Le 6 août dernier, l'actualité des dernières colonies directes de l'Empire BBR ("DOM-TOM") a été marquée par les affrontements sanglants de l'aéroport de Maré, dans les îles Loyauté, en Kanaky ("Nouvelle-Calédonie"), qui ont fait 4 morts.
Pour les médias bourgeois, un "conflit social sur le prix des billets d'avion, doublé d'un conflit de voisinage tribal"... Car évidemment, pas un seul bon lecteur de la presse francouille ne peut s'imaginer ces sauvages, avec leur pagne et leur os dans le nez (c'est comme ça qu'il les imagine...), faire autre chose que se tatanner entre tribus voisines, pour des histoires de champ de manioc...
La réalité est toute autre. En réalité, il y a là ce que les Antillais, à travers leur grande lutte de début 2009, nous ont fait connaître sous le nom de pwofitasyon ("profitation") : réaliser des profits honteux sur les conditions particulières aux dernières colonies BBR (insularité, éloignement de la métropole et de tout, etc.). En l'occurence, les îles Loyautés sont assez éloignées de la Grande Terre (elle-même grande comme 2 fois la Corse), où se concentre l'activité économique, et le seul moyen pour leurs habitants de s'y rendre est l'avion. Il suffit qu'un monopole sur la liaison aérienne s'installe, et le propriétaire de la compagnie est le roi du pétrole : il peut imposer les tarifs qu'il veut, puisque les habitant-e-s n'ont de toute façon pas d'autre solution.
Mais cette fois-ci, les habitant-e-s de Maré se sont révolté-e-s. Le mouvement du Collectif des usagers des îles a été soutenu par l'USTKE, syndicat de gauche radicale de Kanaky, dont le dirigeant Gérard Jodar a connu les geôles de la République il y a 2 ans :
Communiqué de presse
Le 4 Aout 2011 - Article vu 214 fois
Dréhu, le 29/07/2011
La section STKE de la province des Iles apporte son soutien total aux collectifs des usagers des Iles (DREHU, NENGONE, IAAI, KUNIE) contre la nouvelle politique tarifaire d’Air Calédonie.
Et dénonce le manque de considération de la part des élus politiques de la province des Iles ainsi que le gouvernement vis-à-vis de la population des Iles.
La politique des tarifs à Air Calédonie doit réellement prendre en compte le développement économique et le pouvoir d’achat des usagers des îles.
En tant que travailleurs vivant aux îles nous sommes concernés au premier plan par la situation.
A cette occasion nous réaffirmons la devise de l’USTKE qui est : Usine-Tribu Même Combat.
Pour la section STKE P.I.L
Le SG Mr Robert Xowié NYIPIE
Mais, de son côté, le PDG de la compagnie Aircal (en cause) est Nidoish NAISSELINE, potentat "coutumier" du district du Guahma. Et entre Naisseline et l'USTKE, le contentieux est aussi vieux que lourd - de fait Naisseline n'est pas seulement "un ancien" mais bel et bien le FONDATEUR du mouvement de libération kanak dans les années 1970, avec le mouvement des "Foulards rouges" puis le Palika, sur une ligne clairement révolutionnaire marxiste ; mais il évoluera ensuite lors de la décennie suivante - en fondant le LKS - vers des positions réformistes, légalistes et conciliatrices compradores (NB : article plutôt hostile au mouvement - le bonhomme nous insultera par la suite sur son minable site de petit profaillon colonial républicard, donneur de leçons et bien sûr anticommuniste) :
Le drame de Maré aurait-il pu être évité ? C’est la question que tout le monde se pose en Calédonie, trois jours après le week-end meurtrier qui s’est soldé par la mort de quatre personnes (pour trente blessés). En d’autres termes, l’Etat aurait-il pu intervenir préventivement ?
Albert Dupuy, haut-commissaire de la République, explique que, « des deux côtés, on se doutait qu’il y aurait des rencontres, sans doute musclées. Les deux parties (m’) ont dit qu’à Maré ce genre de contacts était presque traditionnel mais se déroulait toujours à la loyale. »
Il précise cependant, en réponse à des accusations d’intervention trop tardive de l’Etat, que « personne ne pouvait imaginer une telle violence. » (Les Nouvelles du 09/08/2011).
Contrairement à la thèse officielle, cependant, plusieurs évènements récents pouvaient au contraire laisser craindre une telle issue :
- Juin 2009 : suite au non renouvellement du contrat à durée déterminée d’une employée d’Aircal (cf ça tangue sur Aircal), puis pour réclamer le paiement des jours de grève, l’USTKE (et son Président de l’époque, M. Jodar) menace le territoire d’une grève générale (cf Au fond à gauche, à côté des toilettes) et bloque l’aérodrome de La Roche (cf Les bâches bleues sont de sortie).
Une marche de soutien à Nidoïsh Naisseline, grand-chef de Maré et PDG d’Aircal, est alors organisée à Tadine par des usagers excédés (cf Une grève contre le peuple).
Voici ce qui apparaît alors sur un tract signé par les grandes chefferies de Maré :
« Les grands chefs de Maré décident d'interdire toute manifestation de l'USTKE à proximité de l'aérodrome de Maré sous peine de sanction coutumière. Tant que cet affront (les insultes de l'USTKE proférées à l'égard de Nidoïsh Naisseline, « renégat à ta race », « cadre kanak incompétent », « grand chef bâtard », NDLR) n'aura pas été réparé, toute entrave au service public (aérodrome, service de santé, école, mairie...) du fait de l'USTKE sera considérée comme de la provocation et traitée comme telle. » (mis en gras par SLP)
À la suite de cette marche, la tension est vive. Une délégation de Guahma monte à La Roche pour déloger les militants de l’USTKE et libérer l’aéroport. Seules quelques bousculades sont à déplorer. À la loyale.
- Avril 2010 : le conflit foncier qui oppose le district de Guahma au reste de l’île entre dans une phase plus active, sous la forme de fermetures sauvages de sites, pour l’essentiel des accès à la mer (cf La mer est fermée n°4). La tension monte d'un cran.
- Juin 2010 : le conflit foncier est à son apogée. Une délégation de Guahma se rend dans le district de Medu et y installe une borne géante, symbole de la discorde et de la nouvelle délimitation foncière imposée. Cette borne sera détériorée peu après, entraînant une expédition de rétorsion de quelques centaines de personnes de Guahma. Des coups de feu sont tirés en l’air, la tension est extrême pendant plusieurs jours, des rumeurs circulent mais le drame est encore évité.
Août 2011 : je ne vis plus à Maré depuis la fin de l’année dernière, mais suis avec attention les nouvelles en provenance de l’île.
Un Comité contre la vie chère (ou Collectif des usagers) réclame maintenant des billets AR îles/Nouméa à un tarif unique de 10 000 F. Difficile à accepter pour Aircal, compagnie privée qui remplit déjà – à perte – une mission de service public (le désenclavement des zones éloignées du territoire, non rentables) et se trouve à deux doigts du dépôt de bilan.
Pour obtenir gain de cause, le Comité recourt une fois de plus au blocage de l’aérodrome de La Roche (ainsi qu'à Lifou et à l'île des Pins), et cela depuis deux semaines.
En face, un Comité pour la défense des populations les plus démunies se met en place, réclame le retour des avions et émet des craintes quant à la possible disparition d’Aircal. La compagnie est en effet maintenant au bord de la faillite (cf Les Nouvelles du 05/08/2011). Parallèlement, l'activité touristique (d'ordinaire déjà peu florissante) est au point mort.
Aircal et le tourisme regroupant à eux deux la quasi totalité des emplois des Kanak des îles et la principale source de leurs revenus, la situation économique n'est pas loin de devenir catastrophique.
6 août 2011 : dans son édition du matin, Les Nouvelles précise que la gendarmerie reste sur les lieux (de l’aérodrome de La Roche) pour éviter tout affrontement entre les deux camps. Un risque existait donc bel et bien.
Ce sont les hommes de Naisseline qui ont attaqué, le 6 août, le piquet des usagers bloquant l'aéroport, l'assaut dégénérant en affrontement armé : 4 morts et 23 blessé-e-s. Cette affaire illustre parfaitement l'aspect semi-féodal des pays dominés, où la domination impérialiste s'appuie sur des potentats et notables locaux pour asseoir son pouvoir. Aux Antilles, les békés ou des Oncles Tom descendant-e-s d'Africain-e-s ; en Kanaky, les puissants colons caldoches mais aussi des "chefs coutumiers" comme Naisseline. Les camarades algérien-ne-s qui lisent cet article se souviennent sans aucun doute, dans les récits de leurs parents et grands-parents, du rôle des caïds et autres bachagas dans la domination impérialiste BBR sur leur pays.
Depuis plus de 20 ans que s'est mis en place le "processus de Matignon" (accords de 1988), l'île stagne dans son statut bâtard de "collectivité spéciale" en attendant un hypothétique de référendum : l'État français souhaite "optimiser le transfert de compétences avant d’accorder l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie". Traduction : l’État français souhaite prendre le maximum de temps pour mettre en place ses élites politiques, afin que Kanaky, dans une éventuelle indépendance, ne fasse pas de vagues et soit à sa botte. Et des anciens indépendantistes y compris très radicaux, comme Naisseline, font partie de ces élites néocoloniales en formation...
Voici en outre le communiqué de solidarité de l'UGTG (Gwadloup) :
COMMUNIQUE de L’UGTG
A propos des évènements survenus en KANAKY dans le cadre de la mobilisation des Travailleurs et des Usagers des Iles de DREHU, NENGONE (MARE), IAAI et KUNIE.
GWADLOUP KANAKY MENM KONBA !
Le Haut Commissaire de l’Etat colonial français présente la mort de 4 personnes comme la conséquence d’un affrontement entre tribus. En vérité, il s’agit d’une attaque de la milice patronale d’Air Calédonie avec l’accord et le soutien l’Etat colonial français contre des usagers qui réclament l’arrêt de la pwofitasyon sur les prix des billets d’avion.

C’est pour avoir dénoncé et s’être mobilisés depuis le 23 juillet dernier contre cette pwofitasyon, érigée en véritable système, que les Usagers de l’ile de NENGONE (MARE) ont fait l’objet d’attaques violentes par la milice patronale, autorisée par l’autorité coloniale française. Bilan : 4 morts et 23 blessés.
Ce drame intervient après l’appel de l’USTKE (resté vain) à « l’ensemble des acteurs institutionnels, Gouvernement et Congrès afin d’engager rapidement les discussions et négociations avec le Collectif des usagers pour créer les conditions permettant un règlement du conflit et une reprise de l’activité de la compagnie. »
L’alliance Patronat - Etat colonial français aura donc décidé de régler ce conflit dans le sang, comme toujours, en organisant division, confrontation et affrontement entre travailleurs. Rappelons-nous les condamnations à des peines de prison ferme dont ont été victimes six dirigeants de l’USTKE lors d’un précédent mouvement à Air Calédonie en 2009.
L’UGTG réaffirme que la paix sociale ne peut exister quand la majorité des enfants sont exclus de tout et tient l’Etat colonial français pour principal responsable de cette tuerie.
L’UGTG exhorte les Travailleurs et le Peuple Kanak à refuser la division instituée par le colonialisme français ; division destinée à servir les intérêts de la France et non ceux des Travailleurs et du Peuple Kanak.
L’UGTG apporte son soutien militant aux Travailleurs et au Peuple KANAK qui luttent contre le mépris, pour le respect et l’amélioration du pouvoir d’achat et condamne sans réserve la répression dont ils font l’objet.
Tout comme en Guadeloupe, l’UGTG exige le respect des travailleurs et du Peuple Kanak, la satisfaction de leurs justes et légitimes revendications ainsi que le respect des accords signés sur l’amélioration du pouvoir d’achat, la priorité d’emploi, la formation et l’insertion des jeunes et l’accès aux postes à responsabilités en faveur des gens du pays.
NON AU MEPRIS – NON A LA REPRESSION !
GWADLOUP KANAKY MENM KONBA !
Le Secrétaire Général
Elie DOMOTA
Guadeloupe, le 06 Août 2011

Kanaky : sous le jardin d'Eden, les damnés de la terre...