagande sur le "nouveau péril jaune", la Chine de la "croissance à 2 chiffres" (revenue à 12% en 2009), des "villes champignons" aux gratte-ciels étincellants, de la future Exposition Universelle de Shangaï "nouvel étalage de puissance" ; la Chine puissance économique, démographique et militaire, "ayant juré d'être la première puissance mondiale d'ici 30 ans".
Et c'est vrai : plusieurs représentants chinois ont annoncé cela officiellement.
Car cette visite de "réconcilation" apparaît bien, sinon comme une "visite de la dernière chance", du moins comme une tentative de temporiser, de freiner un mouvement inéluctable de l'histoire : la confrontation des ambitions chinoises avec des impérialismes occidentaux en déclin irréversible.
Comprendre ceci est indispensable pour la compréhension du monde de notre époque.
Peut-on dire, de la Chine, qu'elle est un pays impérialiste ? Difficile à dire. Pour répondre, il faudrait des chiffres : combien la Chine importe-t-elle de capitaux étrangers et (surtout) combien son économie en est dépendante, combien exporte-t-elle de capitaux chinois et combien les pays destinataires en sont dépendants... D'autant plus difficile qu'un grande partie des chiffres concernant l'économie chinoise sont classés "secret défense" : en Chine, les données économiques sont considérées comme du domaine stratégique ! D'autre part, 'compter' avec la Chine, d'un point de vue économique capitaliste, c'est forcément compter avec la très importante diaspora disséminée dans toute l'Asie-Pacifique (notamment Singapour) et le monde entier, dont les liens économiques avec la 'mère-patrie' sont variables mais presque toujours existants ; c'est poser la question de l'inclusion (ou non) de Hong Kong et Macao (rétrocédés à la 'République populaire' en 1997 et 1999) dans la balance des capitaux 'entrants' et 'sortants' (un des meilleurs 'indices' du caractère impérialiste d'un pays) ; ou encore, tenir compte (c'est difficile...) des très importants capitaux chinois 'masqués', à travers des 'paradis fiscaux' (comme les Îles Vierges britanniques, confettis de terre antillais peuplés de 20.000 personnes, que l'on voit apparaître comme '10e' investisseur mondial en 2011, avec 62 milliards de dollars...), qui ne comptent donc pas comme chinois lorsqu'ils sont investis ici et là dans le monde, et comptent comme 'étrangers' (de même que les capitaux de la diaspora) lorsqu'ils (re)viennent en Chine ; etc. etc.
Ce qui est certain, c'est que la Chine est un impérialisme en devenir, un projet impérialiste déclaré.
Elle en a les moyens économiques, en forces productives (population = main d'oeuvre, ressources naturelles, profondeur stratégique du territoire) et politiques : l'Etat chinois a toujours gardé la haute main sur les secteurs stratégiques, il n'a jamais bradé l'indépendance énergétique, l'approvisionnement en matières premières, en moyens de production de base etc. Elle en a les moyens militaires, puisque son arsenal nucléaire de dissuasion la met à l'abri d'une attaque directe de ses ennemis. Et elle en a l'ambition déclarée : être la première puissance (économique, technologique - donc militaire, diplomatique) mondiale à l'horizon 2030 ou 2040...
Certains affirment que la Chine n'est pas impérialiste, pour continuer à la considérer comme socialiste (étrange conception du socialisme !) ou "nationaliste", "anti-impérialiste"... C'est le point de vue de tous les révisionnistes et social-chauvins. Mais d'autres, encore, considèrent qu'elle n'est pas impérialiste pour la rattacher à un fantasmagorique "bloc France-Allemagne-Russie" : c'est une façon de refuser de comprendre le monde tel qu'il est, du moment qu'il ne correspond plus à leurs schémas pré-établis (il faudrait combattre le "bloc" en question et... soutenir objectivement l'impérialisme US, Israël etc. !).
C'est totalement absurde : tout prouve le contraire. La frénésie immobilière, l'envoi de spationautes dans l'espace, l'apparition d'une importante (350 millions !) couche moyenne ("petite prospérité"), la main basse des entreprises chinoises sur des pays d'Afrique entiers (et ce ne sont pas, contrairement aux "géants" indiens, de simples "sociétés écrans" compradores du Capital anglo-saxon)...
Le plan des contre-révolutionnaires de 1976-78 n'a jamais été de faire la Chine une néo-colonie occidentale, mais bien d'en faire une puissance mondiale. Après 20 ans de sous-traitance des industries d'Europe, d'Amérique du Nord et du Japon, "l'atelier du monde" dévoile petit à petit, depuis la toute fin du siècle dernier, ses intentions.
C'est fondamental : cela explique tous les revirements dans la politique internationale depuis environ 2005.
Sarkozy n'est pas le "chargé d'affaires US" décrit par les social-chauvins, il n'est pas non plus le représentant d'on-ne-sait quelle "bourgeoisie industrielle" qui se mettrait "sous la coupe des USA"... Sarkozy est bien le commandant en chef de l'impérialisme français. Comme nous l'avons expliqué, il représente d'abord un durcissement de la contre-révolution préventive (depuis 2002), et ensuite un changement d'orientation de l'impérialisme français : américanophile convaincu, il est l'homme du "rapprochement transatlantique".
Depuis 2005, une série d'évènements se sont succédés. L'assassinat d'Hariri au Liban, homme de la France et ami personnel de Chirac, qui serait l'oeuvre d'éléments "ultras" du régime syrien. A ce moment là, on s'est perdu en conjectures, pour expliquer ce qui avait bien pu pousser ces éléments syriens à une telle action. Puis, l'élection "surprise" d'Ahmadinejad, et le "renouveau nationaliste" iranien. Suivie de la victoire du Hamas en Palestine.
Egalement, l'émergence de rébellions armées au Tchad et en Centrafrique, soutenues par le Soudan (d'où le montage de "l'affaire du Darfour" contre ce pays, alors que les violences au Darfour datent de 2003-2004).
L'impérialisme français a fini par comprendre que derrière cette série d'évènements, se cachaient les capitaux chinois !
Après plus de 15 ans de rivalité brutale, et meurtrière (pour les peuples d'Afrique) avec l'impérialisme US, le rapprochement s'imposait.
Longtemps soutenu par la France, le régime de Kinshasa (Joseph Kabila) a en 2007... littéralement vendu la République Démocratique du Congo à la Chine. La France et les Etats-Unis (qui appuyaient des groupes armés meurtriers dans l'Est du pays) ont aussitôt mis fin à une guerre de presque 10 ans (et 5 millions de morts) et "réconcilié" leurs milices respectives. Des mauvais coups sont sans doute en préparation : c'est peut-être la raison de toutes les démarches sarko-kouchnériennes envers le Rwanda (ennemi de la France depuis le génocide de 1994, et base US dans la guerre du Congo).
Dernier évènement en date, le coup d'Etat au Niger (18 février) : quelques jours auparavant, il semble que le président renversé Tandja se rapprochait... de la Chine et de l'Iran, à qui il se proposait de vendre de l'uranium (dont le Niger est un des premiers producteurs au monde) ! Faut-il rappeler que le nucléaire (donc l'uranium) est la première source d'énergie pour la métropole BBR ?
Et la situation est la même dans toute l'Afrique !
En Asie, la Chine s'appuie sur le "réseau" des communautés chinoises dispersées sur tout le continent. Derrière l'affrontement actuel en Thaïlande, il n'est pas difficile de voir la main de Pékin derrière les "chemises rouges" de Shinawatra, homme d'affaire d'origine chinoise, réfugié après son renversement par l'armée (en 2006)... en Chine (Hong-Kong), puis au Nicaragua (pays de l'ALBA, pro-russe et pro-chinois) et enfin au Cambodge (historiquement proche de la Chine)... Tandis que les Occidentaux (Américains et Anglais ouvertement) soutiennent les "jaunes", partisans de l'armée et du roi. La Chine se mettrait-elle à son tour aux "révolutions colorées" ?
Même explication en Iran, dans l'affrontement entre "réformateurs verts" de Rafsandjani, intermédiaire iranien de l'impérialisme occidental et notamment... français (Cogema-Eurodif, Peugeot-Khodro, Renault-Saipa), et "conservateurs nationalistes" de Khamenei et Ahmadinejad, qui semblent bel et bien représenter le 'parti' de la Russie et de la Chine.
Lors d'une réunion à Paris avec des fascistes de la mouvance NR (pro-russes, pro-Iran etc.), l'ambassadeur d'Iran s'est livré à quelques confidences, sur un ton menaçant : "(...) la France a soutenu l’agression irakienne contre l’Iran, les yeux fermés. De ces événements, nous sommes évidemment prêts à tourner la page. Le nucléaire civil iranien, ce sont près de vingt centrales à construire, domaine dans lequel la France a largement démontré son savoir-faire… Dans le même temps, nos échanges commerciaux avec l’Europe ne cessent de diminuer, au même rythme que le déficit de votre balance commerciale, tandis qu’augmente le nombre de vos chômeurs… Les Chinois, de leur côté, continuent de gagner du terrain…".
La première visite d'Ahmadinejad, quelques jours après sa "réélection" contestée, a été pour la Russie, au "Sommet de l'Organisation de la Coopération de Shangaï", un groupe de pays d'Asie rassemblés autour de la Russie et de la Chine, auprès duquel l'Iran est "membre observateur". Et ainsi de suite...
Quelle est le visage de cet impérialime chinois naissant ? Dans les pays où il s'implante, notamment en Afrique, il fait la joie des élites dirigeantes, ravies des conditions avantageuses offertes par le partenaire asiatique. Par contre, il est haï des peuples travailleurs : des "coopérants" chinois ont été lynchés par la population en Zambie.
Sur le plan intérieur, la Chine est un pays parfois qualifié de social-fasciste, brutalement répressif et cherchant à unifier les classes dans un même projet "national" à travers des mythes, le premier étant bien sûr le caractère "socialiste" et "anti-impérialiste" de la République "populaire", mais aussi "l'harmonie", la "prospérité" et autres concepts ronflants assénés par la propagande officielle. Avec un succès tout relatif : le géant chinois a des pieds d'argile. Les "incidents de masses", autrement dit les émeutes populaires, sont plus de 80.000 par an, 200 à 300 par jour, et le premier risque (pour les affaires), exposé dans une brochure à destination des investisseurs français, est l'insurrection sociale !
Le Pouvoir contre-révolutionnaire et anti-populaire, malgré toute sa brutalité, peine à soumettre une population qui a connu 20 ans de guerre de libération et 25 ans de révolution, en marche vers le socialisme et le communisme !
Mais si la Chine, puissance "émergente" et en confiance, soutient des ennemis du peuple aussi réactionnaires que El-Béchir (Soudan), Ahmadinejad, Mugabe, Kim Jong-Il ou la junte birmane, elle ne mène pas (directement ou par pays "indépendants" interposés) des guerres génocidaires et des répressions meurtrières comme l'Europe, les Etats-Unis ou leurs alliés : Israël, Colombie, Pérou, Inde, Sri-Lanka, Turquie, Tchad, Centrafrique, Togo...
Petit à petit, les "puissances" occidentales avalées dans la crise s'enfoncent dans la guerre, le massacre et le génocide, sans même l'espoir que (comme en 1945) la victoire contre leurs ennemis relancera l'accumulation du Capital (la "relance" après la défaite de l'URSS, n'a pas duré 10 ans !). Tandis que la Chine, puissance "de demain", tournée vers l'avenir, se pose en recours bienveillant des bourgeoisies des 3 continents, Asie, Afrique et Amérique latine.
C'est pourquoi Sarkozy s'est rendu en Chine. Les questions du Tibet et des incidents qui avaient émaillés le passage de la flamme des JO à Paris, sont totalement secondaires. La Chine reste un partenaire commercial et un terrain d'investissements de première importance. C'est une puissance économique et militaire (nucléaire), membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU (donc avec droit de veto). A l'heure où le monde capitaliste s'enfonce dans la crise, Sarkozy cherche à "ramener la Chine dans le droit chemin", celui d'un partenariat loyal avec les Occidentaux, d'une "gouvernance mondiale" sur les questions économiques, environnementales et militaires.
Il faut bien comprendre que, si le capitalisme impérialiste porte en lui la guerre "comme la nuée porte l'orage" (Jaurès...), la bourgeoisie impérialiste tente toujours de reculer l'échéance, de maintenir la paix le plus longtemps possible. Même si, avec la bombe atomique, les grandes puissances ne peuvent plus se faire la guerre directement, la guerre nuit aux affaires, elle dévaste et paralyse l'économie des régions qu'elle touche, et ne favorise que les fabricants et marchands d'armes. Et surtout, la guerre risque toujours de déboucher sur un mouvement révolutionnaire... Il faut donc essayer de l'éviter.
Partout la poussée révolutionnaire des masses grandit. Les guerres populaires conduites par des maoïstes avancent avec succès en Inde, aux Philippines, au Népal, au Pérou, en Turquie. Ailleurs des guerres de libération nationale et anti-impérialiste mettent en péril, au delà d'un impérialisme en particulier, toute la domination impérialiste sur l'humanité : au Proche-Orient (Palestine, Liban, Kurdistan), en Asie (Cachemire, Pakistan, Afghanistan et Irak bien sûr, Indonésie et sud des Philippines, Eelam tamoul), en Afrique (delta du Niger, Somalie, Sahara), en Amérique (Colombie, Mexique)...
Les Puissances mondiales cherchent donc à se serrer les coudes, à s'associer pour la "stabilité" (de l'exploitation de l'humanité et de la planète), à se "dissuader" mutuellement de soutenir des guérillas et des mouvements nationaux les unes contre les autres...
Sarkozy s'est donc présenté en Chine comme 'super-ambassadeur' de l'Ouest. Mais les concessions de part et d'autre auront été minces : Sarkozy reconnaît l'intégrité territoriale de la Chine (Tibet, Taïwan), la Chine admet que l'Iran ne doit pas se doter de l'arme nucléaire... Reculer pour mieux sauter.
Quelle est notre position, en tant que communistes, au cas où les intérêts français, européens et occidentaux s'affronteraient avec les intérêts chinois, par une guerre asymétrique (intervention impérialiste comme en Irak et en Afghanistan, ce qui pourrait être le cas en Iran) ou indirectement par "sauvages" interposés (comme c'est souvent le cas en Afrique) ?
Elle n'est pas de soutenir la Chine, encore moins de lui apporter un soutien idéologique (c'est à dire de la considérer comme "socialiste" ou "anti-impérialiste"). Soutenir la Chine est l'attitude d'un certain nombre de groupes révisionnistes et social-chauvins. C'est d'autant plus grave que dans la bourgeoisie impérialiste française existe un fort courant hostile aux Etats-Unis et aux Anglo-Saxons, prêt à s'allier à la Chine, à la Russie, à l'Iran... Un courant qui finance des gens comme Soral, ou les "eurasistes" de Christian Bouchet. Donc nous ne souhaitons pas la victoire de la Chine et de ses agents locaux.
Mais nous ne devons pas céder au fantasme de la "menace chinoise" ! Nous devons bien garder à l'esprit que la Chine est un colosse aux pieds d'argile, dont la croissance à 2 chiffres exacerbe les contradictions, comme le montrent les 80.000 émeutes par an. La Chine appuie des personnages peu fréquentables, réprime son Peuple et ses minorités, mais elle ne se livre pas à travers le monde entier à des guerres génocidaires comme en Irak, en Afghanistan, en Inde ou à Gaza, ou secrètement en Colombie, au Pérou, au Tchad et en Centrafrique. Elle n'occupe pas militairement des dizaines de pays, de l'Afrique à Haïti et au Kosovo !
Nous ne devons pas tomber dans l'erreur des "marxistes-léninistes" de la fin des années 70, qui considéraient l'URSS comme l'ennemi principal et allaient jusqu'à soutenir leur propre impérialisme et l'impérialisme US...
Donc surtout, nous souhaitons (et militons pour) la défaite de notre propre impérialisme, et de ses alliés du moment (par exemple s'il intervient dans le cadre de l'OTAN : défaite de l'OTAN). C'est la tâche première de tout communiste.
Dans tous les pays, nous soutenons et appuyons particulièrement les forces révolutionnaires, progressistes et dès lors qu'elles existent, bien entendu les forces communistes.