La question de Staline, plus de 55 ans après sa mort, reste malgré tout d'actualité. Tout simplement parce que Staline est au coeur de la propagande capitaliste, pour la criminalisation du communisme, l'assimilation au fascisme et au nazisme etc.
Il est facile d'encenser (même si c'est de plus en plus rare) des figures comme Lénine ou le Che, disparues prématurément, qui n'ont pas eu réellement à se frotter à la construction du socialisme, c'est à dire d'une autre société. Staline a été le symbole (car il n'était pas l'unique dirigeant) de la construction du socialisme, donc d'une société non-capitaliste. Pour la bourgeoisie, il faut à tout prix diaboliser cette expérience, pour pouvoir dire aux travailleurs : "la démocratie (capitaliste) est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres" !
Bien entendu, Mao vient directement après lui dans cette entreprise de diabolisation.
Le maoïsme ne consiste pas (contrairement aux "pro-albanais") à chanter les louanges de Staline. Malgré les nécessités de la lutte contre la restauration capitaliste en URSS, laquelle s'appuyait sur une dénonciation impitoyable de Staline, Mao et le PC chinois ont tenté d'avoir une analyse critique du bilan de l'URSS, pour la période où Staline était à la tête du PC.
Voici deux analyses d'organisations maoïstes d'aujourd'hui. Le PCR du Canada résume et reprend dans les grandes lignes l'analyse de Mao et du PC chinois, nous ne pouvons donc qu'y souscrire totalement.
L'analyse de Voie Prolétarienne va plus loin que l'analyse chinoise. Pour eux, la restauration du capitalisme en URSS a commencé sous Staline, dans les années 1930.
Nous ne partageons pas cette analyse. L'on peut considérer que le socialisme soviétique, sous la direction de Staline, était très, très loin d'être parfait, et ne constitue certainement pas un modèle pour ce que nous voulons construire. Ne serait-ce que parce que nous ne sommes pas dans le même contexte, ni dans le même pays, ni à la même époque...
Mais de là à dire que l'entreprise de Staline était contre-révolutionnaire, que l'URSS était engagée dans une dynamique de restauration capitaliste, il y a un pas que nous ne franchirons pas, et qu'aucun argument factuel ne vient étayer, contrairement à ce qui s'est produit à partir du milieu des années 1950.
Cela rejoint, au fond, l'"analyse" (si l'on peut l'appeler ainsi...) de Trotsky, selon laquelle Staline était un "Napoléon" russe, un contre-révolutionnaire.
Peut-être, mais cela implique que Napoléon ait été un contre-révolutionnaire. Or, du point de vue de la révolution bourgeoise de 1789, ce n'était pas le cas !!! Napoléon était un révolutionnaire, qui brisait les entraves féodales pour libérer les forces productives du capitalisme (définition d'une révolution bourgeoise).
Mais un révolutionnaire qui a commis des erreurs et des fautes, qui n'a pas assez rompu avec l'ancien, avec les pratiques d'Ancien Régime, ce qui au final a conduit à la Restauration. Il n'empêche que personne en Europe, au 19e siècle, ne considérait que Napoléon avait été un contre-révolutionnaire...Le même raisonnement, d'un point de vue prolétarien, peut être appliqué à Staline. Le principal reproche adressé par les communistes chinois, d'ailleurs, est d'avoir proclamé au milieu des années 1930 que la lutte des classes était terminée en URSS, que la restauration du capitalisme y était impossible. Ce qui rejoint le fameux "La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie" de Napoléon...
Voici les deux documents :
Pour une appréciation juste de la question de Staline
Le chapitre du programme du PCR(co) qui présente notre ligne idéologique (i.e. le marxisme-léninisme-maoïsme) se propose de situer le développement de la science révolutionnaire du prolétariat à travers les différentes étapes que le mouvement communiste international a franchies tout au long de son histoire. Après avoir rappelé le rôle absolument crucial joué par Marx, Engels et Lénine, à la fois aux niveaux théorique et pratique, notre programme présente une évaluation assez sommaire de la place occupée par celui qui a pris la relève de Lénine à la tête du premier pays socialiste et dirigé le mouvement communiste international pendant près d'une trentaine d'années - à savoir, ce personnage tant décrié que fut Joseph Staline :
« Après la mort de Lénine, les bolcheviks et Staline ont poursuivi l'expérience socialiste en Union soviétique et ont tenté de faire avancer la révolution mondiale. Staline a lutté fermement contre l'ancienne bourgeoisie et contre certaines déviations opportunistes comme le trotskisme, et dirigé la mobilisation du prolétariat et des peuples contre la montée du fascisme dans les années 1930 et 1940, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale lors de laquelle le prolétariat soviétique a fait d'énormes sacrifices. Globalement toutefois, Staline a été incapable de comprendre les contradictions de la société socialiste; les conceptions erronées et les faiblesses d'alors du Parti bolchevik l'ont empêché de voir le développement d'une nouvelle bourgeoisie qui a éventuellement réussi à renverser les acquis de la révolution d'Octobre. À l'échelle internationale, Staline et le Parti bolchevik ont fait preuve d'une tendance à l'hégémonie qui a eu en plus pour effet d'étendre certaines de ces conceptions erronées à l'ensemble du mouvement communiste international.
« Avec le temps, ajoutons-nous, la direction du Parti communiste de l'URSS s'est engagée dans la voie du capitalisme d'État : une nouvelle bourgeoisie est apparue autour de l'appareil d'État, qui a soumis de nouveau le prolétariat à des rapports d'exploitation. » Au cours des prochains mois, les militantes et militants du PCR(co) comptent étudier et débattre de cette période importante à tous points de vue - celle de la construction du socialisme en URSS - afin d'en arriver à une compréhension plus achevée des grands enjeux liés à la transition du capitalisme vers une société sans classes. C'est dans ce cadre général que nous souhaitons mener plus spécifiquement la discussion sur la « question de Staline », si controversée.
Alors, Staline fut-il le plus grand génie, éducateur et chef de l'humanité, comme certains l'ont louangé à sa mort ? Ou plutôt un vulgaire assassin, bandit, despote et idiot, comme les mêmes gens l'ont affirmé trois ans plus tard, ouvrant la porte à ce qu'on a appelé la « déstalinisation » en URSS ?
Dans un important article publié en 1963 qui visait à répondre à la campagne de dénigrement alors menée par le Comité central du PC de l'Union soviétique (PCUS) à l'encontre de Staline, la direction du Parti communiste chinois (PCC) écrivait : « La question de Staline est une grande question, une question d'importance mondiale qui a eu des répercussions au sein de toutes les classes du monde et qui, jusqu'à présent encore, est largement controversée. Les classes et les partis politiques ou factions politiques qui représentent les différentes classes ont des opinions divergentes sur cette question. Et il est à prévoir qu'une conclusion définitive ne puisse lui être donnée en ce siècle. » [1]
Maintenant que ce siècle est terminé, quelle conclusion définitive lui donnerons-nous ? En d'autres termes, quels acquis et quelles leçons peut-on et doit-on tirer de l'expérience soviétique pour aller de l'avant dans la lutte pour le socialisme et le communisme ? Telles sont les grandes questions auxquelles le mouvement communiste de notre époque doit répondre.
Les principaux détracteurs de Staline - qu'ils soient impérialistes, trotskistes ou anarchistes - ne peuvent concevoir qu'on puisse reconnaître ne serait-ce que quelques qualités à ce « monstre fini ». Pour eux, le personnage même de Staline - son « caractère » - impose qu'on le rejette parmi les figures les plus honnies de l'histoire.
Cette critique unilatérale de Staline reflète la conception du monde bourgeoise selon laquelle ce sont les individus, et non la lutte des classes, qui font l'histoire et qui en constituent le moteur. Ainsi, pour les idéologues bourgeois, l'URSS fut d'abord et avant tout la création des grands personnages qui l'ont « imaginée », puis dirigée : au tout premier chef Lénine, et ensuite son successeur. À ce titre, Staline incarne pour eux non pas la « tyrannie » dans l'absolu, mais la tyrannie exercée contre leur propre classe. En effet, pendant des dizaines d'années, le dirigeant soviétique a personnifié le spectre de la fin des valeurs et des privilèges de la minorité bourgeoise et le « cauchemar » d'une société où il ne lui serait plus possible de se livrer aux pillages et à l'exploitation du plus grand nombre. Lorsqu'ils critiquent Staline, les bourgeois - qui n'ont habituellement aucune difficulté à fermer les yeux sur la terreur et le despotisme - dévoilent en fait leur haine du projet communiste lui-même et de ce qu'il représente.
Fondamentalement, c'est la même conception bourgeoise et idéaliste qu'on retrouve derrière les critiques trotskistes (qui imputent à l'individu Staline la responsabilité principale des échecs et des difficultés rencontrées en URSS) et anarchistes (pour qui l'existence même d'une direction politique - incarnée, ou pas, par un dirigeant en particulier - constitue une entrave à l'avènement d'une société sans classes).
Il ne s'agit aucunement ici de nier le rôle, positif ou négatif, qu'a pu jouer tel ou tel individu à tel ou tel moment de l'histoire. Seulement, pour l'apprécier correctement, il faut pouvoir le situer dans le cadre de la lutte des classes réelle et des conditions objectives et subjectives qui prévalaient à une époque et un endroit donnés. C'est ainsi, et seulement ainsi, que la critique de Staline nous permettra d'en arriver à une compréhension juste et plus avancée des exigences de la lutte pour le socialisme et le communisme. Bref, comme le disaient les camarades chinois dans l'article précité, « il ne s'agit pas seulement de porter un jugement sur sa personne, mais, ce qui est plus important, de faire le bilan de l'expérience historique de la dictature du prolétariat et du mouvement communiste international ».
Au sein du mouvement communiste, la question de Staline fut soulevée pour l'essentiel à partir de la présentation du fameux « rapport secret » par celui qui était devenu le premier secrétaire du Comité central du PCUS après son décès, Nikita Khrouchtchev. Ce dernier profita de la tenue du 20e congrès du Parti en 1956 pour lâcher cette « bombe » en présence des déléguéEs de la plupart des « partis frères » du PCUS, parmi lesquels le Parti communiste chinois. Selon Khrouchtchev, loin d'être « le grand maréchal toujours victorieux », voire même son « propre père » (comme Khrouchtchev l'avait lui-même affirmé à la fin des années 1930!), Staline n'était en fait qu'un imbécile, « un despote du type d'Ivan le Terrible » ainsi que « le plus grand dictateur de l'histoire russe ».
Tout en admettant la pertinence d'une partie des critiques portées par Khrouchtchev, Mao a alors tout de suite vu que ce n'était pas tant les erreurs de Staline, en soi, qui étaient visées par les nouveaux dirigeants du PCUS, mais la légitimité même du marxisme-léninisme et de la construction du socialisme.
Tandis que les révisionnistes Liu Shaoqi et Deng Xiaoping se rangeaient du côté de Khrouchtchev dans le rapport final qu'ils ont présenté au 8e congrès du PC chinois ayant eu lieu en septembre de la même année, Mao pressentait que la répudiation de Staline faite par le PCUS visait à ouvrir la porte à la restauration du capitalisme en URSS et à la consolidation du pouvoir de la nouvelle bourgeoisie qui s'y développait. C'est pourquoi il a tenu à ce que le PC chinois s'en distancie, par la publication de deux articles, « De l'expérience historique de la dictature du prolétariat » (1956) et « Encore une fois à propos de l'expérience historique de la dictature du prolétariat » (1957).
En accord sur ce point avec le Parti communiste chinois, le Parti du travail d'Albanie (PTA), alors dirigé par Enver Hodja, se porta lui aussi à la défense de Staline. Un an après la tenue du 20e congrès du PCUS, le Plénum du PTA affirmait : « Nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui liquident toute l'activité révolutionnaire de Staline... » [2]
Suivant la tenue de deux grandes rencontres des Partis communistes et ouvriers ayant eu lieu à Moscou en 1957 et 1960, il est apparu de plus en plus clairement qu'une ligne révisionniste consolidée se cristallisait autour de Khrouchtchev et de la direction du PCUS. C'est ainsi que ce qu'on a qualifié de grand débat sur la ligne générale du mouvement communiste international est apparu au grand jour au début des années 1960. C'est dans ce cadre que les forces révolutionnaires au sein du mouvement, qui ont donné naissance au nouveau mouvement marxiste-léniniste, ont abordé la question de Staline.
L'article publié par le Parti communiste chinois en 1963, auquel nous avons fait référence plus haut, s'inscrivait précisément dans le cadre de cette polémique. C'est dans ce contexte que Mao a livré sa fameuse évaluation à l'effet que les mérites de Staline prédominaient sur les erreurs qu'il a commises, dans une proportion qui fut évaluée à « 70/30 » (i.e. 70% d'aspects positifs vs 30% d'aspects négatifs).
Cette évaluation fut rejetée par une partie du mouvement marxiste-léniniste naissant, en particulier par le Parti du travail d'Albanie, pour qui le fait même de reconnaître que Staline ait pu commettre des erreurs constituait une concession inacceptable à l'impérialisme et la réaction. Ce point de vue est encore défendu de nos jours par une organisation comme le Parti du travail de Belgique (le PTB), dont le principal dirigeant Ludo Martens a écrit plusieurs textes en défense de Staline. [3]
À l'opposé, d'autres organisations, issues du mouvement maoïste, en sont venues à renverser l'équation faite par Mao : c'est le cas notamment de l'organisation Voie prolétarienne, en France, qui a remis en question « l'approche positive » de Staline. Pour ces organisations, ses aspects négatifs dépassent en effet les 30% évalués par Mao et se situent plutôt dans une fourchette s'étendant entre 30% et... 100%.
Mais au-delà de l'aspect purement quantitatif de la chose, quel est donc le contenu idéologique et politique réel de la critique maoïste de Staline et surtout, quelle fut son utilité dans l'évolution de la ligne générale du mouvement communiste international ?
Dans l'article signé par la rédaction du Renmin Ribao et celle du Hongqi, précité, on peut lire :
« Le PCC a toujours estimé qu'il faut faire une analyse complète, objective et scientifique des mérites et des erreurs de Staline, en recourant à la méthode du matérialisme historique et en représentant l'histoire telle qu'elle est, et non pas répudier Staline de façon totale, subjective et grossière, en recourant à la méthode de l'idéalisme historique, en déformant et en altérant à plaisir l'histoire.
« Le PCC a toujours considéré que Staline a commis un certain nombre d'erreurs qui ont une source ou idéologique ou sociale et historique. La critique des erreurs de Staline, celles qui effectivement furent commises par lui et non pas celles qu'on lui attribue sans aucun fondement, est chose nécessaire lorsqu'elle est faite à partir d'une position et par des méthodes correctes. Mais nous avons toujours été contre la critique de Staline lorsqu'elle est faite d'une façon incorrecte, c'est-à-dire à partir d'une position et par des méthodes erronées. »
Après avoir présenté de manière exhaustive la longue liste des apports positifs de Staline (lutte contre le tsarisme et pour la diffusion du marxisme en Russie, participation au Parti bolchevik et à la révolution d'Octobre, défense des conquêtes de la révolution prolétarienne, lutte contre les opportunistes et les ennemis du léninisme, lutte antifasciste, soutien à la lutte révolutionnaire des peuples du monde, etc.), le PCC conclut que « la vie de Staline fut celle d'un grand marxiste-léniniste, d'un grand révolutionnaire prolétarien », puis ajoute :
« Il est vrai que tout en accomplissant des exploits méritoires en faveur du peuple soviétique et du mouvement communiste international, le grand marxiste-léniniste et révolutionnaire prolétarien que fut Staline commit aussi des erreurs. Des erreurs de Staline, certaines sont des erreurs de principe, d'autres furent commises dans le travail pratique; certaines auraient pu être évitées tandis que d'autres étaient difficilement évitables en l'absence de tout précédent dans la dictature du prolétariat auquel on pût se référer.
« Dans certains problèmes, la méthode de pensée de Staline s'écarta du matérialisme dialectique pour tomber dans la métaphysique et le subjectivisme, et, de ce fait, il lui arriva parfois de s'écarter de la réalité et de se détacher des masses. Dans les luttes menées au sein du Parti comme en dehors, il confondit, à certains moments et dans certains problèmes, les deux catégories de contradictions de nature différente - contradictions entre l'ennemi et nous, et contradictions au sein du peuple - de même que les méthodes différentes pour la solution de ces deux catégories de contradictions. Le travail de liquidation de la contre-révolution, entrepris sous sa direction, permit de châtier à juste titre nombre d'éléments contre-révolutionnaires qui devaient l'être; cependant, des gens honnêtes furent aussi injustement condamnés, et ainsi il commit l'erreur d'élargir le cadre de la répression en 1937 et 1938. Dans les organisations du Parti et les organismes de l'État, Staline ne fit pas une application pleine et entière du centralisme démocratique du prolétariat ou y contrevint partiellement. Dans les rapports entre partis frères et entre pays frères, il commit aussi des erreurs. Par ailleurs, il formula, au sein du mouvement communiste international, certains conseils erronés. Toutes ces erreurs ont causé des dommages à l'Union soviétique et au mouvement communiste international. »
Ceci dit, « en prenant la défense de Staline, le PCC défend ce qu'il eut de juste, il défend la glorieuse histoire de la lutte du premier État de la dictature du prolétariat instauré dans le monde par la révolution d'Octobre, il défend la glorieuse histoire de la lutte du PCUS, il défend le renom du mouvement communiste international auprès des peuples laborieux du monde entier ».
Les communistes chinois étaient bien placés pour comprendre l'importance des erreurs que Staline a commises, puisque eux-mêmes les ont parfois payées chèrement. Comme le rappelle l'article, « dès la fin des années 1920, puis durant les années 1930, enfin au début et au milieu des années 1940 [bref, à toutes les étapes de la révolution chinoise, jusqu'à la prise du pouvoir...], les marxistes-léninistes chinois [se sont attachés] à enrayer l'influence de certaines erreurs de Staline, puis, après être progressivement venus à bout des lignes erronées, celles des opportunismes "de gauche" et de droite, ils ont fini par mener la révolution chinoise à la victoire ». Ces erreurs dont parle ici le PCC, ce sont notamment les directives en provenance de l'Internationale communiste, qui favorisaient la stratégie insurrectionnelle en Chine et sous-estimaient le rôle de la paysannerie, et qui se sont avérées particulièrement néfastes pour la révolution chinoise. Mao et les révolutionnaires au sein du Parti communiste chinois se sont battus contre ces conceptions erronées et ont fini par imposer leur propre stratégie - la révolution de démocratie nouvelle dans le cadre d'une guerre populaire prolongée - qui a conduit aux victoires que l'on sait.
On voit donc que la critique maoïste de Staline est loin d'être complaisante. Mais elle n'a jamais ouvert et n'ouvre aucunement la porte à la déferlante anticommuniste de la bourgeoisie et des opportunistes, qui rejettent Staline non pas parce qu'il aurait failli à conduire l'Union soviétique au communisme mais au contraire, parce qu'il est allé trop loin dans cette direction. C'est une critique matérialiste, qui fut complétée en outre par d'autres études et d'autres textes, dont certains ont été regroupés dans un recueil qui fut publié en français au début des années 1970. [4]
Certains de ces textes furent écrits par Mao en réaction à un article publié par Staline en 1952 [5] et au Manuel d'économie politique du PCUS. Mao y relevait le fait que le PCUS, sous la direction de Staline, avait négligé de mobiliser les masses dans la réalisation des transformations nécessaires à la consolidation du socialisme, et éventuellement à l'atteinte d'une société sans classes. En outre, Staline considérait que la collectivisation de l'agriculture, l'industrialisation et le développement rapide des forces productives, grâce à la planification économique centralisée, étaient le facteur clé et suffisant en soi, pour garantir le triomphe du socialisme. Ce faisant, il en était venu à sous-estimer gravement la nécessité de révolutionnariser les rapports de production afin de résoudre les contradictions qui continuent à exister, celles qui naissent et se développent dans le cadre même du socialisme. De fait, dès les années 1930, la direction du PCUS en était venue à considérer que les contradictions de classe s'atténuaient en Union soviétique et que la menace principale qui pesait sur l'existence du socialisme provenait de l'extérieur, et non de l'intérieur du pays.
Pour Mao, on l'a vu, certaines erreurs commises par Staline auraient pu être évitées, tandis d'autres étaient inévitables, étant donné qu'il s'agissait de la première véritable expérience de construction du socialisme dans la jeune histoire du mouvement communiste. L'important, pour lui, c'était d'apprendre de ces erreurs et de cette expérience, afin d'aller plus loin dans la compréhension de ce qu'est le socialisme et de ce qu'il faut faire pour le consolider et le faire progresser.
La critique maoïste de Staline et de l'expérience soviétique, liée à la pratique et à l'expérience même de la révolution chinoise, a permis à Mao et aux révolutionnaires au sein du Parti communiste chinois de développer grandement la théorie révolutionnaire, sur toute la question de la transformation de la société vers le communisme. C'est cette critique, ainsi que la systématisation à laquelle elle a contribué, qui ont éventuellement permis le déclenchement de la Révolution culturelle.
Par l'étude de l'expérience historique de la dictature du prolétariat en URSS, des limites et erreurs qui ont été commises, les maoïstes chinois ont compris un certain nombre de choses et théorisé un certain nombre de concepts qui font désormais partie de la ligne générale du mouvement communiste international :
- le fait que la lutte des classes se poursuit pendant la période du socialisme;
- qu'à cette étape, la contradiction principale oppose toujours le prolétariat à la bourgeoisie;
- qu'une nouvelle bourgeoisie se développe sur la base des conditions matérielles sur lesquelles s'édifie la nouvelle société;
- que cette nouvelle bourgeoisie se concentre au sein du Parti et de l'appareil d'État;
- que le Parti est traversé par une lutte de lignes constante, qu'il faut mener consciemment pour faire avancer la ligne prolétarienne;
- qu'il faut distinguer les contradictions au sein du peuple des contradictions « entre nous et l'ennemi »;
- qu'il faut restreindre et viser à éliminer le droit bourgeois;
- qu'il faut combattre les anciennes divisions (entre travail intellectuel et manuel, entre hommes et femmes, entre villes et campagnes, etc.) qui peuvent faire naître de nouveaux rapports d'exploitation;
- qu'il faut transformer les rapports de production, ainsi que les rapports sociaux qui en font partie, de façon à assurer la direction du prolétariat;
- qu'il faut oser aller à contre-courant;
- qu'il faut assurer la direction prolétarienne au sein du Parti, et la direction du Parti sur l'ensemble de la société;
- qu'il faut mener une ou plusieurs révolutions culturelles pour liquider le quartier général de la bourgeoisie et surtout pour réaliser les transformations nécessaires dans la superstructure, en mettant notamment en place des mécanismes qui permettront de consolider la dictature du prolétariat;
- bref, qu'on a raison de se révolter, pas seulement sous les conditions de la dictature de la bourgeoisie, mais plus encore dans le cadre du socialisme.
Ce corpus théorique, qui justifie à lui seul qu'on considère le maoïsme comme une étape supérieure dans le développement de la science révolutionnaire du prolétariat (et qu'on pourrait résumer sous le vocable de théorie et pratique de la Révolution culturelle, qu'on appelle parfois aussi le concept de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat), il est bon de le comparer avec ce qu'a produit la critique idéaliste de Staline (en excluant ici la critique purement bourgeoise, qui n'a jamais prétendu, de toutes manières, viser au communisme, ainsi que la critique révisionniste, du type Khrouchtchev, qui a conduit l'URSS là où l'on sait) : 1) les trotskistes, qui ont sans doute été historiquement les plus virulents critiques « de gauche » du stalinisme, n'ont jamais avancé plus loin que la queue du mouvement spontané des masses et sont restés parfaitement incrustés dans la légalité bourgeoise; 2) les anarchistes, de leur côté, n'ont jamais réussi à développer une conception générale valable de la transition vers une société sans classes, qui permettrait de résoudre les difficultés objectives réelles auxquelles quelque mouvement révolutionnaire que ce soit sera toujours confronté (il ne suffit pas de crier « à bas l'État et tous les tyrans » pour empêcher qu'une nouvelle classe dominante se forme sur la base même des rapports de production, et qu'elle les transforme en de nouveaux rapports d'exploitation); 3) enfin, ceux que le mouvement maoïste a fort justement qualifié de « dogmato-révisionnistes », comme le Parti du travail d'Albanie, ont vu leur « socialisme » s'effondrer comme un château de cartes, sans même qu'il y ait eu quelque bataille de livrée, et leurs descendants se sont englués eux aussi dans la légalité bourgeoise, comme de vulgaires trotskistes.
Il en est, au sein du mouvement marxiste-léniniste, qui, sans nécessairement adopter le discours du PTA (qui prétendait que Staline était le plus grand marxiste-léniniste que le monde ait jamais enfanté alors que Mao n'a été qu'un révolutionnaire démocrate petit-bourgeois), ont néanmoins choisi d'opposer Staline à Mao : c'est le cas, notamment, du Parti du travail de Belgique. Le PTB dit reconnaître, sur papier, les apports théoriques et politiques de Mao, tout en rejetant la critique maoïste de Staline. [6]
Officiellement, le PTB reconnaît la pertinence de la lutte menée par le Parti communiste chinois contre le révisionnisme de Khrouchtchev (bien qu'il juge que le PCC a fait preuve d'un « scissionnisme de gauche » néfaste en rompant avec le PCUS). Il dit même accepter la théorie de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat. Mais pour lui, la Révolution culturelle, qu'il dit avoir été nécessaire, visait d'abord et avant tout à « combattre le bureaucratisme et le révisionnisme », et à débusquer les « bureaucrates, technocrates, arrivistes et révolutionnaires démocrates bourgeois »
Mais la Révolution culturelle, ce n'était pas seulement ça - en fait, ce n'était pas ça du tout. En effet, il ne s'agissait pas tant de dégommer la poignée de responsables du Parti engagés dans la voie capitaliste (bien qu'il ait été certainement juste et nécessaire de le faire) : en rester là, c'eût été s'arrêter seulement à la surface des choses. L'objectif de la Révolution culturelle, c'était d'abord et avant tout, comme Mao l'a si bien dit, « de résoudre le problème de la conception du monde » et « d'éradiquer les racines du révisionnisme ». Et bon, par « racines du révisionnisme », Mao ne référait évidemment pas aux deux pieds de Liu Shaoqi et de Deng Xiaoping (bien qu'on n'aurait certainement pas pleuré si les pieds de ce salaud avaient été éradiqués). Mao, qui était un grand marxiste, n'a jamais cru que le révisionnisme naissait de la « mauvaise volonté » ou des mauvaises intentions de tel ou tel individu - fut-il aussi sombre et maléfique que Deng Xiaoping. Dans une société socialiste comme la Chine, les racines du révisionnisme, on les retrouve dans les bases matérielles mêmes du régime qui engendrent, « à chaque jour et à chaque heure » comme le disait Lénine, une nouvelle bourgeoisie.
Du fait même qu'il soutient que la Chine est encore de nos jours un pays socialiste (parce que formellement, y domine encore la propriété étatique des principaux moyens de production), on voit bien que le PTB n'a rien compris à la critique de la « théorie des forces productives », qui est au cœur du maoïsme (et de la critique maoïste de Staline). Pour le PTB, la propriété juridique formelle des moyens de production détermine si on a affaire, ou pas, au socialisme : le contenu réel des rapports de production reste secondaire. Sans doute à son corps défendant, le PTB rejoint ainsi le point de vue trotskiste, qui considérait que l'URSS, sous Khrouchtchev, Brejnev et même Gorbatchev, restait toujours un « État ouvrier » - « dégénéré », certes, mais néanmoins prolétarien du seul fait que la propriété des principaux moyens de production restait publique.
Alors, s'agit-il d'opposer Staline à Mao ? À notre avis - et Mao s'est lui-même clairement exprimé en ce sens - il y a bel et bien une continuité entre les deux, ancrée dans l'histoire du mouvement fondé par Marx et Engels. Ayant bénéficié de l'expérience soviétique et de celle de la révolution chinoise, et parce qu'il avait brillamment assimilé le marxisme-léninisme, Mao a été en mesure d'amener la théorie révolutionnaire à une étape supérieure.
Pour les révolutionnaires d'aujourd'hui, qui consacrent tous leurs efforts à relancer le combat communiste dans les conditions du début du 21e siècle, il pourrait s'avérer tentant de remettre en question l'évaluation de Staline faite par Mao. Il est vrai qu'on pourrait facilement aligner quelques aspects négatifs de plus (remise en question des acquis des femmes en matière d'accès au divorce ou du droit à l'avortement ; propagation d'une tendance conservatrice en matière de culture ; etc.) pour ramener la balance à « 50/50 », ou même à « 30/70 ».
Cela nous éviterait de subir les foudres de la bourgeoisie (qui nous demanderait toutefois sûrement d'aller jusqu'au bout et de remettre aussi en question Lénine, pour ensuite remonter jusqu'à Marx), ainsi que les sarcasmes de nos amiEs anarchistes, qui n'en ratent pas une pour nous tirer la pipe - mais qui refusent, pour plusieurs, de débattre avec nous politiquement. Mais cela nous mettrait-il dans une meilleure position pour contribuer utilement à faire progresser cette grande lutte amorcée il y a 150 ans dans le but d'abolir toute forme d'exploitation ?
Il nous sera certainement plus utile de nous concentrer sur le « 30% », déjà relevé par Mao, afin de bien saisir la grande profondeur et toute la portée des conceptions que les communistes chinois ont su développer et appliquer, particulièrement dans le cadre de la Révolution culturelle.
Telle est la voie qu'ont suivie les partis et organisations maoïstes qui ont rejeté à la fois le révisionnisme des Khrouchtchev et Deng Xiaoping, de même que le dogmato-révisionnisme du PTA et la vision métaphysique et subjectiviste de tous les Ludo Martens de ce monde et qui ont fondé, en 1984, le Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI).
Comme le souligne la déclaration publiée par le Comité du MRI à l'occasion du 1er mai, « l'idéologie communiste progresse à travers des zones de turbulence. Les nouvelles conceptions nous permettent de dépasser l'inertie dans laquelle certaines anciennes façons de voir les choses ont pu nous mener; on doit démêler les points de vue justes et ceux qui ne le sont pas. Les idées qui surgissent des différents domaines de l'expérience humaine seront développées et testées au fur et à mesure que le monde se transformera. [...]
« Le communisme demeure le seul espoir de l'humanité. Mais cet espoir ambitieux ne pourra se réaliser qu'à travers une lutte, une dure lutte dans tous les domaines de la vie. Le mouvement communiste international a mis au monde des légions de héros et d'héroïnes qui ont bravé l'emprisonnement, la torture et la mort face à l'ennemi. Ce mouvement doit faire preuve du même courage en s'auto-examinant sans pitié et en affichant sa détermination à démontrer que son idéologie demeure vivante et qu'elle nous permet de comprendre, encore plus complètement, toute la complexité et la richesse de la société humaine et de la lutte des classes. Le mouvement communiste international doit démontrer qu'il est capable de rejoindre et d'unir des millions de personnes, d'apprendre d'elles et d'en gagner des millions d'autres, tout en combattant avec ténacité pour soutenir et mettre en pratique notre idéologie de libération. »
Cette approche, réellement marxiste-léniniste-maoïste - et cette approche seule - nous permettra d'aller de l'avant et de remporter de nouvelles victoires, encore bien plus grandes que celles que notre classe a déjà réalisées.
[1] Rédaction du Renmin Ribao et du Hongqi, «Sur la question de Staline – À propos de la lettre ouverte du Comité central du P.C.U.S. (II)» (13 septembre 1963), dans Débat sur la ligne générale du mouvement communiste international (1963-1964), Beijing, Éditions en langues étrangères, 1965, p. 123-148. Ce texte est réputé avoir été écrit par Mao lui-même, ou à tout le moins sous sa supervision.
[2] Staline, grand marxiste-léniniste, recueil de textes albanais et chinois, Paris, Nouveau bureau d’édition, 1976, p. 12.
[3] Ludo MARTENS, Un autre regard sur Staline, Antwerpen, Éditions EPO, 1994. Bien qu’il repose sur une défense absolue de Staline, ce livre n’en reste pas moins une référence utile pour réfuter les mensonges de la bourgeoisie à son sujet.
[4] Hu CHI-HSI (dir.), Mao Tsé-toung et la construction du socialisme, Paris, Éditions du Seuil, 1975.
[5] Joseph STALINE, Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., Beijing, Éditions en langues étrangères, 1974.
[6] Voir par exemple : Ludo MARTENS, Mao Zedong et Staline, texte publié le 5 novembre 1993.
Lire aussi : http://www.pcr-rcp.ca/fr/2441
La position de l'OCML-VP :
Le détournement de la révolution bolchevique de ses objectifs initiaux n'a pas été le fruit d'un calcul ou d'un coup d’État, ni la conséquence inévitable des conditions objectives et historiques de la révolution. Il y a d'abord eu, au début, un certain nombre d'erreurs dans la conception de la transition. N'étant pas rectifiées, ces erreurs ont empêché de mobiliser et d'orienter durablement l'énergie des ouvriers pour la transformation de la société.
Ce qui s'est imposé, dans les années 20, en URSS, c'est l'idée selon laquelle la transformation des rapports sociaux serait le résultat mécanique et spontané de la suppression de la propriété privée et du développement de la production. Ce développement créerait à lui seul les conditions nécessaires pour le passage au communisme : abondance, élévation du niveau des connaissances, développement des sciences et des techniques... L'accroissement de la force productive de la société devenait, dès lors, l'unique moteur de son évolution.
Le premier devoir révolutionnaire fut, dans les années 30, d'augmenter la production par tous les moyens. Tout était subordonné à cet objectif. On ne voyait pas que les techniques, tout comme les rapports de production, étaient marquées par le capitalisme. Le pouvoir des cadres fut renforcé.
Cette conception de la transition fut appelée plus tard "théorie des forces productives". Le socialisme devait prouver sa supériorité en montrant sa capacité à produire plus que le capitalisme. L'URSS forgea ainsi un modèle qui s'imposa à tout le mouvement ouvrier.
La recherche de la performance économique déboucha sur l'accumulation des moyens de production, au détriment des conditions de vie des masses. Les besoins de celles-ci furent sacrifiés. La nouvelle bourgeoisie se lança dans des projets gigantesques, et manifesta des visées expansionnistes. Voulant rivaliser avec les autres puissances impérialistes dans la course aux armements, elle déséquilibra l'économie en créant un complexe militaro-industriel disproportionné. Elle put ainsi renforcer son pouvoir économique. Mais cela entraîna des désastres humains et écologiques.
Ce mode de développement, après quelques décennies de succès, fut enrayé par une baisse importante de la productivité et une suraccumulation, qui entraînèrent la crise du capitalisme d'État et son effondrement.
Sur le plan politique, la fusion de l'État et du Parti était totale. Le Parti concentrait toute la réalité du pouvoir. Cette fusion était d'autant plus dangereuse pour l'avenir de la révolution que l'État soviétique n'était, comme l'affirmait Lénine, que la survivance de l'État ancien, n'ayant pour ainsi dire pas subi de transformations radicales.
Les instances politiques de masses issues de la révolution ont vite dépéri. Les tâches urgentes de la guerre civile ont imposé au Parti des mesures d'autorité. Ce fut le "communisme de guerre". Mais une fois cette guerre gagnée, les conceptions qui s'étaient affirmées au cours de cette période ne furent pas abandonnées.
De ce processus, nous n'avons pas encore tiré toutes les leçons. Mais il est évident que les soviets ont été dépouillés petit à petit de tout pouvoir réel. Dans les années 30, le processus était achevé. L'étouffement du débat politique contradictoire, dans les masses comme au sein du Parti, était total. Tout contradicteur était vu comme un ennemi, agent de l'impérialisme infiltré dans les rangs du Parti et de la société, et donc éliminé.
Une telle attitude a conforté le rôle des dirigeants en place. Elle a abouti à les ériger, tout d'abord, en "experts" et bureaucrates s'attribuant des privilèges, et ensuite à les transformer en une nouvelle classe bourgeoise. Celle-ci, née à l'intérieur de l'appareil soviétique, se soustrayait complètement au contrôle des ouvriers.
Ce qui ne représentait pour l'essentiel, au cours des années 20, que des conceptions théoriques erronées, devint, après l'élimination de tout débat d'orientation, et avec la systématisation des conceptions évoquées plus haut, une ligne qui encouragea, puis consolida, une bourgeoisie d'État.
C'est donc dans les années 30 qu'a eu lieu la restauration capitaliste, sous l'autorité du Parti, devenu le quartier général des nouveaux bourgeois.
Après la mort de Staline, cette bourgeoisie était suffisamment forte pour se débarrasser des formes trop contraignantes de la dictature bureaucratique et pour s'engager plus ouvertement dans la voie capitaliste: tentatives pour réintroduire progressivement le marché et le critère du profit.
Si Trotsky développa un certain nombre de critiques quant à l'orientation suivie par Staline, en particulier sur la question de la démocratie au sein du Parti, il ne se démarqua pas sur le fond de la conception générale de la transition. Après la guerre civile, il défendit une conception issue du "communisme de guerre" et rendue nécessaire pendant celui-ci, qui mettait l'accent sur la contrainte à l'égard des masses. Contre la NEP, il soutint l'industrialisation intensive qui fut mise en œuvre par Staline. Lorsque le pouvoir du Parti devint celui d'une nouvelle bourgeoisie, Trotsky, et les trotskystes à sa suite, refusèrent de caractériser l'URSS comme un État bourgeois, en se retranchant derrière le caractère étatisé de l'économie.
Toujours de VP, sur cette question de l'expérience soviétique en particulier sous Staline, lire aussi ces brochures issues de la "Cause du Communisme" (là encore les réflexions sont intéressantes, bien que nous ne soyons pas à 100% sur cette ligne - mais bien plus sur celle des Canadiens) :
- Sur l’État de dictature du prolétariat (1982)
- Sur la transition du capitalisme au communisme (1984)
Dans une veine (relativement) proche du PCR Canada, on trouve cette analyse des Cellules Communistes Combattantes de Belgique, mettant en cause les "méthodes" de la direction stalinienne "à partir de 1934" (en clair : l'émergence d'un appareil politico-répressif échappant au contrôle démocratique du prolétariat) [une première critique, sur l'application concrète du "socialisme dans un seul pays", apparaît à la fin du point 9] :
En ce qui concerne Staline et son action à la tête de l’URSS, nous avouerons que le sujet fait encore l’objet de discussions contradictoires entre nous — et cela d’autant que sa bonne connaissance est difficile et complexe. Bien entendu nous condamnons sans hésitation la meute exécrable des publicistes (petits-)bourgeois et révisionnistes aboyant contre Staline du matin au soir. Nous aurions plutôt tendance à mettre en avant les apports positifs de Staline — et il faut constater que nous jugeons positif dans son œuvre justement ce pourquoi les roquets de la bourgeoisie et du révisionnisme l’abominent ! D’un autre côté, nous ne voulons pas nous laisser enfermer par notre rejet du révisionnisme (et particulièrement notre condamnation des cliques krouchtchévienne et gorbatchévienne) dans une défense en bloc, sans nuance, de Staline. Le sujet exige une analyse plus fine.
Nous pouvons dire que nous approuvons les grands choix de Staline concernant la ligne politique du Parti. Il a eu raison de s’opposer en 1924 à l’irréalisable jusqu’au-boutisme de la « révolution permanente » de Trotsky et également de s’opposer au courant droitier boukharinien dès 1928 pour mettre fin l’année suivante à la NEP et entamer l’incontournable épreuve de force avec les koulaks. Nous approuvons donc la liquidation de la paysannerie riche en tant que classe puisqu’elle avait adopté une position concrètement hostile au processus socialiste et à son État (voir le non approvisionnement des villes qui a provoqué les famines de l’hiver 1927/1928) et, en conséquence, les mesures coercitives que cette liquidation exigeait.
Nous pensons que Staline a eu raison contre ses détracteurs à propos de la nécessité et de la possibilité d’une industrialisation rapide du pays : les deux premiers plans quinquennaux (avec un taux d’accroissement annuel de la production industrielle d’environ 20 % ... contre 0,3 dans les pays capitalistes à la même époque) ont fait passer l’URSS d’un champ de ruines à la deuxième puissance industrielle mondiale. Cette réussite est aujourd’hui encore exemplaire, elle a démontré que la mobilisation des masses combinée à une juste direction du Parti communiste — c’est-à-dire à un authentique processus révolutionnaire socialiste — est incomparablement supérieure en efficacité économique, en rationalité et, naturellement, en justice sociale à tous les systèmes et régimes sociaux précédents.
Nous ne jugeons pourtant pas le bilan de Staline comme entièrement positif. Si la ligne qu’il a défendu au sein du Parti était dans la plupart des cas correcte, les méthodes employées pour l’imposer ont été le plus souvent critiquables, particulièrement à partir de 1934. Certes des purges étaient nécessaires pour débarrasser le Parti de nombreux éléments étrangers à son but et ses principes, mais nous n’y trouvons pas la justification de la répression qui s’est abattue sur le Parti et la société soviétique à partir de l’assassinat de Kirov. La saine liquidation des saboteurs, la mise hors d’état de nuire des contre-révolutionnaires, etc., tout cela ne peut expliquer pourquoi des trente et un membres des instances supérieures du Parti lors du IXe Congrès (avril 1920) onze seulement étaient encore en vie en 1940, et parmi ceux-là rien que trois (Staline, Mouranov et Sergeev) qui appartenaient à la direction du Parti en 1917. Décomptons deux morts naturelles (Lénine et Dzerjinski) et un suicide (Tomski), on arrive à dix-sept cadres de toute première importance fusillés ou disparus dans les camps — à commencer par des militants aussi célèbres que Boukharine, Kamenev, Préobrajenski, Radek, Rykov, Zinoviev ... Et ce n’est qu’un exemple symbolique.
Nous partageons avec les partisans les plus farouches de Staline une entière condamnation du putsch révisionniste de 1953 ainsi que des infamies anti-socialistes du XXe Congrès. Avec Krouchtchev et sa clique, le PCUS et l’URSS voyaient arriver à leur tête les premières d’une longue traînée de canailles et de parasites qui n’allaient avoir de cesse de démanteler le système socialiste pour lui substituer les mécanismes de l’économie de marché. Mais cette néo-bourgeoisie révisionniste qui s’accapare le pouvoir à la faveur de la mort de Staline ne tombe pas du ciel, ne s’est pas faite en un jour. C’est cela qui à notre avis rend incohérente toute position qui soutient en bloc l’œuvre de Staline. Staline est parvenu à briser et liquider les forces bourgeoises émanant de l’ancien régime, c’est un fait à son actif, mais les méthodes de direction qu’il a instaurées ont favorisé la constitution et l’agrégation progressive d’une nouvelle bourgeoisie propre au nouveau régime, qui l’a parasité et dénaturé en envahissant les rouages de l’État, du Parti, de l’économie et de l’armée. En 1939, le PCUS comptait 1.589.000 membres dont 8,3 % seulement l’étaient déjà avant 1920. Tant à la base qu’au sommet, le Parti sous Staline a connu un renouvellement complet, « post-révolutionnaire ». La liquidation de l’héritage socialiste de Staline fut le fait de forces sociales et politiques s’étant constituées à l’époque de sa direction. Le Præsidium du XXe Congrès était quasi identique par sa composition à ceux des Congrès qui avaient précédé la mort de Staline (sur les onze membres du Præsidium de 1956, dix avaient fait partie de celui de 1952 !).
Nous pensons que Staline a maintenu un juste cap dans l’orientation générale de la révolution soviétique mais qu’il porte une grande responsabilité dans son naufrage car ses méthodes de direction ont privé le Parti de nombreux militants sincères et dévoués, n’ont pas permis que s’exerce la vigilance ni s’exprime la créativité des masses, ont favorisé l’apparition et l’infiltration d’arrivistes et de carriéristes qui se sont rapidement agrégés sous forme d’une néo-bourgeoisie phagocytant le socialisme. Cette grave erreur doit être étudiée, son mécanisme doit être sévèrement démonté, et les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain ont la responsabilité de ne pas la reproduire.
À lire aussi, passionnant, cet entretien-débat de 1977 entre Charles Bettelheim, l'ex-GP Robert Linhart et deux membres de la revue Communisme, dans lequel s'expriment leurs différents points de vue et analyses, autrement dit un peu tous les nécessaires "pour" et "contre" pour réfléchir à la question : http://ekladata.com/Sur-le-marxisme-et-le-leninisme.pdf
[À la rigueur, il serait peut-être possible de dire qu'il faut distinguer deux choses différentes :
- SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE, il n'y a pas de dynamique de restauration du capitalisme avant Khrouchtchev (seconde moitié des années 1950) - et comme les répercussions positives de la période antérieure se font encore sentir pendant un certain temps, et que l'on y va par ailleurs "à pas feutrés" au début, cela explique que les années 1950 et 1960 restent encore aujourd'hui l'"âge d'or" dans la mémoire des anciens soviétiques (avant il y avait trop de privations, la guerre etc. etc., et après c'est la crise et la décomposition du système devient évidente). Avant cela, il est effectivement possible de parler de "capitalisme d’État" : la production est nationalisée mais il y a toujours des cadres et des exécutants, des dirigeants et des dirigés, bref des rapports de production semblables à ceux des entreprises capitalistes... Mais c'est absolument normal ! Un tel "capitalisme d’État" est incontournable dans les premières étapes de la transition socialiste vers le communisme, lorsque comme disait Lénine "la cuisinière n'est pas en mesure de diriger l’État" (ni une entreprise de production). La question est d'être dans une dynamique de sortir de cela vers le communisme, c'est-à-dire vers la pleine maîtrise du processus productif par les producteurs eux-mêmes. À la rigueur, il est possible de dire (comme VP) que sous Staline les choses "stagnent" à ce niveau, ne "bougent" pas assez vite, la priorité étant de développer la production (notamment dans la perspective de la guerre, chose qu'il faut garder à l'esprit). Mais c'est seulement à partir de Khrouchtchev que la "liberté" laissée aux entreprises tend de plus en plus vers celle des pays capitalistes, jusqu'au rétablissement total et ouvert de 1990-92.
- SUR LE PLAN POLITIQUE en revanche, il est effectivement possible de dire que la direction de Staline se caractérise par un grand autoritarisme et une grande brutalité dans l'exercice de la dictature du prolétariat (la fameuse critique maoïste de "traiter les moindres contradictions au sein du peuple comme des contradictions antagoniques avec l'ennemi réactionnaire", d'avoir "liquidé beaucoup de contre-révolutionnaires, mais aussi beaucoup d'innocents et même de bons communistes" etc. etc.). Et il est effectivement possible de faire remonter les racines de cela au tout début du processus révolutionnaire et au "communisme de guerre" (ce qui invalide très largement les critiques de type "communisme de conseils" de Trotsky à ce sujet, une fois qu'il a perdu le pouvoir), et d'en voir l'origine dans les illusions des bolchéviks eux-mêmes (y compris Lénine) quant à la rapidité avec laquelle la vague révolutionnaire submergerait l'Europe de l'Ouest, les soulèvements nationaux ébranlant de leur côté les colonies etc. etc., bref la révolution triompherait mondialement ; et dans la rapidité (pour le coup) du constat que cela serait beaucoup plus compliqué et que l’État des soviets, bien qu'immense et plein de ressources (autorisant tout à fait le "socialisme dans un seul pays" une fois la paix revenue), allait devoir affronter une période indéterminée d'isolement face à un monde entièrement capitaliste, ce qui a conduit à un important durcissement des positions autoritaristes et répressives autour de la "clairvoyance du Parti" (très largement inspirées des mesures de "salut public" de la Convention montagnarde) et à leur prolongement imprévu dans le temps. Si le caractère prolongé, de longue haleine de la vague révolutionnaire mondiale qui venait de se lever des bords de la Neva avait été envisagé dès le départ, peut-être que les pratiques auraient été différentes comme elles ont pu l'être en Chine et dans d'autres pays encore (non face à l'ennemi "blanc", capitaliste et impérialiste bien sûr, mais face aux contradictions que la situation aiguisait forcément au sein des masses populaires). D'après tous ses écrits et tous les témoignages de l'époque, Lénine (mais pas Trotsky) était plutôt une force dans le sens de la mesure et de l'"esprit démocratique" à ce niveau-là (un peu comme Robespierre, contrairement à sa "légende noire", durant la Terreur) ; mais il n'était pas derrière chaque décision qui se prenait au niveau de chaque Commissariat du Peuple et encore moins localement. Quoi qu'il en soit, et quelles qu'aient été les nécessités bien réelles et concrètes conduisant à cette situation, c'est un fait peu contestable que les toutes premières années de la révolution ont donné à l’État soviétique et à son exercice de la dictature du prolétariat une forme "verticaliste", "partidiste" et "peu souple" dans la dialectique Parti-masses, ce qui a grandement favorisé la constitution et la prise de pouvoir d'une nouvelle bourgeoisie au sein du Parti (sans parler de la question de liquider la suprématie russe/slave au sein de l'ensemble désormais "fédératif" et "démocratique" des nationalités de l'ancien Empire).
Bref, il est possible de dire que les formes (sans expérience historique antérieure de laquelle s'inspirer, ne l'oublions pas !) de la dictature du prolétariat (ou du "pouvoir ouvrier-paysan") exercée par l'avant-garde communiste en URSS étaient très imparfaites et à perfectionner, qu'elles ont été impuissantes à empêcher un ensemble d'individus de se comporter, constituer et consolider en nouvelle bourgeoisie, et qu'elles ne sont pas en tant que telles notre modèle aujourd'hui car nous avons beaucoup appris depuis ; mais pas que le capitalisme était "restauré" (voire qu'il n'aurait "jamais été aboli") à l'époque de Staline : il était dans un processus (imparfait et truffé d'erreurs peut-être) de liquidation, et seulement à partir des années 1950 dans un processus de restauration.]
Sur Grover Furr :
Grover Furr a ses côtés caricaturaux, un peu à la Annie Lacroix-Riz.
Mais il est d'abord faux de dire que Furr est un "justifie-tout" de la période disons 1930-1953 en URSS (ce n'est clairement pas le cas si on le lit réellement) ; et ensuite, il engage son analyse sur un terrain tout à fait intéressant.
Car ce qu'il décrit en gros de la seconde moitié des années 1930 est globalement un EMBALLEMENT de la Terreur révolutionnaire (il dit clairement que des millions de citoyens soviétiques et des centaines de milliers de membres du Parti ne pouvaient pas être des agents contre-révolutionnaires et des traîtres), DANS lequel (dans l'appareil répressif) grouillaient et conspiraient les MÊMES qui liquideront le marxisme-léninisme 20 ans plus tard.
Liquideront le marxisme-léninisme, "guillotinant" en quelque sorte Staline comme "tyran" à titre posthume (s'il n'a pas carrément été assassiné, ou du moins "poussé dans la tombe", des thèses existent aussi en ce sens...), exécutant réellement Beria et (fait relativement peu connu, occulté par les "grandes répressions staliniennes") d'autres encore, ou du moins les écartant drastiquement du pouvoir, y compris des communistes étrangers (mort suspecte du polonais Bierut, exil en Sibérie du grec Zachariadis) ; PEUT-ÊTRE parce que dans les toutes dernières années 1950-53 des éléments de la haute direction, y compris Staline lui-même, auraient pu sembler amorcer une contre-offensive contre cette formation et consolidation d'une nouvelle bourgeoisie que nous avons longuement évoquée ; notamment dans l'essai (de Staline) Problèmes économiques du socialisme en URSS ou dans les débats du XIXe Congrès du Parti (tous deux en 1952) pb-eco-soc-urss.pdf - 19e-congres-urss.pdf : remise en cause de l'idée (exprimée au milieu des années 1930) que la lutte des classes et la révolution en URSS étaient "terminées" et que la marche vers le communisme ne devait plus être qu'un développement de la production et un progrès technico-scientifique ; lutte contre les rapports de production (et sociaux en général...) marqués par le capitalisme ; lutte (non sans lien) contre le "bureaucratisme" et les comportements de copinage, népotisme, caste privilégiée parmi les cadres du Parti ; voire (évoqué par Furr, lien ci-dessous vers "Le Grand Soir") carrément projet de... séparer le Parti de l’État, afin de redonner au premier son rôle de "moteur" et d'"agitateur" de la mobilisation de masse pour transformer la société vers le communisme, son rôle "subversif" si l'on veut ; envisageant peut-être même le multipartisme (pas forcément idiot : ainsi les droitiers et opportunistes de tout poil forment leurs propres partis, au lieu de parasiter celui du prolétariat dans lequel les purges ne font finalement office que de "sélection naturelle" des plus malins, retors, aptes à se placer dans l’œil du cyclone !) ; etc. etc., entre (peut-être) autres choses encore que Mikoyan qualifiera des années plus tard de "visions incroyablement gauchistes"...
Ce qui finalement ressemble beaucoup... à l'appareil FRANÇAIS de Terreur de 1793-94. Les Thermidoriens qui liquideront Robespierre et Saint-Just n'étaient en effet pas des royalistes cachés jusque-là dans les bois, mais d'éminents membres de la Convention et des Comités de Salut Public et de Sûreté Générale, très en pointe dans une Terreur aveugle notamment en province... et qui de fait commençaient à percevoir leur "fanatisme" de la "Vertu", de l'égalité et de l'exemplarité, voire peut-être la mise en application prochaine de la Constitution de l'An I une fois - comme promis - la "Patrie" sécurisée, comme une menace pour leurs positions sociales acquises et leurs petites fortunes accumulées dans l'"œil du cyclone", et leurs vies de "coquins".
[Lire à ce sujet : http://servirlepeupleservirlepeuple.eklablog.com/annexe-a-l-etude-en-finir-avec-la-france-quelques-verites-sur-la-grande-revolution-bourgeoise]
Le "Thermidor" soviétique, ainsi que Trotsky qualifie le "stalinisme", pourrait donc bien au contraire avoir été cela : la "déstalinisation" de Khrouchtchev après la mort du "tyran", avec le retour en force des idées sinon de Trotsky, du moins de Boukharine ; un "Thermidor" dont les "thermidoriens", par contre, auront effectivement fait leur nid dans l'"œil du cyclone" des répressions de l'époque stalinienne, qui seraient pour le coup (elles) non pas un "Thermidor" mais l'équivalent de la Terreur montagnarde.
Au fond, pour poursuivre et en finir avec Trotsky, ces quelques phrases de lui pourraient presque, en remplaçant "jacobinisme" par "stalinisme", résumer toute notre position et celle du maoïsme sur le sujet :
"Le terme de « jacobinisme » est actuellement une expression péjorative dans la bouche de tous les sages libéraux. La haine de la bourgeoisie contre la révolution, sa haine des masses, sa haine de la force et de la grandeur de l’histoire qui se fait dans la rue se concentre dans ce cri de peur et d’indignation : « C’est du jacobinisme ! »
Nous, l’armée mondiale du communisme, avons depuis longtemps réglé nos comptes historiques avec le jacobinisme. Tout le mouvement prolétarien international actuel a été formé et s’est renforcé dans la lutte contre les traditions du jacobinisme. Nous l’avons soumis à une critique théorique, nous avons dénoncé ses limites historiques, son caractère socialement contradictoire et utopique, sa phraséologie, nous avons rompu avec ses traditions qui, des décennies durant, ont été regardées comme l’héritage sacré de la Révolution.
Mais nous défendons le jacobinisme contre les attaques, les calomnies, les injures stupides du libéralisme anémique."
Furr dit ensuite que selon toute vraisemblance, ce qui était reproché aux accusés des Procès de Moscou (les plus haut placés des réprimés de cette époque) était bel et bien vrai, et dans un contexte géopolitique sous très haute tension, s'est vu considérer comme de la haute trahison méritant la peine de mort.
Tout comme, selon toute vraisemblance, une très grande partie de ce qui était reproché à Danton et aux dantonistes, ou à Hébert et aux hébertistes était vrai ; et fut considéré comme un danger à éliminer absolument pour une révolution qui se vivait constamment sous menace d'anéantissement.
Sauf que cela a conduit en réalité à une "sélection naturelle" favorisant non pas les plus authentiques révolutionnaires, mais les plus malins et aptes à passer entre les mailles du filet pour se constituer en nouvelle classe dominante exploiteuse ; notamment en se plaçant "au dessus de tout soupçon" ("dans l’œil du cyclone")... sur de hauts perchoirs de procureurs, ou dans des habits de "chasseurs" impitoyables de contre-révolutionnaires.
Ce qui est questionné ici si l'on va au bout de l'analyse (et c'est peut-être à ce bout-là que Furr ne va pas, en effet), c'est tout simplement la façon de mener la lutte de classe contre la voie restauratrice bourgeoise sous le socialisme. En évitant, peut-être, les méthodes de Terreur bureaucratique totalement "d'en haut", reprises telles quelles par l'URSS de la Convention montagnarde française ; et en mobilisant, au contraire, les masses populaires dans le refus et la lutte contre les pratiques qui posent les "bureaucrates" de l’État et du Parti en nouveaux bourgeois, comme nous l'a enseigné l'expérience maoïste de la Grande Révolution culturelle prolétarienne.
https://www.legrandsoir.info/
http://www.northstarcompass.
http://www.alger-republicain.
Récap' complet ici :
http://ekladata.com/c6ETYPTd9dVdyI4W9aEP4fRp2jY/Furr-Staline-Khrouchtchev.pdf
Sur la volonté (maintes fois évoquée par Furr dans les documents ci-dessus) de réforme démocratique du régime par Staline, et la dure lutte autour de ce projet refusé par les apparatchiks : http://ekladata.com/Staline_et_la_lutte_pour_la_reforme_democratique.pdf
Pour une analyse juste de l'URSS "stalinienne", il importe aussi de démonter les mensonges de la propagande bourgeoise sur la question. On ne peut pas dire que ce soit la politique de nos trotskystes et de certains "communistes" qui ne font que l'accepter en bloc, en se défendant que "le vrai socialisme ce n'est pas ça"...
Car depuis "Mein Kampf" et ses "30 millions de victimes du Juif sanguinaire et fanatique en URSS" (en 1925, ils étaient allés vite !!), la propagande de la bourgeoisie sur (à travers Staline) le socialisme soviétique n'a pas faibli, de Robert Conquest à Stéphane Courtois et sa Propagand Staffel du "Livre Noir" en passant par le tsariste-franquiste-fou-de-dieu Soljenytsine. Les chiffres les plus délirants ont été avancés, certains allant jusqu'à affirmer que la moitié ou plus de la population soviétique y serait passée !
Avant toute donnée chiffrée, il faut tout d'abord replacer la politique de l'URSS sous Staline dans son contexte.
Celui de la "Guerre européenne de 30 ans" (1914-1945) et de la montée du fascisme, corrélativement à la première vague de la révolution mondiale, celui d'un pays assiégé par des puissances impérialistes intégralement ennemies.
Le caractère militarisé de la Révolution soviétique doit se comprendre non seulement dans cette situation d'assiégés et d'état de guerre permanent, mais aussi dans l'Europe post-1918, qui est une société d'anciens combattants. 60 millions d'hommes ont été mobilisés (et en URSS, il y a eu ensuite la guerre civile et l'invasion par 14 armées étrangères) ; 10 millions sont morts, le double a été blessé (souvent affreusement) et, on l'oublie souvent, presque autant de civils ont également péri, pour la plupart dans l'Empire ottoman (avec le génocide des Arméniens et autres minorités) mais aussi dans l'Empire russe, au second rang avec 1,5 millions de victimes. On porte ses médailles, pour ainsi dire, pour aller acheter le pain. Toutes les organisation politiques, les fascistes certes mais aussi les communistes et les sociaux-démocrates, ont leurs organisations de type militaire, en uniforme. Le souvenir de la discipline militaire imprègne la société, et autant dire qu'on a la "fusillade facile"... Face au souvenir atroce des tranchées, la vie humaine a peu de prix.
Voyons donc ce que nous disent des études historiques sérieuses, absolument non idéologiques (surtout nord-américaines) et soigneusement ignorées par les propagandistes de l'anticommunisme.
Tout est ici : le goulag, la famine en Ukraine, la "Grande Terreur" de 1937-38. Le site est ultra-stalinien, mais les données reposent sur des études sérieuses... à commencer par les archives soviétiques elles-même !
http://marxisme.fr/Joseph_Staline_et_les_mensonges_de_la_bourgeoisie.htm
Où l'on découvre par exemple que le "goulag" (terme sinistre qui signifie simplement... "administration pénitentiaire") n'a jamais compté plus de 2 millions de détenus en temps de paix, 2,4 en 1941 (période de guerre), souvent pour des peines inférieures à 5 ans ; que la mortalité (sauf pendant la guerre, et en 1938) n'a fait que diminuer de 1934 (5,2%) à 1953 (0,3% !) avec les progrès de la médecine ; et qu'il y a aujourd'hui plus de détenus dans les prisons des États-Unis (2,3 millions en 2008) !
Ce n'est certes pas le cas en France : 64.000 détenus en 2008, un Français sur 1.000 (mais une terrible surpopulation).
Mais il faut rappeler que jusqu'à leur fermeture totale en 1946 (!) il y avait dans les bagnes de Guyane une mortalité colossale, près de 30% au 19e siècle (d'où une fermeture temporaire entre 1867 et 1887) et encore 20% en 1942 (pendant la guerre, difficultés de ravitaillement) : link
On parlait de "guillotine sèche"...
Ceci ne concernait, certes, que peu de personnes : 1.000 à 1.500 déportés par an, 100.000 en un siècle, mais pour des peines très longues (souvent suivies d'une "relégation" à vie dans la colonie sud-américaine).
Et c'est sans même parler des bagnes coloniaux (pour indigènes) comme les tristement célèbres Poulo Condor en Indochine ou Nosy Lava à Madagascar, ni du travail forcé (réquisitionné, sans le moindre délit pénal à "punir" !) comme sur le chantier du Congo-Océan, dont le nombre exact de victimes reste encore aujourd'hui impossible à connaître avec certitude (quel contraste avec la "précision" revendiquée sur le goulag !).
On découvre aussi la grande mystification sur la "famine" en Ukraine, apparue en 1933 dans la propagande nazie de Goebbels (les nazis préparaient, déjà, la conquête de l'Ukraine pour leur Lebensraum, et cherchaient l'appui des nationalistes réactionnaires ukrainiens) et dans la presse US du groupe Hearst, ouvertement pro-nazie. Les chiffres sont effroyablement falsifiés. Il y a certes eu, pendant la collectivisation, une situation de quasi guerre civile avec les Koulaks (paysans riches, sortes de fermiers généraux), des sabotages, incendies de récoltes et destructions de troupeaux etc. entraînant une malnutrition et une surmortalité (surmortalité qui n'est pas un crime de masse, ou alors Chirac a "exterminé" 20.000 Français pendant la canicule de 2003...), des maladies...
Mais surtout, on a utilisé la méthode du "déficit démographique" : il "aurait dû" y avoir XXX Ukrainiens en 1935 (au "rythme" de 1929 ou 1930), il en manque 5 millions, ils sont donc "morts"... La baisse de la natalité, l'émigration vers le reste de l'URSS, tout cela, on ne connaît pas !
La même méthode a été employée pour le "Grand Bond en Avant" dans la Chine de Mao (qui échoua à cause des sabotages révisionnistes) : soi-disant "de 30 à 40 millions de morts"... Il suffit de regarder l'évolution démographique de la Chine, qui double sa population entre 1950 et 1980, pour comprendre l'absurdité de tels chiffres, l'impossibilité d'une telle saignée (5% de la population, voire presque 10% sachant qu'au total on attribue de 50 à 60 millions de mort au maoïsme)... Avec une perte humaine du même ordre (2 millions de morts, guerre + grippe espagnole) entre 1914 et 1919, la population de l'Hexagone a stagné pendant plus de 20 ans ! [Lire ici une démystification : http://www.marx.be/fr/content/chine-des-témoins-occidentaux-racontent-le-grand-bond-en-avant ; ou encore ici - en anglais - où il est tout simplement question de... problèmes de recensement, dans un contexte de grandes migration internes ; ou ici (en anglais aussi) https://monthlyreview.org/did-mao-really-kill-millions-in-the-great-leap-forward/.]
Au demeurant, si l'on étudiait à la loupe les statistiques démographiques, il est probable que la période de la Grande Dépression aux États-Unis (années 1930, principalement la première moitié) révélerait une très forte surmortalité, peut-être de l'ordre de plusieurs millions de personnes entre sous-alimentation et maladies favorisées par celle-ci, froid (dans la rue ou faute de moyens de chauffage), suicides directs ou "à petit feu" (alcoolisme) etc. etc. Il y a d'ailleurs déjà de telles études qui avancent des chiffres de l'ordre de plusieurs millions, évidemment démenties par les sacro-saints et sempiternels "experts sérieux"... Mais que tendrait à corroborer la nette inflexion que l'on voit entre 1930 et 1939 sur la courbe de la population américaine, courbe par ailleurs parfaitement linéaire depuis 1870 (la précédente "cassure" étant les années 1860 soit... la Guerre de Sécession !) et reprenant tranquillement son ascension ensuite (la population gagnant ainsi presque 20 millions dans les années 1940 alors qu'il y a eu la guerre, 300.000 jeunes hommes tués, des millions de couples séparés etc.). Cela tombe d'ailleurs sous le sens vu que jusqu'au milieu de la décennie (première lois welfare en 1935) les victimes de la "main invisible" du marché de l'emploi ne bénéficiaient d'absolument aucune protection sociale, l'absence de travail signifiant l'absence totale de revenus (début 1933 il y a 15 millions de chômeurs soit 60 à 70 millions de sans-revenus par répercussion, seulement 10% d'emplois à plein temps donc de salaires "décents", 2 millions de sans-abri etc.)... À cela s'ajoute qu'évidemment, le "rêve américain" ne faisant plus rêver grand monde et le gouvernement ayant par ailleurs drastiquement "serré la vis" niveau immigration (1924), pour la première fois dans leur histoire il sort plus de personnes des USA (environ 90.000 de plus) au cours de la décennie 1930 qu'il n'en entre. Les "experts" susmentionnés répondront que non, pas du tout, les statistiques officielles indiquent que "seulement" 110 indigents sont par exemple morts de faim à New York en 1934, donc par extrapolation au maximum quelques milliers dans tous les États-Unis pendant la terrible décennie... C'est EXACTEMENT là la différence dont nous parlons entre des "morts de faim" au sens strict et une surmortalité (encore plus un déficit démographique) conséquence d'une situation économique difficile. Ce qui est quasi certain, c'est qu'avec les mêmes "méthodes" de calcul que pour l'URSS ou la Chine du Grand Bond, l'on pourrait affirmer sans problème qu'il y a eu des millions de morts aux États-Unis lors de la Grande Dépression. Des "travaux" de propagande russe (alors que comme chacun le sait, les tensions russo-occidentales au sujet de l'Ukraine font rage), gaiment repris (évidemment) sur tous les sites fascistes "révolutionnaires" et/ou conspis, le démontrent parfaitement.
En résumé, et pour conclure, il faudrait commencer, presque 60 ans après sa mort, à avoir une approche historique - et non hystérique - de Staline. C'est plus que la distance historique qui sépare Napoléon de la Commune !
Staline a commis des erreurs, et même des fautes meurtrières : cela, les maoïstes l'ont toujours affirmé (voir l'article chinois de 1963, cité par les camarades du Canada).
L'article dit explicitement que Staline commit l'erreur d'élargir le cadre de la répression en 1937 et 1938, qu'il confondit, à certains moments et dans certains problèmes, les deux catégories de contradictions de nature différente - contradictions entre l'ennemi et nous, et contradictions au sein du peuple, que des gens honnêtes furent aussi injustement condamnés... Servir le Peuple rejoint totalement cette analyse.
L'on pourrait encore ajouter d'autres exemples. Ainsi, bien que Staline soit à l'origine de la théorie bolchévique des nationalités, son traitement de la question fut parfois très éloigné de la conception communiste du monde : des populations entières (comme les Tchétchènes) furent déportées ; on confondit souvent progrès social et écrasement des cultures historiques, non-discrimination et assimilation. Le sort de Mirzayët Sultan-Galiev, marxiste tatar exécuté pour "nationalisme bourgeois" en 1940 (lire : sultan-galiev-nationalites-musulmanes-en-urss-article-de-periode et sur-la-question-de-sultan-galiev) , ou des antifascistes juifs comme Solomon Mikhoels, accusés de "sionisme", sont à ce titre emblématiques...
Il ne faut pas oublier que la contre-révolution n'est pas venue d'éléments réactionnaires qui auraient échappé aux mailles du filet, mais bien d'hommes du sérail : Khrouchtchev était le bras droit de Yejov, le maître d’œuvre des Grandes Purges !
Pour autant, le bilan historique est-il totalement négatif ? La réponse est bien entendu NON : il est même globalement positif.
Prenons un autre exemple : chacun aura pu voir que SLP est un soutien sans faille des Peuples en lutte, basque, breton, corse, occitan etc. La Révolution française, poursuivant l’œuvre de la monarchie absolue, a écrasé impitoyablement ces Peuples. Pour autant, va-t-on dire que le rôle historique de la Révolution française (et même de Napoléon) est négatif ? Bien sûr que non ! C'est un évènement historique d'une importance capitale, pour l'Europe et pour l'humanité. Le nier est la marque des fascistes.
Il faudrait arriver, au seuil des années 2010, à avoir le même type d'approche sur l'URSS de Staline : reconnaître qu'il a dirigé la première expérience socialiste de l'Histoire avec détermination, qu'il a vaincu le fascisme et le nazisme, considérablement développé l'URSS arriérée. Mais cela n'implique pas que tout soit rose... Apprenons d'hier, des succès comme des erreurs, pour construire le socialisme de demain !