(rédigé en novembre 2009)
Depuis mars 2007, les accords de paix de Ouagadougou (Burkina) ont ramené le calme en Côte d'ivoire, sous un gouvernement d'union nationale.
La "crise" (pour ne pas parler de guerre civile) a commencé le 19 septembre 2002, par une rébellion militaire dans le Nord du pays (venue du Burkina voisin) ainsi qu'à Abidjan, la capitale économique (où elle échouera), contre le président "mal élu" Laurent Gbagbo.
Il est curieusement impossible, sur Internet, de trouver un bilan réel des affrontements et des exactions commises de part et d'autre. Mais le bilan se chiffre probablement en dizaines de milliers de morts.
Nous sommes parfois accusés, pas spécifiquement SLP, mais les "anti-impérialistes" en général, de ne voir que l'impérialisme américain, et de servir au fond les autres impérialismes et en particulier l'impérialisme français.
Il est donc important de souligner que, bien avant l'existence de ce blog, nous avons été parmi les rares à l'époque (2002-2005) à ne pas céder à la sympathie (naturelle, il est vrai) pour les "rebelles", "musulmans" de surcroît (les choses ne sont en réalité pas si simple, nous y reviendrons), et à dénoncer là une nouvelle guerre françafricaine.
Rappelons brièvement les faits : Laurent Gbagbo a été élu président de Côte d'Ivoire en octobre 2000, dans des circonstances troublées.
En réalité, c'est toute la situation du pays qui était troublée depuis le coup d'État de Noël 1999, et même depuis la fin des années 1980, quand la chute des cours du cacao a plongé la "perle de l'Afrique" dans la crise économique, suivie d'une "libéralisation" du régime au début des années 1990, sur ordre de Mitterrand.
Le 25 décembre 1999, donc, un putsch militaire mené par le général Gueï renverse le président, corrompu et haï, Henri Konan Bédié, successeur du "père de l'indépendance" (laquais néo-colonial en chef) Houphouët Boigny.
Rarement depuis l'"indépendance", en 1960, on aura vu de fin d'année plus festive, et un vrai "vent de changement" souffle alors sur le pays.
Une fois n'est pas coutume, la promesse de tenir rapidement des élections est tenue. Mais bien sûr, le général Gueï va s'y présenter, et en refuser le résultat. Trois hommes sont principalement en lice : le général, et deux opposants de longue date au pouvoir précédent, Laurent Gbagbo ("socialiste") et Alassane Ouattara (libéral). Mais ce dernier va être exclu de la compétition électorale, au nom du concept de l'"ivoirité", développé sous Konan Bédié pour - déjà - lui barrer la route.
Le pays compte en effet 25% d'étrangers des pays voisins, qui se sont mêlés à la population et en particulier aux populations du Nord, elles-mêmes musulmanes. Il s'est donc développé, dans les années 90, un concept xénophobe exigeant que l'on puisse prouver son ascendance ivoirienne ("pays" qui n'existe, en tant que tel, que depuis 1960 !) pour pouvoir jouir de la citoyenneté... et notamment se présenter aux élections. Ouattara est dans ce cas. Ces conditions de nationalité sont reprises dans la nouvelle constitution adoptée en juillet 2000.
En réalité, le coup d'État de Noël 1999, totalement avalisé par Paris (d'un commun accord Elysée (droite) / Matignon (PS)), contre un Bédié devenu un boulet, était un coup d'État Gueï-OUATTARA... Ce dernier rentre en Côte d'Ivoire (il vivait à Paris), parle de "révolution des œillets" et son parti, le RDR (appellation quasi calquée sur le RPR français...) occupe la majorité des fauteuils du "gouvernement provisoire" de Gueï, au point que le FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo refuse initialement d'y participer. Mais, au fil des mois, les ambitions personnelles de Gueï le poussent à réactiver l'"ivoirité" et à marginaliser Ouattara et le RDR. Il a peut-être été poussé, dans ce sens, par des réseaux françafricains gaullistes particulièrement "franco-français", Ouattara passant pour l'homme du "mondialisme", du FMI, des Anglo-saxons etc. Gueï fut notamment, en 1989, le coordonnateur de l'invasion, depuis la Côte d'Ivoire, du Libéria par les troupes sanguinaires de Charles Taylor ; invasion 100% françafricaine contre un régime (Samuel Doe) originellement lié aux USA.
Bien sûr, Konan Bédié est également exclu des élections : on ne l'a pas retiré du pouvoir à Noël pour l'y remettre en octobre...
Mais voilà : les masses ivoiriennes se divisent, globalement, en 2 grands blocs ; un Nord paysan arriéré (avec ses migrants au Sud) plutôt pro-Ouattara et un Sud ouvrier (urbains et agricoles) plutôt pro-Gbagbo, l'opposant "mythique" au régime de Houphouët.
Ouattara exclu, tout comme l'ex-président Konan Bédié, ne restent que Gueï et Gbagbo. Il fallait alors s'attendre à une abstention massive, dans le Nord "dioula" favorable à Ouattara comme dans le Centre baoulé pro-Bédié ; ouvrant la voie à Gbagbo, fort de ses bases populaires dans la région d'Abidjan, le Sud-Ouest krou (il est lui-même Bété, une ethnie krou) et le Sud-Est akan de son épouse Simone, ainsi que de puissants relais dans la "gauche" bourgeoise alors à Matignon. Gueï, lui, n'ayant de réel appui que dans sa région de l'Ouest.
C'est effectivement ce qui va se passer : Gbagbo va remporter l'élection avec 59% des voix, contre 32% à Gueï, mais seulement 37% de participation... Le "coup d'État" de Gbagbo, il est là : c'est tout simplement une conséquence du coup de force de Gueï, qui s'est tiré une balle dans le pied.
Gueï refuse alors de reconnaître les résultats et se proclame vainqueur. Mais un vaste mouvement populaire, des partisans de Gbagbo comme de Ouattara, le fait reculer et il doit se retirer.
Ce mouvement de masse dégénère, ensuite, en affrontements entre partisans de Gbagbo et de Ouattara. Le 26 octobre, 56 corps (probablement des partisans de Ouattara) sont retrouvés dans un terrain vague. Ont-ils été tués par des partisans de Gbagbo, ou de Gueï ? On ne le saura probablement jamais.
Gbagbo a-t-il repris à son compte le sinistre concept d'ivoirité, qu'il a pourtant combattu comme opposant à Konan Bédié ? Ce qui est sûr, c'est que ce concept l'a grandement servi.
Gbagbo est le leader du Front Populaire Ivoirien, "social-démocrate" (cette notion ne peut avoir aucun sens dans une néo-colonie). Il est, donc, naturellement lié aux réseaux françafricains du PS (en France, les réseaux françafricains sont étroitement liés aux partis, ou aux "clans" politiques). À l'inverse de Ouattara, qui fut Premier Ministre de Houphouët, zélé applicateur des mesures du FMI et dont le parti, le RDR, est réputé proche de la droite française et de Jacques Chirac.
En 2001, Gbagbo rend visite à ses amis du gouvernement PS à Paris : tout le monde pense alors que Lionel Jospin sera le prochain président de la République bleu-blanc-rouge... Dans la foulée, il organise avec les principales forces politiques ivoiriennes (FPI, RDR de Ouattara, PDCI de Bédié, UDCI de Gueï) un "Forum de réconciliation nationale" où toutes les parties font leur mea culpa pour leurs coups tordus, et promettent qu'on ne les y reprendra plus. Une des principales décisions du forum est de rendre son éligibilité à Alassane Ouattara, considérant que "la fracture politique et sociale dont souffre aujourd’hui la Côte d’Ivoire trouve fondamentalement sa cause dans les controverses sur la nationalité d’Alassane Ouattara [et] que la persistance de cette fracture est de nature à compromettre l’unité nationale, le développement économique et social, et l’avenir de la nation".
Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes...
Mais, un certain 21 avril 2002, les "réseaux" de Gbagbo à Paris vont subitement s'envoler... Le PS perd le pouvoir. Et Chirac est proche du désormais opposant juré, Ouattara !
C'est là que tout va se jouer. Il n'y a pas d'éléments précis, mais il semble que Gbagbo, confronté à un adversaire politique à Paris et souhaitant réaliser des réformes (couverture maladie etc.), va se tourner vers les rivaux impérialistes de la France : les USA, à qui la France dispute pied à pied le continent depuis le début des années 90, et la Chine, qui commence à prendre pied en Afrique.
Il rompt, pour les marchés publics, avec la tradition de "gré à gré", en faveur des grandes entreprises françaises, et commence à lancer des appels d'offres internationaux. Une affaire de retrait, au géant français Bolloré, de la concession du port d'Abidjan aurait été le déclencheur. On parle aussi d'une mise en concurrence de Bouygues avec des compagnies américaines et chinoises pour divers grands travaux, comme le 3e pont d'Abidjan ou l'aéroport. Les monopoles français perdent pied dans leur tête de pont africaine...
C'est alors qu'éclate une rébellion militaire, le 19 septembre 2002, écrasée à Abidjan mais contrôlant rapidement la moitié Nord du pays, tandis que des groupes plus ou moins mercenaires venus du Libéria s'emparent de l'Ouest. Gueï, dont on ignore le rôle exact dans cette affaire (mais ce pourrait être un rôle... assez central, du côté de la tentative de coup de force bien sûr), est retrouvé mort à Abidjan ; tandis que les "rebelles" du Nord proclament leur attachement à Alassane Ouattara. Rapidement, 60% du pays est sous contrôle de la "rébellion".
Immédiatement, la machine de propagande se met en place : les rebelles ne sont pas de doux agneaux, certes, mais Gbagbo l'aurait bien cherché, il s'est emparé du concept néfaste d'ivoirité, ses partisans sont des génocidaires rwandais en puissance, la rébellion représente et défend les populations musulmanes du Nord menacées d'un massacre...
Seulement voilà... Wikipédia est normalement une arme de désinformation massive, un espace où chacun peut "librement" recracher toute la propagande médiatique dûment ingurgitée. Cependant, l'article consacré à la "crise politico-militaire" est (volontairement ou involontairement ?) édifiant sur certains passages :
"Durant les jours qui suivent et jusqu'au mois de novembre, de nombreux syndicalistes, étudiants, opposants politiques du RDR ou des partis proches du RDR, soupçonnés d'être à l'origine de la rébellion, ou militants d'organisations communistes sont exécutés par les forces de l'ordre ou par des miliciens. Trois cent personnes au total ont ainsi été assassinées à l'automne 2002 (par l'armée et les partisans de Gbagbo NDLR). Des centaines d'étrangers ou de personnes suspectes sont également massacrées par les FANCI ou les mercenaires libériens. Des massacres similaires ont lieu dans la zone rebelle, entraînant la fuite vers le Sud d'un million d'Ivoiriens alors appelés déplacés."
Donc, les "gentils" rebelles, censés défendre les populations musulmanes ultra-majoritaires dans la moitié nord qu'ils contrôlent, on provoqué l'exode de plus d'un million de ces personnes ! Rappelons que la Côte d'Ivoire comptait alors 17 ou 18 millions d'habitants, donc maximum 8 ou 9 millions en territoire rebelle....
Mieux : "Selon le rapport Leliel :
- le pouvoir ivoirien et la rébellion se sont rendus coupables des pires atteintes aux droits de l’homme » ;
- le gouvernement de Laurent Gbagbo s’illustre par des assassinats ciblés de personnes enlevées le plus souvent à leurs domiciles à Abidjan, par les "escadrons de la mort" et des milices "à sa solde" ;
- la rébellion en revanche s’illustre par des tueries en masse ."
Ou encore : "L'Ouest de la Côte d'Ivoire est envahi début décembre 2002 à partir du Libéria par deux nouveaux mouvements rebelles qui exterminent plusieurs milliers d'Ivoiriens. Ces nouveaux rebelles sont constitués principalement de troupes libériennes commandées par le rebelle sierraléonais Sam Bockarie (il est notoire que les rebelles sierra-léonais étaient soutenus par la France via la Libye NDLR) mais également par des éléments de la rébellion du MPCI (Kass, Adam's) et des militaires partisans de Gueï."
Il semble donc que les "rwandais" soient plutôt à chercher du côté des "gentils" rebelles, sans chercher aucunement à défendre le concept ignoble d'ivoirité, les "escadrons de la mort" xénophobes ni même le bourgeois compradore "de gauche" Laurent Gbagbo....
La France est liée à la Côte d'Ivoire par un accord de défense. Pourtant, alors que ce genre d'accord joue à plein, aujourd'hui même, au Tchad ou dans d'autres pays, elle va cette fois-ci invoquer une "affaire intérieure", se contenter d'abord de sécuriser ses (très nombreux) ressortissants, puis seulement au bout de plusieurs semaines stopper l'avance rebelle qui contrôle déjà près de 60% du pays, et établir une ligne de cessez-le-feu.
Les rebelles, qui n'ont jamais été plus de 10.000, auraient pu être balayés en quelques heures par un simple bataillon d'infanterie de marine et quelques Mirages ! Comme cela a été le cas, il y a peu, au Tchad ou en Centrafrique.
De même, les troupes françaises stationnées à Abidjan n'ont pas bougé lors du soulèvement militaire dans la ville.
C'est absolument transparent : la France de Chirac n'a jamais eu l'intention d'arrêter la rébellion... puisqu'elle l'a elle-même fomentée !!!
La rébellion a été organisée, principalement, par des militaires partisans de Ouattara, exilés au Burkina Faso après des putschs manqués contre le général Gueï, rejoints après octobre 2000 par des partisans... de Gueï, et des dissidents du FPI de Gbagbo.
Et elle s'est organisée au Burkina sous l'égide de l'inénarrable Compaoré, président du pays et assassin (commandité par la France du PM Chirac, dont il est un grand ami) de Thomas Sankara en 1987 !!!
Dès les premiers affrontements, Ouattara, quant à lui, se disant "menacé" (Gueï a été tué, rappelons-le), a trouvé refuge... à l'ambassade de France, d'où il gagne Paris.
Quand aux mouvements armés qui surgissent dans l'Ouest (les plus meurtriers de tous), ils sont composés comme on l'a dit de mercenaires libériens et sierra-léonais appartenant aux "réseaux Charles Taylor", le despote libérien lié (via la Libye) à la Françafrique pour s'emparer de ces pays anglophones d'Afrique de l'Ouest. Taylor est, en outre, réputé comme un proche ami de Robert Gueï, qui aurait "supervisé" son invasion du Libéria, en 1989, depuis le territoire ivoirien.
[On parle parfois de "consortium de Ouaga" pour la triade criminelle Compaoré-Kadhafi-Taylor, liée aux réseaux françafricains gaullistes (Foccart-Chirac), scellée dans le sang du capitaine Sankara en 1987 et responsable des guerres meurtrières du Libéria et de Sierra Leone - 200.000 morts].
Voyons cette photo de l'article Wikipédia :
Le général Bakayoko, Chef d'État-Major des Force nouvelles de Côte d'Ivoire (rebelles), passe en revue ses troupes à Odienné. On constate l'organisation, et l'équipement flambant neuf des "forces nouvelles" rebelles, qui tranche avec les habituels soudards dépenaillés des guerres africaines (comme au Libéria ou en Sierra Leone). Il y a forcément des gros sous derrière, et ce n'est pas le petit et misérable Burkina qui pourrait assurer une telle chose.
Et comment pourrait-on croire une seconde que Blaise Compaoré, le "sous-préfet" néo-colonial de Ouagadougou, aurait pu organiser une rébellion dans un pays voisin sans l'aval de Paris ?
Quant à la question "ethnique", elle ne tient pas non plus franchement la route : le chef des forces rebelles, Guillaume Soro, est chrétien ; le Premier Ministre de Gbagbo, Mamadou Koulibaly, est musulman.
Après avoir stoppé, pour la pure forme, l'avancée des rebelles sur Abidjan, l'objectif de la France va être d'amener les "parties" autour d'une table et de forcer Gbagbo à partager le pouvoir avec ses adversaires : autrement dit, d'abdiquer ses pouvoirs (et tout ses projets déplaisants pour Paris), pour devenir une "reine d'Angleterre".
Nous l'avons dit, ce scénario rappelle furieusement celui du putsch au Honduras, dans un autre "pré carré" - américain celui-là.
Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.
Gbagbo sait qu'il jouit d'une solide base populaire, hostile aux rebelles et à Ouattara (qui appliqua de très dures mesures d'austérité, comme Premier Ministre, pendant la crise du cacao), et surtout du soutien de la communauté internationale qui le considère comme le dirigeant légitime, en particulier les États-Unis. Les relations de Washington avec Paris sont exécrables suite à l'affaire irakienne : la ligne US est de "pardonner la Russie, ignorer l'Allemagne et punir la France".
Il dénonce aussitôt les "accords" qui lui ont été imposés à Marcoussis, le 26 janvier 2003. Des manifestations anti-françaises éclatent à Abidjan en février, et en quelques mois le gouvernement de "réconciliation nationale" se délite, quitté par le PDCI de Konan Bédié, puis par les rebelles de Guillaume Soro, tandis que manifestations et affrontements secouent la capitale.
Dans la limite de ce qui peut être permis à un chef d'État néo-colonial, Gbagbo fait de la résistance, contre ce qu'il estime (à juste titre) être une amputation de sa victoire électorale, acquise après 20 ans d'opposition, de séjours dans les prisons d'Houphouët etc.
La France cherche à internationaliser l'affaire, l'ONU et la CEDEAO (Communauté des États d'Afrique de l'Ouest) sont chargés du dossier mais les négociations à Accra (Ghana) traînent en longueur.
Fin 2004, la tension remonte et le gouvernement Gbagbo lance une offensive "finale" contre la rébellion... et les forces françaises (force Licorne).
Le bombardement, le 6 novembre, par la (petite) aviation ivoirienne, du QG français à Bouaké (zone tampon entre les rebelles et la zone gouvernementale), avec 9 militaires tués, est le plus grave revers militaire subi par l'armée impérialiste bleu-blanc-rouge depuis l'attentat du Drakkar à Beyrouth (en 1983, 58 morts) et avant l'embuscade d'Uzbin en Afghanistan en 2008.
Bien sûr, la riposte va être sévère : le jour même, l'aviation française réduit à néant l'aviation ivoirienne. Des affrontements opposent, à l'aéroport d'Abidjan, les troupes françaises et les soldats ivoiriens.
Surtout, une foule de nationalistes, emmenés par les Jeunes Patriotes partisans de Gbagbo, assaillent le "Bima", le QG de l'infanterie de marine à Abidjan, ainsi que l'hôtel Ivoire où sont stationnées des troupes françaises arrivées d'urgence du centre du pays. L'armée française riposte à tirs tendus : on relève 67 morts et plus de 2000 blessés, au cours de ces journées noires du 6 au 9 novembre.
Les intérêts français (l'économie ivoirienne est littéralement tenue par des entrepreneurs expatriés français, ainsi que des Libanais et des Marocains) sont également pris d'assaut, des centaines de Français se réfugient sur les toits des immeubles et sont évacués par les hélicoptères de la force Licorne.
Les jours suivants, ce sont 8000 "expats" qui quittent définitivement la Côte d'Ivoire. Les mesures prises pour les rapatriés d'Algérie, en 1962, sont remises en vigueur.
Pour autant, la France ne peut pas se débarrasser militairement de Gbagbo, comme elle l'a fait de Bokassa (opération Barracuda en 1979). Il a beaucoup trop de soutiens populaires et internationaux, à commencer par les États-Unis. Non seulement les "patriotes" ivoiriens, mais les peuples et même (à mots couverts) certains dirigeants d'États du continent le voient comme un héros qui a défié la puissance impérialiste bleu-blanc-rouge.
Elle ne peut pas non plus le laisser tomber comme le tchadien Hissène Habré ou le centrafricain Patassé, se retirer en ouvrant la route de la capitale aux rebelles : la bataille d'Abidjan serait un terrible carnage, le "nouveau Rwanda" tant redouté. Et les médias mondiaux ont le regard braqué sur le petit pays.
Alors, elle va jouer le pourrissement. Le départ des entrepreneurs français et libanais a de graves conséquences économiques. Et à partir de 2005, s'amorce un rapprochement franco-américain, sur des dossiers comme l'Iran ou le Soudan, derrière lesquels se profile un nouveau bloc Russie-Chine, une "nouvelle guerre froide".
L'Union Africaine entre en lice avec le président sud-africain Mbeki, véritable Monsieur Bons Offices de tous les conflits du continent depuis 1999. Gbagbo autorise la modification constitutionnelle sur l'ivoirité (il faut désormais être ivoirien de père OU de mère, et plus des deux).
En 2005, un mouvement nationaliste (le MILOCI - Mouvement ivoirien de libération de l'Ouest de la Côte d'Ivoire - du "pasteur Gammi") surgit dans l'Ouest du pays, attaquant les Forces Nouvelles rebelles et promettant "un nouveau Dien Bien Phu aux Français". La France envoie des renforts et (bien sûr) le Dien Bien Phu promis fait long feu.
C'est dans ce contexte qu'a lieu l'affaire Mahé. Cet ivoirien, soi-disant "coupeur de route" (bandit de grand chemin) a été exécuté par les militaires français. En réalité, il aurait été éliminé en raison de son engagement nationaliste et contre la rébellion. Dans un souci d'apaisement, des militaires français, dont un général, seront inculpés pour homicide volontaire.
Les pourparlers reprennent en 2006, et aboutissent en mars 2007 aux accords de Ouagadougou, les émissaires ivoiriens ayant refusé les "représentants de la France" (comme si Compaoré n'en était pas un !).
Le chef rebelle Guillaume Soro est nommé à la tête d'un gouvernement "de transition", en attendant des élections (qui doivent toujours se tenir).
La force Licorne se retire progressivement.
La "fronde" de Gbagbo et des "Patriotes" a vite rencontré ses inévitables limites. L'exode des expatriés français a mis l'économie à genoux et l'a forcé à négocier, faute d'avoir un semblant d'embryon de projet révolutionnaire, national-démocratique, appuyé sur les masses.
Cet accord s'inscrit dans une politique globale, franco-américaine, de règlement des conflits africains dans lesquels les deux puissances impérialistes sont impliquées depuis le début des années 90.
Fin 2008, après le baroud d'honneur de Laurent Nkunda en République Démocratique du Congo (arrêté en janvier 2009), un accord congolais-rwandais (la France et les USA en arrière plan) met fin à 12 ans de guerre dans la région des Grands Lacs (5 millions de morts).
Telle est, selon nous, l'analyse correcte de la situation concrète, dans ces 4 ans et demi de conflit qui ont ravagé l'ancien "modèle de stabilité" de l'Afrique de l'Ouest.
D'analyse communiste "de l'intérieur", nous n'avons trouvé que celle du PCR de Côte d'Ivoire. Bien que n'étant pas nous-mêmes en Côte d'Ivoire, elle nous semble erronée.
Le problème n'est pas que les attaques se concentrent contre le FPI "social-chauvin" de Gbagbo et les "patriotes" xénophobes, pour lesquels nous n'avons évidemment aucune sympathie et que nous ne soutenons pas.
Il est évident que, basés pour l'essentiel autour d'Abidjan, les communistes ivoiriens ont été principalement victimes des exactions "patriotes", puisque les rebelles ne contrôlaient pas cette région.
Le problème vient de leur analyse de la situation, produit de leur idéologie. Le PCRCI est marxiste-léniniste "pro-albanais" : les ML qui ont rejeté les théories de Mao.
Pour eux, tous les pays du monde sont capitalistes et la contradiction principale y est, au fond, entre les masses et la bourgeoisie. Une phrase est révélatrice : "De ce fait, le pouvoir FPI, social chauvin ne lutte pas en réalité contre l'impérialisme. Il tente, grâce à cette mobilisation des masses, d'obtenir un soutien français plus ferme dans son combat contre les autres fractions bourgeoises"... ce qui est tout simplement ahurissant ! Comme si un chef d'État africain pouvait "faire pression", pour obtenir "plus de soutien", sur une puissance impérialiste mondiale en bombardant ses soldats !!!!
La question principale serait l'affrontement entre "fractions bourgeoises", dans lequel l'impérialisme n'aurait qu'une "influence", ne serait qu'une "tierce partie"...
Au contraire, ce que nous enseigne Mao Zedong, c'est que les pays des Trois Continents, d'Afrique par exemple, sont semi-coloniaux (et semi-féodaux). Les "indépendances" sont factices, les gouvernements sont des hommes de paille, des sous-préfets des Empires néo-coloniaux ! Il n'y aucune différence entre la Nouvelle-Calédonie (juridiquement française) et la Côte d'Ivoire (juridiquement indépendante).
Les "fractions bourgeoise" n'ont aucune autonomie vis à vis des impérialismes, bien loin de faire "pression" sur ceux-ci.
Et les "rébellions", sauf à assumer un programme révolutionnaire national-démocratique (il n'y en a actuellement pas, à notre connaissance, en Afrique), ne sont que des agents d'un impérialisme contre un autre ! Car aujourd'hui, les puissances mondiales, nucléaires, ne s'affrontent plus directement : les pays semi-coloniaux sont leurs nouveaux champs de bataille, les nouvelles tranchées de la guerre impérialiste.
En l'occurence, Gbagbo, privé de ses "amis" (marionettistes) socialistes à Paris, a "tourné casaque" et pris bouche avec les Américains. La rébellion n'était que la force mercenaire de la France pour reconquérir sa néo-colonie !
Gbagbo = USA (+ peut-être Chine), Forces Nouvelles = France. Ni plus ni moins.
De la même façon, les "pro-albanais" ont (moins que les anars ou les trotskystes, mais quand même...) un problème avec la question de la libération nationale. Ils ont un problème avec la contradiction principale et la contradiction secondaire. Pour eux, l'aspect capitaliste des néo-colonies est l'aspect principal, toujours, et ne s'affrontent que des fractions bourgeoises. L'impérialisme, le caractère dominé et dépendant de ces pays est au fond toujours secondaire...
Voilà pourquoi l'homologue du PCRCI au Burkina (le PCR Voltaïque) a eu beaucoup de mal à soutenir le "processus révolutionnaire" sankariste. Ils ont du mal à comprendre qu'à un moment donné, une contradiction (masses travailleuses/bourgeoisie) peut passer au second plan, derrière la contradiction nation dominée/impérialisme dominant.
En l'occurence, Gbagbo est clairement un ennemi du peuple, personne ne peut croire une seconde à sa "social-démocratie" africaine. Il s'agit tout simplement d'une modernisation de l'État instrument de l'impérialisme, au "mieux" en changeant d'impérialisme de tutelle. Ses soutiens "patriotes", qui rejettent un quart de la population comme "étrangère", ne portent clairement aucune perspective panafricaniste révolutionnaire.
Mais à un moment donné, la contradiction avec ces bourgeois-là, et leurs soutiens US, peut passer au second plan : quand l'impérialisme français, qui écrase l'Afrique de l'Ouest depuis plus de 100 ans, soutient manifestement une "rébellion" meurtrière au service de ses intérêts, qu'il attaque les forces armées ivoiriennes, se comporte en force d'occupation et massacre le peuple !
Le PCRCI finit par le dire, mais c'est laborieux ! En tout cas, pour nous communistes français, la défaite de notre impérialisme dans son "pré carré" est bien sûr la priorité. Mais il va de soi que sitôt cet objectif atteint, la contradiction avec les agents de l'impérialisme adverse redevient principale...
Quelles perspectives pour les masses exploitées d'Afrique ? Nous connaissons la faiblesse des forces révolutionnaires sur ce continent. Mais il n'en existe qu'une seule : la Guerre du Peuple, la guerre révolutionnaire sur un programme anti-impérialiste et démocratique-populaire !
Vidéo : les massacres de l'armée française devant l'hôtel Ivoire :
Images ici : attention certaines sont insoutenables !!!
Cet article étant très lu, voici un LIEN vers un dossier d'analyse, qui permet d'y voir relativement plus clair sur le rôle et les connexions des uns et des autres.
