Critique intéressante (càd pensée et constructive) du "socialisme du 21e siècle" latino-américain, grande marotte des amis d'Alan Woods et de tous les néo-mencheviks qui refusent la dictature du prolétariat (le z'horrible socialisme "autoritaire" du 20e siècle...) : Alvaro Jordan Medrano - Source : newsletter Aula Libre
aulalibrebol-unsubscribe@yahoogroups.com Le plus grand contraste entre le socialisme du XXe siècle et celui du XXIe est observé entre le régime actuel d'Evo Morales (2005-) et la présidence de courte durée de Juan Jose Torres (1970-1971)
(immédiatement renversé par la CIA, et remplacé par le régime fasciste de Banzer NDLR).
Tandis que le premier a invité, ouvertement et publiquement, les compagnies transnationales des cinq continents à exploiter le gaz, le pétrole, le cuivre, le fer, le lithium, le zinc, l'étain, l'or, l'argent et une longue liste d'autres minéraux ; dans le siècle, le court gouvernement de Torres a nationalisé et exproprié les entreprises capitalistes nationales et étrangères. Tandis qu'on a actuellement rapatrié des milliards de bénéfices pendant et après le boom des produits de base, au temps de Torres, le contrôle étatique sur les flux de capital et le commerce extérieur a limité la décapitalisation du pays. En même temps qu'Evo Morales offre des centaines de millions dans des prêts, subventions à l'exportation et incitations fiscales aux exportateurs agricoles les plus riches, et expulse des grandes propriétés les occupants indigènes sans terre, durant la présidence de Torres on a favorisé la prise de terres, comme moyen d'approfondir les politiques de réforme agraire. Il y a une abondance de données socio-économiques qui démontrent que les politiques socialistes entreprises pendant la présidence de Torres sont diamétralement opposées aux politiques sociales libérales pratiquées par le régime de Morales. Dans les sections suivantes on souligne les principales politiques sociales et libérales du régime de Morales, afin d'évaluer la véritable signification du socialisme auto-proclamé du XXIe siècle en Bolivie.
Les changements sociaux Durant ses cinq premières années au pouvoir (2005-2009), le gouvernement d'Evo Morales a mené à bien de nombreux changements sociaux. La question est si ces changements équivalent à certaines des définitions les plus généreuses du socialisme, ou même à des mesures de transition menant au socialisme dans un futur proche ou éloigné, vu la portée et la profondeur des politiques économiques libérales adoptées.
Morales a mis en oeuvre des changements socio-politiques dans neuf domaines. Le changement interne le plus significatif est dans le cadre politique, culturel et des droits juridiques des peuples indigènes. Le régime a reconnu le droit d'autonomie aux communautés indigènes, a reconnu et a promu le bilinguisme dans les affaires locales et l'éducation, et a donné rang national aux célébrations religieuses et aux fêtes indigènes, en même temps qu'il promeut la poursuite de ceux qui violent ou nuisent aux droits civils des indigènes.
Avec Morales, l'État a légèrement augmenté sa quote-part de recettes provenant des entreprises conjointes établies avec des corporations transnationales, a augmenté le prix du gaz vendu au Brésil et à l'Argentine, et aussi le pourcentage de la recette destinée au gouvernement étatique, superficiellement et au détriment des gouvernements provinciaux. Vu les prix record des exportations agricoles et minières de la Bolivie entre 2005 et 2008, les communes locales ont augmenté leur flux de recettes, bien qu'en réalité les investissements dans les secteurs productifs et de services aient été retardés en raison d'obstacles bureaucratiques.
Morales a permis des augmentations substantielles du salaire minimum et des salaires en général, ce pourquoi il a marginalement amélioré les conditions de vie. Les augmentations, toutefois, étaient très en dessous des promesses électorales de Morales de doubler le salaire minimum, et ne sont certainement pas comparables aux bénéfices extraordinaires obtenus suite à l'essor des cours des matières premières.
Les procès ouverts contre des fonctionnaires locaux et le gouverneur provincial de Pando, ainsi que contre les terroristes de droite, pour l'attaque et le meurtre d'activistes indigènes, ont mis fin à l'impunité des agressions contre les citoyens indigènes.
Le succès dont est le plus satisfait le gouvernement, est l'accumulation de réserves de devises d'une quantité de 6.000 millions de dollars, au lieu de ce qui était précédemment de 2.000 millions ; la discipline fiscale et le contrôle strict des frais sociaux ; et une balance de paiements favorable. En ce sens, les pratiques de Morales ont été plus en accord avec le FMI qu'avec quoi que ce soit de semblable aux pratiques dépensières des gouvernements socialistes et social-démocrates.
Tripler les réserves devant la persistance d'un niveau de pauvreté de 60% de la population indigène, dans sa majorité rurale, est une politique nouvelle pour tout gouvernement qui se prétend socialiste. Pas même d'autres pays capitalistes contemporains d'Amérique du Nord et de l'Union Européenne n'ont été aussi orthodoxes que le régime politique "révolutionnaire" de Morales.
Morales a promu les organisations syndicales et surtout a évité la répression contre les mouvements de mineurs et les mouvements paysans, mais en même temps a coopté leurs dirigeants, en diminuant ainsi le nombre de grèves et de demandes collectives indépendantes, malgré des inégalités sociales persistantes. De fait, une plus grande tolérance est accompagnée par une relation corporatiste croissante entre le régime et les secteurs populaires de la société civile.
La stratégie économique du gouvernement se base sur une triple alliance entre les transnationales agro-industrielles et minières, les capitalistes des PME, et les mouvements indigène et syndicaux. Morales a investi des millions de dollars en subventions aux ainsi appelées "coopératives", qui sont en réalité des propriétés privées de mines de taille petite et moyenne, qui exploitent le travail salarié avec des rémunérations égales ou inférieures au salaire normal des mineurs des grandes exploitations.
Les principaux changements ont eu lieu dans la politique extérieure et dans la rhétorique internationale. Morales a été aligné avec le Vénézuéla en appui à Cuba, il s'est incorporé à l'ALBA, il a développé des liens avec l'Iran, et il s'est opposé, surtout, à la politique des USA dans plusieurs importants domaines.
De même, il s'oppose à l'embargo de ce pays contre Cuba, à ses sept bases militaires en Colombie, au coup d'État au Honduras et à la levée des préférences tarifaires. Important, la Bolivie a mis également fin à la présence de la Drug Enforcement Agency (DEA), organisme officiel américain de lutte contre la drogue, a réduit certaines des activités de l'US Agency for International Development (AID) de subventionner des organisations socio-politiques de droite et d'effectuer des activités de déstabilisation.
Morales s'est énergiquement prononcé contre les guerres des USA en Afghanistan et en Iraq, a condamné les attaques d'Israël contre les Palestiniens, et il s'est montré un ferme partisan de la non-intervention, sauf dans le cas de Haïti, où la Bolivie continue à envoyer des troupes.
Critique du socialisme du XXIe siècle bolivien L'aspect le plus frappant de la politique économique bolivienne est le plus grand volume et la portée des investissements des entreprises transnationales d'extraction de capital étrangers.
Près d'une centaine de transnationales exploitent actuellement les minéraux de la Bolivie et ses ressources énergétiques, dans des conditions très lucratives, vu les bas salaires et le peu de règlements environnementaux. D'autre part, dans un discours lu à Madrid, en septembre 2009, Morales a invité à un auditoire d'élite de banquiers et d'investisseurs à investir en Bolivie, pourvu qu'ils n'interviennent pas dans la politique interne et soient disposés à accepter la propriété conjointe.
Indépendamment des résultats de ces stratégies d'exploitation minière basées sur le capital étranger - qui ne sont pas actuellement très encourageantes, le schéma donne un caractère particulier à ce socialisme du XXIe siècle : la substitution du prolétariat et des paysans par les exécutifs étrangers et les technocrates locaux est une nouveauté dans la pratique du socialisme de n'importe quel siècle, et est plus adéquatement associée avec le capitalisme de libre marché.
En accord avec les politiques de Morales de portes ouvertes au capital minier, le gouvernement a généreusement fortifié et a subventionné et accordé des prêts a sous intérêt au secteur agro-industriel, même dans ces provinces, comme la Demi-Lune
(les provinces de plaine et amazoniennes, non andines NDLR), où l'agro-industrie a soutenu des groupes d'extrême droite pour déstabiliser le régime. La volonté de Morales d'oublier l'hostilité politique de l'élite agro-industrielle, et de financer son expansion est un indice clair de la haute priorité qu'il donne à la croissance capitaliste orthodoxe, au-dessus de toute préoccupation pour le développement d'un pôle alternatif autour des paysans et des travailleurs agricoles sans terre.
Une visite dans les zones rurales et les quartiers urbains confirme les rapports publiés sur la nature immuable des inégalités de classe. Les cent familles les plus riches de Santa Cruz
(la capitale de la Demi-Lune NDLR) continuent à posséder plus de 80% des terres fertiles, et plus de 80% des paysans et des indigènes ruraux sont sous le seuil de pauvreté. La propriété des mines, du commerce en gros et de détail, de la banque et du crédit continuent d'être concentrés dans les mains d'une oligarchie, qui durant les dernières années a diversifié son portefeuille dans d'autres secteurs économiques, créant ainsi une classe dirigeante plus intégrée et avec un plus grand lien avec les acteurs du capitalisme mondial.
Morales a accompli sa promesse de protéger et fortifier l'élite économique pluri-sectorielle traditionnelle, mais a aussi ajouté et promu d'autres récemment arrivés, privés et bureaucratiques, surtout de hauts exécutifs étrangers et de hauts fonctionnaires, très bien payés, qui dirigent les entreprises conjointes.
Bien que la majorité des socialistes de tout siècle soient d'accord que les grands propriétaires ne sont pas les meilleurs fondements possibles pour une transition socialiste, Morales a soutenu et a promu la production agricole destinée à l'exportation, au lieu de l'agriculture familiale de production locale d'aliments.
Pire encore, il a à peine amélioré les conditions de vie des travailleurs agricoles, et, dans un cas extrême, quelques milliers d'indigènes continuaient d'être exploités comme main d'oeuvre esclave trois ans après l'arrivée de Morales au pouvoir. L'exploitation dure des travailleurs agricoles est une préoccupation moindre que l'augmentation de la productivité, des exportations et des recettes de l'État.
Bien qu'on ait approuvé une législation de travail qui facilite l'activité syndicale, celle-ci n'est pas appliquée, surtout dans les provinces de la Demi - Lune, où les inspecteurs de travail évitent de faire face aux associations de propriétaires, bien renforcées. Les occupations de terres par quelques travailleurs ruraux sans terre ont été dénoncées par le gouvernement. Les mouvements de base qui font pression pour une réforme agraire dans des propriétés sous-cultivées étendues ont été vigoureusement rejetés par le gouvernement, qui viole de cette façon ses propres déclarations que seules les exploitations agricoles cultivées ne seraient pas expropriées.
Vu l'emphase du gouvernement dans les aspects culturels et politiques de sa version de socialisme du XXIe siècle, il n'est pas surprenant qu'aient été consacrés davantage de temps et davantage de ressources à la célébration de festivités, chansons et danse indigènes qu'à l'expropriation et à la distribution de terres fertiles à la masse d'indigènes sous-alimentés.
L'effort du régime pour dévier l'attention de la réforme agraire, par la solution d'installer les indigènes sans terre dans les terres publiques tropicales éloignées a été une catastrophe. Ce plan de colonisation, organisé par l'ainsi nommé Institut de la Réforme agraire, a offert aux indigènes du plateau des terres infestées par les maladies et sans préparation de la terre, sans les outils, les semences et les engrais nécessaires, et y compris sans logement.
Il est inutile de dire que, en moins de deux semaines, les indigènes ont exigé leur transport de retour vers leurs villages pauvres, qui s'avéraient meilleurs en comparaison que les zones contaminées de malaria de ces terres éloignées. Pour compenser le manque d'un vaste programme de redistribution de la terre, Evo Morales de temps à autre organise, avec pompe, cérémonie et beaucoup de publicité, des offres en cadeaux de tracteurs aux agriculteurs moyens et petits, dans ce qui est plus un acte de clientélisme politique qu'une partie d'un mouvement social de transformation.
Les deux aspects plus frappants que la stratégie économique et politique de Morales sont l'emphase dans les exportations traditionnelles de minéraux et la construction de machines électorales de type corporatiste et clientéliste classique.
Durant la cinquième année de son gouvernement, les entreprises conjointes établies avec les étrangers transnationaux ont extrait et exporté des matières premières avec peu de valeur ajoutée.
Surprenant s'avère le bas niveau d'industrialisation et de transformation en produits finis, qui pourraient produire un plus grand emploi industriel. La même histoire est appliquée aux exportations agricoles : la plupart des céréales et des autres produits agricoles ne sont pas traités en Bolivie, ce qui équivaudrait à des milliers d'emplois pour la masse pauvre d'indigènes sans terre. Le régime a accumulé de grandes réserves, mais n'est pas parvenu avec à financer ou à favoriser l'industrie locale de substitution des importations capital, biens intermédiaires et biens de consommation durable.
Cette stratégie politique ressemble beaucoup à celle adoptée il y a un demi-siècle par le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR), grâce à laquelle les syndicats et, spécialement, les mouvements paysans se sont incorporés à l'État. À défaut de changements socio-économiques significatifs, le gouvernement s'est basé sur le parrainage public, canalisé par le biais des syndicats et des dirigeants paysans et indigènes, qui se déverse sous forme de faveurs à des éléments locaux loyaux au parti. Le clientélisme, style Morales, est constantement renforcé par une série de gestes symboliques d'affirmation de l'identité éthnique indigène, et la solidarité entre le donneur et le récepteur dans la relation de clientélisme politique.
Le socialisme du XXIe siècle, dans la pratique politique d'Evo Morales, est beaucoup moins innovateur et socialiste, et beaucoup plus proche dans son style politique des précédents corporatistes du XXe siècle. Les observateurs qui ont peu de connaissances du passé politique en Bolivie, les journalistes "impressionnistes" amateurs de politiques symboliques, et les auteurs d'affaires financières qui placent de manière non-discriminée l'étiquette de socialiste sur les politiciens qui interrogent seulement de manière rhétorique la doctrine du libre marché, ont renforcé l'image radicale ou de socialisme du XXIe siècle du gouvernement de Morales.
En tenant compte de ce que nous avons décrit sur les pratiques réelles des gouvernements socialistes du XXIe siècle, il s'avère utile de les placer dans un cadre historique comparatif plus vaste, afin de pouvoir discerner leur possible impact dans la société latino-americaine.