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31 octobre 2014 5 31 /10 /octobre /2014 19:52


Affirmer au sujet de tel ou tel slogan maocqu'il est ou a été "utilisé par les fascistes" (en lien une image publiée sur le site de nos grands "amis" qui en sont friands, mais l'argument est récurrent dans le débat politique d'"extrême-gauche") n'a tout simplement aucun sens.

Pourquoi ? La réponse tient en une phrase : tout simplement parce que LE FASCISME N'EST PAS LA MÊME CHOSE QUE LA DICTATURE RÉACTIONNAIRE "CLASSIQUE", comme celle qu'il peut y avoir dans les "républiques bananières" du "Tiers-Monde" ou comme ce que l'on a pu connaître sous les différents règnes du "Parti de l'Ordre" en Hexagone au 19e siècle, ou encore sous l'autocratie tsariste qui régnait en Russie avant la Révolution bolchévique : en substance, "fermez vos gueules ou on tire dans le tas".

Le fascisme se caractérise - c'est même sa première caractéristique - par le fait de chercher à "PARLER AU PEUPLE" et pour cela il s'empare de véritables aspirations populaires, il apporte (pour reprendre les termes d'un dirigeant "socialiste" bien connu) de "mauvaises réponses à de bonnes questions" (de mauvaises réponses qui sont finalement, comme nous l'avons déjà dit dans un précédent article, les défenses immunitaires du système).

En d'autres termes, le fascisme ne consiste pas seulement en l'écrasement pur et simple d'un des termes de la contradiction : prolétariat par la bourgeoisie, classes dominées-exploitées par la classe dominante-exploiteuse en général, nationalités et autre communautés dominées-subordonnées par la nationalité dominante etc. etc. Il cherche aussi - et même surtout - à nier, à "aplanir", à "arranger" les contradictions dans lesquelles la classe dominante perçoit - à raison - un danger pour sa domination.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il va non seulement agiter le spectre d'"ennemis" fantasmatiques, abstraits et (donc) impossibles à combattre, mais aussi (car cela n'a qu'un temps...) désigner des ennemis bien concrets contre lesquels unir les termes de la contradiction qu'il veut nier - à partir de quoi les personnes incarnant cet "ennemi concret" vont bien sûr souffrir.

C'est ainsi que par exemple, dans l’État capitaliste et multinational "France" des années 1890 à 1940, le maurrassisme (Action française) a consisté en une proposition stratégique pour unir toutes les classes et les nationalités réelles contre 1°/ les puissances capitalistes-impérialistes étrangères concurrentes (principalement l'Allemagne, mais l'"arrogante" Angleterre - la perfide Albion - n'était pas en reste), 2°/ le socialisme, les "partageux" (révolutionnaires) et la "guerre civile" (lutte révolutionnaire de classe), 3°/ la "juiverie" et la "maçonnerie" autrement dit la bourgeoisie républicaine et libérale, supposée "ouvrir la porte" aux "partageux" et à la "guerre civile" ; tout cela pour - bien sûr - la survie et si possible le triomphe de "la France", autrement dit du système capitaliste organisé sous ce nom. Cette proposition s'opposait à celle de la République de Jules Ferry et Clemenceau, fondée sur l'assimilation-uniformisation "républicaine" "française" des différents Peuples et des classes sociales antagoniques dans un même élan "républicain" et "patriotique"... contre les mêmes ennemis sauf le troisième (puissances concurrentes - en premier lieu les "Boches" - et "spectre de la guerre civile", mais bien sûr pas la bourgeoisie républicaine et libérale puisqu'il s'agissait d'eux-mêmes !), tandis que Maurras et l'Action française prônaient la reconnaissance et la valorisation des différents Peuples de l’État français avec pour "ciment" le Roi et l’Église catholique (d'autres courants, républicains réactionnaires ou bonapartistes ou éventuellement orléanistes, étaient eux aussi sur une ligne d'intégration-négation "française" mais avec un exécutif fort, "césariste" - la plupart des "ligues" des années 1920-30 étaient de fait sur cette ligne-là, les partisans de Maurras étant une minorité).

Kemi-Seba.jpgEt c'est ainsi que de la même manière, alors que la multinationalité de la "France" a encore été renforcée par l'immigration (importation massive de force de travail pendant la période de croissance capitaliste des "Trente Glorieuses" 1945-75), la nébuleuse Dieudonné-Soral-Séba & co va faire exactement la même proposition stratégique au sujet des "minorités visibles" (prolétaires et petits bourgeois colonisés intérieurs d'origine extra-européenne) ; s'opposant en cela à la proposition d'"intégration"-assimilation "républicaine" et au (plus prosaïque) mainstream d'extrême-droite "la France tu l'aimes ou tu te casses" (le soralisme tend cependant assez souvent vers l'intégrationnisme et l'"intégrationnisme républicain" dérive de plus en plus souvent vers un "cassez-vous" à l'endroit des "réfractaires", comme l'illustre typiquement le cas d'Alain Finkielkraut). Et contre quoi va-t-on unir tout ce "beau monde" ? C'est simple : contre la concurrence capitaliste-impérialiste internationale principalement US/anglo-saxonne, ce qui va forcément séduire les courants du Grand Capital bleu-blanc-rouge qui voient le plus leurs intérêts diverger de ceux d'outre-Atlantique et qui va s'avérer relativement facile auprès de couches populaires chez qui les États-Unis (en raison de leur politique impérialiste) n'ont pas bonne presse ; contre une "finance apatride/mondialiste" désignant en réalité la CRISE du capitalisme (insurrection du Capital contre sa propre crise) ; et puis bien sûr... contre la communauté juive (rebaptisée "sionistes" ou "talmudistes") accusée d'être la "5e colonne" de cet "ordre mondial américano-sioniste" en Hexagone (Israël, honni pour des tas d'excellentes raisons dans les catégories concernées, étant dépeint comme le "quartier général" de ce "talmudisme" et, pire encore que le fer de lance de l'impérialisme US au Machrek arabe, comme le véritable "maître" de celui-ci). Les "gauchistes", c'est-à-dire les RÉVOLUTIONNAIRES qui veulent vraiment le renversement du capitalisme et son remplacement par une autre société collectiviste et égalitaire, la fin de toutes les hiérarchies sociales, les injustices et les oppressions, sont bien entendu des "idiots utiles" du "sionisme" et du "mondialisme"... CQFD.

Les exemples abondent à travers l'histoire ; de fait, ce sont TOUS les fascismes qui ont ces caractéristiques. Le nazisme allemand prétendait unir le Capital et les travailleurs allemands contre les Juifs, les puissances étrangères rivales (qui avaient vaincu et effectivement humilié l'impérialisme allemand après 1918) elles-mêmes "agents des Juifs", les "agents intérieurs" des Juifs à savoir le communisme, le socialisme et le libéralisme politique bourgeois, un "capitalisme" désignant en réalité les seuls symptômes de la crise capitaliste (spéculation financière etc.) et lui aussi assimilé aux Juifs (et opposé à un "bon" capitalisme appelé "socialisme national"), tout ceci tourné vers un objectif militaire de revanche contre les vainqueurs de l'Ouest et d'expansion impériale à l'Est (anéantissant du même coup l'URSS marxiste-léninste, ce qui n'était pas pour déplaire à la bourgeoisie allemande). Le fascisme italien prétendait de même unir la bourgeoisie et les ouvriers/paysans de l’État italien principalement contre les puissances étrangères concurrentes (qui "méprisaient" et "humiliaient" l'impérialisme "faible" italien : concept de la nation prolétaire développé dès 1914 par le nationaliste monarchiste et conservateur Corradini), dans une démarche d'expansion impériale en Afrique et en Méditerranée et de développement économique fondé sur le pragmatisme ("révolutionnaire ou réactionnaire, socialiste ou libéral selon les circonstances" disait Mussolini), en luttant "pour" cela contre le "spectre de la division" autrement dit de la lutte des classes (situation révolutionnaire de quasi-guerre civile autour de 1920) et donc contre les "agents" de cela (les révolutionnaires socialistes, marxistes, anarchistes etc.). Dans un État fondé - en substance - sur la conquête du Sud (ancien Royaume de Naples) par le Nord (Piémont, Lombardie-Vénétie, Ligurie, Toscane etc.), le régime fasciste cherchera également à s'approprier le principal instrument de contrôle politique des masses méridionales : l’Église catholique (accords du Latran) ; tout en luttant contre les forces centrifuges (en particuliers les mafias) et en flattant le Nord industriel (mais aussi le Sud arriéré) par un "modernisme" effréné. 

Tout ceci, comme nous le voyons bien, ce n'est donc pas la "révolution" (écrasement du terme réactionnaire, oppresseur-exploiteur de la contradiction : le fascisme peut se prétendre "révolutionnaire" mais il n'est en réalité - on l'a dit - que l'insurrection du capitalisme contre sa propre crise) ; mais ce n'est pas non plus simplement - bien que cela le soit - la réaction (écrasement du terme opprimé-exploité-révolté de la contradiction) : il y a bel et bien une recherche de négation, d'"aplanissement" de la contradiction en amenant la contradiction "ailleurs" qu'entre ses termes réels - l'exploiteur/oppresseur et l'exploité/opprimé réels.

images Et pour cela... il va bien falloir S'EMPARER des questions et des contradictions qu'elles expriment (question = expression en termes politiques d'une contradiction sociale) afin de les nier, de dire que "tout cela peut s'arranger" et que "le vrai ennemi est ailleurs", et de mettre ceux qui les posent... AU SERVICE de ceux contre qui elles sont posées, dans ce qui s'appelle une MOBILISATION RÉACTIONNAIRE DE MASSE.

Le fascisme italien est bien entendu arrivé au pouvoir en s'emparant de la question de la misère généralisée et de l'arriération qui frappaient alors l'Italie et en y apportant pour "réponse" que c'était "parce que" les autres puissances ne la "respectaient pas", et qu'en "s'y mettant tous" (sans "bolchéviqueries" cela va de soi...) "on" réussirait à faire de la "nation prolétaire" italienne une puissance respectée où il n'y aurait plus de misère. Le nazisme allemand s'est bien sûr appuyé - de la même manière - sur la misère abyssale qui frappait les ouvriers, les paysans et les autres classes populaires d'Allemagne suite à la défaite de l'impérialisme allemand contre ses concurrents impérialistes ; la "réponse" étant ici de "s'y mettre tous" pour prendre sa revanche contre cette défaite et ses responsables extérieurs (les ennemis victorieux) et intérieurs (socialistes/communistes, Juifs, libéraux, "décadents" etc.).

Le maurrassisme, comme nous l'avons vu, ne consistait pas à dire aux ouvriers et aux paysans "contentez-vous de travailler dur et de vivre honnêtement de ce que vous gagnez, et surtout de fermer vos gueules sinon ça va barder", ni aux nationalités réelles "prière de parler français et de rester propre", de "ne pas parler patois et cracher par terre". Non, le maurrassisme S'EMPARAIT bel et bien de ces question sociales et nationales pour y "répondre" que la contradiction n'était - en réalité - pas où l'on croyait : centralisme politique, domination économique et négation culturelle n'étaient pas des attributs de la "France" (construction politique historique... de la monarchie capétienne au service de la bourgeoisie d'Île-de-France) mais de la "gauche" (la République "maçonnique" et "juive", les "idées de 1789") ; de même que l'exploitation capitaliste et ses conséquences les plus sombres, les crises (comme le reste du monde, l'Hexagone avait traversé une dure crise entre 1873 et les années 1890). Dans un système politique monarchique et catholique débarrassé de la "juiverie" et de la franc-maçonnerie, patrons et ouvriers, banquiers et entrepreneurs, paysans et propriétaires fonciers de toutes les "petites patries" (nationalités réelles) pourraient travailler en harmonie à la "prospérité générale" et à la grandeur de la "Grande Patrie" française. Autrement dit, le maurrassisme s'emparait des VRAIES et LÉGITIMES questions posées par les contradictions de l'entité politique-économique "France" pour les METTRE AU SERVICE, à coup de MAUVAISE RÉPONSES, de la classe dominante et de ses projets les plus réactionnaires - écrasement du mouvement ouvrier et guerre contre la concurrence impérialiste anglaise et allemande.

jeunebretagneAujourd'hui l'extrême-droite s'empare toujours et pareillement des souffrances et de la désespérance infligées par le capitalisme aux classes populaires, et la "réponse" mainstream qui y est apportée consiste à montrer du doigt certes la concurrence capitaliste étrangère ("produisons et consommons français !"), certes les symptômes de la crise générale (qui a repris vers 1970) contre laquelle le fascisme est une "insurrection" - "spéculation", "financiarisation" etc. etc., mais surtout l'"immigration" et la "racaille" ("française de papier") qui en est issue. Cette immigration aurait été l"'instrument" d'un "certain patronat" ("plus soucieux de ses profits que de l'intérêt général") "contre les salaires, le droit du travail et les solidarités ouvrières" - et aujourd'hui, non contente d'avoir accompli cela, elle vous brûle votre bagnole ou vous vole votre portable que vous avez saigné sang et eau pour vous payer, tout en servant de vivier électoral à l'"hyperclasse européiste/mondialiste UMPS". C'est initialement l'idéologue fasciste François Duprat qui avait "soufflé" l'idée de cette thématique à Jean-Marie Le Pen, afin de sortir son jeune parti (le Front National...) des vieilles thématiques antisémites, anti-"capital apatride" ou encore "Algérie française" devenues anachroniques (le nazisme avait - pour reprendre les mots de Bernanos - "déshonoré l'antisémitisme", l'Algérie était bel et bien indépendante sans espoir de reconquête et la nouvelle crise tendait plutôt à imposer comme "solution" au capitalisme la liquidation des "solutions" keynésiennes apportées à la précédente, mouvement "néolibéral" que le FN suivra pendant très longtemps, s'affirmant "reaganien" tout au long des années 1980). Elle s'est depuis déclinée au gré de "l'air du temps", encore reprise y compris par Soral et ses affidés... issus de ladite immigration ("Mathias Cardet"), ou encore focalisée sur la question de l'islam - à la fois religion de la grande majorité de "l'immigration" et idéologie de forces perçues comme une menace stratégique par l'impérialisme occidental, ce qui permet en passant à des personnes "pas du tout d'extrême-droite" d'assumer désormais ce discours de manière "tout à fait respectable"... Là encore, comme nous le voyons bien, la question sociale ("misère", "exclusion", "désespérance") est saisie par les fascistes pour y "répondre" que ce n'est pas une question de capitalisme (en tout cas pas entendu dans son sens réel : exploitation, extorsion de la plus-value et recherche de la plus-value maximale), mais SEULEMENT d'un certain patronat (trop "avide" et "égoïste", et/ou "mondialiste")... et des "immigrés" dont il a "rempli la France".

Mais nous avons également vu qu'un courant, le soralisme, tente quant à lui de répéter la proposition de Maurras (aux Peuples emprisonnés dans l’État "France") à l'attention - cette fois - de ces fameux "immigrés" et de leurs descendants - il pose, donc, la question du colonialisme intérieur (et au-delà de la domination impérialiste sur le "tiers-monde", question intimement liée). Puisque le "problème" ne peut pas être ces "immigrés" et leur descendance en question, on va "réactiver" les vieilles thématiques de l'époque maurrassienne : Juifs, francs-maçons, concurrence impérialiste étrangère (cette fois-ci principalement US/anglo-saxonne). La France serait dirigée par les "siono-maçonno-américano-pédo-mondialo-satanistes". Ce sont ces derniers (là, tout de même, on reprend la thèse Duprat) qui ont fait venir les immigrés. Mais aujourd'hui, "tranquilles les gars", il n'est "plus question de vous rejeter physiquement à la mer". La France est "bonne mère", contrairement à ce que prétendent ces gens qui la disent "raciste" alors que ce sont eux qui vous ont entassés dans des ghettos délabrés. Avec "un peu de bonne volonté" de votre part, on a moyen d'être très copains (hop ! la contradiction racisme/racisés et impérialisme/néocolonisés est "surmontée" en deux coups de cuiller à pot...). Catholiques et "latins" d'un côté, musulmans de l'autre, on a beaucoup de valeurs en commun (Soral pense là au sexisme, à l'homophobie etc. dont il est un champion incontesté). Et puis aussi, on partage "beaucoup d'ennemis" : l'Amérique, le sionisme, le "système" satano-maçonno-pédo-sioniste qui (comme on vient de vous l'expliquer) vous a fait venir pour casser les droits ouvriers des Français puis vous a mis dans des ghettos, les "gauchistes" qui se disent antiracistes mais en réalité vous méprisent et vous manipulent, etc. etc. Alors, réconcilions-nous ! Le problème n'est donc plus l'impérialisme français et son reflet en métropole qu'est le colonialisme intérieur : "c'est" l'impérialisme concurrent US, lui-même aux mains du "sionisme international", et s'il y a un "problème indigène" en "France" c'est parce que la "France" est tombée aux mains de ces gens-là via l'"UMPS", le CRIF etc. etc.

militantPour fonctionner, ce discours va aller s'appuyer sur une certaine "tradition" de fascisme "tiers-mondiste", qui était d'ailleurs celle... de Duprat en son temps : là encore, il s'agit au service des intérêts impérialistes français d'essayer d'"aplanir" une contradiction, celle qui oppose l’État impérialiste qu'est la France aux pays semi-coloniaux africains, arabes ou autres (on s'empare donc de la question de l'impérialisme), en présentant ladite France comme leur "alliée" potentielle contre la superpuissance US et - notamment - l'un de ses principaux alliés qu'est Israël (si telle n'est pas la politique française au moment où l'on parle, c'est bien sûr parce que la France est "aux mains des larbins de Washington et Tel-Aviv", mais cela changera quand "on" sera au pouvoir rassurez-vous !). Tel était le sens du slogan du GUD dans les années 1990 : "Paris-Gaza-Intifada", autrement dit "Palestine, l'impérialisme bleu-blanc-rouge est avec toi" (une fois qu'on l'aura libéré des "atlanto-mondialo-sionistes" qui le "contrôlent" bien sûr...) ; slogan que des camarades antifascistes parisiens ont eux aussi été accusés de "reprendre" ("Paris Gaza Antifa") alors qu'ils cherchaient simplement, justement... à ne plus laisser la question palestinienne à des fascistes comme Dieudonné, le GUD et consorts.

Allons maintenant plus directement sur ce soi-disant "slogan fasciste" de "Naître, consommer, mourir". De fait, c'est sans aucun doute un slogan qui a pu être utilisé par des groupes fascistes mais ceux-ci ne l'ont nullement inventé ; le slogan complet disant d'ailleurs "Naître, produire (ou travailler), consommer, mourir" : pour les fascistes qui l'ont (soi-disant) repris "produire/travailler" n'était donc manifestement pas un problème, il s'agissait simplement (sans doute) de savoir "vivre simplement", "épargner" et "léguer à ses enfants" (rien qu'un grand classique de l'idéologie française), ou alors que "s'il y avait la guerre" (à l'époque il y avait le "péril rouge", aujourd'hui le "péril islamiste") une société "consumériste" et "superficielle" ne "ferait pas le poids".

Ce slogan vient en réalité s'emparer de la question des chocs de modernité. À certaines périodes de l'histoire, l'accumulation capitaliste et le développement des forces productives sont tels que "le monde va trop vite" pour les consciences populaires : c'était typiquement le cas de la période allant de la seconde moitié du 19e siècle à 1914 (époque de Maurras...), avec son industrialisation massive de la production et une dépersonnalisation sans précédent de l'acte et de l'individu productif (taylorisme, fordisme etc.) ; et ça l'est encore de celle allant des "Trente Glorieuses" (époque du "slogan fasciste" en question ici) jusqu'à nos jours avec l'automatisation/informatisation de la production et de la vie quotidienne en général, un consumérisme généralisé et omniprésent (cf. ci-dessous), la mondialisation de la production (avec une concurrence internationale suraigüe) et son corollaire qu'est l'arrivée massive de force de travail immigrée extra-européenne, etc. etc. De réelles et concrètes améliorations sont apportées dans la vie sociale quotidienne, mais il n'y en a pas moins un sentiment de malaise... car tout ce progrès est capitaliste et imposé à des masses populaires qui n'en ont pas la maîtrise et qui se sentent - non sans raisons - des "pions" dans le processus, des "bouts de bois ballottés sur les vagues", "machinisées" et/ou "marchandisées" en tant que force de production et/ou de consommation etc. etc.

Cette problématique est étroitement connectée à d'autres comme celle du fétichisme de la marchandise (dont parlait déjà Marx au 19e siècle) ou encore celle de la société de consommation c'est-à-dire de la transformation du producteur en consommateur frénétique de marchandise produite, seul moyen trouvé pour enrayer la chute du taux de profit : on augmente d'un côté les salaires (part de la valeur produite allouée au travailleur) pour garantir la paix sociale... mais on met tout en œuvre de l'autre pour que le plus possible de cette part de valeur retourne dans les poches du Capital à travers une dépense quotidienne pour acheter les produits de ses entreprises, quitte à induire voire créer de toute pièce la demande (pousser à la consommation par la publicité, la "mode") etc. etc.[1]

Pour les marxistes, la question n'est en réalité pas celle de la production ou de la marchandise en soi mais le fait que les producteurs (et consommateurs "derrière") n'aient pas la propriété des moyens de produire cette marchandise, la maîtrise des procès de production. La réponse est donc simple : ils doivent s'emparer - collectivement - de cette propriété et de cette maîtrise de la production. La force de travail (qui n'est autre que la personne humaine !) cessera alors d'être une marchandise échangée contre salaire, la production et les besoins iront en coïncidant, le "consumérisme" cessera d'exister puisque le "salaire" consistera en la satisfaction des besoins de chacun et non en un moyen d'acheter de la marchandise (à "tout prix") pour en réaliser la valeur et la transformer en véritable plus-value.

Mais les fascistes vont, eux aussi, se saisir de ce malaise [2]. Ils l'ont toujours fait, à toutes les époques, d'autant plus que ces périodes d'accumulation et de "choc de modernité" sont généralement suivies de crises (1873-95, années 1920-30, années 1970 à nos jours) au cours desquelles ils surgissent et prospèrent (c'est là que le Capital a besoin d'eux !). Bien entendu, tout ce que nous venons d'expliquer ci-dessus, ils ne peuvent absolument pas y toucher car on est là au CŒUR MÊME du mécanisme capitaliste (que leur but réel est de protéger, pas de remettre en cause)... Alors, ce qu'ils vont généralement faire, c'est inciter les masses populaires à regarder vers un passé idéalisé où l'on "vivait vrai", où la vie sociale reposait (soi-disant) sur le "travail", la "vie honnête des fruits de celui-ci", "l'épargne", les "valeurs" etc. etc. Il arrive que ce passé idéalisé soit lointain : époque des salaf (compagnons du Prophète, soit le 7e siècle) pour certains "islamistes", époque biblique pour certains sionistes, Ancien Régime pour les royalistes etc. etc., ce qui ne va pas empêcher leur activisme politique... d'utiliser tous les moyens offerts par le "monde moderne" honni. D'autres, plus pragmatiquement, vont tourner les regards vers des époques que des personnes en vie ont connues - et qu'elles peuvent raconter aux plus jeunes. Mais là, cela va être "rigolo"... À l'époque du fameux "slogan fasciste des années 1970", il est vraisemblable que ses utilisateurs incitaient à regarder vers "avant la société de consommation", vers la France encore majoritairement rurale et "frugale" des années 1920-30-40 qu'exaltait la "Révolution nationale" de Vichy. Mais aujourd'hui, cela va plutôt être vers la "société de croissance" et en même d'"ordre" et de "valeurs" des années 1950-60... cette même société où a émergé la consommation de masse ! Il faut rappeler ici la règle n°1 avec le fascisme : ne pas chercher la cohérence !

Nous avons donc vu comment le fascisme consiste à nier ou détourner les contradictions de la société en s'emparant (pour cela) des questions que ces contradictions posent ; mais aussi que les marxistes peuvent et doivent apporter les bonnes réponses à ces vraies et légitimes questions - le marxisme est une science de la réalité sociale et il n'y aucune question du domaine du réel à laquelle il ne puisse répondre (s'il ne le peut pas, c'est qu'il n'a pas cherché et s'il cherche, il trouve !).

Jeune Bretagne operation nettoyageMais face à cette pratique du fascisme, il y a aussi une autre posture possible : puisque toutes ces questions sont prises en main par des fascistes qui y apportent de mauvaises réponses, c'est donc que les questions EN ELLES-MÊMES sont "mauvaises", "illégitimes", "nulles et non avenues". Cette posture, puisqu'il faut lui donner un nom, nous lui en avons donné un : il s'agit (en ouvrant grands les guillemets) de l'"antifascisme" bourgeois. L'"antifascisme" d'une bourgeoisie "républicaine" et "libérale" qui est ELLE AUSSI, il faut le rappeler, une formidable négatrice de questions et de contradictions sous le (sacro-saint) concept de "citoyenneté républicaine" (dès lors que tout un chacun a une attitude "républicaine" tout va bien, c'est lorsque l'on n'est "pas républicain" que cela ne va pas) et qui ne va donc même pas apporter de mauvaises réponses aux bonnes questions... mais tout simplement refuser qu'elles soient posées [la version "gauchiste" de cela consistant à nier toute autre question que "la lutte des classes", la stricte lutte ouvrier-bourgeois (contradiction à la base des autres, mais pas du tout la seule !) : il faut bien comprendre que beaucoup de "révolutionnaires" ("marxistes" ou "anarchistes") sont en réalité des petits bourgeois dont le système capitaliste qu'ils disent combattre est en même temps le râtelier (un râtelier qui ne leur fait peut-être, simplement, pas assez de place à leur goût) ; il leur faut donc "stériliser" d'entrée de jeu la lutte révolutionnaire qu'ils prétendent mener (l'empêcher d'être victorieuse), et réduire cette lutte à une stricte opposition mondiale prolétaire-bourgeois est la meilleure manière de le faire].

Si des réponses réactionnaires (maurrassiennes ou carrément séparatistes nazillonnes façon PNB) sont apportées à la question des Peuples emprisonnés et niés dans les États modernes produits du capitalisme, c'est donc que poser cette question est en soi réactionnaire (comme le 'p''c''mlm' le dit ouvertement : "des projets « nationaux » fictifs - Bretagne, Occitanie, etc.")[3]. Si Soral, Kémi Séba ou des réactionnaires religieux ("islamistes") "répondent" de manière réactionnaire à la question "indigène" des colonies intérieures, c'est que poser cette question est en soi réactionnaire. Si des fascistes (Soral-Dieudonné, GUD ou autres) s'affirment "du côté" des Palestiniens contre le sionisme, il n'est donc pas légitime de poser la question de la Palestine colonisée et apartheidisée par le sionisme (avec la bénédiction des fractions bourgeoises - pour le moment - au pouvoir dans les impérialismes occidentaux). Si des fascistes s'emparent de la question de l'angoisse des masses populaires face aux "chocs de modernité", au consumérisme qui emprisonne le producteur (avec son maigre salaire) dans la consommation (lui faisant en quelque sorte... rendre immédiatement au Capital ce que celui-ci lui a "donné" !), à l'individualisme et au recul des solidarités etc. etc., c'est donc que ces questions ne doivent pas être posées. Idem pour la question de l'écologie (des fascistes ayant même tenté d'infiltrer la ZAD du Testet !) et ainsi de suite... Circulez, y a rien à voir ! Poser ces questions c'est être un "fasciste en puissance", un "anticapitaliste romantique" "suintant (généralement) l'antisémitisme par tous les pores"... et elles sont dès lors laissées sur un plateau d'argent aux fascistes qui voudraient s'en emparer (ce qui viendra encore renforcer l'argumentaire "républicain" et ainsi de suite... jusqu'au jour où plus de gens écouteront les fascistes que les "républicains" et là... oups !).

Mais alors, là, coinçons un peu nos négateurs "gauchistes" de questions/contradictions : si le FN et autres propagandistes xénophobes, islamophobes et "anti-remplacistes" "répondent" (par la xénophobie et l'islamophobie) aux souffrances et à la désespérance sociale des classes populaires "blanches"... est-ce alors qu'il ne faut pas poser la (grande, la fameuse) QUESTION DE CLASSE ??? Là, en général, le "gauchiste" (anarchiste, trotskyste, "stal", luxemburgiste ou autre) est coincé ; il va le plus souvent tenter de s'en sortir en coupant court au débat ("tu mélanges tout", "tes arguments ne veulent rien dire", "ta mauvaise foi t'étouffe" etc. etc.). Le 'p''c''mlm' [4], lui, est plus ou moins sorti de ce "coinçage" : il assume de plus en plus ouvertement que face à l'islam et au "communautarisme" on "peut comprendre" la "classe ouvrière" qui vote Le Pen (ou les "personnes juives" qui se tournent vers la LDJ, le sionisme ultra, émigrent en Israël etc.) - du coup, on n'est plus seulement dans la bonne question mais aussi... dans la mauvaise réponse (apportée par les fascistes) à la souffrance et à l'angoisse sociale : "l'immigration" et ses descendants seraient "effectivement" un "problème" pour la "dignité du réel" populaire.

En attendant, l'"antifascisme" bourgeois s'est enrichi d'un nouveau terme - assez rigolo il faut dire : "hippie de droite" pour désigner toutes ces (fichues) personnes qui ne savent point cacher ces questions que la République des Lumières, de la culture et de la civilisation ne saurait voir...


[1] Ce phénomène postérieur à la Seconde Guerre mondiale a fait l'objet d'études marxistes brillantes (bien que d'aucuns les qualifieront sans doute de "post-modernes"...). On peut citer à ce titre et vous inviter à lire (en vous prévenant que le style d'écriture est hélas peu accessible) l'excellent Gouttes de Soleil dans la Cité des Spectres de l'ex-brigadiste rouge italien Renato Curcio. 

[2] Les religions, dont on connaît le regain populaire depuis une vingtaine d'années (que ce soit l'islam, le catholicisme, les églises évangéliques auprès - surtout - des communautés africaines ou caribéennes ou encore le judaïsme), sont elles aussi une recherche par les masses de réponses face à un sentiment de "perte de sens" dans l'existence sociale, de triomphe du consumérisme et du fétichisme de la marchandise ("matérialisme" selon leurs mots), de l'individualisme etc. etc. ; une manière (également) de réintégrer "artificiellement" une communauté sociale "solidaire" et "sincère" ; bref une quête de "gouttes de soleil dans la Cité des Spectres". Ce sont des réponses idéalistes mais attention, 1°/ tous les courants que ce soit du christianisme, de l'islam ou du judaïsme n'ont pas forcément une vision ultra-réactionnaire/fasciste ou médiévale de la société, ni ne sont des sectes vouées uniquement à enrichir leurs dirigeants et 2°/ les communistes doivent là encore, patiemment et sans posture dogmato-sectaire, se saisir des questions posées pour tenter d'amener peu à peu ces personnes des classes populaires vers le communisme.

[3] Sur cette question de l'affirmation réactionnaire des Peuples niés par l'État moderne, il faut avoir aussi que pendant très longtemps la MOYENNE BOURGEOISIE nationaliste ou autonomiste a été la seule force sociale à détenir le capital intellectuel nécessaire pour porter cette affirmation, de manière - donc - forcément bourgeoise et généralement réactionnaire. Les classes laborieuses étaient "sans voix" ; les forces s'exprimant au nom du mouvement ouvrier et du prolétariat étant généralement des petits bourgeois, des fonctionnaires, des enseignants ou des (aristocrates-) ouvriers particulièrement "inclus" et se sentant "français", suivant le concept selon lequel "monter à la ville" pour y intégrer la classe ouvrière revenait à "entrer dans la civilisation" et abandonner son "patois", ses petits "obscurantismes" etc. etc. Les choses ont commencé à sérieusement changer à partir des Trente Glorieuses (par exemple en Occitanie avec la grève des mineurs de La Sala/"Decazeville"), mais il y aura malheureusement toujours assez - puisque 10 spécimens suffiraient ! - de petits fachos et autres illuminés réactionnaires à la Yann-Ber Tillenon pour que les jacobinards de tout poil y réduisent nos luttes...

[4] Lire aussi son dernier article sur la question suite aux évènements insurrectionnels de Tolosa/Toulouse, Naoned/Nantes et quelques autres villes suite à la mort de Rémi Fraisse, plein (comme à l'accoutumée) de morgue et de donnage de leçons envers la jeunesse "petite-blanche" prolétarisée (la fameuse "génération qui vivra moins bien que ses parents") qui est pourtant, avec les "quartiers"-ghettos-à-"indigènes", l'autre grande force révolutionnaire de notre époque en Hexagone (même si nous pouvons admettre que la constructivité d'une certaine "casse" puisse être questionnée, mais pas de cette façon). Ceci montre et confirme bien qu'il n'y a plus grand chose d'ironique à les classer dans la même famille politique que l'UMP, Manuel Valls ou encore Mélenchon - c'est-à-dire la bourgeoisie "républicaine"... Ils réussissent même l'exploit de se retrouver même sur une position identique... à celle d'un site "emblématique" de la mouvance soralienne, le particulièrement pestilentiel Croah.fr de "Joe le Corbeau" : Des antifas dégénérés ravagent le centre-ville de Nantes. Quand on vous dit que toute cette merde croupit dans le même chiotte tricolore, et tend de plus en plus - sous la pression des masses en révolte - à former un seul bloc !

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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 07:05


En juillet 2012, le site Arab Maoists publiait un très intéressant texte en 20 points, reprenant d’ailleurs certaines réflexions que nous avions pu émettre sur les réseaux sociaux. Communistes révolutionnaires plutôt basés au Machrek (Liban, Syrie, camps palestiniens), aux portes immédiates des grandes secousses agitant la région (notamment le conflit syrien), ils faisaient alors l’objet de fourbes attaques de la part de la clique internationale autour des illuminés de la Voie Lactée (‘p’‘c’‘mlm’), les accusant d’être une mystification visant à nuire à leurs propres ‘maoïstes arabes’, groupe mystérieux (sans site ni rien) sur lequel couraient pour le coup de nombreuses rumeurs de pratique barbouzarde

Presque deux ans se sont écoulés, et il semble pourtant valoir la peine de republier certains points de ce texte, abordant notamment la (très vaste) question du rapport entre religion et lutte des classes (ou de libération). Pourquoi cela ? Parce que nous sommes désormais dans une situation que l’on peut résumer en deux phrases :

- Une très importante et menaçante montée du fascisme, de l’extrême-droite et autres idées réactionnaires ‘‘dures’’ (dans les urnes comme dans la rue), appelant une riposte populaire antifasciste sans concession ;

- Une tentative, par certains milieux ‘‘antifascistes’’, de jeter UNE NOUVELLE FOIS cette mobilisation antifasciste dans les bras de la ‘‘gauche’’ républicaine bourgeoise (voire de la bourgeoisie autoproclamée ‘‘républicaine’’ dans son ensemble !), comme l’avait déjà fait le PC de Maurice Thorez. Une bourgeoisie républicaine qui aurait une ‘‘différence fondamentale de nature’’ avec le mouvement fasciste, ceci étant éventuellement basé sur un pseudo-argumentaire ‘‘marxiste’’ (du style bourgeoisie ‘‘traditionnelle’’ non-fasciste vs bourgeoisie ‘‘impérialiste’’ fasciste ; alors que le léninisme nous enseigne depuis près d’un siècle que dans un pays impérialiste la bourgeoisie impérialiste est au pouvoir, point).

Une ‘‘gauche’’ qui, ici en ‘‘France’’, a une particularité fondamentale qu'il faut comprendre : elle ne se contente pas de se ‘‘défendre’’ contre la montée du fascisme ; elle a aussi une CARTE À Y JOUER pour mobiliser en masse, sur une ligne d’‘‘union sacrée républicaine’’, autour de la sacro-sainte ‘‘Républiiiiique’’ des monopoles (dans la vision qu'elle en a, car la droite et désormais l'ultra-majorité de l'extrême-droite sont aussi ‘‘républicaines’’), garante depuis 140 ans (sur les cadavres des Communards) des intérêts capitalistes ; dans le but de :

1°/ soit (peu probable) conjurer la menace fasciste et déboucher sur une République et une idéologie républicaine ‘‘refondée’’ et renforcée sous son égide ;

2°/ soit, si la nécessité fasciste s’impose au Capital hexagonal, y trouver sa place avec des ‘‘arguments’’ (en terme de troupes, d'influence dans la société etc.) pour se ‘‘vendre’’ au prix fort, comme elle l’a déjà fait en 1940 (sachant que cette fois-ci il n’y aura probablement pas d’occupation étrangère donc de problème ‘‘patriotique’’… donc un ‘‘frein’’ de moins !) ou, sans vouloir comparer abstraitement les deux situations, en 1958 ;

3°/ soit enfin, si le fascisme s’impose puis est à son tour vaincu, déboucher non pas sur une situation révolutionnaire mais sur un nouveau ‘‘cycle républicain’’, une nouvelle sacro-sainte République capitaliste-impérialiste, là encore refondée-renforcée… par l’absorption ‘‘antifasciste’’ de ceux et celles qui étaient justement censé-e-s l’abattre ; ce qu'il s'est passé en 1944-46 !

Pour que cela fonctionne, il y a une condition ; et cette condition est de ne pas dénoncer et affronter la tendance au fascisme en général mais seulement certaines de ses expressions en particulier ; ou carrément des choses directement qualifiées de fascistes alors qu’elles sont un  stade de conscience de masse pouvant tout autant évoluer vers le fascisme que vers l’antifascisme voire la conscience révolutionnaire, mais qui sont perçues (et à juste titre) comme une menace pour la République bourgeoise.

chapt18img05Parmi ces choses, il y a la religion, les idées politiques mobilisatrices à caractère religieux, auxquelles est opposée la (tout aussi sacro-sainte) ‘‘laïcité républicaine’’. À cela près qu’aujourd’hui, comme tout le monde l’aura constaté, la religion majoritaire et dominante en Hexagone (le catholicisme) est plutôt en recul, largement sécularisée et, à une minorité d’intégristes et de royalistes près, respectueuse des ‘‘valeurs de la République’’ (‘‘cathos de gauche’’, démocrates-chrétiens, cathos conservateurs mais néanmoins républicains comme Christine Boutin etc.). La ‘‘menace’’ religieuse pour la sacro-sainte République viendrait donc, au défi du bon sens mais cela (en Hexagone) n’est pas grave, des religions MINORITAIRES et en particulier de la deuxième religion du pays : l’islam, qui a la particularité 1°/ d’être pratiqué en très grande majorité par des personnes prolétaires ou de classe populaire ; 2°/ d’être issu de pays ayant fait partie de l’Empire colonial bleu-blanc-rouge et restant (souvent) des néocolonies  aujourd’hui ; ses fidèles étant en quelque sorte des ‘‘ambassadeurs’’ de ces pays en Hexagone, soumis (dans leurs rapports au Capital et à l’État) au reflet métropolitain des rapports (internationaux) de domination impérialiste BBR sur les nations d’origine ; ‘‘ambassadeurs’’ aussi (rattachés à cela par l'idéologie dominante même contre leur gré) des grandes contradictions et agitations sociales et anti-impérialistes qui secouent le ‘‘monde arabo-musulman’’, ‘‘coupables’’ notamment (même si ce n'était individuellement pas le cas) du ‘‘crime’’ anti-républicain, intolérable à certains yeux, d'avoir la Palestine au cœur ; si bien qu'en définitive, le regain de sentiment religieux musulman est (avant toute chose) ‘‘coupable’’ d'être synonyme d’affirmation politique et sociale de classe populaire et de ‘‘colonisé-e-s intérieur-e-s’’ (doubles opprimé-e-s). 

Sur ce point, la ‘‘gauche’’ républicaine et ‘‘laïque’’ va ni plus ni moins que converger totalement avec la droite et une grande partie (la très grande majorité en fait) de l’extrême-droite (désignée comme telle par le camp ‘‘républicain’’, mais se proclamant pour sa part elle aussi ‘‘républicaine’’)…

Il va y avoir un petit problème, mais d’aucuns vont trouver la parade : cette extrême-droite-là ne sera tout simplement pas vraiment fasciste ; seuls seront réellement fascistes les courants assumant une ‘‘alliance’’ avec l’islam sur une base ‘‘tiers-mondiste’’ et ‘‘antisioniste’’, en y ajoutant éventuellement (pour faire bonne mesure) quelques courants nationaux-catholiques intégristes et autres ultras assumant de manière primaire leur racisme, leur sexisme et leur homophobie. Cela ne fera pas grand-monde et entrera en contradiction (sauf à admettre que tous les électeurs FN partagent en réalité ces idées-là) avec l’idée d’une montée ‘‘colossale’’ du fascisme qui justifierait une alliance avec la bourgeoisie ‘‘républicaine’’ ; mais la parade pourra être trouvée en Dieudonné, porteur de ces idées-là et connaissant (sur son capital d’ancienne ‘‘idole des quartiers’’) un certain succès, avec plusieurs centaines de milliers de ‘likes’ sur ses vidéos etc. Ces ‘likes’ internétiques (sans la moindre organisation de type politique et paramilitaire derrière, mais ce n’est pas grave !) deviendront la ‘‘peste brune’’ en marche,  justifiant de faire front avec le Ministère de l’Intérieur de Manuel Valls.

D’autres (plutôt à droite, mais parfois voire souvent issus de la gauche jacobine et laïcarde) se prendront encore moins la tête : la nouvelle menace fasciste, associée en plus (c’est commode) avec l’idée d’occupation étrangère (vu que le fascisme, c’est bien connu, ne peut pas être made in France contrairement à la marinière d’Arnaud Montebourg), c’est l’islam, point ; et d’entonner aussitôt le Chant des Partisans… Tout cela nage en plein délire, mais on l’a déjà dit : ce n’est pas grave ! La mobilisation réactionnaire de masse, fasciste comme ‘‘républicaine’’, fait justement appel à l’irrationnel, habilement transformé en certitude absolue d’avoir raison ; et non au raisonnement, à l’étude des faits, à la confrontation des points de vue, à la réflexion et à l’analyse.

La ‘‘France’’, dont nous avons longuement étudié (1-2-3-4) la formation comme appareil politique et idéologique de classe, est un ensemble social traversé de nombreuses contradictions (pas seulement de classe) ; d’où sa propension à la ‘‘division’’ tant déplorée à longueur de livres d’histoire officiels. L’une de ces contradictions, dès les Guerres de Religion voire dès la naissance du royaume capétien, a été la place de l’Église dans l’appareil d’État et dans la société – reflet, en fait, de très nombreuses autres contradictions, de classe ou tenant à la multinationalité réelle du pays. La 3e République, faisant entrer de plain-pied l’Hexagone dans l’ère des monopoles et de l’impérialisme, a alors décidé d’enterrer cette contradiction sous le concept de ‘‘laïcité’’, mélange de culte de la Raison comme sous la 1ère République conventionnelle et de catholicisme gallican ‘‘déconnecté’’ de la transcendance divine. Cette conception a été (parfois violemment) clivante à l’époque, entre ses partisans et les tenants de ‘‘l’héritage chrétien’’ catholique du pays ‘‘de Clovis et de Jeanne d’Arc’’ ; mais pas assez toutefois pour que le régime de Vichy mette en place une politique de re-catholicisation féroce : déjà confronté à une légitimité problématique (pour rester poli), il ne pouvait déjà plus (au début des années 1940) se permettre de cliver à son tour sur cette question, en s’attaquant frontalement à la partie républicaine, rationaliste et sécularisée du pays. Depuis les années 1960, on peut dire que le concept fait largement consensus et que si certains veulent défendre les ‘‘valeurs catholiques’’ dans le champ politique bourgeois, plus personne ne prône un système où la doctrine chrétienne aurait valeur de loi supérieure.

Si bien qu’aujourd’hui, et depuis plusieurs dizaines d’années en réalité, la droite et l’extrême-droite mobilisent elles aussi sur le thème de la ‘‘laïcité républicaine’’… mais bien sûr, pas contre n’importe qui : contre le sentiment religieux musulman d’une grande partie des classes populaires. Et, hormis (parfois) de dire que l’islam ‘‘à condition de rester dans la sphère privée’’ n’est ‘‘pas un problème dans sa grande majorité’’ et que ‘‘les fanatiques sont une petite minorité’’, la ‘‘gauche’’ n’a évidemment rien à répondre à cela, quand elle n’y converge pas carrément et allègrement (André Gerin et compagnie). Elle est tout simplement totalement coincée face à un concept dont elle partage, avec quelques forces aujourd’hui de centre-droit, la paternité et qui fait partie de son identité politique ; concept qui se voulait ‘‘progressiste’’ à l’époque (il avait en réalité, bien entendu, ses ambivalences bourgeoises mais nous ne disserterons pas là-dessus cette fois), mais qui sert aujourd’hui ouvertement une mobilisation réactionnaire de masse et la met dans l’embarras. Cela ne l’empêche cependant pas (on revient encore une fois à la question de la rationalité, désormais totalement étrangère à la bourgeoisie ‘‘rationaliste’’) de chercher encore et toujours à mobiliser là-dessus, dans les 3 objectifs ci-dessus visés, aidée en cela par une partie conséquente de l’‘‘extrême-gauche’’.

Le topo est donc celui-là : d’un côté la question religieuse et ‘‘laïque’’ focalisée sur l’islam va mobiliser pour le fascisme et la ‘‘droite radicale’’ (entre lesquels, contrairement à d’autres, nous ne faisons pas de différence : en un sens la ‘‘droite radical’’ est le parti politique et le fascisme la forme de gouvernement qu’il met en place), avec en prime un cache-sexe ‘‘moderne’’ et même ‘‘progressiste’’ bien commode ; tandis que de l’autre et en même temps, le rejet de ‘‘la religion’’ sans plus de précision (mais la pratique religieuse massive et ‘‘visible’’, encore une fois c’est l’islam) va mobiliser ‘‘républicainement’’ (‘‘à la Fourest’’) pour la ‘‘gauche’’ bourgeoise qui cherche à tirer son épingle du jeu et à utiliser l’antifascisme pour renforcer la République des monopoles, à grand renfort de ‘‘communistes’’, de ‘‘trotskystes’’, d’‘‘anarchistes’’ et même de ‘‘maoïstes’’ en perdition...

Toutes ces questions méritent donc une réflexion approfondie, dans le but d’y trouver des réponses communistes mais déjà, à beaucoup plus court terme, de briser le halo de fantasmes et d’approches irrationnelles qui les entourent, ce qui revient à briser la mobilisation réactionnaire de masse, en mode ‘‘républicain’’ comme en mode ‘‘dieudo-soralien’’ se voulant ‘‘islamophile’’ (l’une comme l’autre copieusement abreuvées par des personnes se voulant ‘‘révolutionnaires’’).Ce texte est une contribution à cette réflexion ; contribution à laquelle nous avons nous-mêmes contribué puisque deux points reprennent des échanges que nous avons eu à l’époque avec ces camarades.

arabmaoist5- Nous sommes des Révolutionnaires Arabes enracinés sur notre terre et parmi nos masses, groupés sous la bannière du maoïsme comme arme théorique et guide pratique dans la lutte. Nous sommes contre tout dogmatisme. Nous ne suivons pas des personnes : ni même Marx-Engels-Lénine-Staline-Mao… car ces GRANDS révolutionnaires et théoriciens ne sont pas pour nous des Totems ou des Dieux infaillibles. Nous avons dépassé ce stade enfantin et nous croyons que les peuples du monde arabe (et les autres peuples) ont quelque chose à dire et à ajouter pour enrichir le maoïsme comme pour fructifier la réflexion sur la révolution mondiale au XXIe siècle. Nous appelons nos camarades maoïstes à bien réfléchir sur ces paroles de Mao :

« Il a existé dans notre Parti des camarades, tenants du dogmatisme, qui pendant longtemps ont rejeté l’expérience de la révolution chinoise, nié cette vérité que  le marxisme n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action, et n’ont fait qu’effrayer les gens à l’aide de mots et de phrases isolés, extraits au petit bonheur des textes marxistes.
Il a existé également d’autres camarades, tenants de l’empirisme, qui pendant longtemps se sont cramponnés à leur expérience personnelle, limitée, sans comprendre l’importance de la théorie pour la pratique révolutionnaire ni voir la situation de la révolution dans son ensemble. Ils ont eu beau travailler avec zèle, leur travail se faisait à l’aveuglette.
Les conceptions erronées de ces deux groupes de camarades, en particulier les conceptions dogmatiques, ont causé, au cours des années 1931-1934, un préjudice énorme à la révolution chinoise. » (Mao : De la pratique).
 

7- Nous suivons des idées et des idéaux et non pas des slogans et des pancartes. Nous cherchons la vérité et la justice et non pas plaire ou être « politiquement correct ». Nous exposons toutes les thèses et idées au jugement de la pratique et de l’histoire, au niveau international comme au niveau arabe et local. Pour cette raison nous avons réussi à étudier les résultats des luttes de nos peuples au miroir des réalités concrètes et de l’histoire réelle, et non pas (comme le font tous les Voies Lactées du monde) au miroir du soi narcissique qui se croit le Dieu suprême… Nous avons étudié et appréhendé les transformations qui ont eu lieu depuis l’effondrement du mouvement maoïste international (en Occident) en 1975-1976 et jusqu’à nos jours, et ceci à la lumière de ces paroles de Mao : « Nous luttons dans nos rangs révolutionnaires contre les entêtés dont les idées ne suivent pas le rythme des modifications de la situation objective, ce 00881 PPPAqui, dans l’histoire, s’est manifesté sous la forme de l’opportunisme de droite. Ces gens ne voient pas que la lutte des contraires a déjà fait avancer le processus objectif alors que leur connaissance en reste encore au degré précédent.»
Cette particularité est propre aux idées de tous les entêtés. Leurs idées sont coupées de la pratique sociale, et ils ne savent pas marcher devant le char de la société pour le guider, ils ne font que se traîner derrière, se plaignant qu’il aille trop vite et essayant de le ramener en arrière ou de le faire rouler en sens inverse.

Nous sommes également contre les phraseurs “de gauche”.
Leurs idées s’aventurent au-delà d’une étape de développement déterminée du processus objectif : les uns prennent leurs fantaisies pour des réalités, d’autres essaient de réaliser de force, dans le présent, des idéaux qui ne sont réalisables que dans l’avenir ; leurs idées, coupées de la pratique actuelle de la majorité des gens, coupées de la réalité actuelle, se traduisent dans l’action par l’aventurisme.
L’idéalisme et le matérialisme mécaniste, l’opportunisme et l’aventurisme se caractérisent par la rupture entre le subjectif et l’objectif, par la séparation de la connaissance et de la pratique. ».
(Mao : De la pratique).

8- Nous étions et nous sommes indépendants de tout régime arabe et surtout des régimes criminels de Saddam Hussein en Iraq, Mouammar Qadhdhâfî en Lybie, et de la famille Asad en Syrie. Ces régimes n’ont pas seulement massacré leur peuple et liquidé tous les mouvements révolutionnaires, mais ils étaient aussi les vrais laquais de l’impérialisme et du sionisme qui continuent à soutenir le dernier dictateur Asad. Nous connaissons leurs crimes et nous avons combattus leurs politiques. Pour cela nous ne sommes pas dupes d’un soi-disant anti-impérialisme nationaliste vulgaire et réactionnaire car antipopulaire et anti-démocratique et à la solde du nouveau impérialisme tsariste russe. Plusieurs mouvements arabes de gauche ont utilisé la politique de s’acquérir le soutien d’un régime contre un autre : la Syrie contre l’Iraq et vice-versa, la Libye contre la Tunisie et le Maroc, la Syrie contre l’OLP, l’Algérie contre le Maroc etc. etc. Nous avons refusé et refusons cette politique qui a transformé ces mouvements en agents aux mains des régimes arabes dans leurs luttes intestines… La dépendance totale de ces mouvements (et parmi eux de soi-disant maoïstes) les a coupé des masses et de la réalité de la révolution qui gronde dans leur pays. Nous croyons que le Printemps arabe est l’action des chapt15img04peuples et non pas des Américains ou autres. Nous sommes aux côtés de nos peuples et nous n’entendons que la voix de nos peuples et ne répondons qu’à l’appel de la révolution.

9- Le MLM est pour nous une recherche constante et permanente pour trouver les idées justes et les bonnes pratiques qui nous permettent de bien servir le peuple. Si nous adhérons à la ligne des masses c’est parce que nous la pratiquons dans toutes nos luttes. Nous visons à résoudre les contradictions au sein du peuple pour renforcer le front uni contre les adversaires du peuple. Nous pratiquons l’étude et l’enquête quotidienne au sein des masses. Nous adhérons aux théories de Mao concernant la contradiction et la pratique. Nous voulons créer notre propre idéologie de lutte et nos propres utiles de combat qui émanent de l’expérience de nos peuples et de nos masses.

10- Le marxisme et le maoïsme ne furent pas adoptés par simple fascination théorique, mais bien en raison de leur dimension pratique. La recherche d’une voie endogène de libération nationale, de nouvelle démocratie, d’un chemin propre, qui ne soit pas un simple copié-collé d’un marxisme occidental considéré comme non-effectif dans les sociétés du tiers-monde, a encouragé dans les années 1960–1970 l’inspiration du  modèle chinois de libération nationale, puis le modèle maoïste de révolution culturelle. L’inspiration maoïste s’est retrouvée partout dans le monde arabe, en Europe, en Amérique latine, et jusqu’aux États-Unis, dans le mouvement des Blacks Panthers afro-américains qui brandissaient le Petit Livre Rouge de Mao. Le passage du modèle de marxisme occidental au maoïsme n’est, dans ce cadre, pas une anomalie sauvage, bien au contraire : le modèle de la Révolution culturelle, pour nombres de militants arabes, s’inscrit dans une totale continuité stratégique, celle d’élaborer une voie effective, endogène, ancrée dans un terreau social, culturel propre. De même que le marxisme asiatique (chinois, coréen, indien, népalais…etc..) a inventé une nouvelle manière de pratiquer le politique et la libération nationale, la Révolution arabe doit tracer pour ses militants de nouvelles routes et de nouvelles inspirations, mieux adaptées, selon eux, aux conditions internes du monde arabo-musulman.

plo ira11- Le primat du politique (selon Mao), nous a amené à penser la singulière fonction mobilisatrice des religions dans l’histoire des luttes de libération nationale : l’islam n’en est qu’un exemple. L’IRA irlandaise, même socialisante, puisa une partie de son inspiration dans le catholicisme, l’identification religieuse devant aussi assurer la cohérence et la mobilisation d’une communauté irlandaise s’affrontant frontalement à un adversaire qui n’était pas seulement britannique, mais aussi protestant, le mouvement orangiste en Ulster ne manquant pas d’avancer aussi, pour sa part, une identité politico-religieuse anglicane. L’islam n’est donc pas une religion politique per se : elle l’est dans le cadre de conjonctures politiques précises, ou elle sert de ressource politique mobilisatrice, principale ou secondaire, selon la dominante idéologique de l’époque, et de forme d’identification et de solidarité centrale dans le cadre d’un affrontement que les acteurs politiques définissent aussi comme une guerre nord/sud, centre/périphérie.

12- Nous sommes fiers d’avoir étudié l’Islam car c’est la culture de notre peuple, et d’avoir pratiqué une autocritique visant à s’approprier de la ligne de nos masses arabes musulmanes. Nous sommes fiers d’avoir combattu pour et avec les Musulmans, comme pour et avec tous les peuples opprimés du monde. Nous sommes fiers d’avoir une vision critique des aspects d’un marxisme euro-centriste, d’un léninisme ultra-partisan, d’un stalinisme ultra-étatique et d’un maoïsme ultragauchiste. Dans cette recherche critique nous n’avons aucun inconvénient à puiser dans les articles et livres et expériences de non-marxistes-léninistes ou de non-maoïstes. Nous sommes contre tout dogmatisme et toute adoration des textes et toute divinisation des personnes.

« L’histoire de la connaissance humaine nous apprend que de nombreuses théories étaient d’une vérité incomplète, et que c’est leur vérification dans la pratique qui a permis de la compléter. Nombre de théories étaient erronées, et c’est leur vérification dans la pratique qui a permis d’en corriger les erreurs. C’est pourquoi la pratique est le critère de la vérité ». (Mao : De la pratique).

13- L’islam politique est bien plus pluriel dans ses origines qu’on ne le croit. Il tire son histoire, aussi, des expériences politiques qui l’ont précédé, et des cadres et militants politiques aux parcours diversifiés qui l’ont rejoint. Il ne vient pas ex nihilo. L’espace politique islamique possède son propre parcours, certes, avec l’expérience des Frères musulmans en Égypte, du Parti ad-Dawa’ en Irak, des cercles religieux islamiques autour de l’Ayatollah Khomeyn. En même temps, il croise d’autres parcours politiques : ceux d’une partie de la gauche qui y bascule, ceux du nationalisme arabe, notamment nassérien, qui dans l’ambiguïté fondatrice qu’il garde entre nationalisme et islam prépare déjà, dans les « segments médians  » entre nationalisme et islam, le développement d’un islamisme fort.

206945 teologia de la liberacion14- Ensuite, la question d’une théologie islamique de la libération est une question non réglée: elle n’existe pas et n’a jamais existé à proprement parler, mais la multiplication des tentatives d’esquisses interroge toujours sur sa pertinence. L’expérience « maos » au Sud-Liban fait office, peut-être, d’utopie concrète non réalisée théoriquement, et trop tôt islamisée pour faire office de véritable synthèse entre marxisme maoïste et islam révolutionnaire. En définitive, il n’est pas possible de transposer le modèle sud-américain de théologie chrétienne de libération (les prêtres marxistes comme Camilo Torres et Manuel Pérez en Colombie, ainsi que les grands penseurs de cette théologie : Gustavo Gutierrez, Leonardo Boff, et Segundo Galilea) sur le Moyen-Orient islamique : cela relèverait d’une imagination rétrospective et fantasmée. Mais en même temps, oublier les expériences concrètes et historiques à l’œuvre reviendrait à éluder une question qui, dans ses tentatives inabouties mais répétées, ne cesse d’interroger le politique et le religieux, la gauche et l’islam, dans leurs rapports contrariés.

15- « On ne parle jamais de “christianisme politique”. Et pourtant, c’est une réalité : des gens qui basent leur démarche politique dans la société sur leur foi chrétienne. Et ces gens-là, de fait, vont d’ultra-réactionnaires fascistes comme un Franco, un Pétain ou un Degrelle (ou leurs admirateurs actuels) à des quasi-marxistes comme un Camilo Torres ou un Manuel Pérez (prêtres catholiques dirigeants de l’ELN colombienne) ; en passant par des démocrates bourgeois “absolus” à la François Bayrou, des éléments à la fois plus “sociaux” et plus “conservateurs” (sur les “questions de société”) comme Christine Boutin, des réformistes sociaux “cathos de gauche” comme l’actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault, des “humanistes radicaux” comme Mgr cristo-con-fusilRomero qui dénonçait les escadrons fascistes du Salvador (et finit assassiné) ou le père Jean-Bertrand Aristide dans les années 1980 en Haïti [des militants pacifistes de l'égalité des droits comme Martin Luther King et Desmond Tutu ou des anti-esclavagistes partisans de l'action armée comme le célèbre John Brown, etc.] : autant dire que l’éventail est large !
Il y a un “judaïsme politique” 
[attention ce terme est aussi employé par des fascistes pour désigner une soi-disante “mainmise juive” sur la politique des États occidentaux ; il n'est pas utilisé en ce sens ici] : des gens qui fondent leur démarche politique sur leur confession juive ou leur “judéité” [appartenance au “peuple juif” même sans croyance religieuse au Dieu d’Abraham, à la Torah etc.]. Cela est historiquement allé, dans sa composante précisément sioniste, du Lehi fascisant à l’Hashomer Hatzaïr “socialiste” ; et plus largement, sans se limiter au courant sioniste, des ultra-orthodoxes hassidiques au Bund marxiste, en passant par les libéraux-démocrates fondés sur la Haskala (les Lumières juives des 18e-19e siècles).
Il n’en va tout simplement pas autrement pour “l’islam politique”, autrement dit les gens qui fondent leur démarche politique sur leur foi, ou en tout cas sur leur “identité” ou leur imprégnation culturelle musulmane… Nous allons avoir des régimes violemment réactionnaires et répressifs, antipopulaires, comme l’Iran (qui se veut toutefois “social” et nationaliste) ou l’Arabie saoudite. Ou un régime conservateur plus “libéral” comme le Makhzen marocain (qui se veut, rappelons-le, “commandeur des croyants”). Nous allons avoir les salafistes radicaux prônant un ordre moral brutal et un ultra-capitalisme de type calviniste puritain (et qui terrorisent actuellement les mouvements sociaux en Égypte ou en Tunisie), ou leurs relatifs équivalents bassidj iraniens ; ou alors les conservateurs plus “sociaux” et “pragmatiques” de type Frères musulmans, ou l’AKP turc que l’on pourrait qualifier de “démocrate-musulman” comme il y a des démocrates-chrétiens. Et puis l’on va avoir des éléments que l’on peut clairement rapprocher d’une “théologie de la libération” musulmane. La pensée d’éléments comme Ali Chari’ati (chiite iranien) ou Sayyid Qutb (sunnite égyptien),
ou encore le "père" fondateur des Frères Musulmans syriens, Moustapha Siba'i (ou de Mounir Chafik : maoïste chrétien palestinien converti à l’islam, ou des dizaines d’intellectuels maoïstes égyptiens, iraquiens, soudanais, libanais, et syriens, convertis à l’islam dans les années 1979-1982) est encore plus complexe, et peut difficilement être schématisée à partir d’une grille de lecture “européenne-chrétienne” ; ce qui est certain, c’est que la résumer à du “fondamentalisme” (entendu comme ultra-conservatisme social) ou carrément à du “fascisme” est proprement ridicule ! ». (Apport très important qui nous a été envoyé par un camarade de « Servir le Peuple »).

16- « La religion (à distinguer de la “croyance” au surnaturel) est TOUJOURS une idéologie politique, inséparable de la politique, n’en déplaise aux laïcards bourgeois made in France (qui ne sont que des gallicans déguisés). C’est une conception du monde sous-tendant un système cohérent de normes sociales.
camilo torresMAIS c’est une idéologie politique correspondant à un MODE DE PRODUCTION FÉODAL (aussi bien le christianisme que l’islam et le judaïsme talmudique, ou encore le bouddhisme, le confucianisme qui est plus une philosophie, l’hindouisme moderne etc.). Si bien qu’à partir du moment où le mode de production féodal (et autres modes de productions “archaïques”) cesse d’être dominant, la religion perd TOUTE AUTONOMIE POLITIQUE, c’est-à-dire que, comme idéologie politique, elle se retrouve SUBORDONNÉE à la contradiction motrice de la société (et tend à éclater en une multitude d’interprétations extrêmement divergentes du Texte sacré). Le christianisme, en Europe, s’est trouvé subordonné du 16ème au 19ème siècle à la contradiction entre révolution bourgeoise et contre-révolution féodale, le protestantisme passant pour la “religion bourgeoise type”, mais le catholicisme éclatant lui-même en de multiples tendances “modernistes” ou “obscurantistes”, certaines (comme les Jésuites) se faisant même “sociales” contre une bourgeoisie porteuse des “idées nouvelles” mais aussi (déjà) férocement exploiteuse (démarche que l’on retrouve largement dans “l’islam politique” aujourd’hui). Et depuis la seconde moitié du 19ème siècle, il se trouve subordonné à la nouvelle contradiction motrice : la contradiction entre Grand Capital (qui a agrégé à lui toutes les classes réactionnaires pré-monopolistes et pré-capitalistes) et prolétariat. L'on va ainsi trouver un christianisme de “conservation sociale”, voire de “guerre sainte” contre les “rouges” ; et puis un christianisme qui va partir du message humaniste, égalitariste et charitable du Texte pour aller vers un réformisme social audacieux… voire une idée de “transformation sociale radicale” qui peut être prise dans la force d’attraction du camp de la révolution prolétarienne.
Et dans les pays musulmans, il n’en va pas autrement : depuis le 19ème siècle, l’islam comme idéologie politique est subordonné aux trois contradictions motrices dans ce type de pays : entre impérialisme et résistance de la nation dominée ; entre féodalité (ou bureaucratie parasitaire d’État) et “économie productive réelle” ; et entre propriétaires des moyens de production (bourgeoisie, propriétaires terriens) et vendeurs de force de travail (prolétariat, ouvriers industriels et agricoles ou “plèbe informelle” survivant au jour le jour). Il en va de même, par exemple, pour le catholicisme en Amérique latine… Toute autre approche de la question n’est qu’idéalisme diffusé par des intellectuels bourgeois occidentaux ou des “marxistes” eurocentristes (et leurs disciples locaux). ».

(Apport très important qui nous a été envoyé par un camarade de « Servir le Peuple »).

17- Nous avons appelé et nous appelons tous les vrais maoïstes arabes à lire notre histoire pour la changer, à lire et comprendre notre culture, à partir d’instruments et d’outils conceptuels qu’on doit faire nous-mêmes par un retour à notre propre héritage, à notre histoire, à la pensée arabe et islamique. On lisait Mao, Lénine, Gramsci, tous les marxistes, mais on doit commencer aussi à lire nos penseurs, nos expériences révolutionnaires, notre histoire sociale et économique, et en se posant la question de savoir comment utiliser ces lectures, comment profiter de tous les concepts émanant de notre épistémologie, de manière heuristique, utile. On doit  réinventer un vocabulaire propre. Tout cela doit nous emmener peu à peu vers la reconnaissance de la nécessité de l’étude de l’islam, car c’est un discours effectif, de masse, un discours populaire, qui fait le lien entre le côté intellectuel et l’aspect populaire. « L’éveil islamique » est à comparer à la philosophie nietzschéenne d’affirmation de soi, et devait postimg03permettre au monde arabe de se réapproprier son histoire : « le discours de l’éveil islamique représente le terme de la contradiction qui s’oppose à l’orientalisme et à son ombre, l’intellectuel arabe moderniste. (….) Comment faire face à la domination étrangère, et affirmer l’identité arabe et islamique, non par réaction – l’esclave s’affranchissant par le négatif – mais par une action volontaire – l’islam, maître s’appuyant sur une époque révolue de maîtrise et de domination ? L’action volontaire ressuscite ici positivement le Moi islamique, tout en passant l’Autre (l’Occident) sous silence. Cet Autre voit l’universalisme de sa culture contesté. »

18- Cet appel quasi mystique au peuple, le maoïsme le partage avec l’islam révolutionnaire. Le Printemps arabe n’a pas été seulement perçu par les militants maoïstes comme un événement anti-impérialiste majeur : il a été, et d’abord, une révolution, c’est-à-dire un processus dans lequel « les masses » font irruption dans l’histoire, d’une manière tout à fait intempestive, et le populaire fait fonction ici de véritable élément déclencheur de la foi religieuse : « il y a eu quelque chose qu’on a ressenti et qui était nouveau : on l’a ressenti profondément. C’était que l’islam était là, et que l’islam pouvait être une source immense de révolution, et une source vraiment populaire. Et là notre point de vue doit vraiment changer, à un niveau personnel comme au niveau théorique et organisationnel. Il faut donc  réfléchir, non pas seulement sur la révolution elle-même : mais surtout sur les effets incroyables de la révolution sur les masses arabes. Ça doit nous toucher tous, ça doit nous troubler tous, car c’est quelque chose de très profond ». Le marxisme ne peut lui-même que construire ses représentations mobilisatrices sur l’image du peuple en insurrection, car il est récalcitrant aux logiques conspiratrices : la polémique des marxistes, au 19e siècle, contre Auguste Blanqui et la logique du coup d’État socialiste n’en est qu’un exemple. Le maoïsme, avec les concepts de « guerre populaire » et de « ligne de masse », conférait en plus au peuple un rôle capital dans la formation de la conscience politique d’une avant-garde révolutionnaire appelée à se fondre en lui. Pour nous, la Révolution viendra donner concrétude à ce peuple en attente, désormais entré sur la scène de l’histoire moyen-orientale.

 

Intéressant à lire aussi, sur le même sujet : (n)PCI - La révolution démocratique anti-impérialiste dans les pays arabes et musulmans

Au sujet des "maos du Fatah" palestiniens et libanais (cette "utopie concrète non réalisée théoriquement, et trop tôt islamisée pour faire office de véritable synthèse entre marxisme maoïste et islam révolutionnaire") : http://ekladata.com/aMWtD4biDmduz0KwuECvsQC_eus/2008_12_Dot.pdf

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23 mars 2014 7 23 /03 /mars /2014 17:05

 

En définitive, ce que signifie être "français" peut être résumé par cette courte phrase qu'inscrivaient nos aïeux au tableau noir de l'école de Jules Ferry, au début du siècle dernier, sous l'œil satisfait du "hussard noir" local de la République des monopoles et des égorgeurs de la Commune.

Un tiers d'entre eux, quelques années plus tard, ne devaient jamais revenir de la boue sanglante des tranchées...

          L'identité "française" c'est "TU SERAS SOLDAT"

Petit soldat de la production et de la "compétitivité nationale", à l'usine comme aux champs ou au bureau, toujours. Petit soldat aussi - dès le début du sombre 20e siècle - de la consommation, car l'accumulation et la circulation du Capital exige que le cercle de la consommation de marchandise s'élargisse lui aussi à la mesure du cycle de production qui l'a précédé : la valeur générée par le travail est tout d'abord "enfermée" dans la marchandise produite et il faut, par conséquent, écouler celle-ci pour réaliser ce que l'on appelle la plus-value. Petit soldat de plomb, donc, dans la juxtaposition de solitudes vendeuses de force de travail, génératrices de plus-value et consommatrices de marchandises de la Cité des Spectres.

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Et puis petit soldat sous la mitraille des grandes boucheries impérialistes pour la gloire de la "patrie", hier... et qui sait, peut-être demain. Quelques milliers le sont déjà, dans les vallées afghanes ou les dunes de l'Azawad ; et il faut déjà s'assurer, derrière eux, de la solidité du "soldat opinion" devant son JT de 20 heures.

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Ou encore, petit soldat du bulletin de vote quand il s'agira de reconduire ou d'"alterner" les caciques locaux ou "nationaux", qui s'engraisseront joyeusement sur notre échine courbée...

Quelqu'un qui ne se sent pas "français" ne sera pas un bon soldat : voilà tout le problème pour le Grand Capital tricolore.

Endavant pela Revolucion e la Liberacion revolucionari dels Pòbles ; amb l'anma d'un Albigès, d'un Croquant, d'un Camisart, d'un Ailhaud, d'un Guingouin !

maoc

 

[Lire aussi : Ancrages - Leur laisser la France]

 

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22 janvier 2014 3 22 /01 /janvier /2014 11:38

Retrouver l'article en bon état ici : Réflexion théorique : loi Gayssot, lois antiracistes et "mémorielles", "antifascisme" bourgeois etc., quelle position pour les communistes ?

 

Depuis un mois, l’actualité politique hexagonale a été largement dominée par ‘‘l’affaire’’ : la volonté d’interdiction, proclamée par le Ministère de l’Intérieur, des spectacles de Dieudonné. Certains auraient peut-être voulu être les seuls à s’exprimer sur le sujet, mais bon, à ce moment-là c’est pas de bol : la quasi-totalité du mouvement communiste, révolutionnaire (anarchistes et libertaires compris) et progressiste (notamment la solidarité palestinienne, concernée au premier chef) a désormais pris position, de manière variée, allant de l’appel à un "Front populaire" avec Manuel Valls (on ne les présente plus…) à l’apologie de la ‘subversivité’ de ‘l’humoriste’ (site communisme-bolchevisme.net) [deux sites/groupes ayant en commun 1/ un fétichisme halluciné de Staline et du mouvement communiste de cette époque et 2/ d'avoir, comme quasi seuls sites ML/MLM francophones, "dominé" intellectuellement les années 2000, et qui se retrouvent désormais sur deux positions diamétralement opposées mais pas moins ultra-opportuniste l'une que l'autre : l'avenir est décidément derrière eux !]. Une grande majorité (dont nous-mêmes) étant tout de même sur la position que 1/ oui, Dieudonné a depuis très longtemps quitté le champ politique progressiste, c’est un démagogue véhiculant des thèses réactionnaires ignobles, fascistes, qui séduisent malheureusement trop de personnes dans les classes populaires et la jeunesse, et loin de nous de pleurer sur son sort, 2/ pour autant, nous ne tombons pas dans le panneau de la subite "offensive républicaine" de Valls, qui a déjà bien en tête le jeu à quatre coups devant le mener (il l’espère) à l’Élysée (primaire socialiste 1er et 2e tour, présidentielle 1er et 2e tour) et cherche à blinder son capital électoral sur la ligne ‘républicaine’ dont il a fait son fonds de commerce : un coup à ‘gauche’ un coup à droite, un coup contre les bandes fascistes ou le triste bouffon antisémite de la Main d’Or et un coup contre les prolétaires étrangers "qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire", contre les "territoires perdus de la République" à Marseille ou ailleurs ou contre les militant-e-s révolutionnaires ; en un mot, nous ne laisserons pas Valls en particulier, ni la ‘République’ bourgeoise en général s’acheter une virginité à si peu de frais.

En arrière-plan de l’affaire a cependant ressurgi le vieux débat sur la loi Gayssot de 1990 et, plus largement, la question de la ‘‘liberté d’expression’’ des idées quelles qu’elles soient, autrement dit (pour ceux et celles qui viendraient de se réveiller, "nous sommes en démocratie") également des fascistes et autres ennemis radicaux du peuple. Et, encore au-delà, toute la question de l'"antifascisme" bourgeois, de la "lutte contre les idées incompatibles avec (ses) valeurs" dont se revêt occasionnellement la bourgeoisie républicaine au pouvoir. La position des communistes (marxistes) là-dessus a souvent été (et reste souvent) confuse. Tentons d’y voir clair, de faire la part des choses (séparer le bon grain de l’ivraie) et de dégager une LIGNE DE CONDUITE pour les grands combats qui nous attendent dans un proche avenir.

Évidemment, dans la lourde masse de ce que nous allons dire, il se trouvera beaucoup de personnes pour ‘réagir’ devant une phrase, un mot, un passage. Le sujet casse-gueule que nous allons aborder va forcément susciter des ‘‘réactions’’, car tout ce que nous allons critiquer ci-après repose justement sur cela : un ‘‘débat’’ fait de ‘‘réactions’’ et non de réflexions posées, scientifiques, dialectiques ; de recherche déterminée des idées justes. Le capitalisme cherche plutôt d’habitude, pour régner, le consensus. Mais là, c’est tout l’inverse : il y a dissensus au sein de la bourgeoisie, il y a des camps et nous sommes sommés, pratiquement le pistolet sur la tempe, d’en choisir un. Refuser (ce que nous faisons haut et fort), c’est de toute façon rejoindre pour chacun le camp adverse, le pandémonium qu’il s’est fabriqué et qui fonde idéologiquement son existence. Pour les uns, le marxisme est le jumeau ‘totalitaire’ du national-socialisme hitlérien (il en serait même l'inspirateur, carrément) ; pour les autres, il serait le jumeau ‘juif’ (ou illuminati, c’est plus tendance en ce moment) du libéralisme ‘maçonnique’. Les premiers sont politiquement et idéologiquement hégémoniques (avec leurs ailes ‘gauche’ et droite) en Hexagone et dans la plupart des pays du monde, tout en pourrissant sur pied dans la fascisation rampante ; les seconds cherchent à le (re)devenir et rien n’exclut qu’ils y parviennent. Les premiers ont vaincu en 1945 le nazisme (un pur produit de ce capitalisme impérialiste dont ils sont les champions), qui avait ‘simplement’ commis l’erreur de s’attaquer aux grands impérialismes occidentaux au lieu de faire ce pourquoi on l’avait ‘embauché’ (attaquer et écraser l’URSS et l’Internationale communiste). Ils ont, en quelque sorte, extirpé la tumeur principale (des centaines d’autres plus petites restant en place)… et l’ont exposée dans une sorte de bocal, qu’ils agitent désormais urbi et orbi en clamant combien le corps est sain. Ils ont construit leur ‘sainteté’ sur des monstres, ils ont BESOIN de monstres pour jouer les saints ; et le premier d’entre eux, le premier ‘jumeau’ de la tumeur nazie extirpée… est en réalité le REMÈDE à toutes les tumeurs du capitalisme moribond, la révolution prolétarienne. Mais de véritables monstres fascistes ‘‘façon 20e siècle’’ existent toujours bel et bien, la tumeur a évidemment laissé des métastases que la nouvelle crise générale du capitalisme mondial fait à nouveau se développer, et rallier leur camp (ou simplement celui de leur "liberté d'expression") reviendrait à dire que, contre la violence inouïe du capitalisme au 19e siècle, il ‘fallait’ revenir à l’Ancien Régime… De tout cela, de ces ‘querelles’ entre deux bandes d’exploiteur, on pourrait dire que l’on s’en tape. Malheureusement, l’un et l’autre des deux camps parviennent à exercer leur influence néfaste sur un mouvement communiste, révolutionnaire et même progressiste (depuis une trentaine d’années) en perdition, saisi de désarroi idéologique. Nous voulons briser cet étau et lui arracher les masses populaires politiquement avancées… mais nous savons que la tâche, en plus d’être ardue, ne nous attirera pas que des amis.

237565118 B971805061Z.1 20140115212742 000 GSG1PM2V7.1-01. Tout d'abord, situer les choses : pour prendre position, il faut savoir de quoi l'on parle ; même si nous savons que cela n'est pas tellement dans les habitudes du débat politique (y compris révolutionnaire) hexagonal. Donc, qu'est-ce que la loi Gayssot ?

Comme nous l’avons expliqué dans un précédent article, la loi Gayssot de 1990 est en fait un prolongement de la législation contre la haine raciale établie depuis 1972 par la loi Pleven. La plupart de ses articles ne sont que des retouches à celle-ci, sur le "droit de réponse" dans la presse et son exercice par les associations dites représentatives des groupes visés ; l’article 1 en est un rappel des principes : "Toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite. L'État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur". Outre l’établissement d’un rapport annuel de la Commission consultative des Droits de l’Homme sur le racisme (que nous avons également évoqué dans un précédent article), sa principale nouveauté et la source de sa notoriété et des polémiques qu’elle suscite est donc d’instaurer le délit de négationnisme, c'est-à-dire le fait de contester (ou minimiser) "l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale", autrement dit les crimes commis par les nazis et leurs alliés en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale (et non la seule Shoah, contrairement à ce que beaucoup imaginent : nier Oradour-sur-Glane, cela tombe sous le coup de la loi). Le négationnisme s’était en effet beaucoup diffusé dans les années 1980, notamment avec Robert Faurisson (à partir de 1978) ; mais il se heurtait à un vide juridique : en effet, il ne consiste pas à faire l’apologie des crimes nazis (ce qui tomberait sous le coup de la loi Pleven pour incitation à la haine raciale, et dans tous les cas sous le coup de l’apologie de crimes, comme le tortionnaire Aussaresses en 2001, poursuivi pour "apologie de crimes de guerre"), mais à en nier l’existence ou en tout cas, à prétendre qu’ils n’ont pas eu l’ampleur qu’on leur donne. Tuer 6 millions de personnes pour le seul fait d’être juives, c’est "horrible" en effet… mais cela "n’a pas eu lieu", ce serait la "propagande des vainqueurs", ou "des sionistes" pour "justifier" la création de leur État en Palestine (d’où le succès que connaissent malheureusement ces thèses dans les pays arabes et musulmans). La loi Gayssot est donc venue combler ce vide… et seulement cela ; ce n’est pas elle qui fait que, par exemple, on n’a pas le droit de tenir des propos ou de lancer des attaques antisémites contre une personne ou un groupe de personnes (cela, c’est la loi Pleven).

Ainsi, lorsque Dieudonné dit au sujet du journaliste Patrick Cohen "les chambres à gaz... dommage", il ne tombe pas sous le coup de la loi Gayssot, mais bien de la loi Pleven, puisqu'il provoque à la haine et porte atteinte à la dignité d'une personne (en souhaitant sa non-existence, l'extermination de sa famille il y a 70 ans) "en raison de son origine ou de son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". La loi Gayssot n'est pas compétente ici ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d'État ne l'invoque pas pour valider l'interdiction du spectacle "Le Mur". La tristement célèbre "quenelle" est dans le même cas : elle n'a strictement rien à voir avec la loi Gayssot. Si elle est bien considérée comme un salut nazi à l'envers, alors, contrairement à l'Allemagne, elle n'est pas interdite en tant que telle en Hexagone (!), mais (ouf...) elle peut être assimilée "selon le contexte" (toujours la bonne vieille hypocrisie bourgeoise) à une incitation à la haine raciale ou une apologie de crime contre l'humanité. Si elle est un "bras d'honneur au système", donc une insulte, il appartient aux personnes ou groupes attaqués ("quenelle" devant des lieux symboliques du judaïsme, par exemple) d'engager des poursuites pour injure publique ou atteinte à la dignité : c'est pratiquement plus une affaire civile (préjudice moral) que pénale (trouble à l'ordre public). En fait, s'il ne fait désormais aucun doute pour nous (ni personne de progressiste) que Dieudonné est un négationniste, qu'il croit profondément que la Shoah n'a pas existé et que c'est une "invention des sionistes" ; il parvient néanmoins sans aucune difficulté à ne jamais franchir la "ligne jaune" Gayssot, la contestation des crimes contre l'humanité nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, et donc à ne jamais être incriminé pour cela... Et donc à dire que son antisémitisme serait, lui aussi, une "invention" de ses détracteurs ("sionistes"). Le pivot de son argumentaire, finalement, c'est "il est interdit de dire que c'est bien, interdit de dire que cela n'a pas existé... va-t-on maintenant interdire d'en rire ?". Nous avons déjà là une première illustration des limites de la législation "antiraciste" et "anti-antisémite" bourgeoise...

1077708414 B971805061Z.1 20140115212742 000 GSG1PM30P.1-0Il suffit d'avoir dit cela pour réaliser la supercherie fasciste (dans laquelle tombent malheureusement des progressistes sincères) qu'est la prétendue lutte pour l'abrogation de la loi Gayssot autour de Dieudonné, que ce soit au nom de la "liberté d'expression" ou d'une supposée "sacralisation" de la Shoah et donc "hiérarchisation" des crimes contre l’humanité et des racismes. Nous, communistes, ne sommes pas pour la "liberté d'expression" mais pour la conquête de l'hégémonie : gagner le plus d'espace possible pour l'expression de nos idées (ce en quoi nous ne pouvons guère compter que sur nos propres forces...) et réduire le plus possible l'espace d'expression de nos ennemis, d'autant plus que ces derniers sont radicaux, ce en quoi nous pouvons éventuellement nous appuyer sur une partie de la bourgeoisie : Front populaire de 1936 avec la loi sur la dissolution des ligues, résistance avec les gaullistes et toutes sortes de républicains contre l'occupation nazie et le régime de Vichy, alliance avec les "intellectuels de gauche" et autres démocrates et humanistes (chrétiens progressistes notamment) pendant la guerre d'Algérie ou en 1968 et dans les années suivantes etc., et (donc) loi Pleven et sa prolongation Gayssot. De toute manière, depuis "1789" tant fantasmé, l'expression politique publique n'a jamais été "libre" : elle l'a toujours été "dans le cadre défini par la loi", c'est-à-dire pas du tout (censure a priori) jusqu'en 1881 (la fameuse loi sur la presse), et toujours strictement encadrée depuis : il faut répondre devant les tribunaux de la diffamation, de l'atteinte à la dignité ou à la réputation des personnes, de l'outrage à certains personnages importants (magistrats, gouvernants), de l'apologie de ce que la loi bourgeoise considère comme des crimes (meurtre, viol, crimes de guerre ou génocide) ou des délits (la consommation de cannabis par exemple), ou de propos "subversifs" attentant à la "légalité républicaine" et aux "institutions" (lois anti-anarchistes de 1893-94, interdiction de la Cause du Peuple en 1970 etc.). La "liberté d'expression" invoquée par nos nazillons et leurs gogos "démocrates" n'a donc jamais existé, ni sous la bourgeoisie depuis 1789 ni sous aucune classe dominante antérieurement ! La seule question est de quel côté va pencher la balance, et c'est une question de rapport de force : l'État va-t-il être "neutre" et frapper équitablement "tous les extrêmes", ou va-t-il être plus indulgent avec les fascistes ou (dans des limites évidentes) avec les révolutionnaires ? Ce qui vient d’être dit suffit (en principe) à répondre à un autre argument qui, pour faire court, est la ‘‘déclinaison de gauche’’ de la ‘‘liberté d’expression’’ : celui de la ‘‘contre-productivité’’ de ce type de lois, qui feraient des fascistes des ‘‘martyrs’’… Oui, nous communistes avons bien la ferme intention de clouer un jour le bec à l’expression des fascistes et autres réactionnaires en général ; et de remplir sur le chemin du communisme leur ‘panthéon’ d’une belle brochette de ‘martyrs’.

Quant au risque d'une "hiérarchisation des souffrances" et des haines raciales, l'attitude réellement démocratique là-dessus consisterait, plutôt que d'abroger la loi Gayssot, à lutter pour une application maximale de la loi Pleven : telle serait la vraie voie progressiste pour faire reculer le sentiment de "concurrence" entre racisés ! Certes, nous y reviendrons, cette lutte ne peut qu'atteindre tôt ou tard ses limites : il est peut-être possible d'entraver l'expression et les actes racistes ou antisémites, mais les éradiquer n'est pas possible dans le cadre du capitalisme, sous le pouvoir de la bourgeoisie. Pour autant, l'attitude correcte n'est certainement pas de dire que, puisque certains fauves sont en liberté (Zemmour et compagnie), alors autant ouvrir toutes les cages et les lâcher tous dans la nature ! Pas plus que, sous prétexte que bien d'autres "devoirs de mémoire" devraient exister (la mémoire des peuples étant la dynamite contre les murailles idéologiques des dominants, dont la destruction de ce rempart signifie la fin), il faudrait rejeter le "devoir de mémoire" pour les crimes nazis-fascistes de la Seconde Guerre mondiale... Pour prendre un autre exemple, les conquêtes sociales des 150 dernières années (auxquelles les sympathisants de Dieudonné sont généralement attachés) ne sont pas le socialisme : faut-il pour autant les rejeter et revenir à la condition populaire de 1840 ? Ce que nous voulons : TOUT ! Mais ce n'est pas parce que nous n'avons pas ce "tout" que nous devons rejeter le peu déjà obtenu !!!  

D'ailleurs les fascistes mainstream, ceux qui agissent à visage découvert, rêvent à des Srebrenica en Hexagone [1] sans encourir la moindre sanction et ne s'embarrassent pas de "draguer" les "progressistes" à la dérive et les "basanés" (colonisé-e-s intérieur-e-s) oubliés et/ou trahis par ces derniers, ne s'y trompent pas et demandent bel et bien (comme s'ils n'avaient pas encore assez les coudées franches) l'abrogation de toutes les lois antiracistes et "mémorielles", Pleven comme Taubira (reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité) comme Gayssot ("dommage collatéral", sans doute, pour ceux qui ne portent pas spécialement l’antisémitisme dans leur cœur, mais c’est ainsi)... Eux aussi, ils veulent TOUT, et c'est bien normal : c'est la moindre des choses pour qui se prétend militant politique !

fnnazi04022. Défauts, critiques et débats. Les défauts et limites des lois Pleven et Gayssot sont tout entiers contenus dans leur nature de classe : ce sont des lois BOURGEOISES ; quelle que soit la "pression populaire" hexagonale et/ou internationale sous laquelle elles ont été votées. Elles tentent de lutter contre l’expression du racisme et de l’antisémitisme, instruments capitaux de mobilisation réactionnaire de masse, ce qui est louable ; mais elles prétendent (comme toujours) régler le problème ‘‘par en haut’’, administrativement, en mode "pas de panique chers concitoyens, la République veille sur vous", sans mobiliser les masses du peuple, sans mobilisation progressiste de masse contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (haine de l’autre) en général. Elles sont en contradiction avec bien des pratiques de l’État lui-même (chasse aux ‘sans-papiers’, violences policières au ‘faciès’ couvertes par la hiérarchie, stigmatisation des ‘quartiers difficiles’… et bien sûr son passé colonial et son présent néocolonial et impérialiste !), lesquelles sont évidemment ‘légitimes’ et jamais inquiétées par les lois (cela revient, finalement, à la même chose que la personne culpabilisée parce qu’elle ne trie pas ses déchets pendant que les usines – ayant ‘‘payé pour polluer’’ – crachent leurs fumées toxiques). Elles sont peu appliquées et d’une manière fluctuante, permise par le flou des textes (comme de tous les textes de loi : "provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence", "diffamation" ; la disposition anti-négationniste Gayssot est un peu plus précise) qui laisse un grand pouvoir d’appréciation aux procureurs et aux juges (dont il n’est pas besoin de préciser ici que l’indépendance est une farce). Elles débouchent généralement sur des condamnations pécuniaires (amendes, dommages-intérêts), beaucoup plus rarement sur de la prison (comme Vincent Reynouard) ; or, pour des personnes dont la haine est devenue un fonds de commerce (Faurisson, Soral, Dieudonné côté antisémite, Zemmour, Tasin et autres côté islamophobe et anti-‘immigrés’) beaucoup plus juteux que ce que leur coûtent d'éventuelles condamnations, où est l’efficacité ?

De tout cela résulte une impression de schizophrénie judiciaire à laquelle répond l’incompréhension des masses, et les sentiments de ‘‘deux poids deux mesures’’ grandissent et se multiplient jusqu’à devenir aussi nombreux que les ‘‘groupes’’ censés être protégés. [MàJ avril 2014, alors que les 20 ans du génocide rwandais sont à la "une" : sur cette question du "deux poids deux mesures", voir les propos HALLUCINANTS d'Alain Jakubowicz, président de la LICRA et fer de lance de la croisade anti-Dieudonné (hallucinants lorsqu'on les met en parallèle avec cela, justement). Ce dernier n'a littéralement plus qu'à partager cela sur les réseaux sociaux... et crier "hourra" à la "preuve par 9" de tout ce qu'il affirme depuis 10 ans !]

Prenons un exemple. Nous avons dit plus haut que le cœur de l’argumentaire de Dieudonné, c’est de dire ‘‘il n’est pas possible de faire l’apologie de la Shoah, il n’est pas possible de la nier, mais est-il au moins possible d’en rire ?’’. La réponse étant (manifestement selon lui) ‘non’, c’est donc qu’il y a un ‘lobby sioniste’ qui s’est emparé de l’État français, de la politique, des médias etc., et donc que toutes les thèses antisémites et négationnistes sont vérifiées. Concrètement, il est vrai qu’interdire de rire de quelque chose n’est pas simple en soi. Il y a, comme ‘ligne jaune’, la notion de dignité humaine. Mais pour que cela fonctionne, il ne faut pas seulement des lois et des tribunaux : il faut une réprobation morale de la société. C’est d’ailleurs l’esprit de toute loi contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, l’handiphobie etc. : il ne s'agit pas seulement de punir des faits, mais de développer une conscience et un sentiment de réprobation dans les masses populaires. Ainsi, les imitations d’Africains de Michel Leeb (jamais condamnées une seule fois par la justice au demeurant) ‘passaient’ beaucoup moins bien au début des années 2000 qu’au début des années 1980 (moins d’invitations dans les émissions télé etc.) – depuis, la réprobation a sans doute reculé et plus de gens invoqueraient la ‘liberté de rire’, l’artiste est simplement devenu has been pour d’autres raisons. Il en va de même pour globalement tout l’‘humour’ sur les femmes, les homosexuel-le-s, les personnes handicapées etc. Or, avec la loi Gayssot et tout l’arsenal juridique permettant de punir l’antisémitisme et le négationnisme, le fait est que pour des milliers de personnes c’est l’effet inverse qui s’est produit : le ‘droit d’en rire’ n’est pas seulement resté une évidence, il est devenu une cause politique. Ne pas avoir ce droit ‘cache’ forcément ‘quelque chose’ (et lorsque les choses s’emmêlent avec le droit de critiquer, en riant ou pas, la politique israélienne, la situation devient inextricable…). Nous avons là une illustration parfaite, concrète, des limites d’une législation bourgeoise lorsqu’elle n’est pas appuyée sur une véritable mobilisation progressiste (à défaut d’être révolutionnaire) de masse. Mobilisation dont la bourgeoisie est tout simplement  INCAPABLE : soit elle n’en a pas la volonté, soit, dans tous les cas, pas la crédibilité !!!

arton10498-c4125Outre les deux grandes critiques déjà évoquées précédemment ("liberté d'expression" et "sacralisation" d'un crime contre l'humanité au détriment des autres), a émergé une troisième qui se situe un peu dans le prolongement de la première : la question de la "liberté des historiens", auxquels "la politique n'aurait pas à dicter l'histoire". Cette critique a pu jaillir de milieux extrêmement éloignés du négationnisme et de toute sympathie pour les régimes fascistes des années 1930, et pour cause : sa manifestation la plus connue est la pétition "Liberté pour l'Histoire" sortie à la suite de la loi sur le "rôle positif" du colonialisme, goutte d'eau qui a fait déborder le vase... Signée par des personnalités "phares" de la "gauche" bourgeoise (Élisabeth Badinter, Jacques Julliard etc.) et aussi peu suspectes de négationnisme que Pierre Vidal-Naquet, juif occitan au parcours progressiste incontestable (PSU etc.) et (surtout) pourfendeur brillant de l'ignoble Faurisson, elle demande l'abrogation de la loi scélérate Mekachera mais aussi de toutes les lois qui "ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites" : loi Taubira sur l'esclavage crime contre l'humanité, loi sur la reconnaissance du génocide arménien (2001 toutes les deux) et... loi Gayssot. Le problème, c'est deux choses : d'une part, les personnes qui vont nier la Shoah ou tenter de diviser par X le nombre de victimes sont généralement des PSEUDO-"historiens" (comme typiquement Faurisson) qui usurpent le titre, pas des historiens sérieux, vu que des travaux sérieux ne peuvent pas aboutir à de telles conclusions ; de même que peu d'historiens (ni de juristes) sérieux vont nier que l'esclavage et la traite transatlantique, tels que pratiqués du 17e au 19e siècle, relèvent de la définition actuelle du crime contre l'humanité, et l'assassinat de masse des Arméniens en 1915 de la définition du génocide ; soulignant simplement que ces notions juridiques n'existaient pas à l'époque des faits (mais pas non plus à l'époque de la Shoah, puisqu'elles ont justement été établies pour celle-ci). Ce sont d'ailleurs souvent des historiens qui avaient appelé de leurs vœux, à la fin des années 1980, une loi contre les négationnistes qui se paraient abusivement de leur qualité. Donc, si la loi Mekachera peut effectivement poser "débat" aux historiens bourgeois (car tout dépend ce que l'on entend par "positif" : en gros, développement objectif des forces productives ou droits démocratiques des peuples et droits tout simplement humains ?), mais en réalité fort peu car elle ne les concerne pas (elle se pose, dans le passage incriminé, en "circulaire" à destination de l'enseignement), les autres n'en posent guère... L'association créée en soutien à la pétition a d'ailleurs annoncé, en 2008, ne plus demander l'abrogation de la loi Gayssot. D'autre part, nous sommes encore une fois là dans une vision typiquement bourgeoise-de-gauche de la "liberté" comme absolu, avec au passage une sorte de sacralisation élitiste du chercheur universitaire ; ignorant (voire rejetant ouvertement) la lutte des classes et la question de l'hégémonie. Pour les communistes et les révolutionnaires en général, tout dans le domaine de l'expression publique revient en dernier ressort à cette question ; ainsi, les trois premières lois (Gayssot, Taubira, génocide arménien) comme la loi antiraciste Pleven servent objectivement l'hégémonie de notre camp, le CAMP DU PEUPLE, même si nous verrons plus loin qu'elles restent bourgeoises et peuvent même, par des artifices juridiques, être retournées contre nous ; tandis que la loi Mekachera était clairement une artillerie idéologique de l'ennemi et même de notre pire ennemi, la droite radicale nostalgique du "temps béni des colonies".

negationnisme1-436x327Il peut également sembler légitime de demander (et cela est parfois fait) pourquoi la loi Gayssot ne vise que la négation des crimes relevant du Tribunal de Nuremberg (les crimes nazis en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, dont la Shoah), et pourquoi l'on n'y ajouterait pas d'autres (génocides arménien ou rwandais, crimes en ex-Yougoslavie etc.). Certes mais alors, où s'arrêterait-t-on ? Si l'on fixe la limite dans le temps, disons, à 1900, toute l'Histoire du monde impérialiste n'est qu'une succession de génocides et de crimes contre l'humanité ! Et ce serait évidemment encore pire si l'on regardait l'Histoire jusqu'à 200, 300 ou 500 ans en arrière. Des crimes dans lesquels la bourgeoisie "française" a bien sûr plus que sa part... Une comédie musicale guillerette sur le "Roi Soleil" n'évoquant (bien sûr) rien de ses crimes contre les protestants occitans, de la répression de la révolte bretonne de 1675 ou encore de la traite esclavagiste des Africain-e-s avec le Code Noir etc. ; une hagiographie de Napoléon (big up à Max Gallo !) minimisant ou faisant silence sur les crimes génocidaires d'Haïti et de Guadeloupe ; un documentaire sur Pierre Messmer qui ne dirait rien du Cameroun... la liste de ce qui pourrait être qualifié de négationnisme historique est interminable, et pour cause : la légitimité même de la "France" comme construction politique historique repose sur ces "petits" oublis ! Pour la bourgeoisie ce serait donc un suicide, chose dont le marxisme nous enseigne qu'aucune classe dominante n'est capable dans l'Histoire.

Et puis, nous y reviendrons, les "autres crimes" que l'on ne pourrait plus "défendre" ni "nier" pourraient bien être ceux du "communisme" (le débat hante, notamment, les couloirs du Parlement européen)... Ce qui, même si notre victoire future passe nécessairement par un bilan critique des expériences passées, serait évidemment un très dur revers dans notre bataille pour l'hégémonie.

C'est là qu'effectivement, la question commence à tourner en rond et à se mordre la queue... Car c’est tout simplement la nature de classe de la bourgeoisie qui apparaît là : une classe qui s’est CONSTRUITE pendant des siècles sur l’exploitation, la domination impériale, l’esclavage des peuples et leur hiérarchisation dans une division mondiale du travail de production de la plus-value, la persécution et la spoliation des Juifs bien avant Hitler et le nazisme (Moyen Âge, 16e siècle) ; une classe qui a inventé le racisme là où il n’y avait auparavant qu’hostilité (à base économico-territoriale) et rapports de force entre communautés locales (cités), royaumes et civilisations (empires). Demander à la bourgeoisie une lutte conséquente contre le racisme, l’antisémitisme et quoi que ce soit de ce genre, c’est attendre d’un éléphant qu’il grimpe aux arbres ! [Ceci étant évidemment incompréhensible pour le logiciel économiste qui guide la quasi-totalité de la "gauche radicale" hexagonale, incapable de comprendre qu’une culture générée à travers des siècles puisse être devenue une réalité matérielle, concrète et agissante ; et se réfugiant derrière une piteuse explication du racisme comme "manœuvre de la bourgeoisie pour diviser les travailleurs" etc. etc.]

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3. Telles sont donc les lois Pleven et Gayssot, à l'image de la classe sociale qui en est à l'origine, la bourgeoisie républicaine BBR "de gauche" ou "centriste" (libérale, démocrate-chrétienne comme Pleven) : objectivement utiles au camp populaire révolutionnaire lorsqu'elles font barrage à la diffusion du racisme et de l'antisémitisme comme mobilisation réactionnaire de masse, ou à la réhabilitation du nazisme par les plus ultras des fascistes ultras, car le négationnisme (arrêtons de tourner autour du pot à la Chomsky) c'est cela ; résultantes d'un rapport de force qu'il faut évidemment défendre et si possible consolider, comme une tranchée dans une guerre de position (qu'est la lutte des classes, cf: Gramsci). Mais en même temps, elles sont loin d'être parfaites... et difficilement perfectibles (cessons deux minutes de délirer à ce sujet), car en faire une application systématique et implacable ou étendre le délit de négationnisme à d'autres crimes que ceux du nazisme, on l'a dit, deviendrait rapidement intenable pour la bourgeoisie BBR.

Elles sont même susceptibles, comme toujours l'"antifascisme" bourgeois, de se retourner en leur contraire. Nous avons déjà évoqué rapidement cela au sujet d'un article de VP qui disait "Si Valls interdit Dieudonné, ou un autre tribun, pourquoi n’interdirait-il pas les militants communistes de s’exprimer demain ? Toute atteinte aux libertés, même celles de nos ennemis, peut s’étendre à nous, ne l’oublions jamais", ce qui nous semble porteur d'une réelle préoccupation populaire-racisme_anti_blancs.jpgrévolutionnaire (prétendre "combattre les extrêmes de tout bord", frapper un coup les révolutionnaires et les progressistes, un coup ce qu'il définit comme "obscurantiste" ou "fasciste" est effectivement au fondement même de l'idéologie républicaine BBR, au point d'ailleurs que même Vichy prétendait cela, "l'extrême-droite" étant en l'occurrence les gaullistes venus de la droite de la droite d'avant-guerre), et en même temps d'une affirmation erronée revenant à du libéralisme chomskyen.

Il est vrai que depuis longtemps déjà, des gens voudraient appliquer la loi Pleven au "racisme anti-blanc" ou "anti-français", à la "stigmatisation des chrétiens" etc., et juridiquement en effet rien ne l'empêche. Parmi les "autres crimes contre l'humanité" auxquels certains voudraient étendre la loi Gayssot, il y a bien sûr les "crimes du communisme" (appeler à un "Nuremberg du communisme" est un argument récurrent des avocats de négationnistes ou d'anciens kollabos et nazis, même si d'autres comme Vergès préféraient invoquer les crimes du colonialisme et de l'impérialisme) ; ce qui nous interdirait de défendre et de diffuser notre conception du monde même à travers un bilan critique constructif. L'argument "antisionisme = antisémitisme" (si copieusement nourri par Dieudonné et consorts) a déjà permis de poursuivre pour "incitation et la haine et à la discrimination" des initiatives contre l'apartheid israélien, comme BDS. Tout comme la loi de 1936 sur la "dissolution des groupes de combat et milices privées", qui visait évidemment à l'époque les ligues d'extrême-droite, a largement permis dans les années 1968 et depuis de frapper le mouvement communiste et révolutionnaire... Tandis que, parmi les "lois mémorielles" d'habitude tant décriées par les fafs et autres réacs nouveaux ou pas (loi Gayssot, reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crime contre l'humanité etc.) faisait bien sûr exception la "loi Mekachera" dont nous avons déjà parlé, sur le "rôle positif de la colonisation" et... l'indemnisation des militants fascistes de l'OAS (finalement modifiée devant la mobilisation populaire et intellectuelle). Et le délit de négationnisme ne pourrait-il pas, demain, être étendu à "oser" qualifier autre chose que le nazisme et la Shoah de crime contre l'humanité (sauf éventuellement les "crimes du communisme" pour certains, comme on l'a dit), àsocialisme4 "oser" comparer au nazisme (à raison ou à "tort", par cet excès qui fait souvent partie du "jeu" politique) d'autres situations présentes ou passées sur la planète, comme les soixante-huitards scandaient "CRS = SS !" ? Ce n'est pas encore le cas (c'est pourquoi Dieudonné n'a pas pu être condamné pour le sketch chez Fogiel), mais c'est ce vers quoi un certain nombre de "républicains" bourgeois, de sionistes plus ou moins ultras... et certains "maoïstes" semblent tenter de pousser.

Nous voyons bien là comment toute loi, toute politique "antifasciste" bourgeoise peut du jour au lendemain se retourner en son contraire, puisqu'elle ne vise pas la fraction ultra-réactionnaire... de la même classe bourgeoise qui l'a votée, mais de manière idéaliste "l'extrémisme", "la violence" et "la haine de l'autre" ou "de la démocratie", l'atteinte aux "valeurs de la République" etc. etc. Pour autant, lorsqu'elle frappe les fascistes, nos ennemis jurés qui ne veulent pas seulement nous mettre quelques mois ou même quelques années en prison mais bien nous massacrer purement et simplement, façon Chili de Pinochet ou bataille d'Alger, il est évident que cela sert nos intérêts et nous n'allons pas nous en plaindre, nous n'allons pas pleurer sur le sort ni sur la "liberté d'expression" d'ennemis jurés de notre camp et des masses populaires que nous voulons libérer : c'est une question de pragmatisme militant, et le fait que l'État frappe plutôt les fascistes que les révolutionnaires peut aussi être le fruit d'un rapport de force que les masses révolutionnaires auraient su construire (le truc dans l'affaire Dieudonné-Valls, c'est qu'on voit mal lequel)... Des notions tout à fait justes et même essentielles ; mais que nous croyions justement étrangères à certains qui s'en font aujourd'hui les grands donneurs de leçons.

Enfin, c'est aussi une réalité qu'il ne faut pas avoir peur de dire : tant la disposition particulière anti-négationniste (Gayssot) que l'application du cadre général antiraciste (Pleven) ; toujours en-deçà des exigences antifascistes certes, mais clairement plus ferme en matière d'antisémitisme et de négationnisme que d'autres formes de racisme (ou en matière de racisme "primaire", comme comparer Taubira à un singe, que de formes plus "subtiles") ; s'inscrivent dans le CADRE IDÉOLOGIQUE construit par les vainqueurs occidentaux de 1945 (et rénové à la fin de la Guerre froide, dans les années 1980) qui fait des crimes nazis de la Seconde Guerre mondiale et de quelques autres cas "emblématiques" (génocide arménien, apartheid sud-africain etc.) l'arbre d'horreur absolue cachant toute la forêt de leurs crimes antipopulaires, colonialistes et impérialistes d'aujourd'hui comme d'hier - crimes qui sont non seulement encore le quotidien du capitalisme tout autour de la planète, mais le fondement même de son existence (depuis son "accumulation primitive" puis sa "révolution industrielle" jusqu'à son stade monopoliste et impérialiste actuel) et de la société capitaliste occidentale toute entière (on devrait enfin pouvoir dire, par exemple, que la colonisation et la déshumanisation des "nègres" et des "sauvages" ont permis de faire du paysan et du "plébéien" européen un être humain à part entière, débouchant directement sur la "Déclaration des Droits de l'Homme"... BLANC).  

On retrouve cette même logique y compris (on s'en serait douté...) habillée d'un gloubiboulga pseudo-"marxiste" sur un site bien connu, expliquant de manière aberrante que ("contrairement" au nazisme plus tard) le colonialisme et l'esclavage des Africain-e-s n'auraient "pas vraiment servi" l'accumulation capitaliste européenne entre le 16e et le 19e siècle (pourtant Marx en parle bien dans son Capital et le PC d'URSS dans son Manuel d’Économie politique [2], et pourtant curieusement tous les pays européens à un certain stade de développement capitaliste sont entrés dans une dynamique d'expansion coloniale, ceux qui ne le pouvaient pas - Europe de l'Est - imposant à leur paysannerie un servage ultra-violent) ; le tout couronné (pour faire bonne mesure) de la bonne vieille thèse de la "Shoah économiquement inutile" (les nazis se seraient "contentés" d'exterminer les Juifs sans en tirer aucun profit, cf. ci-dessous), version "gauchiste" de la "haine éternelle contre le Peuple juif" des sionards.

C'est malheureux à dire, mais le fait de mettre en avant des victimes avant tout européennes (nonobstant les torrents de boue et de déshumanisation qui s'étaient abattus sur elles le demi-siècle précédent) facilite forcément l'identification de l'Occidental "lambda" avec celles-ci et son "insensibilisation" à tous les autres crimes perpétrés depuis 5 ou 8 siècles, sur les cadavres desquels repose pourtant l'ordre capitaliste mondial que nous connaissons aujourd'hui... Le nazisme qui a commis des crimes épouvantables et sans précédent dans l'Histoire, mais qui les a surtout commis en Europe, a été vaincu en 1945 et il a, dès lors, immédiatement été "recyclé" en incarnation du "Mal absolu" qui relativiserait voire ferait oublier tout le reste ; en oblitérant, bien sûr, que le vecteur premier de l'arrivée d'Hitler au pouvoir avait été l'anticommunisme de la bourgeoisie allemande et internationale, mais aussi que les crimes (de guerre et raciaux) perpétrés en Allemagne et dans les pays occupés par elle ne relevaient pas d'une "folie EF004-Rwanda-94-38871criminelle collective inexpliquée" (ou "expliquée" par "la crise de 1929", le "ressentiment devant le Traité de Versailles" patati patata) mais s'inscrivaient bien au contraire dans ce qu'il convient d'appeler le centre légitime des idéologies capitalistes-impérialistes occidentales... Un centre légitime qui le RESTE encore très largement aujourd'hui [nous y reviendrons plus loin avec Aimé Césaire et Rosa Amelia Plumelle-Uribe] !

Il suffit simplement de penser au génocide rwandais, encore plus "fulgurant" que la Shoah (plus de 10.000 morts/jour !) et tout aussi planifié, dès 1990, sur des "arguments" très ressemblants ("complot éternel" hima-tutsi pour dominer l'Afrique centrale, en alliance avec les "rouges" pendant la Guerre froide et avec les Américains ensuite) et avec l'appui ouvert de l'impérialisme BBR... en particulier de ce PS qui joue aujourd'hui les "antifascistes" à bon compte face à un sinistre bouffon youtubien ! Le chef de la diplomatie d'alors (1988-93) était notamment un certain Roland Dumas, connu depuis pour ses amitiés avec l'extrême-droite "tiers-mondiste" sauce Vergès, Chatillon... et Dieudonné. Lorsque Chirac arriva au pouvoir, un an après l'atroce massacre, il "enterra" alors celui-ci sous un flood d'initiatives positives (reconnaissance - timide - du rôle de l'État français dans la Shoah, intervention contre les massacres grand-serbes en Bosnie etc.).  

Faire oublier les crimes impérialistes d'un bout à l'autre de la planète... sans même parler de la responsabilité (à la limite de la complicité !) des Alliés eux-mêmes dans la tragédie, par leur refus catégorique d'accueillir les réfugiés juifs persécutés (d'Allemagne et d'ailleurs) avant la guerre (aux États-Unis, la loi anti-immigration Johnson-Reed de 1924 reposait notamment sur les théories raciales de Madison Grant... un auteur fétiche d'Adolf Hitler !) et même d'accepter des "deals" pouvant sauver des centaines de milliers de vies pendant (affaire Joel Brand) !!! [Et même après la victoire, les statuts du Tribunal de Nuremberg ne feront pas des persécutions raciales (contre les Juifs et autres groupes) un crime en soi : elles ne seront poursuivies que comme crimes "en lien" avec la préparation puis la conduite de la guerre contre les "nations civilisées" (le "vrai crime" de l'Allemagne)... Il faut dire que pour l'Amérique des lynchages et les puissances coloniales française et anglaise, juger et condamner en tant que telles l'exclusion, l'oppression et la persécution d'un groupe humain aurait été quelque peu problématique !]

Et cela a tellement bien marché qu'aujourd'hui, non seulement les groupes se revendiquant ouvertement du IIIe Reich restent relativement marginaux et isolés, mais il est devenu très à la mode pour les fascistes et autres ultra-réactionnaires... de se présenter comme la "résistance" : à "l'Axe américano-sioniste" pour Soral et Dieudonné ; au "nazislamisme" pour Riposte laïque et consorts qui organisent leurs "apéros saucisson-pinard" islamophobes le 18 juin ; à l'UE qui serait une nouvelle "Europe à l'heure allemande" pour les "souverainistes" de tout poil ; à la "dictature de la pensée unique" pour à peu près tous... (quant aux ultra-sionistes de la LDJ et compagnie, cela ne fait évidemment aucun doute : à les écouter, ils seraient des héros insurgés du ghetto de Varsovie ![3])

Servir le Peuple a toujours été très clair là-dessus, afin d'écraser le confusionnisme, ce cancer pour la prise de conscience révolutionnaire du peuple. La Shoah, pire crime contre l'humanité de tous les temps ? Oui, sans le moindre doute : ni l'ère industrielle, ni l'ère capitaliste en général, ni même toute l'histoire de la société de classe n'offre d'exemples comparables en ampleur (victimes/temps, pourcentage de la population visée tué etc.) et surtout en méthodicité de planification et d'exécution... Tous les systèmes oppresseurs et conquérants dans l'Histoire, Assyriens comme Romains, Francs puis "Français" ou Mongols, Européens aux Amériques etc. ont allégrement massacré et réduit en esclavage les populations soumises, mais jamais dans de telles proportions ni de manière aussi "scientifique". Pour autant, nous avons toujours affirmé qu'avec les autres crimes de l'impérialisme, du capitalisme et de quelque système dominant et conquérant que ce soit, la différence est de DEGRÉ et non de nature. Certains défenseurs de l'"unicité absolue" avancent des arguments comme, par exemple, que les nazis ont exterminé les Juifs alors que la "logique" en temps de guerre aurait voulu qu'ils exploitent leur force de travail. Mais 1º/ d'une part c'est inexact : c'est oublier ne serait-ce que l'exploitation massive avant déportation (dans les ghettos de l'Est, les camps de travail en Allemagne et ailleurs, en Transnistrie immense "réserve juive" sous occupation roumaine etc.), cette dernière n'étant souvent que le point final d'un long processus (sauf sur le front de l'Est) ; puis que les déporté-e-s jugé-e-s "productif-ve-s" (hommes adultes et certaines jeunes femmes en bonne condition physique) étaient bel et bien mis-es au travail forcé (il y avait des dizaines de camps pour cela rien qu'autour d'Auschwitz, comme par exemple celui de Monowitz/Auschwitz III qui "fournissait" l'usine de caoutchouc Buna Werke de la firme IG Farben : 12.000 prisonniers-esclaves en grande majorité juifs), dans des conditions visant (certes) à les faire mourir à brève échéance (7% seulement survécurent), et envoyés à la columbus daychambre à gaz seulement lorsque "finis" d'épuisement [c'est ainsi qu'il a pu y avoir de (rares) survivant-e-s comme Primo Levi, Elie Wiesel ou Simone Veil] ; tout ceci sans même parler de la spoliation ("aryanisation") de valeurs parfois considérables aux malheureux-ses envoyé-e-s à la mort, tant au profit d'entreprises (grandes, moyennes et petites) que de l'État, de l'appareil NSDAP (État dans l'État - à ce sujet lire ici, article "férocement trotskyste" mais non moins intéressant) ou de simples particuliers, dans une véritable entreprise de vol institutionnalisé dont regorgent encore certaines banques en Suisse et ailleurs (dans tous les cas, la quasi-totalité des anciens propriétaires étant morts, les biens spoliés ont difficilement pu être "rejudaïsés") ; 2º/ d'autre part, c'est aussi oublier que d'autres politiques criminelles n'ont pas visé non plus l'exploitation des populations victimes mais bel et bien leur suppression (d'une manière ou d'une autre) d'un territoire donné, comme par exemple le nettoyage ethnique des années 1990 en ex-Yougoslavie ou... depuis 1947 en Palestine, où l'on préfère parfois embaucher-exploiter des Éthiopiens ou des Philippins que des Palestiniens dont la seule vocation est de "partir" ! Les Turcs auraient pu eux aussi mettre les Arméniens au travail forcé, pourtant ils les ont exterminés (comme "cinquième colonne" de la Russie). Que les Premières Nations d'Amérique meurent en masse d'épidémies et ne supportent pas le travail des champs ou des mines pouvait être "compréhensible" au 16e ou 17e siècle, mais au 19e la médecine avait progressé et il aurait été possible d'en faire une force de travail semi-esclave comme dans toute colonie qui se "respecte"... mais non : la ligne du gouvernement US était bel et bien qu'ils devaient disparaître des vertes prairies promises aux pionniers. Eh bien la Shoah, c'était aussi "simple" que cela : le nazisme avait un "plan" pour l'Europe (Generalplan Ost à l'Est mais aussi des "projets" pour les différents pays alliés ou vaincus à l'Ouest et au Sud) et dans ce "plan" les Juifs devaient disparaître de la surface du continent (quelques assassinats ont même été commis en Tunisie pendant les quelques mois d'occupation) après avoir "donné" jusqu'au dernier de leurs biens (spoliés/"aryanisés"), de leurs efforts (dans les ghettos avant déportation et dans les camps s'ils étaient affectés au travail forcé) et même leurs dépouilles une fois morts, atrocement "recyclées" (cheveux, peau, dents en or... au stade ultime de la barbarie capitaliste, pas besoin d'être vivant pour être transformé en marchandise !) car, "dernière des races inférieures", ils ne pouvaient jouer aucun rôle sinon de "virus" dans la "Nouvelle Europe" au service du Reich hitlérien. En définitive, le projet impérial nazi consistait - jusqu'à la Sibérie et au Caucase - en une véritable "Conquête de l'Est" dans laquelle les Slaves auraient été les Noirs à réduire en esclavage tandis que les Juifs (ou encore les Rroms) étaient les "Indiens" à surexploiter à court terme, mais surtout à éradiquer. Pour les nazis, le Juif était un être "faible" et peu combattif mais "sournois" et "contrôlant", par son intelligence "démoniaque", les forces "libérales" et "rouges" ; si bien que derrière toute action de résistance contre eux il y avait "le Juif" : la logique nazie est donc assimilable ici à l'extermination d'une population "irrémédiablement hostile" à la "race"/"civilisation" européenne, comme les "Peaux-Rouges" en Amérique du Nord ou les Héréros (nous y reviendrons plus bas) quelques décennies plus tôt en Namibie. Hitler aurait même eu l'occasion de confesser... combien l'extermination desdits "Indiens" par les colonisateurs US avait pu être source d'admiration et d'inspiration pour sa "Solution finale" [à ce sujet lire aussi ceci] ! Pour faire "place nette", Benjamin Franklin (un autre "grand homme" des "Lumières"...) louait les vertus de l'eau-de-vie et des couvertures contaminées à la variole... Les nazis, eux, préféreront la "simplicité" et "l'efficacité" d'un insecticide chimique surpuissant (chose qui n'existait pas 150 ans ou même quelques décennies auparavant).

algerie-211212L'on entend ou lit aussi que l'antisémitisme serait "autonome", que ("anticapitalisme romantique" ou autre) il ne serait "pas un racisme comme un autre"... Certes, mais quel racisme est "un racisme comme les autres" ? Tous les racismes sont différents selon le groupe visé et, de surcroît, selon le pays où ils sévissent (on n'est pas raciste de la même manière en "France" et en Allemagne, en "Espagne" ou aux USA). Le racisme anti-arabes/musulmans est historiquement un racisme de "guerre des civilisations" (Croisades oblige !), de combat "existentiel", de "eux ou nous" qui aurait plutôt vocation à s'exprimer par des crimes de guerre et des massacres façon Srebrenica ; le racisme anti-africains est un racisme de suprématie brute, de déni d'appartenance à l'espèce humaine (le racisme anti-"indiens" sur le continent américain est aussi un peu cela) et tend plutôt à s'exprimer par la servitude, le lynchage et la répression violente des révoltes (pour "garder l'animal à sa place") ; le racisme anti-asiatiques est un racisme de méfiance envers les "seuls" qui, allez savoir, "pourraient peut-être nous être supérieurs" ; le racisme anti-rroms un racisme anti-"voleurs-de-poules" et anti-ultra-pauvres typique du petit propriétaire aux abois (qu'est tout Européen aujourd'hui), tendant lui aussi à l'extermination version "hygiène sociale", etc. etc. L'antisémitisme européen est né contre une communauté vivant parmi les Européens depuis 2000 ans, autant dire depuis les origines (d'où le "ils sont partout", sous-entendu "parmi nous et on ne s'en rend pas toujours compte") ; la première à vrai dire contre qui s'est développée une discrimination et une persécution institutionnelle systématique (dès le 13e siècle) ; historiquement associée à "l'argent" et à la "spéculation" car souvent, pour ne pas rembourser les prêts obtenus d'eux (déjà sous la menace), les rois, grands féodaux et autres grands patriciens bourgeois les accusaient d'"usure" et les faisaient chasser ou massacrer [une politique, concrètement, d'extorsion de fonds en masse par les États modernes en formation à l'encontre des communautés juives, accompagnée d'expulsions et de massacres... dans laquelle on peut voir, peut-être, un des tous premiers mécanismes de l'accumulation primitive !!] (d'où l'"anticapitalisme romantique" ou "socialisme des imbéciles", mais "socialisme" HYPOCRITE serait sans doute plus approprié, car ce ne sont pas des personnes contre le capitalisme mais contre un capitalisme qui ne leur profite pas)... Il est donc logique qu'il ait des traits uniques, propres à lui et sans équivalent contre d'autres peuples ou groupes humains ; il suit historiquement le cheminement ghetto->pogrom->expulsion->nouveau ghetto, auquel s'est ajoutée au 20e siècle l'extermination massive. Il n'y a d'ailleurs pas l'antisémitisme comme phénomène uniforme, mais des antisémitismes  très nettement différents selon les pays et les rapports du corps social général à la communauté juive : ainsi si l'on prend l'Allemagne (antisémitisme nazi), la thèse bordiguiste (voir note 3) n'est pas si erronée et "abjecte" que cela puisque les Juifs, misérables au début du 19e siècle, appartenaient effectivement pour plus de 80% aux classes moyennes (50% d'entrepreneurs dans le commerce vers 1900) et très peu à la classe ouvrière au début du 20e ; elle ne fonctionne plus en revanche si l'on sort des frontières allemandes, en Europe de l'Est (juifs très pauvres des shtetl, beaucoup de prolétaires) mais aussi aux Pays-Bas (majorité ouvrière) ; tandis qu'en "France" le débat fit rage sur la distinction entre Juifs "de souche" et Juifs immigrés après 1919 (l'immense majorité des déporté-e-s et exterminé-e-s), en Italie le fascisme lui-même (sans être forcément "philosémite") rejetait, parfois ouvertement, l'antisémitisme obsessionnel des nazis jusqu'au "tournant" à 180° de 1938, etc. etc. Quant à l'argument, parfois invoqué, que l'antisémitisme nazi serait tellement "à part" que "les convois de Juifs à exterminer étaient prioritaires sur le ravitaillement des troupes", il relève sans doute de la légende et n'a jamais été prouvé - voir ici et ici... 

 

Aucun argument de ce type ne tient donc la route : la seule unicité de la Shoah est quantitative et technique (planification et moyens techniques les plus modernes de l'époque) ! Ou plutôt, pourrait-on dire, la Shoah est unique tout comme aucun génocide ne ressemble à un autre : elle n’est pas unique dans son unicité.

indexEt puis nous pensons aussi, avec Aimé Césaire, que "ce que l'on ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme BLANC, c'est l'humiliation de l'homme blanc, c'est d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les Nègres d'Afrique" (Discours sur le Colonialisme, 1950)[4] ; que ce que la société capitaliste occidentale n'a pas supporté ce n'est pas la barbarie en soi mais la barbarie devant sa porte ; que si le nazisme avait fait 99,99% de ses victimes en Afrique ou en Asie et non en Europe, ou même s'il n'avait tué que des Juifs pauvres de l'Est, des communistes slaves et des Rroms (bref, s'il n'avait fait la guerre qu'à l'Est) il ne serait pas l'incarnation du Mal qu'il est devenu aujourd'hui : il suffit pour s'en convaincre de se rappeler les suppliques désespérées d'Haïlé Selassié à la tribune de la Société des Nations tandis que Mussolini mettait son pays à feu et à sang (300.000 morts au bas mot, gazages de populations etc.), ou comment la guerre en Asie-Pacifique, avec ses victimes des Japonais comme de la contre-offensive anglo-américaine (bombardements exterminateurs de Tokyo, Hiroshima et Nagasaki), n'a pas intégré le "devoir de mémoire" sur la Seconde Guerre mondiale... Qui (en dehors de quelques historiens spécialisés), lorsqu'il s'agit d'étudier les "racines du Mal" nazi, pense simplement à évoquer le génocide des Héréros de Namibie (alors colonie allemande) : un génocide quasi-total (85% de la population visée) où furent forgées bien des méthodes de la future Shoah... mais frappant un peuple noir africain ???

Oui, nous assumons totalement l'idée de CONTINUITÉ entre l'histoire de l'Europe comme "civilisation" (capitalisme, État moderne, expansion coloniale, "révolution" industrielle, impérialisme) et le nazisme, régime criminel jailli non pas d'une "hystérie collective" ou des entrailles d'une "minorité illégitime" et marginale qui aurait "subjugué" un peuple entier, mais bien du centre légitime des idéologies du monde occidental [voir ABSOLUMENT à ce sujet le célèbre ouvrage de 2001 de la franco-colombienne afro-descendante Rosa Amelia Plumelle-Uribe (bombe à neutrons littéraire qui fit évidemment "scandale" à l'époque, allant jusqu'aux accusations de "négationnisme" ou en tout cas de relativisation du nazisme et de la Shoah), ou celui à peu près contemporain du spécialiste de la Shoah Enzo Traverso]... C'est là ce que disait déjà (en substance) Simone Weil dans ses écrits sur l'anéantissement médiéval puis absolutiste moderne de notre Occitanie où, juive, elle était venue chercher refuge en 1940 (un refuge bien illusoire puisqu'en août 1942 les Juifs de zone "libre" seront eux aussi raflés sous la conduite de René Bousquet - le Manuel Valls de l'époque - et en l'absence du moindre uniforme allemand, mais en 1940 on ne le savait pas encore) !

rwanda wideweb 470x307,0Cet aspect est incontournablement à prendre en compte[5]. Il montre les limites, au-delà des lois Pleven et Gayssot, de l'"antiracisme" et de l'"antifascisme" bourgeois. N'en déplaise à ceux et celles qui, pour des raisons qui sont les leurs (aussi nobles soient-elles), sont attaché-e-s à l'"unicité" du génocide antisémite nazi, cette question agite une grande partie des masses populaires et elle est très concrètement soulevée par des milliers de personnes (or une question soulevée est forcément une question qui existe) ; un sentiment on-ne-peut-mieux résumé par la phrase : "à l’école on nous a beaucoup parlé des crimes de l’Allemagne mais beaucoup moins de ceux de la France : la colonisation et l’esclavage"... Et en l'absence de réflexion et de position révolutionnaire ou carrément face à un veto catégorique de l'extrême-gauche "blanche"[6] sur la question, elle ne recevra que de mauvaises réponses réactionnaires : négationnisme ou relativisme, complotisme, "Shoah invention-ou-exagération des Juifs pour justifier Israël" etc. etc. C'est un devoir révolutionnaire sur lequel il faut être extrêmement ferme, et ne pas céder au terrorisme intellectuel de l'idéologie dominante qui sait parfaitement (on l'aura trop vu, et encore une fois expliqué ici) se présenter comme "antifasciste". Sans jamais perdre de vue que Dieudonné aura apporté aux révolutionnaires, au cours de ces 10 dernières années, un seul mais immense enseignement : la première victoire sur le "système" qu'il prétend dénoncer... c'est justement de ne pas finir comme lui !

images4. Les lois Pleven et Gayssot, comme derrière elles tout l'"antifascisme" de la "démocratie" bourgeoise, sont donc ambivalentes ; à l'image d'une classe qui a passé son histoire à sécréter des valeurs d'humanisme pour presque aussitôt les piétiner. Il n'est pas possible d'avoir sur elles une position "monolithique", "arrêtée" ; les communistes doivent (encore une fois, encore et toujours) PENSER AVEC LEUR TÊTE, sans schématisme, savoir être pragmatiques (prendre ce qui peut servir chez l'adversaire "démocrate" bourgeois) mais aussi être critiques et pas dupes. La question et la tâche centrales ne sont de toute façon pas là : elles sont de construire l'autonomie prolétarienne et populaire dans tous les domaines et dans ce cadre, de construire l'antifascisme populaire-révolutionnaire, fondé non pas sur les lois et les institutions démocratiques bourgeoises, mais sur l'autodéfense des masses populaires contre les milices de leur esclavage et de leur soumission par la terreur, ce qu'est le fascisme. Ne serait-ce que, par exemple, éjecter manu militari les militants dieudonnistes de toute mobilisation sociale, populaire, démocratique ou anti-impérialiste, suffirait déjà à vider le dieudonnisme de son objet, qui est justement d'infiltrer et gangréner ces luttes. Bien sûr, il faut encore (en ces temps où la confusion est partout) savoir de quoi l'on parle lorsque l'on parle d'autodéfense populaire, car les fascistes ont pris l'habitude de se poser en "victimes" et de dire "ne faire que se défendre"...


Annexes :

1°/ Intéressant pour ‘mémoire’, le dialogue entre l’‘‘islamo-gauchiste’’ Pierre Tevanian et un Dieudonné ayant tout juste (mais déjà ‘bien’) amorcé sa dérive, en 2005 (sur le site, hélas, de Fourest & co, mais c’était ça ou ‘‘Les Ogres’’ dieudonnistes, donc il fallait choisir…) : http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2005/09/21/349-quand-dieudonne-croise-un-indigene-de-la-republique

Intéressant car dévoilant très précisément la mécanique de pensée ayant conduit l’humoriste ‘antiraciste’ du début des années 2000 là où il est aujourd’hui. On y voit notamment s’étaler son idéalisme républicain forcené, finalement digne des Finkielkraut et consorts qu’il pourfend ; et lorsque Tevanian réplique que la République c’est AUSSI l’impérialisme et la colonisation, le racisme ‘structurel’ etc., il rétorque que ‘‘vous ne me comprenez pas, la République pour moi ce n’est pas ce qu’il y a actuellement, c’est l’utopie, l’idéal’’. Eh oui ! Tel était le Dieudonné du début des années 2000 : une sorte de Mélenchon mêlé de José Bové… pris pour Malcolm X par des milliers de personnes. Et lorsque Tevanian lui explique que le cœur du pouvoir c’est justement cette République qu’il idéalise, une République ‘blanche’ c'est-à-dire bourgeoise et impérialiste, que le mouvement sioniste n’en est qu’un bras armé parmi d’autres, que ce n’est pas parce qu’il frappe fort (dans un contexte de 2e Intifada où, face aux crimes ultra-médiatisés de Tsahal, il était particulièrement aux abois) qu’il est le pouvoir, Dieudonné s’entête : non non, pour lui le centre du pouvoir c’est le ‘sionisme’ matérialisé dans le CRIF et les ‘juifs médiatiques’… Partant de là, il est clair que la dérive ne peut plus avoir de fin. Un dérive qui d’ailleurs, contrairement aux idées reçues, n’a pas commencé après le fameux ‘‘sketch Isra-Heil chez Fogiel’’ (décembre 2003, où Dieudonné parlait déjà d’axe ‘américano-sioniste’, preuve qu’il était déjà sous l’influence de Soral), puisqu’en 2002 par exemple, ‘candidat-et-pas-pour-rire’ à la présidentielle, il déclarait déjà dans un magazine lyonnais : "Le racisme a été inventé par Abraham. Le “peuple élu”, c’est le début du racisme. Les musulmans aujourd’hui renvoient la réponse du berger à la bergère. Juifs et musulmans, pour moi, ça n’existe pas. Donc antisémite n’existe pas parce que juif n’existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l’une que l’autre. Personne n’est juif ou alors tout le monde. Je ne comprends rien à cette histoire. Pour moi, les Juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme la “guerre sainte”, etc." (citation souvent tronquée pour en grossir le caractère antisémite, mais montrant déjà qu’il était sur une très mauvaise pente). En réalité, la dérive part du Code Noir, projet (plus que noble en soi !) de film sur la traite esclavagiste en 2002. Le projet fut refusé par le Centre national cinématographique (en fait un refus d’aide à l’écriture du scénario, ce qui arrive dans 90% des cas à la première demande), ce dont il a déduit une volonté juive/sioniste de ‘‘monopole de la souffrance’’ et ‘‘une guerre déclarée culturellement au monde noir’’, dans l’état d’esprit de l’époque autour de l’ouvrage de Finkelstein etc. Alors que si blocage il y a réellement eu, c’est parce que la mémoire de l’esclavage porte atteinte à LA FRANCE, nullement à Israël, au sionisme et aux Juifs ! D’ailleurs le Code Noir en question (promulgué par Colbert en 1685), loin de consacrer une quelconque ‘mainmise des Juifs’ sur la traite négrière… a pour article premier d’expulser les Juifs des colonies antillaises (ces Juifs étaient souvent néerlandais, il n’y avait alors pas de communauté juive importante dans beaucoup d'autres pays, or le royaume de Louis XIV était en guerre ouverte avec les Pays-Bas à l’époque).

2°/ Voici un petit texte sympathique publié par le groupe révolutionnaires Les Enragés. Des inexactitudes... il y en a sans doute, car il se veut simple et pédagogique et c'est justement ce qui fait son intérêt (ce pour quoi nous le publions, nous qui avons un peu perdu, hélas, le savoir-être-simple...). Il remet, de manière très compréhensible par la grande majorité du Peuple, les pendules à l'heure au sujet de tous les discours (omniprésents) sur la "finance" ("mondialisée" ou pas), le "capitalisme financier" qui serait le problème et non le capitalisme (principalement monopoliste) en soi... et donc indirectement sur l'antisémitisme de Dieudonné et consorts, dont c'est là un moteur absolument primordial (le problème n'est pas le capitalisme mais le capitalisme "financier", et la "finance" c'est "qui vous savez"...) :

Le capitalisme, ce n'est pas seulement la finance. Le capitalisme, ce n'est pas seulement la bourse, il existe une quantité importante d'espaces où les capitaux s'échangent en dehors de la Bourse.
Le capitalisme, c'est l'accumulation des fruits du travail salarié par une minorité parasite.
Le capitalisme, ce n'est rien d'autre que la concurrence que se livrent les bourgeoisies internationales et la concurrence que se livre une bourgeoisie donnée sur une territorialité, sur sa chasse gardée nationale.
Un patron de PME de 250 employés à 9.000 € par mois est un parasite, un capitaliste, et pourtant il n'est ni côté en bourse, ni dans la finance.
Le capitalisme n'est piloté par personne, c'est une structure.
Il profite directement aux bourgeoisies qui possèdent déjà des lois, des normes fiscales et comptables faites sur mesure pour elles et qui agissent sur toutes les sphères qu'elles maîtrisent pour imposer une conduite économique favorable à leurs intérêts et au travers de la concurrence qu'elles se livrent.
Mais il n'y a pas de pilote dans l'avion.
Et on n’en veut pas de pilote, on veut que nous soyons tous les pilotes pour faire atterrir l'avion, pour sortir du capitalisme.
Le capitalisme ne peut s'arrêter localement. Il ne peut être stoppé qu'en expropriant une à une chaque bourgeoisie donnée sur la chasse gardée de sa propre territorialité, par un mouvement d'union révolutionnaire du salariat, employé ou pas à un instant T, au travers de tous pays.
Ami, l'ennemi n'est pas le travailleur allemand, grec ou américain. Il est derrière toi. Il parle ta propre langue!

https://www.facebook.com/LesEnrages

3°/ À la toute fin de cette très intéressante page théorique antifasciste (datant des tous débuts du blog, complétée par la suite), une petite analyse griffonnée par nos soins en 2011 : "Shoah, et s'il y avait PLUSIEURS explications ?".

 


[1] "Bien sûr, il y aura contestations, émeutes et même menaces terroristes. Le pouvoir y mettra fin grâce à sa détermination sans faille, et, s’il faut sacrifier quelques extrémistes pour redonner à 65 millions d’habitants paix et protection, il faudra faire savoir que l’armée, dépêchée à chaque menace, n’hésitera pas à tirer dans le tas. C’est terrible, mais il n’y aura pas d’autre solution pour calmer le jeu et imposer notre loi" - Christine Tasin, "Que faire des musulmans un fois le Coran interdit ?"

[2] "Le régime colonial donna un grand essor à la navigation et au commerce. Il enfanta les sociétés mercantiles, dotées par les gouvernements de monopoles et de privilèges et servant de puissants leviers à la concentration des capitaux. Il assurait des débouchés aux manufactures naissantes, dont la facilité d'accumulation redoubla, grâce au monopole du marché colonial. Les trésors directement extorqués hors de l'Europe par le travail forcé des indigènes réduits en esclavage, par la concussion, le pillage et le meurtre refluaient à la mère patrie pour y fonctionner comme capital. (...) De nos jours, la suprématie industrielle implique la suprématie commerciale, mais à l'époque manufacturière proprement dite, c'est la suprématie commerciale qui donne la suprématie industrielle. De là le rôle prépondérant que joua alors le régime colonial. Il fut « le dieu étranger » qui se place sur l'autel, à coté des vieilles idoles de l'Europe ; un beau jour il pousse du coude ses camarades, et patatras ! voilà toutes les idoles à bas ! (...) En somme il fallait pour piédestal, à l'esclavage dissimulé des salariés en Europe, l'esclavage sans phrase dans le Nouveau Monde." - K. Marx, Le Capital Livre I, 8e section, chap. 31 "Genèse du capitaliste industriel" (1867). L'on peut citer également ce passage dans Misère de la Philosophie (1847) : "L'esclavage direct est le pivot de l'industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage, vous n'avez pas de coton ; sans le coton, vous n'avez pas d'industrie moderne. C'est l'esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l'univers, c'est le commerce de l'univers qui est la condition de la grande industrie. Ainsi l'esclavage est une catégorie économique de la plus haute importance."

"La conquête de l’Amérique, qui s’accompagna du pillage massif et de l’extermination de la population indigène, procura aux conquérants des richesses incalculables qu’accrut plus rapidement encore l’exploitation des mines de métaux précieux d’une richesse extraordinaire. Pour faire valoir ces mines, il fallait de la main-d’œuvre. Les Indiens périssaient en masse par suite des conditions inhumaines dans lesquelles ils travaillaient. Les marchands européens organisèrent en Afrique la chasse aux nègres comme s’il s’était agi de bêtes sauvages. Le commerce des nègres d’Afrique réduits en esclavage était des plus lucratifs. Les négriers réalisaient des profits fabuleux. Le travail servile des nègres reçut une grande extension dans les plantations de coton américaines.
Le commerce colonial fut, lui aussi, à l’origine de grosses fortunes. Les marchands de Hollande, d’Angleterre et de France fondèrent les compagnies des Indes orientales pour faire le commerce avec l’Inde. Ces compagnies bénéficiaient de l’appui de leurs gouvernements. Elles monopolisaient le commerce des produits coloniaux et avaient reçu le droit d’exploiter sans aucune restriction les colonies en usant des pires méthodes de violence. Leurs bénéfices annuels dépassaient de plusieurs fois le capital engagé. En Russie, le commerce avec la Sibérie qui mettait en coupe réglée les populations et la ferme de l’eau-de-vie, par laquelle l’État accordait à des traitants le droit exclusif de produire et de vendre des spiritueux contre le payement d’une certaine somme, procuraient de gros profits aux marchands.
Le capital commercial et le capital usuraire concentrèrent de la sorte de prodigieuses richesses monétaires. C’est ainsi que par le pillage et la ruine de la masse des petits producteurs s’accumulèrent les ressources monétaires indispensables à la création de grandes entreprises capitalistes. Analysant ce processus, Marx a écrit que le Capital arrive au monde 'suant le sang et la boue par tous les pores'."  Manuel d'Économie politique de l'URSS (1954) chap. 3.7

[3] C’est ainsi que, lorsque l'on en voit expliquer qu'il n'y a jamais eu historiquement que "deux forces affirmant l'autodéfense juive, les communistes et les sionistes dits 'révisionnistes' de Jabotinsky", il y a de quoi proprement halluciner… Si par "autodéfense juive" l'on entend, pour prendre l'exemple le plus héroïque et emblématique, l'insurrection du ghetto de Varsovie, celle-ci comptait essentiellement deux forces : la principale était l'Organisation juive de combat (OJC, en polonais Żydowska Organizacja Bojowa ou ŻOB) composée de marxistes-léninistes (Parti ouvrier polonais), de marxistes et de socialistes divers, de bundistes (comme Marek Edelman, dernier survivant mort en 2009) et de sionistes de gauche (Hachomer Hatzaïr comme le commandant 1287331298 194408 Resistantsjuifsen chef Mordechaj Anielewicz, Poale Tzion et Dror) ; l’autre était l'Union militaire juive (Żydowski Związek Wojskowy - ŻZW), effectivement de tendance jabotinskyste, mais beaucoup plus secondaire. Les sympathies de la première allaient (on s'en doute) plutôt à l'URSS, celles de la seconde plutôt aux Alliés occidentaux et au gouvernement polonais en exil à Londres. L'autodéfense juive, pour survivre ou au moins mourir dignement les armes à la main (contrairement à l'image de "bêtes" terrées ou conduites passivement à l'abattoir, justement véhiculée par l'imagerie impérialiste de la Shoah... et par le sionisme, qui méprise foncièrement ces "fautifs" restés en Europe alors qu'ils auraient "sauvé leur vie" en Palestine) était donc principalement communiste, socialiste et sioniste de gauche. Le Partizanenlied (chant des partisans juifs antifascistes du Yiddishland), que SLP a mis en avant voici bientôt 4 ans et que reprend aujourd'hui éhontément le 'p''c''mlm' tout en glorifiant le sionisme "révisionniste" de droite qui en est l'antithèse absolue, évoque d'ailleurs le Nagan - un revolver russe indiquant bien d'où venaient leurs livraisons d'armes (d'URSS), mais aussi le lien fun grinem palmenland biz land fun vaysen shney, "du vert pays des palmiers au pays des neiges blanches", ce qui est une claire référence sioniste "de gauche" : la résistance contre la machine de mort nazie unissait tactiquement ces deux composantes (on peut le critiquer a posteriori si l'on veut, tout comme le soutien soviétique à la résolution 181 des Nations Unies créant l’État sioniste, mais il en a été ainsi ; tout comme demain il faudra peut-être "faire front" avec des "communautaristes de gauche" et/ou des "bundistes 'indigènes'/musulmans").

Affirmer (en les mettant sur le même plan que les communistes !) que les sionistes "révisionnistes" sont les seuls à avoir prôné l'autodéfense juive est donc une contre-vérité historique absolue, mais aussi une affirmation lourde de conséquences aujourd'hui. Car qui sont actuellement les sionistes "révisionnistes" de Jabotinsky ? Tout simplement le Likoud, actuellement au pouvoir en Israël avec Netanyahu, à travers la sinistre Irgoun qui s'illustra par les pires exactions dans le nettoyage ethnique de la Palestine entre 1946 et 1950 ; et son bras de jeunesse le Betar... Et qui sont les partisans de Likoud en Hexagone ? Tout simplement les personnalités soi-disant "représentatives" de la communauté juive qui assument ouvertement leurs sympathies, quand ce ne sont pas des liens directs et concrets, avec la pire extrême-droite : les Cukierman ("Le Pen au second tour [en 2002] c'est un message pour dire aux musulmans de se tenir tranquilles") et Prasquier, Goldnadel (avocat de l'ultra-fasciste alsacienne Anne Kling) et Sammy Ghozlan sans oublier l'inénarrable Jacques Kupfer (ex-président du Likoud de France, co-président du Likoud mondial), connu pour ses régulières prises de position ahurissantes pour ne pas dire (ce serait "antisémite" attention...) hitlériennes (lire encore ici) ; ou encore la LDJ (qui elle descendrait plutôt du Lehi ou "groupe Stern", encore plus radical que Jabotinsky et assumant l'alliance avec l'Allemagne nazie, ou encore des Birionim) qui fricote ouvertement avec les Identitaires mais aussi avec l'ex-GUDard (plutôt "antisioniste" en principe...) Philippe Péninque ! Si pour les auteurs d'une telle affirmation l'autre côté de la barricade n'avait pas été atteint auparavant, on voit mal comment il ne pourrait pas l'être à présent... 

[4] L'on pourrait encore citer Frantz Fanon : "Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie" http://quartierslibres.wordpress.com/2013/10/17/leurope-est-litteralement-la-creation-du-tiers-monde/

[5] Et tant pis si d'aucuns voient en cela un "retour d'Auschwitz et le Grand Alibi", ce court article bordiguiste (marxiste "anti-stalinien", "gauche communiste italienne") auquel son titre maladroit (et/ou inutilement provocateur) et les utilisations négationnistes ultérieures ont "fait une réputation" largement sans rapport avec son importance ni (surtout) avec la réalité de son contenu, et qui est souvent devenu le dernier argument de ceux-là mêmes que le texte vise (les tenants de l'unicité pour minimiser tout le reste) lorsqu'ils sont bien incapables de trouver le moindre propos antisémite, négationniste ou de type "Shoah = propagande sioniste" dans un texte : en effet, si les (brèves) réflexions développées par l'article sur l'antisémitisme européen et la Shoah, marquées du sceau de l'économisme mécanique grossier et de l'anti-antifascisme politiquement identitaire de cette pensée proche du trotskysme (raison de sa rupture avec Gramsci et de son exclusion du PCI), sont profondément erronées (Juifs réduits à "une part importante de la petite bourgeoisie", rôle "central" de la petite-bourgeoisie dans le fascisme - caractéristique de ce courant, etc. etc.), le postulat de départ sur l'utilisation ultérieure du génocide (jamais nié ni minimisé à un seul moment dans le texte) par les impérialistes pour s'"absoudre" et relativiser tous leurs autres crimes n'est pas si idiot que cela ; d'autant moins qu'il avait déjà été évoqué (ou quelque chose de voisin) 10 ans plus tôt par Césaire (un crypto-nazi lui aussi ?)... Et que devrait-on dire, à ce jeu-là, du "négationnisme" de Mao, Staline, Hô Chi Minh et de la plupart des communistes de la Guerre froide, qui "osaient"  très fréquemment comparer l'impérialisme US et occidental à l'Allemagne nazie pour ses crimes en Corée, au Vietnam, en Algérie et ailleurs (ce militant Black Power afro-américain, par exemple, parlant devant les Gardes rouges de Pékin de "jungle hitlérienne" pour l'Amérique de Johnson) ? Ou encore de ces archives soviétiques "osant" évoquer, au delà de la liquidation systématique des Juifs en URSS occupée, celle des Rroms (on sait que Staline a quelque peu "dérivé" antisémite sur la fin de sa vie, entre "agents sionistes" et "cosmopolites sans racines", mais enfin bon...) ? Oser "comparer" ou "rapprocher", parler dans un même paragraphe de la Shoah et d'une ou d'autre(s) tragédie(s) ; oser dénoncer tout crime qui ne serait pas antijuif et y voir, sans que les faits soient comparables, la même matrice idéologique que la Shoah ; serait du "négationnisme" et une "agression" insupportable pour les personnes juives ? Ce n'est pourtant pas ce que l'Histoire comme le présent montrent pour beaucoup d’entre elles, que la tragédie des années 1930-40 a au contraire ultra-sensibilisées à celles d'autres peuples : Palestiniens victimes du sionisme, dont les survivants ou descendants de survivants de la Shoah sont nombreux à prendre la défense ; Afro-américains dont les Juifs liberals et progressistes US (l'immense majorité) furent souvent les premiers compagnons de route dans la lutte pour les droits civiques, tout comme avec les Noirs d'Afrique du Sud contre l'apartheid ; Premières Nations des Amériques (cas personnellement rencontré, peut-être nous lira-t-il et se reconnaîtra-t-il ?), etc. etc. Et faut-il n’avoir que ‘‘négationnisme !!!’’ à la bouche lorsque certain-e-s, y compris des enfants de survivants de l’horreur, disent non pas que la Shoah est une invention, non pas que la mémoire n'est pas nécessaire, mais que certaines utilisations de cette mémoire sont, pour tout dire, une insulte aux victimes ?

[6] Dans une veine assez voisine, on se rappellera la désastreuse et contre-productive opération antifa de Lille contre le ‘vieux ML’ révisio-‘campiste’ limite ‘rouge-brun’ Michel Collon ; opération qui a suscité de la part du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) une réaction cinglante dont bien des passages sont des coups de poignard pour les révolutionnaires antifascistes que nous sommes : http://www.legrandsoir.info/les-antifascistes-du-fuiqp-59-62-a-propos-de-la-curieuse-coordination-antifasciste-lille.html (désolés pour la source, 'rouge-brune' elle aussi, mais le FUIQP n'a pas de site propre).

Michel Collon n'est pas un "conspi tendance dure", quelqu'un qui verrait un "cénacle mondial secret" (illuminati, juif ou autre) derrière toutes les "mauvaises choses" de la planète (on a ici un aperçu de sa position de fond sur le sujet). En réalité, issu du PTB (pro-Deng Xiaoping et très anti-soviétique à sa création en 1979...), il a suivi l'évolution "vieille-stal"/brejnévienne et "campiste" de cette organisation belge depuis la fin de la Guerre froide (la Chine elle-même, soumise à des "déstabilisations" - "Printemps de Pékin" etc., tournant alors le dos à son alignement pro-occidental des 15 années précédentes). "Orphelin" de l'URSS et des "démocraties populaires" disparues en 1989-91, il se fabrique à partir d'un agglomérat de pays (Russie, Chine, Iran et alliés, pays de l'ALBA avec bien sûr Cuba) un "nouveau camp de l'Est" (du Bien) de substitution qu'il oppose au "camp du Mal" occidental (relativement inchangé, quant à lui, depuis les années 1980 de Reagan & co). Autrement dit, il a une vision extrêmement binaire et simpliste d'un monde en réalité beaucoup plus complexe, ce qui l'oblige à invoquer les "(média-)mensonges", la "manipulation" et l’œuvre des services secrets occidentaux derrière tout ce qui ne rentre pas dans ses schémas d'analyse ou tout ce qui a deux aspects (comme typiquement les soulèvements populaires en Libye ou en Syrie, devenus guerres "atlantistes" contre ces pays) mais dont il ne veut voir qu'un seul. C'est donc une vision du monde révisionniste ("stalinienne" diront les anarchistes et les trotskystes) qu'il est utile et nécessaire de contredire et combattre... Mais encore faut il avoir (dans sa petite tête) le matériel idéologique pour cela, ce qui aurait (carrément, même) rendu l'opération "coup de poing" très intéressante. Ce n'était malheureusement pas le cas ; et se contenter de hurler au "Collon conspi", "Collon fasciste" etc. et d'étaler ses "accointances" avec tel ou tel spécimen plus gratiné que lui dans le conspirationnisme, sans lui apporter la moindre contradiction sur le fond, n'a eu qu'un effet contre-productif auprès des personnes de classe populaire (et souvent "non-blanches" !) présentes. La "Coordination antifasciste de Lille" s'est tout simplement montrée incapable de la moindre confrontation d'idées (qui aurait fait avancer la compréhension communiste du monde) avec le journaliste belge. Pourquoi la controverse, la polémique, n'ont-elles pas été assumées de la sorte ? "Parce qu'on ne discute pas avec les fascistes", nous disent-ils/elles. Ah d'accord... Mais alors, dans ce cas-là, depuis quand va-t-on dans un meeting fasciste pour y lire une déclaration puis (compter) s'en aller tranquillement ?? Les meetings fascistes s'attaquent casqués et armés de barres de fer !!! Bref, tout cela ne tient tout simplement pas debout ; et l'"antifascisme" dans ce style ne sert clairement pas la cause révolutionnaire.

 

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20 novembre 2013 3 20 /11 /novembre /2013 11:45


Voici un article d'Isabelle Garo (philosophe spécialiste de Marx et Engels, mélenchoniste revendiquée mais bon, ce n’est pas le débat ici...), paru sur son site personnel et repris par les camarades de Libération Irlande.

maocIl est en effet capital de définir clairement ces notions d'un point de vue marxiste authentique, tant elles font l'objet de confusionnismes et de débats contre-productifs. Comme certains "maoïstes" le disent à raison, il est facile d'"escamoter" la bourgeoisie derrière une vague notion de "peuple", ce dont les fascistes sont spécialistes ; mais pas seulement la bourgeoisie en réalité : toute personne non-prolétaire qui va se vouloir "révolutionnaire" va chercher à s'inclure (et inclure sa classe) dans le "peuple" (ou "les travailleurs") et mettre cela particulièrement en avant - aristocrates ouvriers (qui pourront cependant parler souvent de "classe ouvrière"), petits bourgeois divers etc. Mais comme ces mêmes "maoïstes" ne le disent pas (puisqu'ils le font...), il est également vite fait de qualifier tous ceux qui parlent de "peuple" de "populistes" et de fasciste en puissance.

Voyons rapidement, en synthèse, ce qu'entend Servir le Peuple par ces différents termes :

- Le prolétariat consiste en les personnes ne possédant que leur force de travail (aucun moyen de production ni "capital" d'aucune sorte, fut-ce sous forme de diplômes, savoir-faire rare etc.) et louant quotidiennement celle-ci (salariat) à un employeur, qui possède les moyens de production, contre en principe le strict nécessaire pour reproduire cette force. Suivant cette définition, il n'y aurait pas beaucoup de prolétaires dans les pays dits "développés", c'est pourquoi nous intégrons la notion de "dignité minimale d'existence", sur la base non seulement de besoins objectifs mais de besoins induits par les maîtres capitalistes de la production, qui rappelons-le remplissent ainsi leurs caisses ("société de consommation" inventée au début du 20e siècle notamment par Henry Ford : on paye le prolétaire plus que le strict nécessaire pour survivre, mais c'est pour qu'il consomme donc participe, non plus comme producteur mais comme acheteur, à la création de plus-value). Par sa force de travail, dans ces strictes conditions salariales, le/la prolétaire crée la plus-value capitaliste (la valeur ajoutée) ou participe à sa réalisation financière (transformation du "capital-marchandise" en plus-value proprement dite : ce sont tou-te-s les agent-e-s de la commercialisation des produits).

- Le peuple ou masses ou classes populaires (nous parlerons parfois aussi de "travailleurs") désigne les personnes tirant uniquement ou principalement leurs revenus de l'usage qu'elles font de leur force de travail. Ce ne sont pas forcément des salarié-e-s : ce peut être des paysan-ne-s, des artisan-e-s, toutes sortes de personnes "à leur compte". Pour les salarié-e-s, cela n'implique pas qu'ils/elles ne perçoivent que la stricte "dignité minimale d'existence" : le "peuple" inclut l'aristocratie du travail, les petits et moyens cadres etc., qui perçoivent (mais en proportion minime) de la valeur créée par le travail d'autrui, notamment (dans les pays impérialistes) par les travailleurs des pays dominés. On peut aussi dire que le peuple est la nation sans la classe dominante. Dans ce cas, on parle d'un Peuple en particulier et l'on met un P majuscule (Peuple occitan, Peuple breton etc.).

- La bourgeoisie ou "Capital" ou "classe dominante" ou "possédants", ce sont les personnes qui vivent principalement de la force de travail d'autrui, qu'elles "possèdent" d'une manière ou d'une autre (en possédant des moyens de production et donc "louant" contre salaire la force de travail du salarié, ou encore en possédant une terre agricole exploitée par un fermier ou métayer qui paye sa "redevance" - féodalité mais cela existe encore beaucoup, ou autrefois - esclavage - en possédant directement, en plus des moyens de production, la personne du travailleur, mais cela a en principe quasiment disparu), ou dont elles perçoivent d'une manière ou d'une autre la richesse produite (ce qui constitue l'essentiel de leurs moyens d'existence). Cela implique évidemment un niveau de vie "correct" et n'inclut pas les personnes qui, privées d'emploi (armée de réserve du Capital) ou ne pouvant travailler (invalides, âgées), perçoivent une petite misère de la "solidarité publique" que les luttes des travailleurs ont péniblement conquise au 20e siècle. Cela implique, plus ou moins directement, une notion d'exploitation d'autrui. Dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux, un grande partie de la bourgeoisie/classe dominante est vendue à la bourgeoisie impérialiste de la nation dominante, mais une partie conséquente peut rester en forte contradiction (c'est celle que le marxisme-léninisme appelle "bourgeoisie nationale", dont une partie progressiste/démocratique peut être l'alliée de la révolution jusqu'à un certain point). Dans les provinces périphériques des grands États contemporains, la bourgeoisie "nationale" (au sens d'autochtone) sera généralement totalement intégrée, économiquement et culturellement, à la classe dominante de l’État en question, une petite minorité restera "autonomiste" ou "régionaliste" et encore moins sera indépendantiste, sauf dans des cas particuliers (État espagnol où la bourgeoisie castillane n'est pas dominante économiquement, État britannique où la bourgeoisie anglaise n'est "plus ce qu'elle était" et où de surcroît les bourgeoisies continentales tendent la main aux bourgeoisies périphériques).

- La nation est une réalité totalement objective et infrastructurelle. Elle se forme sur la base d'un grand "bassin" géographiquement défini (puis éventuellement politiquement "remodelé") de vie économique productive commune, avec une dose minimale d'économie marchande capitalisante (aube du capitalisme, qui unifie le marché dans une certaine mesure - Kayppakaya) – lorsqu'il n'y a pas de capitalisme embryonnaire, on parlera plutôt d'"ethnie", de "tribu", il n'existe plus que très peu de populations dans ce cas sur la planète (on parle toutefois de "Premières Nations" en Amérique du Nord). En Europe, les nations sont apparues au Moyen Âge dit "médian" ou "classique" (entre 1000 et 1300 de l'ère chrétienne) ; on peut en dire autant de la plupart des nations d'Asie et d'une partie de l'Afrique. Ailleurs, elles sont nées avec l'arrivée du capitalisme qui a souvent été celle des Européens. Une nation se caractérise par les critères posés en 1913 par Joseph Staline : communauté de territoire [encore qu'il puisse y avoir selon nous des nations avec éclatement territorial, comme les Yiddish d'Europe de l'Est avant la Shoah ou les Roms], de langue [encore qu'il puisse y avoir des nations avec deux voire trois langues, comme en Bretagne (brezhoneg/gallo/français), en Franche-Comté (arpitan jurassien/comtois d'oïl/français), en Écosse (scots/anglais/gaélique), en Irlande (anglais/gaélique) etc. etc.], de culture et de "formation psychique", donnant naissance à un "sentiment d'appartenance commune". La première chose qui pourrait distinguer "nation" de "peuple", c'est donc déjà ce caractère objectif et le fait que la nation en tant que telle ne "pense" pas, et encore moins met la pensée en action. La nation est mue par une classe donnée, qui pense et agit. Pendant fort longtemps (pratiquement du 11e au 19e siècle) cette classe fut la bourgeoisie, que l'on pouvait considérer alors comme partie et "tête" du peuple, si on limite les classes dominantes à l'aristocratie et au clergé (la bourgeoisie aura toutefois un rôle tout sauf négligeable dans les États modernes "absolutistes" entre le 13e et les 18e-19e siècles). Aujourd'hui, elles ont vocation à être mues par le prolétariat à la tête des masses populaires, du "peuple". Toutes les classes d'une société sont toujours en mouvement, mais c'est lui qui aujourd'hui et demain écrit et écrira l'histoire des nations apparues au Moyen Âge "classique", et déterminera ce qu'elles deviendront (car les nations ne sont pas "intemporelles" ni "éternelles", ainsi il y avait des sortes de "nations" dans l'Antiquité, où existait une sorte de "capitalisme à force de travail esclave", mais elles ont disparu dans les grands bouleversements qui ont secoué l'Europe, l'Asie et l'Afrique du Nord entre le 4e et le 10e siècle). De l'apparition des nations actuelles jusqu'au 19e siècle, toutes les classes étaient en mouvement mais l'histoire était écrite par les bourgeoisies. Même si c'étaient les nobles qui guerroyaient et les religieux qui encadraient les esprits,  ce sont notamment elles qui, par leurs victoires pour les unes (anglaise, française, castillane, piémontaise et lombarde, rhénane et brandebourgeoise) et par leurs défaites pour les autres (occitane ou bretonne, galloise ou irlandaise ou écossaise, corse ou sarde, catalane ou basque, andalouse ou "deux-sicilienne", bavaroise ou hanovrienne etc.), ont construit les États que nous connaissons actuellement. L’on peut dire que la bourgeoisie européenne a globalement construit (par l’activité économique et toute l’activité sociale qui en découle) les nations entre l’An 1000 et le 16e siècle, et les États (pratiquement aucun État européen ne correspondant exactement à une nation) entre le 13e et le 19e, jusqu’aux "petits derniers" de 1919 – résultant de l’effondrement des Empires austro-hongrois, russe et ottoman.

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La question du peuple chez Marx est une question complexe, en dépit des thèses tranchées qu’on lui prête volontiers sur ce sujet. Au premier abord en effet, on a tendance à penser que Marx construit la catégorie politique de prolétariat précisément contre la notion classique de peuple, trop englobante et surtout trop homogénéisante, qui gomme les conflits de classe. En ce sens, la notion de peuple serait illusoire, voire dangereusement illusionnante lorsqu’elle est politiquement instrumentalisée.

Pourtant, si Marx se défie bien de toute conception organique du peuple, il reprend le terme à plusieurs occasions et, en particulier, pour penser les luttes nationales de son temps, lorsqu’elles visent à conquérir l’indépendance contre des puissances colonisatrices. Il l’utilise également pour désigner les spécificités nationales, qui caractérisent les rapports de force sociaux et politiques toujours singuliers et que, selon lui, il faut toujours analyser dans un tel cadre national. Enfin, le terme de peuple désigne un certain type d’alliance de classes dans le cadre de conflits sociaux et politiques de grande ampleur.

Lors de ces trois usages, le terme de « peuple » n’est jamais détaché par Marx de tout clivage social, bien au contraire. Il faut rappeler qu’il est, chez lui, directement hérité de la Révolution française et des œuvres politiques qui l’encadrent, de Rousseau jusqu’à Babeuf et Buonarroti : selon cette tradition, le terme de peuple désigne les groupes sociaux opposés à l’aristocratie, et il n’est pas le substantif indifférenciant que des usages postérieurs valoriseront.

Je voudrais aborder ici successivement ces différents usages marxiens, en les confrontant à la question du prolétariat, que Marx élabore parallèlement. Au cours de cette élaboration, et surtout à partir de la fin des années 1850, Marx va s’intéresser de façon précise aux luttes d’émancipation et à la colonisation, en Inde et en Chine, s’engageant activement dans le soutien à l’Irlande et à la Pologne, tout particulièrement.

I. Peuple et prolétariat, des concepts antagonistes ? 

onheireannIl faut rappeler que l’apparition de la notion de prolétariat est ancienne. Dès l’origine, elle désigne non le peuple mais une fraction du peuple, fraction caractérisée par sa situation sociale. Cette situation peut-être définie de deux façons distinctes : soit comme dénuement et pauvreté ; soit comme situation d’exploitation et de domination, si l’on analyse un mode de production et donc une fonction sociale active, non pas seulement un statut économique subalterne. On peut dire, schématiquement, qu’avec Marx, le terme va transiter irréversiblement de son premier vers son second sens.

Reprenons rapidement cette histoire : dans le droit romain, les prolétaires, du latin « proles », « lignée », constituent la dernière classe des citoyens, dépourvus de toute propriété et considérés comme utiles seulement par leur descendance. C’est à ce titre qu’ils sont exemptés d’impôts. Repris dans le moyen français, le terme connaît un fort regain d’intérêt au XIXe alors que se développe la critique sociale, politique et économique du monde industriel naissant.

Dans ce contexte, le substantif "prolétariat" apparaît en 1832 pour désigner l’ensemble des travailleurs pauvres, dont la misère est perçue comme le résultat de l’égoïsme des classes dirigeantes. C’est la thèse défendue par celui qui est premier à l’utiliser, Antoine Vidal, dans le premier journal ouvrier de France, L’écho de la fabrique. Et c’est en référence directe à la révolte des canuts lyonnais de 1831 qu’il invente le terme en 1832. Pour Vidal, la « classe prolétaire » est à la fois la plus utile à la société et la plus méprisée. Il est frappant qu’il revendique aussitôt qu’elle soit « quelque chose », reprenant ainsi les mots et la thématique de Sieyès, dans Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? (1789), tout en redécoupant les frontières sociales d’une classe populaire qui ne coïncide plus avec les contours juridiques du tiers-état d’Ancien régime.

Dans un second temps, le terme se trouve transposé en allemand en 1842 par l’économiste Lorenz von Stein qui étudie les courants socialistes, notamment français, tout en étant hostile au communisme. Puis il est repris par le Jeune Hégélien Moses Hess, alors proche d’Engels et de Marx, tous trois revendiquant leur adhésion au communisme. On le rencontre dès 1843 sous la plume de Marx, chez qui il acquiert un sens nouveau et une importance théorique centrale. Sa redéfinition marxienne s’élabore en trois étapes.

1/ D’abord, le terme apparaît fin 1843, au terme de la critique engagée par le jeune Marx concernant la philosophie hégélienne du droit. Dans la préface qu’il rédige pour le manuscrit de Kreuznach, qui engage la critique de la conception hégélienne de l’Etat, il désigne le sujet social enfin identifié de l’émancipation générale de la société civile moderne. Le prolétariat, parce qu’il est cette classe qui "subit l’injustice tout court", ne peut viser qu’ "une reconquête totale de l’homme".

2/ Dans l’Idéologie allemande (1845) puis dans le Manifeste du Parti communiste (1848), Marx et Engels affirment le rôle historique moteur des luttes de classe et ils définissent l’antagonisme moderne qui oppose le prolétariat et la bourgeoisie. Ils précisent ainsi une analyse d’abord engagée par Engels dans son étude de la Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Le prolétariat se définit par sa place au sein d’un mode de production et des rapports sociaux qui lui correspondent. Il est à la fois la classe qui produit les richesses sans posséder de moyens de production, et celle qui est appelée, de ce fait même, à la transformation radicale du capitalisme.

3/ Enfin, dans le Capital et dans le vaste ensemble des manuscrits préparatoires, la découverte de la survaleur et de son origine : la fraction de temps de travail non payé que s’approprie le capitaliste, permet à Marx de préciser cette notion et d’en exposer la dimension dialectique. Le prolétariat n’est pas avant tout pauvre, il est dépossédé de la richesse sociale qu’il crée. Par suite, son unité et son identité de classe se construisent en contradiction avec le caractère privé de l’appropriation bourgeoise et visent le communisme. Mais, d’un autre côté, le prolétariat subit aussi une concurrence vive entre ses membres, concurrence entretenue par la classe capitaliste et qui fait puissamment obstacle à sa prise de conscience unitaire et à son rôle révolutionnaire.

Le prolétariat au sens marxien est une notion qui se veut socialement descriptive mais qui présente toujours en même temps une dimension politique et philosophique constitutive. Je voudrais insister principalement sur le premier moment de cette construction.

En effet, dès l’Introduction de la contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, rédigée à partir de la fin 1843, Marx développe sa thèse concernant le rôle historique du prolétariat moderne, et plus particulièrement du prolétariat allemand. Or, loin de proposer de substituer le prolétariat au peuple, on y rencontre précisément la mise en relation dialectique des notions de prolétariat et de peuple. D’une part, Marx distingue deux histoires nationales et deux scénarios d’émancipation : « nous avons en effet partagé les restaurations des peuples modernes (die modernen Völker) sans partager leurs révolutions. Nous avons connu des restaurations, premièrement parce que d’autres peuples ont osé faire une révolution, et deuxièmement parce que d’autres peuples ont subi une contre-révolution ».

Ici, les notions de peuple et de révolution (ou de contre-révolutions) se font immédiatement écho. Il existe des cultures politiques populaires, et ces cultures politiques conduisent à se déterminer pour ou contre la révolution, cette dernière ayant avant tout pour modèle la « grande » révolution anti-féodale française. En rapport avec cet horizon, qui lie peuple et révolution anti-féodale comme des entités politiques associées, indissociables même, Marx va utiliser la notion de prolétariat pour la relier à un nouveau type de révolution, plus avancée, qu’on peut qualifier d’anti-capitaliste ou de communiste, radicalisant la révolution précédente. Il en résulte, d’une part, que les luttes allemandes, aussi arriérées soient-elles, présentent pourtant une portée universelle, au même titre qu’en son temps la Révolution française.

On retrouvera par la suite, bien plus développée, l’idée que les luttes émancipatrices d’un peuple importent au sort de tous les autres. De ce point de vue, la solidarité avec les peuples opprimés est bien plus que de la philanthropie. Pour le dire autrement, elle n’est pas seulement de nature morale, elle est d’ordre fondamentalement politique : « Et même pour les peuples modernes, cette lutte contre le contenu borné du statu quo allemand ne peut être sans intérêt, car le statu quo allemand est l’accomplissement avoué de l’ancien régime et l’ancien régime est le défaut caché de l’Etat moderne ».

Ainsi, la notion de peuple conserve-t-elle sa validité, en dépit de ses limites, du fait du maintien de l’Ancien Régime, y compris au sein des nations qui ont réalisé leur révolution anti-féodale. En d’autres termes, cette révolution partielle et inachevée se fait matrice de révolutions plus radicales, de la même manière que les peuples se déterminent comme classes populaires elles-mêmes plus ou moins radicales, le prolétariat étant le nom de cette radicalisation populaire, à la fois sociale et politique.

STA73515C’est en ce point, qu’on rencontre une définition du prolétariat très originale : à la fois fraction du peuple, elle représente le peuple tout entier et tendanciellement l’humanité même, du fait de la condition qu’elle subit en même temps que des exigences politiques et sociales elle est porteuse. Loin de proposer une sécession sociale, qui isolerait le prolétariat des autres composantes et en ferait une avant-garde sociale et politique, c’est bien comme représentant universel, représentant de fait de la souffrance, de l’exploitation et de la volonté d’émancipation, que le prolétariat se découpe et se singularise, en tant que classe offensive, apte à s’organiser politiquement.

Mais il faut aussitôt préciser que c’est précisément en vertu de cette dimension universelle que la révolution à venir n’est pas, ne sera pas une simple révolution politique. « Où réside la possibilité positive de l’émancipation allemande ? » s’interroge Marx. Et il répond : « Dans la formation d’une classe aux chaînes radicales, d’une classe de la société civile qui ne soit pas une classe de la société civile, d’un état social qui soit la dissolution de tous les états sociaux, d’une sphère qui possède un caractère d’universalité par l’universalité de ses souffrances (…), qui ne puisse plus se targuer d’un titre historique mais seulement du titre humain (…), d’une sphère enfin qui ne puisse s’émanciper sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans émanciper de ce fait les autres sphères de la société, qui soit, en un mot, la perte totale de l’homme et ne puisse donc se reconquérir sans une reconquête totale de l’homme. Cette dissolution de la société réalisée dans un état social particulier, c’est le prolétariat ».

Marx ne changera jamais d’avis quant au caractère humain, c’est-à-dire universellement humanisant, de l’émancipation sociale. En revanche, après être entré dans ce qu’il nomme le « laboratoire de la production » c’est-à-dire après avoir engagé la critique de l’économie politique, il développera une conception plus complexe et moins optimiste du prolétariat comme classe offensive, faisant toujours davantage place aux contradictions qui le divisent d’avec lui-même. La concurrence ouvrière est à la fois inscrite dans les rapports de production capitalistes et systématiquement instrumentalisée par la bourgeoisie, en particulier par sa fraction industrielle. Mais il insistera également sur l’émergence, dans le cadre de la grande industrie naissante, du travailleur polyvalent, porteur d’une culture et de facultés humaines développées, loin de tout misérabilisme et de toute « victimisation ». Enfin, il fera place à la complexité du processus politique qui doit parvenir à l’abolition de l’appropriation privée des richesses socialement produites, au communisme donc.

Quoi qu’il en soit, la conception du rapport entre prolétariat et peuple se révèle dès le départ contradictoire, ou plus exactement : éminemment dialectique, ce qui est bien différent. Car Marx, qu’il traite de politique ou d’économie, ne cesse d’être philosophe. Ici, la singularité est le lieu où émerge l’universel, non le lieu de formation d’une identité séparée et close sur elle-même. Il en ira de même des nationalités : découpage de l’humanité en entités politiques jamais complètement isolées, les nations sont dans certains cas et à certains moments porteuses d’une histoire émancipatrice qui les rend universelles.

II. Peuples en luttes et libérations nationales 

Ainsi, parallèlement à la spécification sociale et politique des classes dans le cadre du mode de production capitaliste, la notion de peuple reste pourtant utilisée par Marx pour penser des réalités nationales diverses, irréductibles, où se spécifient singulièrement les rapports de classes. Sur ce point encore, on attribue souvent à Marx une sous-estimation profonde de la question des nationalités et des différences nationales, en vue de penser un prolétariat d’emblée mondialisé, formé d’ouvriers qui « n’ont pas de patrie » comme le proclame le Manifeste du parti communiste en 1848, à la veille du « printemps des peuples » et alors que s’éveillent les consciences nationales. Là encore, l’analyse marxienne est bien plus complexe qu’on ne le dit habituellement.

D’une part, Marx et Engels, reconnaissent, dès cette époque, cette dimension nationale, constitutive de la construction de mouvements ouvriers distincts, fonction d’un degré de développement économique et social donné, fonction également d’un niveau de culture politique déterminé : « bien qu’elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie en revêt cependant d’abord la forme. Le prolétariat de chaque pays doit, bien entendu, en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie » .

Ici, l’idée de nation tend à remplacer l’idée antérieure de peuple, défini par son antagonisme avec l’aristocratie. La nation est le cadre d’un rapport social qui met aux prises toutes les classes, qu’elles soient dominantes ou dominées. Mais l’analyse se situe également à un autre niveau : elle s’arrête sur la capacité d’uniformisation du marché mondial d’un côté, qui entre en contradiction, de l’autre côté, avec le maintien voire le renforcement des spécificités nationales. Ainsi, Marx et Engels continuent-ils pendant un temps de penser que c’est la révolution allemande, d’abord anti-féodale ou bourgeoise, qui « ne saurait être que le prélude d’une révolution prolétarienne ». Ce scénario sera profondément bouleversé par la suite, et à plusieurs reprises.

Si la dimension nationale est bel et bien prise en considération, Marx et Engels affirment dans le même temps la force d’expansion mondiale du capitalisme, force estimée d’abord socialement homogénéisante, thèse que Marx corrigera par la suite. On peut supposer que dans un texte qui a vocation de manifeste politique, ils s’emploient d’abord à faire valoir une perspective qu’on qualifiera plus tard d’ « internationaliste », de même ampleur que le marché mondial en voie de formation, mais porteuse de perspectives tout autres. De fait, le texte qui prolonge l’affirmation célèbre « les ouvriers n’ont pas de patrie » ajoute: « comme le prolétariat doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie ». On peut ajouter bien évidemment : nullement au sens où les nationalismes chauvins l’entendront par la suite.

puño con banderasMarx et Engels continuent : « déjà les démarcations nationales et les oppositions entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qui lui correspondent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore ». Et quelques lignes plus loin on lit : « du jour où tombe l’opposition des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles ». Internationales, mais seulement par anticipation, les luttes des prolétariats nationaux ont bien la nation pour cadre mais non pour but.

Le prolétariat est-il encore ici, au moins pour un temps, la figure du peuple, ou plus exactement : sa reconfiguration sociale et politique ? Oui et non. Non, eu égard à l’argumentaire que je viens de préciser. Oui pourtant, dans le cadre de luttes nationales qui visent l’émancipation. En ce cas, un parallélisme apparaît entre la lutte du prolétariat, dans un cadre national quel qu’il soit, et la lutte de certains peuples, auxquels l’oppression subie confère un rôle historique majeur et, une fois encore, une portée universelle.

Le mot de « peuple » voit alors coïncider ses deux sens, fondus en une nouvelle définition. Le peuple est à la fois une entité politique délimitée nationalement, mais il est aussi cette entité sociale qui lutte avec et contre d’autres, au plan international : disons que la portée descriptive ou analytique du terme retrouve de nouveau sa dimension politique, ouverte aux radicalisations que Marx appelle de ses vœux. Si le terme de « peuple » ne devient pas pour autant l’occasion d’une théorisation séparée, il ne disparaît pas du vocabulaire marxien parce que lui seul permet de comprendre les mouvements d’indépendance nationale en tant que luttes elles aussi porteuses d’universalité, et cela par-delà même leur composante prolétarienne. C’est bien entendu le cas lorsque des paysanneries luttent contre une puissance coloniale.

Cette reprise ouvre à une réflexion nouvelle et tout à fait essentielle sur les perspectives de révolution communiste. Car, à partir de là, Marx va s’orienter vers des scénarios qui échappent à toute linéarité et ne font pas de la constitution d’un prolétariat national la condition sine qua non de l’émancipation. Autrement dit, il en vient à penser qu’il est possible d’accéder au communisme sans passer nécessairement par la voie capitaliste. Et la notion de peuple est finalement et de nouveau la plus utilisable pour penser ces processus différenciés.

En effet, Marx va abandonner au cours des années 1850 la thèse de la portée civilisatrice de la colonisation, dont on trouve quelquefois trace dans ses textes antérieurs. A la lumière en particulier des situations indienne et chinoise, qu’il étudie alors, il juge que la pire barbarie se trouve en réalité du côté des colons britanniques. Parallèlement, il s’intéresse et prendre parti pour la Pologne et l’Irlande, en faveur des anti-esclavagistes américains, avant de se pencher sur la Russie.

Le cas de l’Irlande est particulièrement intéressant, en ce qui concerne le rapport entre peuple, classe ouvrière et nation tel que Marx s’efforce de le concevoir, modifiant au cours du temps ses conceptions initiales. Je m’appuie ici sur le remarquable ouvrage de Kevin Anderson : Marx at the Margins. Dans ses articles et ses déclarations au sujet de l’Irlande, à cette époque, Marx s’emploie à combiner les questions de classe, d’identité ethnique et de réalités nationales, déjà abordées précédemment.

En Irlande, le prolétariat se présente comme fraction du prolétariat britannique, fraction surexploitée et dominée. Dans le même temps, l’Irlande se présente comme colonie britannique, luttant pour son indépendance nationale. Face à cette situation complexe, d’une part, Marx et Engels conseillent aux révolutionnaires irlandais de donner toute son importance à la question des classes, et leur reprochent l’utilisation de la violence autant que la fixation religieuse identitaire.

D’autre part, Marx en vient peu à peu à considérer que le mouvement irlandais est le point d’appui des luttes ouvrières anglaises, et non l’inverse. Dans une lettre à Engels du 10 décembre 1869, il écrit : « longtemps j’ai pensé qu’il était possible de renverser le régime actuel de l’Irlande grâce à la montée de la classe ouvrière anglaise (…) Or une analyse plus approfondie m’a convaincu du contraire. La classe ouvrière anglaise ne fera jamais rien tant qu’elle ne se sera pas défaite de l’Irlande. C’est en Irlande qu’il faut placer le levier. Voilà pourquoi la question irlandaise est si importante pour le mouvement social en général » .

Présente également sur le sol anglais, la classe ouvrière irlandaise est l’occasion de dissensions internes au mouvement ouvrier, qui paralysent ce dernier et qui sont sciemment entretenues par le patronat anglais, sur le modèle du racisme et de l’esclavagisme nord-américain. Sur ce point, Marx accorde une conscience bien supérieure à la classe capitaliste, tandis que la classe ouvrière, qu’elle soit anglaise ou irlandaise, ne parvient pas à surmonter son antagonisme, la lutte de races, la xénophobie, l’emportant sur les luttes de classe, qui devraient logiquement fédérer prolétariat britannique et sous-prolétariat irlandais.

Pour conclure sur la portée politique considérable de ces réflexions, deux remarques sur la question du peuple me semblent importantes.

La première concerne le débat fameux qui opposera Marx à Bakounine au sein de la 1ère Internationale. On connaît l’accusation d’autoritarisme et d’étatisme adressée par Bakounine à Marx. On sait moins que cette opposition concerne aussi la situation en Irlande. Pure diversion, pour les bakouninistes, la cause irlandaise nuit selon eux à la cause révolutionnaire. Pour Marx, elle en est une composante, l’émancipation des peuples opprimés contribuant à l’émancipation ouvrière, et plus largement à l’émancipation humaine.

La seconde concerne la spécificité de la société irlandaise : l’Irlande est avant tout une colonie agricole de l’Angleterre, qui incite les indépendantistes à faire de l’insurrection paysanne le point de départ de la révolution nationale. C’est contre l’oligarchie foncière anglaise que lutte avant tout le peuple irlandais, Marx donnant alors à la question de la propriété de la terre un rôle politique clé, comme point de départ d’une révolution sociale en Angleterre même.

eta3.jpgCela pose à la fois le problème des alliances de classes, notamment celui de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, bien loin de l’idée que le prolétariat serait à lui seul la classe destinée à conduire l’histoire et à conduire les révolutions. Par ailleurs, cette analyse s’inscrit dans la réflexion de plus en plus affinée de Marx sur des voies de développement non capitalistes. Dans ces cas, qui concernent bien des sociétés dans le monde, qu’il analyse plus ou moins précisément (Chine, Inde, Russie, Mexique, Pérou, Algérie, etc), la révolution communiste n’a pas pour préalable l’industrialisation capitaliste et la formation d’une classe ouvrière.

Toute linéarité historique disparaît alors, et la succession obligée des modes de production cède la place à une attention portée à des formes de propriétés traditionnelles, communales. Pour Marx, ces formes persistantes pourraient bien fournir le point de départ concret d’une réorganisation économique et sociale égalitaire, faisant l’économie du passage de certains peuples par le capitalisme et par les souffrances qu’il entraîne.

Conclusion 

On le voit, la figure du prolétariat est complexe. Pour la saisir, il faut prendre en compte la spécificité de sa formation nationale et donc la mettre obligatoirement en relation avec l’idée de peuple. Mais, selon Marx, il faut aussi, à terme, viser une émancipation qui sache dépasser les barrières nationales et les antagonismes, sans unifier pour autant les voies politiques, ni les cultures au sein d’un scénario unitaire, pré-écrit, de dépassement du capitalisme. L’attention à la périphérie non-occidentale du capitalisme, dont les enjeux se révéleront pleinement dans le cadre des décolonisations du XXe siècle, se trouve déjà chez Marx lui-même, qui envisage que des sociétés puissent passer au communisme sans passer par le capitalisme, faisant ainsi l’économie de sa violence sociale et de sa barbarie coloniale.

Au total, on peut conclure que le prolétariat n’est pas une catégorie sociologique stable, encore moins le nom d’un sujet de l’histoire unifié, mais une construction dynamique, toujours définie par son antagonisme avec certaines classes et ses alliances avec d’autres classes sociales. Cet antagonisme autant que ces alliances sont à concevoir avant tout comme des constructions politiques, selon une perspective stratégique qui fera parfois défaut au marxisme ultérieur mais sera reprise par certaines de ses composantes.

Et c’est en raison même de cette plasticité de la notion, que la catégorie de peuple se maintient, en vue de penser le caractère toujours national d’une telle construction. Pour autant, le peuple n’est jamais lui non plus une entité substantifiée ou figée. C’est donc bien la dialectique prolétariat-peuple, soumise à l’examen précis de ce qu’elle est dans chaque situation historique, qui fait sens, c’est-à-dire qui ouvre (ou qui referme) des perspectives politiques d’émancipation qui, elles, visent bien, au bout du compte, l’humanité tout entière.

 

[Valant le coup à lire aussi, un texte de l'organisation communiste basque EHK datant de l'an 2000 (avant la dérive pro-réformiste de cette organisation, bien connue des militants révolutionnaires locaux), qu'avaient publié en leur temps les camarades de Libération Irlandehttps://liberationirlande.wordpress.com/euskal-herria/ehk-le-marxisme-et-la-question-nationale/ (le propos d'EHK est en italique, les citations de Marx en police normale)

"Beaucoup d’anti-communistes interprètent de travers la phrase du Manifeste communiste “Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut pas leur enlever ce qu’ils ne possèdent pas” (Le Manifeste du Parti Communiste - il y a beaucoup d’éditions disponibles, nous avons employé celle des Œuvres Choisies des Éditions du Progrès, Moscou, 1973, p. 127).

[Ce que cela signifie en réalité c'est que] Sous le capitalisme les ouvrier-e-s n’ont pas de patrie ni pouvoir ni moyens de production ni rien ; ils sont la classe opprimée et pour se libérer ils doivent “en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’élever à la condition de classe nationale, se constituer en nation, s’élever à la condition de classe nationale”. Marx et Engels aspirent à des sociétés où la Nation ne s’identifie pas avec les castes gouvernantes ou avec des oligarchies puissantes, mais avec la classe travailleuse. Marx répète à nouveau cette idée centrale dans une autre des ses œuvres : “Le développement du prolétariat industriel dépend en règle générale du développement de la bourgeoisie industrielle. C’est seulement sous la domination de celle-ci qu’il accède à cette existence d’ampleur nationale qui lui permet d’ÉLEVER SA RÉVOLUTION À UNE HAUTEUR NATIONALE”  (Les luttes de classes en France de 1840 à 1850, éd. du Progrès, Moscou, 1979, p. 38).

En abolissant le capitalisme exploiteur on abolit l’oppression nationale : “Dans la même mesure qu'est abolie l’exploitation d’un individu par un autre, sera abolie l’exploitation d’une nation par une autre. En même temps que l’antagonisme des classes à l’intérieur des nations, disparaîtra l’hostilité des nations entre elles”."

Eh oui ! Les pseudo-gauchistes et vrais universalistes abstraits ne citent systématiquement de Marx que la première affirmation qui les arrange ; celle qui leur permet, en niant les réalités nationales des travailleurs, de nier le Peuple travailleur lui-même pour lui substituer leur magistère petit-bourgeois. La citation complète est en réalité : "Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit d'abord conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national ; mais ce n'est pas au sens bourgeois du mot." – exactement ce que nous venons de dire ci-dessus...]

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 14:34

Retrouver l'article en bon état ici : Gramsci et la théorie de la Guerre populaire en pays capitaliste très avancé (2e partie)

 

Lire la première partie    

5. Guerre et crise 

Autonomi3Dans le §17 du Carnet 13, le sujet est Analyse des situations : rapports de force.(23) Gramsci décrit la situation dans laquelle se déroule la guerre entre classes. Il s'agit de la situation révolutionnaire qui se développe parallèlement à la crise générale par surproduction absolue de capital : Gramsci fait référence à la première crise. Sont évidentes les analogies avec la situation actuelle de la seconde crise générale [NdT : depuis le début des années 1970. Le (n)PCI fait commencer la première ‘autour de 1900’. Pour notre part, nous la faisons commencer au début des années 1870 (une grande crise mondiale, et non localisée à un ou quelques pays, éclate en 1873) et durer jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale (1945), avec une ‘embellie’ au début du siècle dernier (‘Belle Époque’, qui contredit l’affirmation du (n)PCI sur une crise générale au début du 20e siècle) permise par l’expansion coloniale mais celle-ci (en ‘saturant’ le partage colonial de la planète) conduit précisément à la Première Guerre mondiale (avec ses prémisses dès 1898 : guerre hispano-américaine, incident de Fachoda, guerre des Boers, guerre russo-japonaise, crise du Maroc etc.)].  

23. CP, pp. 1578-1589 (C13 §17). 

Gramsci parle des polémiques idéologiques, religieuses, philosophiques, politiques qui se déroulent autour des mille phénomènes par lesquels la crise se manifeste (les différentes formes par les-quelles la résistance des ouvriers, des travailleurs, des masses populaires s’exprime, les différentes formes de massacre social des gouvernements de la bourgeoisie impérialiste qui forment une guerre d’extermination non-déclarée contre les masses populaires et, quant aux phénomènes plus éclatants, les suicides, les meurtres de femmes, etc. etc.). Ces polémiques n’ont un sens que si elles convainquent et in fine ne se démontrent vraies que lorsqu’elles vainquent. Dans l’affrontement, les communistes sont autant convaincants que vainquants parce qu’ils relient le phénomène occasionel à la question générale, c-à-d. à la crise ; parce qu’ils ont une conception du monde qui d’un côté a connaissance de la nature de la crise, de l'autre a la stratégie pour la surmonter (la GPR de LD). Convaincre, c-à-d. conquérir “les cœurs et les esprits” des masses populaires, est ce qui décide de l’issue de la guerre. Il suffit de voir tout l’appareil mis en place par la bourgeoisie impérialiste pour convaincre les masses populaires qu’il est juste d’aller à la misère et à la mort pour sauver une classe politique en putréfaction et le système financier derrière elle, géré par un infime groupe de criminels au niveau international et dans chaque pays, qui se font passer pour ‘Communauté internationale’ (comme ils font passer leurs guerres pour du ‘maintien de la paix’).

“Une fois réunies les conditions objectives du socialisme, qui existent en Europe depuis plus d’un siècle, le facteur décisif pour la victoire de la révolution socialiste sont les conditions subjectives”. (MP, p. 35) Le mouvement communiste conscient et organisé peut donc construire la révolution socialiste. Gramsci le confirme en disant qu’existent les conditions nécessaires et suffisantes pour que des tâches déterminées puissent et donc doivent être accomplies historiquement, ajoutant que ceci doit être fait car chaque manquement au devoir historique augmente le désordre nécessaire et prépare de plus graves catastrophes, c’est-à-dire que prévale la mobilisation réactionnaire des masses populaires, que la bourgeoisie parvienne à imposer le fascisme et la guerre. 

greek red hoplitesLes communistes doivent accomplir historiquement leurs tâches, dit Gramsci : ne pas le faire prépare de plus graves catastrophes. C’est-à-dire que les tâches que les communistes doivent accomplir sont posées par le cours de l’histoire et identifiables en étudiant le cours de l’histoire. Il faut s’acquitter de ces tâches. La société qui ne s’en acquitte pas ira à des catastrophes toujours plus graves. La crise impose que nous luttions pour faire de l'Italie un nouveau pays socialiste. La classe dominante et le sens commun voient de la crise les aspects négatifs, mais tous les aspects négatifs de la crise ont leur origine dans le refus de faire ce que la crise impose de faire, la volonté de persister dans ce système économique, social et politique, la volonté de maintenir cette condition matérielle, ne pas vouloir croire possible et réaliser le futur que la crise impose comme nécessaire.

Ne sont ni convaincants ni vainquants les économistes, incapables de voir au-delà du phénomène; et les dogmatiques, qui substituent à l'examen de la realité leurs propres schémas.

jeunesseenlutteGramsci insiste sur le fait qu’il faut absolument tenir compte du lien entre la crise générale et chacune de ses manifestations particulières (chacun des phénomènes locaux, de secteur, du moment, etc.). C’est seulement ainsi que l’on est en mesure d’attaquer l’ennemi de manière efficace. Laisser notre action se perdre dans les détails, nous disperser dans les luttes isolées les unes des autres est une arme de guerre entre les mains de l’ennemi. Qui subit l’influence idéologique de la bourgeoisie (la gauche bourgeoise et ses partisans) tombe facilement victime de cette arme de l’ennemi, car justement la bourgeoisie n’a pas de connaissance théorique du lien entre général et particulier, elle n’a et ne peut pas avoir de science de la réalité économique, sociale et politique (science qui lui montrerait que son règne est fini). L’analyse théorique que fait la bourgeoisie de la réalité est toujours une analyse des détails (analyse unilatérale), ne montrant pas le lien entre ceux-ci, lien qui seul permet de comprendre le véritable rôle et le sens de chaque détail. Tenir compte du lien entre chaque manifestation et la crise générale signifie placer chaque bataille, chaque campagne dans le cadre de la stratégie générale de la GPR de LD, construire la révolution, car il s’agit ici non de reconstruire l’histoire passée mais de construire l’histoire présente et avenir.

Après l’analyse de la situation,Gramsci passe à l’examen des rapports de force, quis’articulent en moments.

Le premier de ces moments est le point de départ, c-à-d. les rapports de force entre classes par rapport à la situation objective, à l’organisation économique de la société et la composition de classe qui en découle.

Le second moment est celui où une classe commence à prendre conscience d’elle-même comme classe [classe pour soi - NdT]. À ce moment-là, son activité prend place sur le terrain des luttes revendicatives d’abord, puis de la lutte politique qu’il y a, c’est-à-dire de la lutte politique bourgeoise. Ce passage est désigné dans le MP comme le passage de la lutte revendicative à la lutte politique, qui se situe en Europe à la fin du XIXe siècle, avec la formation des grands syndicats et des partis socialistes de la IIe Internationale.

partigiani1Le troisième moment est le passage de la lutte politique à la lutte révolutionnaire. La classe ouvrière comprend que pour défendre ses intérêts il ne suffit pas d’agir dans le cadre politique prédéterminé par la bourgeoisie. Dans le MP (p. 26) ceci est expliqué comme suit : “Avec le marxisme, les ouvriers atteignirent la conscience la plus pleine de leur propre situation sociale. Leur lutte devint plus consciente, jusqu’à assumer un caractère supérieur. Elle devint lutte politique révolutionnaire, lutte pour abattre l’État de la bourgeoisie, construire leur propre État et, grâce au pouvoir conquis, créer un nouveau système de production et un nouvel ordre social, éliminer l’exploitation et son expression historique : la division de la société en classes. Dans ce troisième moment, la classe ouvrière comprend que ses propres intérêts de classe sont les intérêts de toute la société.

serragDans ce troisième moment, le rapport entre classes est inévitablement destiné à devenir un rapport de guerre entendu au sens classique, c-à-d. un rapport de force militaire. Gramsci affirme que la confrontation militaire est un passage obligé de la révolution socialiste. C’est précisément sur ce point que s’est concentré le principal travestissement de Gramsci par les révisionnistes modernes, depuis Togliatti et le 8e Congrès du PCI (1956), qui a consacré la voie pacifique et parlementaire au socialisme comme doctrine officielle du Parti.

Quant à ceux qui, à la différence des révisionnistes, sont pour la révolution socialiste, mais non pour la révolution socialiste qui se construit comme une guerre mais pour la révolution socialiste qui éclate, Gramsci démontre par l’expérience qu’il n’est jamais certain que les crises économiques génèrent automatiquement des insurrections. La dégradation des conditions économiques ne génère pas nécessairement la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire, et à l’opposé la mobilisation des masses populaires dans un sens révolutionnaire ne requiers pas que les conditions économiques soient à un degré déterminé d’intolérabilité [NdT : la situation très ‘chaude’ des années 1968-75 en Europe de l’Ouest le démontre parfaitement. Au contraire, la situation de crise aiguë des années 1930 a souvent plus amené une montée du fascisme que du mouvement révolutionnaire]. Que les masses populaires se mobilisent dans un sens révolutionnaire dépend de l’action d’un Parti qui guide leur parcours de bataille en bataille, de campagne en campagne, jusqu’à culminer dans le rapport militaire décisif, c’est-à-dire jusqu’au moment où la bourgeoisie impérialiste, qui défend son propre régime, est contrainte soit à battre en retraite soit à recourir à la guerre civile. Ce parcours est décrit ici en détail par Gramsci : il s’agit de trouver les points faibles de l’ennemi, là où le coup est le plus efficace, de comprendre quelles sont les opérations tactiques immédiates, … comment peut-on le mieux mener une campagne d’agitation politique, quel langage sera le mieux compris des masses etc.

servirlepeupleTout ceci est précisément le développement de la GPR de LD dans un pays impérialiste comme l’Italie, dont Gramsci décrit ici la première phase, la phase de défensive stratégique, lorsque la superiorité de la bourgeoisie est écrasante. Le Parti communiste doit accumuler des forces révolutionnaires. Recueillir autour de lui (dans les organisations de masse et le front) et en lui (dans les organisations du Parti) les forces révolutionnaires, étendre sa présence et son influence, éduquer les forces révolutionnaires à la lutte en les menant à lutter. La progression du nouveau pouvoir se mesure à la quantité des forces révolutionnaires recueillies dans le front et au niveau de ces forces. Dans cette phase l’objectif principal n’est pas l’élimination des forces ennemies, mais de recueillir parmi les masses populaires les forces révolutionnaires, étendre l’influence et la direction du Parti communiste, élever le niveau des forces révolutionnaires : renforcer leur conscience et leur organisation, les rendre mieux capables de combattre, rendre leur lutte contre la bourgeoisie plus efficace, élever leur niveau de combattivité.(24)

24. MP, pp. 203-204. Gramsci se réfère à l’accumulation des forces révolutionnaires en parlant de force organisée en permanence et prédisposée de longue date. (CP, p. 1588 (C13 §17))

6. La révolution socialiste n’éclate pas

Il y a la spontanéité et il y a le spontanéisme. Gramsci critique ceux qui par principe refusent de donner au processus révolutionnaire une direction consciente,(25) ceux selon qui une direction de ce genre signifie emprisonner, schématiser, appauvrir le processus révolutionnaire. Un exemple actuel de cette tendance mouvementiste est la tentative de construire un mouvement Anticapitaliste et Libertaire (Assemblée de Bologne, 11 mai 2013).(26)

25. CP, pp. 328-332 (C3 §48).

26. Voir la critique diffusée par le nouveau PCI dans l’Avis aux navigants n°18, 5 mai 2013 ici : www.nuovopci.it/dfa/avvnav18/avvnav18.html.

· Il se proclame mouvement, non dans le sens où il veut seulement unir des organisations et des classes diverses, indépendamment de leur orientation particulière dans d’autres domaines, dans une bataille politique concrète, mais dans le sens où il veut se déclarer contre l’état actuel des choses (le capitalisme), mais refuse l’instauration du socialisme, le Parti communiste et la conception communiste du monde (donc se place sur le terrain de la gauche bourgeoise).

· Il est contre quelque chose (contre le capitalisme), mais non pour quelque chose (le socialisme et le communisme). Qui veut être “pour”, doit faire des plans, s’organiser, comme chaque fois que l’on veut construire quelque chose, quelle qu’elle soit.

· Il est libertaire, c’est-à-dire qu’il proclame la liberté en général, mais ne dit pas “liberté des masses populaires vis-à-vis du capitalisme” ; il utilise le terme “libertaire” car c’est celui utilisé par les tendances anarchistes qui refusent tout schéma, organisation, imposition, règle, discipline d’où qu’elles viennent : même celles qu’un collectif se donne, même celles que la lutte elle-même requiert. Elles les refusent au point de renoncer à la lutte et d'en rester au capitalisme. [Servir le Peuple rappelle cependant ici qu’il n’est pas anti-libertaire : les libertaires sont selon nous une ‘piqûre de rappel’ salutaire rappelant aux marxistes la vocation de l’État socialiste à son propre dépérissement (par la disparition des classes et de toute division permanente du travail), ce que beaucoup ont eu tendance au siècle dernier, et ont encore tendance aujourd’hui à perdre de vue (d’où, par exemple, la sympathie pour des régimes qui n’ont rien de ‘socialiste’ au sens marxiste, voire rien de ‘progressiste’ au sens léniniste).]

La liberté et le mouvement dont il s’agit dans cette énième tentative sont ceux de l’eau qui est libre d’aller vers le bas. Il n’y a pas de pensée, pas de réflexion, pas de bilan de l’expérience de ceux qui avant nous ont lutté, du pourquoi et du comment ils ont gagné ou perdu, il n’y a pas de programme pour l’avenir, et donc pas d’élan. Tout se réduit, au final, au contraire de la liberté, à une réaction mécanique (à la manière d’un mécanisme qui ne se meut pas par un mouvement propre, mais par l’impulsion qu’il reçoit d’un autre) à l’attaque de l’ennemi, qui au contraire dispose d’armées organisées (qui depuis l’Antiquité romaine, et même avant, ont démontré pouvoir vaincre des masses en révolte inorganisée, même en nombre dix fois supérieur) et d’un plan pour maintenir son pouvoir, etc.

autonomia operaiaGramsci explique ici comment ce qui se veut liberté se renverse en riposte mécanique et expression de subalternité vis-à-vis de la classe ennemie, car elle ne se qualifie pas par elle-même, par ce qu’elle veut construire, mais par l’ennemi auquel elle s’oppose, et donc dépend de lui, à la manière dont un travailleur dépend du patron [NdT : c’est ce que Gramsci appelle subversivisme, qui peuple les rangs de ce que le (n)PCI appelle la gauche bourgeoise et nous (plutôt) la gauche petite-bourgeoise (la gauche bourgeoise étant vraiment l’aile gauche de la grande bourgeoisie, les Mélenchon, Montebourg etc.), et que le ‘sens commun’ appelle ‘gauche radicale’... mais aussi les rangs de la mobilisation populiste fasciste. Cette qualification est particulièrement valable pour le mouvement Grillo, particulièrement ‘anti-tout’, qui finira soit dans l’un soit dans l’autre]. Si un groupe ne s’efforce pas de se créer une science propre de la réalité et de l’histoire, ses analyses sont en définitive celles de la propagande bourgeoise, sont tirées des journaux et des livres de la bourgeoisie, fut-ce “lus à l’envers” (en les critiquant, en les dénonçant, en s’indignant, etc.). Ceux qui évoluent dans ce sens ne soupçonnent même pas que leur histoire puisse avoir une quelconque importance, dit ici Gramsci. Quand ils s’occupent de cette histoire, ils le font quant au contenu en utilisant en économie, politique, philosophie les critères et les données fournies par la bourgeoisie, conformes à la conception bourgeoise du monde. Quant à la forme, soit ils parlent et n’agissent pas, et ne courent donc pas le risque d’être démentis, soit ils séparent la parole de l’action, ne reflètent pas la parole dans la pratique, n’apprennent pas des erreurs. Quand ils remportent un succès, ils ne l’utilisent pas comme base pour construire le nouveau Pouvoir, ni comme base pour passer à une lutte de niveau supérieur. Ce que nous avons bien vu l’an dernier : passées les grandes manifestations du 31 mars et du 27 octobre 2012, l’état d’esprit prédominant parmi leurs promoteurs était : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Les conditions objectives qui poussent les masses populaires à se mobiliser pour créer une nouvelle société (qui rendent nécessaire sa création car ne pas la créer amène des catastrophes plus graves encore) existent depuis longtemps, et donc leur mouvement est spontané comme l’eau du fleuve qui va à la mer. Mais elle est différente de l’eau du fleuve qui va à la mer, car il s’agit d’êtres humains. Ceux-ci ont besoin de se représenter le chemin qu’ils parcourent : l’eau ne va à la mer qu’à des conditions déterminées.

‘‘Cette unité de la «spontanéité» et de la «direction consciente», c’est-à-dire de la «discipline» est précisément l’action politique réelle des classes subalternes, en tant que politique de masse et non simple aventure de groupes qui se réclament des masses’’ dit Gramsci, et il ajoute que renoncer à leur donner une direction consciente, à les élever à un niveau supérieur signifie laisser le champ libre à la bourgeoisie impérialiste, qui dévie la mobilisation des masses populaires dans un sens réactionnaire. La mobilisation des masses dans un sens réactionnaire (fascisme, guerre) est le fruit de la renonciation des groupes responsables [des communistes, ndr] à donner une direction consciente aux mouvements spontanés et à les faire devenir dès lors un facteur politique positif. Celui qui nie le principe selon lequel la révolution se construit, qu’elle doit être dirigée, et dirigée comme une guerre populaire révolutionnaire, celui qui espère “que les masses bougent” et ne voit pas que les masses sont déjà en mouvement (mais bien sûr, à la manière dont les masses opprimées peuvent l’être lorsqu’elles n’ont ni objectif conscient et juste, ni organisation ni direction), laisse un espace vide qui est occupé par la réaction. Tous ceux qui peuvent aujourd’hui assumer le rôle de gouvernement du pays, en Comités de Libération Nationale, en Administrations Locales d’Urgence, en un Gouvernement de Salut National (2), en somme en organismes qui mobilisent les masses populaires contre la guerre que la bourgeoisie impérialiste leur livre, et hésitent à le faire, sont en hésitant ainsi objectivement responsables de la mobilisation réactionnaire des masses populaires.

Les mouvementistes s’opposent à faire des plans. Selon eux, dit Gramsci, tout plan préétabli est utopique et réactionnaire.(27) Quiconque s’est adressé aux mouvementistes en leur montrant comme nécessaire un parcours vers l’objectif de la transformation révolutionnaire, s’est entendu répondre que le parcours indiqué était une imposition, une tentative de mettre en cage, de briser les ailes du mouvement spontané, et qu’ainsi le plan était réactionnaire et que prévoir un parcours concret vers la révolution était utopique.

27. CP, p. 1557 (C13 §1). 

fighters-of-the-greek-civil-warCe type de réponse est l’expression d’une tendance générale, répandue dans les masses populaires et expression de leur subalternité, expression du fait d’être encore sous l’influence de la conception bourgeoise dans leur conscience. Il est clair que la bourgeoisie a intérêt à combattre l’élaboration de tout plan visant à renverser son pouvoir, et il est encore plus clair que son intérêt est de déclarer cet objectif irréalisable. Le maximum que la bourgeoisie impérialiste peut concéder aux masses populaires est qu’elles rêvent à la révolution comme quelque chose que l’on voudrait, mais qui ne pourra jamais exister. Des héros admissibles sont ceux qui y ont cru et ont perdu (ont été vaincus), ce qui prouverait que ce rêve est irréalisable. Che Guevara en est l’exemple le plus connu. Qui a au contraire guidé les masses populaires à la victoire, comme Staline qui les guida à la victoire contre les nazi-fascistes, est un “dictateur” et un “réactionnaire” a priori.

Qui est seulement contre, attend l’insurrection et ne fait pas de plans, s’exalte face à chaque mobilisation spontanée des masses populaires pour ensuite tomber en dépression quand cette mobilisation prend fin. Car qu’elle prenne fin est inévitable : si l’on présume qu’elle est une chose naturelle, elle a un début et une fin, comme un orage, s’éparpillant en une infinité de volontés individuelles,dit Gramsci.(28) Telle est l’histoire de beaucoup de regroupements comme Unis contre la Crise, Comité Non à la Dette, Comité NoMontiDay, pour ne citer que les plus connus et actifs ces deux dernières années : des groupes qui surgissent dans des circonstances determinées, produisent des initiatives où la participation des masses populaires dépasse leurs espérances, ce qu’ils ne savent pas gérer justement parce qu’ils n’ont pas de ligne, pas de “plan préétabli”, leurs promoteurs faisant alors machine arrière comme des apprentis sorciers incapables de gérer les “pouvoirs simples et magiques” dont était capable de parler, le 6 avril 2013, un enfant de cinquième élémentaire [CM2] de la province d’Avellino, faisant référence à la classe ouvrière.

28. CP, p. 1557 (C3 §1).

En somme, pour ne pas vouloir se donner des règles conformes aux exigences de la réalité, pour ne pas vouloir apprendre la dialectique entre liberté et nécessité ; pour vouloir rester “libres” dans le sens de ne pas vouloir être encadrés dans aucun parti, de ne vouloir suivre aucun plan, et encore moins tenter une expérience jamais tentée, la révolution dans un pays impérialiste, chose tellement neuve et pleine de risques que la proposer sans analyse et sans plan est d’une irresponsabilité confinant au crime ; pour vouloir garder cette attitude infantile et inacceptable dans toute activité humaine un minimum complexe ; l’on finit par être le contraire de libres, l’on finit par être des marionnettes entre les mains de l’ennemi.

Dans le §7 du Carnet 13, Gramsci dit que la révolution comme insurrection fonctionne pour la bourgeoisie de la Révolution Française (1789) jusqu’au moment où la classe ouvrière surgit comme nouvelle classe révolutionnaire (1848). Passée cette date, la bourgeoisie cesse d’être une classe révolutionnaire en lutte contre le clergé et les nobles, et se met en état de guerre contre la classe ouvrière. La guerre contre la classe ouvrière, la bourgeoisie la prépare minutieusement et techniquement en temps de paix, avec quantité de tranchées et fortifications dans la structure massive des démocraties modernes, tant comme organisations étatiques que comme ensemble des relations dans la vie civile.(29)

29. CP, pp. 1566-1567 (C13 §7).

sinistra prolCette structure massive des démocraties modernes est le régime de contre-révolution préventive. La révolution ‘pousse’, c’est un mouvement objectif, et la bourgeoisie construit un appareil fignolé dans ses moindres détails pour contrer la volonté et la necessité de participation et d’auto-gouvernement des masse populaires, contre le moindre délegué syndical non asservi, contre le centre social autogéré, contre un Mouvement Cinq Étoiles [de Beppe Grillo] qui n’accepte pas les normes préétablies pour participer au petit théâtre de la lutte politique bourgeoise, et surtout contre la plus grande expression d’autonomie et d’indépendance de la classe ouvrière et des masses populaires, le Parti communiste. Cet appareil est précisément la contre-révolution préventive, appliquée dans les pays impérialistes. Contre cet appareil, la stratégie des communistes est la GPR de LD, par laquelle l'accumulation de forces et la conquête de nouveaux territoires (l'expansion de l’hégémonie sur les masses populaires aux dépens de la bourgeoisie) sont un travail tout aussi minutieux, qui pas à pas amène à l’affrontement militaire proprement dit.

Gramsci explique combien est impossible une guerre de mouvement qui enfonce les lignes ennemies et par laquelle l’on s’empare des centres de pouvoir, lorsque derrière ces lignes ennemies il y a tout un appareil dont elles ne sont que le premier front.(30) La société, dit-il, est devenue une structure extrêmement complexe et résistante aux “irruptions” catastrophiques de l’élément économique immédiat (crises, dépressions) ; les superstructures de la société civile sont comme le système des tranchées dans la guerre moderne (…) ni le troupes assaillantes, par l’effet de la crise, ne s’organisent [spontanément ou sous une direction ‘insurrectionnelle’ NdT] de manière fulgurante dans le temps et l’espace, ni encore moins elles n’acquièrent un esprit agressif. Le conseil de Gramsci est d’étudier la Révolution d’Octobre à la lumière de la théorie de la GPR de LD. À ceci nous pouvons ajouter que depuis la victoire de la Révolution d’Octobre, la bourgeoisie impérialiste a pris toutes les contre-mesures dont elle est capable pour ne pas se faire surprendre par une quelconque insurrection.

30. CP, p.1615-1616 (C13 §24).

Qui a la prétention de faire irruption dans le camp ennemi, de semer parmi les troupes adverses une panique et une confusion irréversible, d’organiser ses propres troupes à l’improviste, de mettre tout aussi à l’improviste ses cadres existants en position de direction immédiatement reconnue par une population en révolte, d’unir immédiatement cette population vers un objectif commun, est un mystique, dit Gramsci.(31) De fait, qui raisonne en ces termes religieux reste statique en attendant que quelqu’un d’autre commence, ou que quelqu’un vienne de l’extérieur apporter la révolution, de Russie ou de Chine hier, des peuples opprimés aujourd’hui (de la Palestine, de l’Inde, du Népal ou de pays comme le Venezuela ou Cuba, selon les tendances préférées).(32)

31. CP, p. 1614 (C13 §24).

32. CP, p. 1730 (C14 §68).

L’examen des positions de Gramsci confirme son anticipation de l’un des fondements de la théorie révolutionnaire, à savoir la stratégie de GPR de LD, l’une des contributions les plus importantes du maoïsme à la science révolutionnaire, à la conception communiste du monde.(33) Gramsci, outre cela, a apporté d’autres anticipations très importantes. L’étude en cours de l’œuvre de Gramsci permet de récupérer ces précieuses anticipations que Gramsci a élaborées, pour donner toute sa valeur à sa stature de dirigeant du mouvement communiste au niveau national et international, et surtout pour continuer son œuvre jusqu’à la réalisation des objectifs pour lesquels il a donné sa vie.

Folco R.

33. L’étude est basée sur les références de Gramsci aux deux formes opposées de stratégie pour la révolution, c-à-d l’insurrection et la GPR de LD, appelées ici guerre de mouvement et guerre de position, du Dictionnaire gramscien sous la direction de Guido Liguori et Pasquale Voza (Carocci editore, Urbino, 2011).


(2) Nous sommes entièrement d'accord, et tout aussi enthousiastes que le (n)PCI pour l'exploration de ce territoire inconnu qu'est de vouloir construire consciemment la révolution dans un pays impérialiste, et non faire du militantisme de gauche plus ou moins ‘dur’ en attendant la ‘crise aigüe’ qui sonnera l'heure du Grand Soir. Pour autant, et nous l'avons déjà dit, nous pouvons être grandement en désaccord avec les méthodes proposées.

3320331108 7316807beeAinsi, appeler à un Front ou ‘Bloc’ populaire (quel que soit le nom qu'on lui donne) implique selon nous un mouvement communiste suffisamment puissant (en quantité et en qualité, c'est-à-dire en influence idéologique sur la société), qui ‘pèse’ assez pour pouvoir en retirer des bénéfices pour lui et pour les masses, sans quoi l’on ne fait qu'‘offrir’ son appui et ses forces ‘sur un plateau’ à la gauche bourgeoise (qui au demeurant s'en contre-cogne). Un Front populaire, c'est quelque chose qui implique certes des concessions de la part des communistes, mais qui N'EXISTE PAS non plus sans eux ; c'est être en mesure de dire à la gauche bourgeoise (sans faire rigoler) : "la mobilisation réactionnaire, le fascisme, vous balayera vous aussi et même les premiers, accepter notre ‘soutien’ (comme la corde soutient le pendu) c'est votre dernière chance" ; en somme, c’est le Front commun avec nous… ou Dachau ! L'émergence d'une ‘gauche’ bourgeoise favorable à l'alliance avec les communistes est en réalité un symptôme 1°/ de l'importance du mouvement communiste et d'un mouvement ouvrier/populaire ‘radical’ d’un côté et 2°/ de l'inquiétude que cela suscite, et de la mobilisation réactionnaire de la droite (la majorité !) bourgeoise de l’autre ; autrement dit de l'imminence de la guerre civile, de la guerre de classe ouverte. Sans cela, il est hautement improbable que les personnalités citées par le (n)PCI (si l'on se base sur leurs équivalents hexagonaux), sans même parler du populiste semi-fascisant Grillo, fassent autre chose que continuer à ‘gérer le malheur’ et à écoper désespérément la barque qui prend l'eau - pour finalement sombrer avec elle, dans le triomphe de ce que le PCmI appelle ‘fascisme moderne’, c'est-à-dire la bourgeoisie réactionnaire qui répond à la crise et aux explosions sociales qu'elle provoque, mais pas à une menace révolutionnaire conséquente (contrairement au fascisme proprement dit). Souvenons-nous aussi que les Fronts populaires de ‘France’ et d'‘Espagne’ n'ont pas été finalement des expériences si concluantes, puisqu'ils n'ont pas pu réellement gouverner et ont très vite été balayés, en ‘Espagne’ par le coup d’État fasciste et la guerre civile (1936-39) et en ‘France’ par le ‘choix de la défaite’ de 1940 : la vraie mise en œuvre du programme des Fronts populaires, en Europe de l'Ouest (sauf Espagne et Portugal), c'est à la Libération, lorsque le capitalisme ‘purgé’ par la guerre mondiale pouvait se ‘rénover’ de la sorte mais aussi... face à des Peuples en armes, sous direction principalement communiste.

Ce qu'il faut donc, c'est construire patiemment cette ‘importance’, cette hégémonie même partielle du mouvement communiste sur les masses, sans céder au sentiment de l'urgence. Il est certain que si l'on fait, comme le (n)PCI, englober au prolétariat quelques 36 millions de personnes sur 57, gagnant jusqu'à... 50.000 euros par an, il est fort possible de céder à l'urgence car ces couches moyennes du salariat voient leurs conditions de vie se dégrader à grande vitesse depuis la seconde moitié des années 2000. Mais pour le vrai prolétariat, qui en réalité ne dépasse pas 50% de la population dans un État impérialiste, le capitalisme est en crise depuis les années 1970 (mettant fin à l'amélioration toute relative mais continue du niveau de vie), le reflux/capitulation du mouvement communiste et même réformiste conséquent et la lutte acharnée de la bourgeoisie pour le maintien de ses profits ont amené une situation de ‘fascisme moderne’ depuis les années 1980, et depuis lors la dégradation est certes continuelle mais pas ‘brutale’, et n'implique pas de sentiment d'urgence. Céder à l'‘urgentisme’, c'est de toute façon et dans tous les cas mal faire. Il faut savoir garder son sang-froid comme un capitaine dans la tempête. Toutes les enquêtes d'opinion (et le bon sens minimal face à la merde social-libérale au pouvoir) indiquent sinon la victoire du FN, du moins solidarietàgramigna2celle d'une droite ultra-‘décomplexée’ (se posant en ‘dernier recours’ face à un FN à 25% ou plus) pour 2017, soit dans trois ans et demi... Pour autant, nous ‘gardons le cap’ et avançons patiemment sans céder à l'urgence ni à la panique, car ce serait la voie royale du fiasco.

Nous sommes totalement en accord avec le Plan Général de Travail du (n)PCI, et comptons bien le faire nôtre pour le Parti que nous voulons créer : faire de chaque action, chaque lutte, chaque initiative une ‘école de communisme’. Nous interviendrons sans problème, nous ‘ferons irruption’ dans le ‘petit théâtre’ de la politique bourgeoise, notamment dans les ‘moments électoraux’ qui sont des ‘moments-clés’ pour la société civile dont parle Gramsci, selon des modalités que nous aurons fixées. Mais pour le (n)PCI, il semble bien que le deuxième front du PGT soit aujourd'hui hypertrophié, au détriment des autres. Et faire du succès électoral de telle ou telle liste ou personnalité une déstabilisation majeure pour le régime/système que l'on combat, c'est faire des assemblées légiférantes électives le ‘cœur de l’État’, ce qui est profondément erroné : ces assemblées sont des machines à faire loi la volonté des dominants, et non les centres de production de cette volonté. L'intérêt des ‘moments électoraux’ pour les communistes, c'est le rôle que jouent ces moments dans la construction de la société civile qui protège le Capital et donc dans sa destruction ; mais ce n'est pas de permettre des ‘attaques’ significatives au ‘cœur de l’État’, qui ne sont de toute façon pas possibles en phase préparatoire/étape zéro. En ‘France’, d'ici la présidentielle (suivie de législatives) en 2017, il y a les européennes et les municipales l'an prochain et les régionales en 2015, ce qui ne fait pas beaucoup (en Italie c'est un peu différent, toutes les régionales et les municipales ne sont pas en même temps et il y a souvent des législatives anticipées). Le reste du temps, SLP garde un ‘œil’ vigilant sur les mouvements de la ‘classe’ politique bourgeoise pour en présenter aux masses une ‘lecture’ marxiste, ce qui est important. Mais tout cela n'est pas plus ni moins important que les autres ‘fronts’ du PGT : lutte contre la répression, à laquelle on peut ajouter la lutte contre le fascisme (répression para-étatique, en dernière analyse) et les luttes démocratiques des secteurs sociaux particulièrement opprimés (LGTB, colonies intérieures, travailleurs ‘sans-papiers’) ; défense intransigeante des droits sociaux des travailleurs (arrachés de dure lutte au siècle dernier) ; et (très important selon nous, le seul peut-être qui soit plus important) construction de l'autonomie populaire contre un capitalisme qui a fini par régir le moindre aspect de la vie des masses ; on pourrait également ajouter l'internationalisme anti-impérialiste, dont le défaut est un ‘secret de l'impuissance’ des prolétariats et des classes populaires occidentales. Tout cela participe à la guerre de tranchées sur le front de la société civile, front fondamental dans les pays impérialistes et avancés, contre la mobilisation réactionnaire impulsée par la bourgeoisie face à la (à sa !) crise (pour ce qui est du front politico-militaire, il est évident qu'un Parti communiste n'en parlera pas publiquement sur un site internet...).

imagesPour revenir sur le mouvement Grillo, nous le caractérisons comme des cyber-Arditi du 21e siècle, un mouvement petit-bourgeois radical-populiste, "ni droite ni gauche", "tous pourris", antiparlementaire comme si le problème du capitalisme résidait dans le Parlement bourgeois, etc. etc. Un Parti communiste conséquent peut certes gagner à lui des éléments arditi ‘de gauche’, déçus justement par l'évolution droitière inévitable de ce genre de mouvement, comme les Arditi del Popolo de 1921-22. Mais EN AUCUN CAS on ne peut baser une mobilisation révolutionnaire de masse sur des Arditi, sur un mouvement ambigu, contradictoire et voué à l'éclatement. Il ne s'agit pas d'être des ‘analphabètes politiques’ en reprochant aux gens de voter Grillo plutôt que de nous interroger sur nos propres limites ; mais de nous demander en quoi la guerre de position pour l'hégémonie se gagne en cautionnant sans critiques des conceptions aussi ouvertement réactionnaires que "il y a trop d'immigrés en Italie", "Nichi Vendola (un leader de la gauche bourgeoise - NdlR) est un pédé" ou encore "les syndicats nous font chier, vivement qu'on les interdise"... Le (n)PCI rétorque au PCmI que "l'on pourrait en dire autant de beaucoup de forces ayant participé aux Fronts populaires des années 1930 ou à la Résistance en 1940-45". Pour la Résistance, c'est bien possible, puisqu'il y avait une occupation étrangère donc une dimension patriotique incluant des éléments de droite voire d'extrême-droite. Pour les Fronts populaires, avec un Grillo qui proclame publiquement sa sympathie pour des fascistes (Casapound), c'est nettement plus improbable... Et comme l'expliquait Gramsci, il faut vivre et comprendre son époque : la conscience humaine évolue avec les forces productives, la limite entre ‘progressiste’ et ‘réactionnaire’ évolue et des choses qui pouvaient ‘passer’ il y a 80 ans (homophobie, xénophobie) ne le peuvent plus aujourd'hui. D'autre part, la conception kominternienne des Fronts populaires était elle-même l'expression de grandes limites du marxisme-léninisme à cette époque.

Enfin, parler de "Comités de Libération Nationale" (??) n'a aucun sens si cette ‘libération’ est celle d'un État impérialiste qui n'est pas occupé militairement par un autre. Cela peut en avoir si l'on considère l'Italie comme un État plurinational, où des Peuples sont soumis à UNE bourgeoisie ‘italienne’ (monopoles du Nord, bureaucrates de Rome, clique vaticane etc.) qui les exploite et les opprime... Mais c'est une autre histoire. L'Allemagne de Merkel n'impose pas militairement l’austérité aux ‘PIIGS’, ce qui signifie que l'austérité est une politique acceptée par les bourgeoisies dirigeantes de ces États, et que le problème principal se trouve là. Parler de ‘libération nationale’, c'est vouloir ‘revivre’ la Résistance antifasciste de 1940-45 dans un contexte totalement différent, travers dans lequel tombent beaucoup de communistes d'un côté comme de l'autre des Alpes, et qui mène souvent au social-chauvinisme (car qui dirige, exploite et opprime alors, si ce n'est pas le Grand Capital national ? une ‘hyper-classe mondialisée’ ? la bourgeoisie impérialiste US et elle seule ?). Il ne faut pas chercher, entre ‘Fronts populaires’ et ‘Libération nationale’, à revivre l’histoire, car le marxisme nous enseigne que l’histoire ne se revit que comme farce

En définitive, nos divergences avec le (n)PCI ne sont pas dans leur travail théorique et stratégique primordial comme (au moins) matériau de réflexion, aspect qui reste principal, mais bien plutôt dans la source même de ce qui (selon eux-mêmes) guide la stratégie et (de là) toutes les tactiques : la conception du monde. Comme l'explique le (n)PCI lui-même, des limites dans la conception/compréhension du monde, si elles ne sont pas rectifiées, amènent une stratégie erronée (dans son contenu, car il n'est pas difficile de dire que c'est "la Guerre populaire", mais quel contenu lui donne-t-on ?). Par exemple, on peut tout à fait être hostile à ce qu'un coup d’État impérialiste renverse un régime ‘de gauche’, réformiste, progressiste en Amérique latine ; mais si l'on considère que la politique de Chavez au Venezuela était du socialisme (ou une nouvelle démocratie le préparant),  au sens scientifique marxiste, alors il y a un problème quant à la conception du but (le socialisme)... donc des moyens pour y parvenir. Ne parlons même pas de considérer comme tels Kadhafi ou encore Assad...

panthers-e1300317875581De même, sur le bilan du siècle dernier : pour le (n)PCI, il y a l'URSS et l'Internationale communiste de 1917 à 1956 et ensuite, plus guère de salut : la Chine de Mao tente quelques années de ‘raviver la flamme’, de cette ‘croisade’ anti-révisionniste naît le maoïsme comme troisième et supérieure étape du marxisme, mais au final, rien de bien concluant. Pour nous, au contraire, cette première partie de la première vague révolutionnaire mondiale a fait de grandes et glorieuses choses, mais a également montré de grandes limites, dont la répétition est pour ainsi dire la cause de tous les échecs ultérieurs, et les tentatives de dépassement sont la cause de tous les succès. Alors que la seconde partie (1956-1993 selon nous, càd jusqu'à la défaite au Pérou) REGORGE LITTÉRALEMENT d'expériences lumineuses et passionnantes, tant par leurs succès que par leurs échecs, et absolument pas seulement dans les pays semi-coloniaux dominés : dans les États impérialistes également, des Black Panthers US aux communistes révolutionnaires italiens des années 1970, des grandes luttes de l’État espagnol sous la 'transition' juan-carliste aux luttes révolutionnaires de libération basque et irlandaise en passant par les maoïstes de l’État français (1968-75), etc. etc. C'est même, serions-nous tentés de dire, la période la PLUS intéressante dans ces pays : dans la précédente, le mouvement communiste avait encore beaucoup de traits du mouvement socialiste 'revendicatif' antérieur, à l'exception peut-être du Biennio rosso italien de 1919-21 et de la situation révolutionnaire allemande de 1918-20 (et de l’État espagnol des années 1930, mais ce n'était pas vraiment un pays impérialiste à l'époque), et bien sûr de la Résistance antinazie mais dans des circonstances très particulières (occupation étrangère, pas la même chose que combattre sa propre bourgeoisie...). C'est également la période la plus intéressante en Amérique latine, ainsi qu'en Afrique : en fait, sur 3 continents sur 5 ! Bref...

C'est pourquoi nous attachons autant d'importance, dans la ‘première phase’ que le (n)PCI appelle ‘défensive stratégique’ et nous étape zéro préparatoire, à forger la CONCEPTION DU MONDE, conformément aux enseignements de Marx et Engels, de Gramsci et du (n)PCI lui-même, car cette conception/compréhension de la société et du monde qui nous entoure sous-tend, en dernière analyse, tous les ‘axes’ de la lutte pour l'hégémonie idéologique dans la ‘société civile’ capitaliste, pour nous permettre de créer des ‘bases rouges’, c'est-à-dire des territoires populaires LIBÉRÉS de l'emprise idéologique de la classe dominante, de la ‘mental slavery’ vis-à-vis du Grand Capital... Ce manifestation-barcelone pics 809n'est par exemple ni plus ni moins que cela qui fonde notre ‘occitanisme’ révolutionnaire : pour le Peuple occitan, ‘méridional’, se réapproprier sa culture et (surtout) son HISTOIRE, souvent tragique sous la botte de l’État ‘français’, signifie briser les chaînes de l'aliénation vis-à-vis de la ‘république’ et de la ‘nation française’, synonyme d'allégeance à la bourgeoisie monopoliste, à son idéologie et à sa culture, à ses plans impérialistes etc. Il en va de même, selon nous, en Italie (et pas seulement dans le Mezzogiorno), où l'‘italianité’ n'est autre qu’une allégeance à la grande bourgeoisie piémontaise, lombarde, toscane et romaine qui a fait l'Unité politique de la péninsule en s'alliant avec la Maison de Savoie (puis, après quelques frictions, avec la Papauté et l'oligarchie du Sud), et s'est transformée en bourgeoisie monopoliste ‘italienne’. Mais cela, c'est aux communistes d'Italie d'y réfléchir : nous ne pouvons le faire à leur place que de manière très approximative et superficielle. Dans l'État espagnol, les forces révolutionnaires les plus avancées l'ont déjà fait, et cela donne une multitude de groupes marxistes-léninistes au Pays Basque, le Parti communiste maoïste en Galice, Andalucia communiste en Andalousie, Frayando Cadenes en Asturies, le Journal d'une Colonie aux Canaries ou encore Yesca... en Castille.

En dernière analyse, ce qui a selon nous ‘péché’ dans l’État français au siècle dernier, c'est de vouloir faire la révolution à partir du Centre, sur le ‘modèle’ de la révolution bourgeoise qui d’Étienne Marcel au 14e siècle à Gambetta proclamant la république définitive en 1870, en passant par les Guerres de Religion, la Fronde du 17e siècle, 1789, 1830 et 1848, s'est toujours décisivement jouée à Paris. Il en va de même, à notre avis, pour tous les grands États impérialistes, même si ce n'est pas à nous d'en juger dans les détails. Cela a conduit (selon nous) à mettre la direction révolutionnaire entre les mains de couches sociales comme l'aristocratie ouvrière, la ‘petite-bourgeoisie salariée’ intellectuelle, les fonctionnaires etc., couches qui doivent leur position sociale au capitalisme et à l’État capitaliste moderne-contemporain, et ne sont donc pas les plus aptes à DIRIGER efficacement leur remise en cause et, à terme, leur destruction.

En synthèse :

-          Le (n)PCI a une STRATÉGIE, une vision stratégique à long terme, ce que beaucoup d’autres organisations y compris maoïstes n’ont pas. Il a raison de le rappeler à ses contradicteurs. Mais ceci est une condition nécessaire mais non suffisante. Une mauvaise stratégie ou pas de stratégie du tout garantit une pratique erronée (ou de faire du sur-place), mais l’inverse n’est pas automatiquement vrai : une bonne stratégie ne garantit pas, systématiquement et en tout, une bonne pratique.

-          Ensuite, avant même la stratégie, il y a la CONCEPTION DU MONDE (la ‘pensée’ comme disent d’autres). Le (n)PCI le dit, mais semble avoir beaucoup plus travaillé sur la première que la seconde. Il semble se contenter, comme conception du monde, du marxisme-léninisme-maoïsme tel qu’il le comprend. Au regard, par exemple, de ses prises de position internationales (sur Chavez et consorts, la Libye, la Syrie, la guerre en ex-Yougoslavie hier), bien que d’autres (sur l’Égypte) soient très correctes, ou de son analyse de l’histoire du mouvement communiste (typiquement sur la  vision dithyrambique de l’URSS et de l’Internationale communiste avant 1956), sa conception du monde semble être en fait un ‘bon vieux’ marxisme-léninisme ‘maoïsant’ de type PC des Philippines ou PCR argentin. Sur le champ de bataille où il opère, l’État italien, il a produit une assez bonne réflexion (qui nous a profondément inspirés à l’époque de notre traduction) dans le chapitre 2 de son Manifeste Programme, mais sans aller selon nous jusqu’au bout de toutes les conséquences. Les Gardes rouges chinois des années 1960-70 disaient parfois que la révolution devait ‘‘retourner la Chine comme un gant’’, et le maoïsme c’est effectivement cela : une DÉCONSTRUCTION, une remise en cause permanente de ce que la pensée dominante, qui imprègne toutes les masses populaires, présente comme l’ordre naturel des choses. Le (n)PCI semble vouloir ‘prendre’ l’État italien pour le faire fonctionner au service des masses populaires, et non le détruire, ne pas en laisser pierre sur pierre. Dès lors, les institutions électives (où l’on accède par des élections) deviennent pour eux un champ de bataille essentiel, la ‘fenêtre de tir’ pour ‘infiltrer’ l’État sans recourir, à ce stade ‘défensif’ de la lutte révolutionnaire, à des moyens illégaux ; et non un simple terrain d’agit-prop (sur le front de la société civile) parmi d’autres.

Pour notre part, notre conception du monde et notre stratégie sont toujours en cours d’élaboration, à travers la réflexion/analyse permanente, le débat franc et ouvert (sans insulte ni ton hautain, c’est la condition) et la pratique. 

 

* Après les hécatombes de Lampedusa et de Malte, le (n)PCI a tout de même fini par réagir aux sorties anti-immigrés de Grillo : ‘‘Ils se contredisent eux-mêmes : un Italien sur huit n’a pas de quoi manger, disent à raison Grillo et Casaleggio, soit 7 millions de personnes ; le problème n’est donc pas 50 ou 100.000 désespéré-e-s qui arrivent chaque année en Italie ! Si Grillo et Casaleggio persistent à relayer cyniquement les préjugés criminels des fascistes, de Maroni et Bossi, des promoteurs de la mobilisation réactionnaire, des auteurs et supporteurs des lois Turco-Napolitano et Bossi-Fini, ils finiront certainement très mal. S’ils cerchent à faire du M5S le parti de la mobilisation réactionnaire, le mouvement leur explosera entre les mains, car il n’est pas adapté pour cela’’. Certes... et c’est ce que nous disons depuis le début : le M5S est un mouvement contradictoire qui éclatera, certain-e-s suivant la dérive réactionnaire de Grillo, d’autres la rejetant. Il n’est donc pas possible de faire de ce mouvement le ‘centre’ d’une quelconque mobilisation révolutionnaire ou, en tout cas, progressiste de masse.

[Concrètement, et après mûre réflexion sur cet épineux sujet, nous en sommes venus à la conclusion que :

- Le (n)PCI a PENSÉ l'Italie, là-dessus il n'y a pas photo, et c'est peut-être la seule grande organisation ML ou maoïste existante à ce jour à l'avoir fait de manière aussi poussée dans ce pays. C'est l'objet de tout un immense chapitre 2 de leur Manifeste Programme que nous avons traduit ; et dont nous avons repris une bonne part dans notre article sur la construction historique de cet État.

- Mais attention, les conclusions auxquelles ils aboutissent ensuite sont un peu boîteuses : l'idée que le "vrai" pouvoir en Italie ("République pontificale") serait en fait le Vatican et son (bien réel) empire financier ; lui-même pilier essentiel d'une espèce d'"ordre mondial" aux côtés de l'impérialisme US-UE, du sionisme etc. L'Italie est "pensée", sur la base de Gramsci et d'une très sérieuse étude, mais à l'arrivée on a l'impression que la subjectivité des auteurs, anticléricale et "Italie = colonie du Système impérialiste mondial" (raisonnement très présent dans le mouvement communiste révolutionnaire des années 1970), finit par prendre le dessus. Cela revient un peu, en définitive, à nier l’État italien (qui serait finalement "fantoche"), la bourgeoisie italienne et (puisqu'on a parlé de Gramsci) la "société civile" qui les protège.

- C'est sans doute là qu'il faut voir la source de la "Guerre populaire révolutionnaire" qui devient in concreto électoralisme pour un "Gouvernement de Bloc Populaire" (GBP) jusqu'au soutien au mouvement populiste de Beppe Grillo (qui est une "grogne" de la "société civile" protégeant l’État et la bourgeoisie, mais nullement une rupture avec celle-ci). L'aboutissement logique de cette erreur finale d'analyse étant que, bien que soit affirmé et réaffirmé le contraire dans le Manifeste et par ailleurs, l'étape première de la lutte en Italie serait finalement une révolution démocratique bourgeoise... qui peut tout à fait, du coup, passer par les urnes (et un activisme démocratique et syndical principalement légal). Des sympathisants du P-CARC avec qui nous avons pu discuter, nous ont d'ailleurs confirmé que le GBP serait quelque chose comme un gouvernement "à la Chávez" : les communistes et les "organisations ouvrières et populaires" prendraient, finalement et en quelque sorte, l’État italien ; puisque celui-ci est en dernière analyse "fantoche" ; et le conduiraient à ne plus être "fantoche" et à l'affrontement ouvert avec (donc) le Vatican et le "Système impérialiste" dont il est un pilier. En gros, c'est de cela qu'il s'agit. Et oui... mais NON !]

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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 14:28

Retrouver l'article en bon état ici : Gramsci et la théorie de la Guerre populaire en pays capitaliste très avancé (1ère partie)

 

Voici la traduction d'un article du (nouveau) Parti communiste italien publié dans son organe La Voce n°44 de juillet 2013. Encore une fois, QUELS QUE SOIENT nos désaccords (que nous n'avons jamais cachés) avec la ligne ‘tactique’ actuelle du (n)PCI, dans sa lutte en Italie même comme sur ses positionnements internationaux, nous considérons que cet article apporte une CONTRIBUTION CONSIDÉRABLE à la réflexion communiste quant aux moyens de mener à bien la révolution socialiste en Europe (États impérialistes ou en tout cas économiquement avancés). Les notes encadrées sont celles de l'article du (n)PCI (traduites par nos soins). Nos notes critiques sont en bas de page.

Le format d’édition OverBlog nous oblige malheureusement à publier cet article en deux parties.

Gramsci et la Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée 

La “guerre de position” de Gramsci est substantiellement une périphrase pour la plus explicite expression Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) que nous utilisons, reprenant celle-ci de Mao.(1)

1. La Voce du nouveau PCI, n° 43, mars 2013, p. 5

210284 0 1Nous publions avec grand plaisir l'article du camarade Folco R. qui illustre l'apport d'Antonio Gramsci à l'élaboration de la stratégie de Guerre populaire révolutionnaire comme stratégie de la  révolution socialiste dans les pays impérialistes.

Avant toute chose parce que le mouvement communiste de notre pays a un besoin absolu d'affiner son analyse quant aux formes de la révolution socialiste. Plus notre lutte avance, plus se développe largement la guerre que nous avons commencée avec la fondation du Parti, plus la crise du capitalisme pousse les masses populaires à s'engager dans la Guerre populaire révolutionnaire comme en 1943-45 un nombre croissant de jeunes, d'ouvriers, de paysans et de femmes au foyer s'engagèrent dans la Résistance, le plus il est nécessaire que le Parti apprenne à traduire la conception générale de la GPR en initiatives concrètes : en campagnes, batailles et opérations jusqu'à la mobilisation des larges masses qui instaureront le socialisme en Italie et donneront ainsi leur contribution à la seconde vague révolutionnaire prolétarienne qui avance dans le monde entier.

En second lieu, pour donner à Antonio Gramsci la place qu’il mérite pour son œuvre dans le mouvement communiste italien et international. Contre le travestissement de son œuvre par Togliatti et ses complices qui ont présenté Gramsci comme un précurseur de la voie pacifique au socialisme, soit concrètement de la renonciation à la révolution socialiste. Mais aussi contre l’usage anticommuniste que cherche à faire de Gramsci, depuis quelques années, la gauche bourgeoise : celle-ci le présente en Italie et dans le monde comme un opposant à la conception et à la ligne personnifiée par Staline, qui a guidé l’Internationale et le mouvement communiste jusqu’en 1956. Alors qu’en réalité, bien qu’enfermé dans les prisons fascistes, Gramsci a élaboré à la lumière des tâches de la révolution socialiste et de l’expérience du mouvement communiste la critique la plus exhaustive des conceptions de Trotsky et de celle de Boukharine, qui furent les principaux opposants à Staline quant à l’orientation à donner à la révolution en URSS et au niveau international et à la ligne avec laquelle la poursuivre.

Ces deux motifs justifient amplement la publication de la contribution du camarade, bien que son étude de l’œuvre de Gramsci soit encore en cours, ce qui transparaît dans l’incertitude à indiquer les textes principaux utiles à l’assimilation des enseignements de Gramsci sur la GPR.

La rédaction

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Dans le n°43 de La Voce, Umberto C. écrit que Gramsci, “unique dirigeant communiste (...) à avoir réfléchi sur la forme de la révolution socialiste dans les pays impérialistes, (...) a élaboré (v. Carnets de Prison (CP) 7 (§ 16), 10 (I) (§ 9), 13 (§ 7) et autres) la théorie de la “guerre de position” que, en nous libérant du langage imposé par la censure de la prison fasciste, nous appellerions aujourd’hui guerre populaire révolutionnaire de longue durée. [NDLR : ces travaux de Gramsci sur la "guerre de position" sont disponibles en français aux éditions La Fabrique]

La Guerre Populaire Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) est la révolution socialiste qui se construit. La GPR de LD, comme conception, s’oppose à la conception du sens commun (c’est-à-dire des manières courantes de dire et de penser, fruits du rôle dominant du clergé et de la bourgeoisie) selon lesquelles la révolution socialiste éclaterait, c’est-à-dire serait une rébellion spontanée des masses populaires condamnées à des conditions intolérables. Le mouvement communiste à ses débuts (1848) a hérité de cette conception et a compris la révolution socialiste comme révolution qui éclate, à la manière des révolutions du passé. Mais cette conception se heurtait à l’expérience du mouvement communiste, qui allait en se développant. Les communistes se rendirent peu à peu compte de cette contradiction entre leur conception et la pratique de la révolution socialiste.

EngelsEngels fut le premier à exposer de manière organique, en 1895, le concept que la révolution socialiste avait par sa nature même une forme différente des révolutions du passé, qu’elle n’éclate pas mais se construit.(2) Mais les partis socialistes d’alors (réunis dans la 2ème Internationale) n’accueillirent pas sa découverte. Même parmi ceux qui se proclamaient marxistes, comme le Parti social-démocrate allemand, l’adhésion des dirigeants au marxisme était dogmatique, à des degrés divers. Le communisme, le socialisme et la révolution socialiste étaient des articles de foi, qui ne se traduisaient pas dans les lignes guidant l’activité courante des partis. Précisément pour cette raison, ceux-ci ne surent pas faire face à leurs tâches, comme cela fut théâtralement démontré par les évènements de 1914. Parmi les partis socialistes d’alors, seul celui de Lénine traduisit dans sa pratique la conception d’Engels. Mais il la traduisit sans faire de la conception d’Engels une arme dans la lutte contre le dogmatisme, l’opportunisme et l’économisme.(3) Il construisit la révolution en Russie comme une GPR de LD, mais sans en avoir conscience (ce qui confirme que la pratique est en général plus riche que la théorie). De même, l’Internationale communiste et Staline conduisirent dans la première partie du siècle dernier, avec succès, la révolution socialiste au niveau international comme GPR de LD dont l’Union Soviétique était la base rouge mondiale, mais ils n’atteignirent pas la pleine conscience de ce qu’ils étaient en train de faire. Ceci laissa au sein de l’Internationale communiste le champ libre au dogmatisme, à l’opportunisme et à l’économisme qui apparurent au grand jour dans les années 1950. Mao Tse-tung fut le premier dirigeant de Parti à élaborer la conception de la GPR de LD comme stratégie de la révolution socialiste. Mao Tse-tung énonça cette conception comme stratégie de la révolution en Chine, la liant aux caractères spécifiques de la situation sociale et politique chinoise (Pourquoi en Chine peut exister le Pouvoir rouge ? - octobre 1928 en Œuvres de Mao Tse-tung, Editions Rapporti Sociali vol. 2, disponible sur le site du (n)PCI http://www.nuovopci.it/arcspip/article0c16.html). Par la suite, elle fut indiquée comme stratégie de la révolution pour tous les pays coloniaux, semi-coloniaux et néo-coloniaux où la masse de la population était encore formée de paysans. C’est seulement avec l’affirmation du marxisme-léninisme-maoïsme comme troisième et supérieure phase de la pensée communiste, que fut acquise la conception que la GPR de LD est la stratégie universelle de la révolution socialiste ; la stratégie que les communistes doivent suivre dans tous les pays pour l’emporter.(4)

2. Manifeste Programme du nouveau PCI, Ed. Rapporti Sociali, Milano, 2008, sous-chap. 3.3 pp. 199-201 et suivantes, avec les notes 133-138 aux pp. 298-299 (p. 127 et suivantes dans la VF en lien)

3. Trois déviations sont costamment présentes dans les Partis des pays impérialistes qui se disent marxistes :
- Dogmatisme : avoir une relation au marxisme analogue à celle du croyant envers les doctrines religieuses, l’assumer comme description du monde mais non comme science guidant l’action pour le transformer.
- Opportunisme : participer à la lutte politique bourgeoise uniquement ou principalement pour saisir les possibilités (opportunités) qu’offre celle-ci d’améliorer la condition des travailleurs dans le cadre du système de relations sociales bourgeoises. [Nous ajouterions : et les opportunités d’ascension pour soi-même dans ledit système !]
- Économisme : limiter la lutte de classe aux revendications d’améliorations salariales et des conditions de travail.

4. Voir à ce propos La Huitième ligne de démarcation en La Voce n°9 de novembre 2001 et n°10 de mars 2002.

Gramsci, dans sa  condition de prisonnier des fascistes de 1926 à sa mort en 1937, n’a pas dirigé le processus révolutionnaire en Italie, mais en recueillant l’expérience de la révolution socialiste en Italie et dans les autres pays impérialistes, et en analysant également la manière dont les bolchéviks avaient vaincu en Russie, il a apporté une contribution importante à la formulation de la stratégie de la GPR de LD.(5)

5. De la transformation du capitalisme en impérialisme et du changement de la forme de la révolution, Gramsci parle dans le Carnet 8 §236 p. 1088 et le Carnet 10 § 9, p. 1226, en Carnets de Prison, Einaudi, Torino, 2001. De là en avant dans les autres CP. 

Je vais exposer ci-après les principaux aspects de la GPR de LD que Gramsci a plus ou moins largement abordés dans ses Carnets de Prison. Les citations de Gramsci ou d’autres sont en italique. Les évidentiations en gras sont de moi. [Les soulignements sont de SLP]

1. La révolution prolétarienne dans la phase de l’impérialisme

gramsciL’impérialisme est la dernière phase du capitalisme, mais aussi la dernière phase de la société divisée en classes. Elle referme donc non seulement une période séculaire (celle du capitalisme), mais millénaire (celle de la division de l’humanité en classes d’opprimés et d’oppresseurs, d’exploités et d’exploiteurs). La révolution socialiste est donc différente de toutes les autres révolutions, dans le sens précis où les précédentes révolutions servaient à une classe pour conquérir le pouvoir dans une société qui restait divisée en classes d’exploités et d’exploiteurs ; tandis que la révolution socialiste sert à la classe ouvrière à conquérir le pouvoir à la tête du reste des masses populaires, pour établir une société qui pas après pas abolit la division en classes. La forme de la révolution est donc différente : ce n’est plus une insurrection qui éclate, au cours de laquelle une classe prend la tête de la révolte des masses populaires et s’en sert pour s’installer au poste de commandement comme nouvelle classe exploiteuse, mais c’est une révolution qui se construit pas à pas, bataille après bataille, campagne après campagne, comme une guerre au cours de laquelle les masses populaires se transforment, car en s’organisant dans le Parti communiste et les organisations de masse, elles commencent à acquérir le rôle de créatrices conscientes de l’histoire. La révolution socialiste commence donc bien avant la conquête du pouvoir politique et en Italie elle est déjà en œuvre. C’est une révolution qui se construit, conquête de l’hégémonie comme extension et enracinement du Nouveau Pouvoir, initiée comme GPR de LD avec la fondation du nouveau Parti communiste italien, en novembre 2004.

Le pouvoir, ce que Gramsci appelle hégémonie,dans la société Italienne comme dans toutes les sociétés modernes, est en dernière analyse la direction de l’activité pratique des masses populaires. La direction combine la conquête des cœurs et des esprits des masses populaires avec l’exercice de la coercition et avec l’organisation de la vie quotidienne dans tous ses aspects.(6)

6. MP, p. 203.

Dans notre pays, la GPR de LD suivra un parcours déterminé par des conditions spécifiques, à savoir la voie de l'accumulation des forces révolutionnaires par la constitution et la résistance du Parti clandestin et par sa direction sur les masses populaires, 1. pour qu’elles s’agrègent en organisations de masse de tout type, nécessaires pour satisfaire leurs besoins matériels et spirituels, 2. pour qu'elles participent à la lutte politique bourgeoise pour en subvertir le cours et 3. pour qu'elles conduisent les luttes revendicatives jusqu’au commencement de la guerre civile [c'est-à-dire l'affrontement entre les forces armées des deux camps]. Ceci est dans notre pays l’équivalent de “l'encerclement des villes par les campagnes” dans les pays semi-féodaux. Il est impossible dans les pays impérialistes d’encercler les villes par les campagnes, mais il est tout à fait possible, et la pratique l’a montré, de définir le développement quantitatif spécifique qui constitue la première phase de la GPR de LD et à travers lequel on va vers sa seconde phase. Avec la guerre civile générée par ce développement quantitatif débutera la seconde phase de la GPR de LD. Le commencement de la guerre civile sera caractérisé par la constitution des Forces Armées Populaires, qui a partir de ce moment disputeront le terrain aux forces armées de la réaction.(7) (1)

7. La Voce du nouveau PCI, n°17, juillet 2004, p. 31.

2. L’essence de la Guerre Populaire révolutionnaire de Longue Durée

L’essence de la GPR de LD consiste en la constitution du Parti communiste comme centre du nouveau pouvoir populaire de la classe ouvrière ; en la mobilisation et l’agrégation croissante de toutes les forces révolutionnaires de la société autour du Parti communiste ; en l’élévation du niveau des forces révolutionnaires ; en leur utilisation selon un plan établi pour affaiblir le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste et renforcer le nouveau pouvoir, jusqu’à renverser les rapports de force, éliminer l’État de la bourgeoisie impérialiste et instaurer l’État de la dictature du prolétariat.(8)

Gramsci décrit ces traits essentiels en parlant :

1) du Parti comme Prince moderne,

2) de forces révolutionnaires qui s’agrègent comme volonté collective nationale-populaire dont le Parti est en même temps l’organisateur et l’expression active et opérante,

3) de l’élévation des forces révolutionnaires comme réforme intellectuelle et morale,(9)

4) de l’utilisation des forces révolutionnaires jusqu’à l’instauration de l’État socialiste, c’est-à-dire jusqu’à l’accomplissement d’une forme supérieure et totale (c-à-d. regardant tous les aspects de la société, ndr) de civilisation moderne.(10)

La GPR de LD commence avec la constitution du Parti communiste. Le Parti communiste se fonde sur la conception communiste du monde : “Dans la pratique nous avons besoin d’un Parti uni, discipliné, fort et sur le long terme un Parti révolutionnaire ne peut être uni et discipliné que si ses membres sont unis par une conception du monde (pour les mouvementistes cela s’appelle une secte, mais c’est une accusation à laquelle les communistes sont habitués) et s’il personnifie ce qui unit les ouvriers au delà des differences et des contradictions de catégories et de métiers, de culture, de nationalité, de sexe, de traditions, et les constitue comme nouvelle classe dirigeante des masse populaires : la conception communiste du monde.”(11)

La conception communiste du monde est l’idéologie qui pas après pas unifie les masses populaires en leur donnant un objectif commun. Gramsci parle de cela comme du Prince deMachiavel : c’est une conception vivante et concrète qui se matérialise dans la pratique, et non une abstraction dogmatique.(12) C’est le matérialisme dialectique et sa forme la plus avancée qu’est le maoïsme, troisième et supérieure étape de la pensée communiste.

8. MP, p. 203.

9. Gramsci parle explicitement de la necessité de donner une direction consciente aux mouvements spontanés des masses populaires, de les élever à un niveau supérieur dans lesCP, pp. 328-332 (Carnet 3 §48).

10. CP, pp. 1560-1561 (C13 §1).

11. MP, p. 164.

12. CP, p. 1555 (C13 §1).

Santi_di_Tito_-_Niccolo_Machiavelli-s_portrait_headcrop.jpgMachiavel désigne comme guide de la collectivité un individu, un condottiere, un Prince, capable de convaincre en parlant “aux cœurs et aux esprits” des masses populaires, c’est-à-dire par la science et l’art, avec le détachement du savant et la participation de l'artiste. [Note SLP : cette idée de gagner ‘‘les cœurs et les esprits’’ a été depuis reprise, pendant la guerre de libération algérienne... par la doctrine FRANÇAISE de guerre contre-révolutionnaire, qui comme chacun(e) le sait a fait le tour du monde (Amérique du Sud etc.). Formulée autrement : Mao dit que les révolutionnaires doivent être dans les masses ‘‘comme des poissons dans l’eau’’, il faut donc vider l’eau. Encore une preuve que l’ennemi a souvent bien mieux compris la stratégie de la révolution que 90% des autoproclamés révolutionnaires !] Aujourd’hui, la direction des masses populaires ne peut plus être un individu, car le processus révolutionnaire n’est plus de substituer une classe dirigeante de ces masses à une autre, mais de conduire les masses à se transformer jusqu’à se diriger elles-mêmes. Le sujet qui dirige ce processus n’est donc plus un individu, mais un collectif, qui déjà en soi, justement parce que collectif, reflète l'exigence (la possibilité et, à certaines conditions, la capacité) que la collectivité se gouverne d’elle-même et expérimente en son sein la manière de le faire. Ce sujet collectif est le Parti communiste, et c’est avec sa constitution que la révolution commence sous la forme de GPR de LD.

Là où le Parti communiste est absent ou là où il n’est pas encore assez fort pour pouvoir se mettre à la tête de la mobilisation des masses populaires, celle-ci suit d’autres dirigeants, qui peuvent être des groupes arriérés ou réactionnaires, ou des individus qui endossent le rôle de ‘tribun du peuple’ comme Beppe Grillo. Celui qui critique les masses populaires parce qu’elles suivent Grillo est un analphabète politique ou un incapable qui se refuse à analyser ses propres limites, qui ne se demande pas quelles sont ses limites à cause desquelles les masses populaires suivent Grillo, et non pas lui ou son groupe. Il se consolera avec l’idée fausse et absurde que les masses populaires sont arriérées, incapables de progresser, en raisonnant de la même manière que la bourgeoisie impérialiste, c’est-à-dire en partageant le mépris de la bourgeoisie pour les masses populaires.

Le Parti que décrit Gramsci est aujourd’hui le nouveau PCI avec sa caravane, c’est-à-dire avec les forces qui partagent son parcours en terre encore inexplorée, vers une destination concrète et rationnelle certes, mais d’une concrétude et d’une rationalité non encore vérifiée et critiquée par une expérience historique effective et universellement connue.(13) La caravane du nouveau PCI fait la révolution dans un pays impérialiste, entreprise nouvelle pour le mouvement communiste international, et expérimente une méthode nouvelle dans un pays impérialiste, la GPR de LD. Nous ne pouvons donc compter sur des expériences précédentes effectives, qui auraient été efficaces. Nous n’avons pas d’exemples à apporter à ceux hésitent ou doutent.(14)

Celui qui continue a hésiter, à garder des réserves, à regarder avec scepticisme la passion qui nous anime, ne peut de toute façon rester tel qu’il est, car l’avancée de la crise lui impose de se transformer. Quand la maison brûle il faut sortir, dit Bouddha dans le poème de Brecht.(15)

Si nous ne pouvons apporter la preuve d'un résultat avéré, car personne n’a encore fait ce que nous faisons aujourd’hui, nous apportons cependant animés par la passion de celui qui découvre des terres nouvelles et construit quelque chose de nouveau, la conscience que nous sommes en train de réaliser “le rêve d’une chose” que le monde possède depuis longtemps : l’abolition de la division des êtres humains en classes d’exploités et classes d’exploiteurs.(16)

13. CP, p. 1558 (C13 §1).

14. Bien entendu, à l’appui et comme “démonstration” de notre ligne, nous pouvons apporter, outre l’analyse de la lutte de classe en cours aujourd’hui, l’expérience de la première vague de la révolution prolétarienne : tant des succès obtenus avec la fondation des premiers pays socialistes (à partir de la Révolution d’Octobre et de la création de l’Union soviétique), qui pour quelques décennies jouèrent le rôle de bases rouges de la révolution prolétarienne mondiale, que des échecs que nous avons subis. Nous sommes radicalement contre l’oubli et à fortiori le dénigrement de l’expérience historique de la première vague de la révolution prolétarienne, et en particulier de celle des premiers pays socialistes. Notre position est scientifique : nous usons de l’expérience,  des réussites et des échecs, pour élever à un niveau supérieur la science de la transformation de la société bourgeoise en société communiste, la science par laquelle nous remporterons la victoire. Cette attitude nous distingue nettement de la gauche bourgeoise, y compris de ses représentant-e-s qui se disent communistes (comme par exemple les fondateurs de Ross@ réunis en Assemblée à Bologne le 11 mai 2013) et y compris des adorateurs du “socialisme du XXIe siècle” d’ici ou d’ailleurs, à la Luciano Vasapollo et à la Martha Harnecker, qui insidieusement présentent l’importante lutte en cours au Venezuela et dans d’autres pays d’Amérique latine principalement comme une alternative et une négation du socialisme du XXe siècle, celui de la première vague de la révolution prolétarienne et des premiers pays socialistes [SLP : Il l’est pourtant, mais dans le mauvais sens du terme, c’est-à-dire non pas d’un dépassement positif des limites du ‘socialisme réel’ du siècle dernier, mais d’un rejet des principes socialistes scientifiques les plus élémentaires, au profit d’une social-démocratie redistributive se voulant ‘radicale’ – en paroles en tout cas. Nous publierons bientôt un EXCELLENT texte vénézuélien à ce sujet...]. Que dirait-on, dans quelque domaine de l’activité humaine que ce soit, de personnes qui se disent décidées à poursuivre un objectif mais qui ignorent, occultent voire dénigrent l’expérience de tous ceux et celles qui l’ont poursuivi avant eux, au prétexte qu’ils et elles ne l’ont pas atteint ?

15. “Il y a quelque temps je vis une maison. Elle brûlait. Le toit était léché par les flammes. Je m’approchai et je m’aperçus/ qu’il y avait encore des gens, là-dedans. Depuis le seuil/ je leur criai que le toit était en feu, les appelant à sortir et vite. Mais ils ne paraissaient pas être pressés. L’un d’eux me demanda, tandis que le feu déjà lui brûlait les sourcils/ quel temps faisait-il, s’il pleuvait,/ s’il y avait du vent, s’il y avait une autre maison,/ et ainsi de suite. Sans répondre, je m’en allai de là. De tels gens, pensai-je/ devraient brûler avant qu’ils ne cessent de poser leurs questions”. (B. Brecht, La parabole de Bouddha sur la maison en flamme).

16. “Il sera alors avéré que le monde possède depuis longtemps le rêve d’une chose, et qu’il ne lui manque que d’en posséder la conscience pour la posséder réellement.” (K. Marx, Lettre à Ruge, septembre 1843 - Œuvres complètes, Editori Riuniti 1976, vol. 3 pag. 156).

3. La révolution se construit

Selon le sens commun, la révolution socialiste éclate : c’est donc un évènement limité dans le temps, une insurrection, une révolte, un soulèvement populaire spontané, comme dit précédemment. Cette conception s’est sedimentée dans le sens commun car les révolutions jusqu’à un certain moment de l’histoire se sont toujours manifestées, du côté des masses populaires, comme des insurrections, comme des explosions spontanées dues à la maturation de conditions qui rendaient impossible la perpétuation des conditions existantes. Mais dans le sens commun, au concept de la “révolution qui éclate” fait face le concept opposé, celui de “faire la révolution”. Dans le premier cas, les masses populaires s’insurgent face à une situation devenue intolérable. Leur mouvement est donc un mouvement passif : un mouvement que les masses effectuent mues non pas par une transformation internes à elles-mêmes, mais par des facteurs externes déterminés par l’action des autres classes, comme un corps qui se meut parce qu’impulsé par un autre. Dans le second cas, les masses populaires font (c-à-d. construisent) la révolution: c’est un mouvement actif. L’activité requiert une conscience: idéation, programmation, 220px-Black-Panther-Party-armed-guards-in-street-shotgunsexamen en cours d’œuvre, bilan, détermination ; en somme, implication de nos facultés intellectuels et morales au plus haut niveau, car la révolution signifie découvrir des choses nouvelles et inventer, et parce que la classe adverse utilise tous les moyens, infamies et cruautés pour maintenir son propre pouvoir.

Les deux manières d’entendre la révolution se distinguent comme opposés, car le premier conduit la révolution socialiste à la défaite, tandis que le second la conduit à la victoire. La première manière fonctionne effectivement et depuis des millénaires, dans les sociétés divisées en classes ; mais cesse de fonctionner à un moment donné de l’histoire, précisément lorsque sont mûres les conditions pour l’abolition de la division en classes, c’est-à-dire en Europe au milieu du XIXe siècle. À ce moment-là naît le sujet qui dirige l’abolition des classes : le mouvement communiste conscient et organisé (avec ses Partis, ses syndicats et autres organisations de masse). La publication du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, en 1848, en est “l’acte de naissance”. Le mouvement communiste conscient et organisé commence à faire la révolution, et ne l’emporte, que lorsque plus ou moins consciemment il construit la révolution, et lorsqu’il ne le fait pas, il apprend à ses dépens que la révolution, désormais, n’est plus quelque chose qui éclate.

Le tournant est d’importance historique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un changement social va être pensé par les masses populaires qui le mettent en œuvre, et non déterminé par des causes externes à elles. La conscience (la raison et la volonté) des êtres humains, leur conception du monde, assume un rôle sans précedent. Nous pouvons, et donc devons, réaliser l’antique rêve de construire une société et une civilisation par des méthodes rationnelles, et il appartient à la classe ouvrière de diriger ce processus.(17)

17. Construire la société et une civilisation selon une méthode rationnelle suscite l’horreur dans le camp de la bourgeoisie impérialiste. Selon la conception bourgeoise du monde, c’est une “limitation de la liberté individuelle” : en realité c’est une négation de la liberté de la bourgeoisie. Refuser l’usage d’une méthode rationnelle dans la construction de la révolution socialiste, c-à-d. la position de ceux qui considèrent que cette méthode limite la “spontanéité” des masses populaires et de leur “insurrection qu’on attend”, est un expression de la conception bourgeoise du monde.

Cette conception du monde a parmi ses fondements la conscience que la révolution se développe (se fait) à la manière dont se fait (se promeut et se conduit) une guerre, et aujourd’hui la conscience qu’il s’agit d’une GPR de LD, expérimentée dans les pays opprimés et semi-coloniaux de manière consciente par le Parti communiste chinois. Sur la base de l’expérience de la révolution socialiste en Europe au début du XXe siècle, Gramsci explique que cette stratégie vaut également pour les pays impérialistes, donc également pour l’Italie.

4. La lutte de classe est une guerre

Gramsci décrit la lutte de classe comme une guerre. Il dit que le passage de la guerre de manœuvre (et de l’attaque frontale) à la guerre de position advient aussi dans le domaine politique et critique Trotsky qui, d’une manière ou d’une autre, peut être retenu comme le théoricien politique de l’attaque frontale dans une période où celle-ci mène uniquement à la défaite.(18)

18. CP, pp. 801-802 (C6 §138). Les CP contiennent la critique la plus exhaustive qui ait été faite à ma connaissance de l’acception que Trotsky fait sienne de l’expression “révolution permanente” utilisée par Marx et Engels et de la conception construite par Trotsky à l’enseigne de la “révolution permanente”.  La plus exhaustive dans le sens où la critique est menée non seulement à la lumière des tâches de la révolution socialiste en Russie et de l’Internationale communiste dans les années 1920, mais de toute l’expérience historique du mouvement communiste en Europe et en Russie à partir de sa fondation en 1848.

Par guerre de manœuvre ou de mouvement, Gramsci entend celle qui considère l’attaque comme une opération rapide et conclusive, comme une insurrection populaire dont le Parti communiste prend la tête. C’est une guerre destinée à la défaite face à un ennemi qui de son côté conduit une guerre planifiée, avec tous les instruments politiques et militaires dont il dispose en grande quantité.

À partir du moment, au milieu du XIXe siècle, où sont mûres en Europe les conditions pour l’abolition des classes, la bourgeoisie met en place des instruments politiques et militaires pour empêcher que ceci advienne. Dans les régimes de contre-révolution préventive prévalent les instruments politiques [SLP : c-à-d les instruments d’encadrement pseudo-‘démocratique’ et/ou ‘social’ et, surtout, d’aliénation INTELLECTUELLE, culturelle et morale des masses par l’idéologie dominante du Grand Capital : ce que Gramsci appelle la société civile ; par opposition à la société politico-militaire qui est prosaïquement ‘‘la mitraille pour la canaille’’, l’appareil RÉPRESSIF d’État, les méthodes de gouvernement qui prévalaient encore en 1871 lors de l’écrasement des Communes. L’on peut dire que c’est entre cette répression et le début du 20e siècle (‘Belle Époque’) que s’est mise en place en Hexagone, notamment avec l’école de Jules Ferry et les réformes politiques et sociales de la République, cette société civile. Cette prévalence de la société civile est la marque d’un capitalisme monopoliste ou en tout cas très développé. Le (n)PCI distingue au total cinq piliers de la contre-révolution préventive : aliénation idéologique et culturelle, concessions sociales (récupérées de l'autre main par la "société de consommation"), illusion démocratique avec les élections ("pièges à cons") etc., syndicats et autres structures "jaunes" voire empêcher toute organisation pour ses intérêts (s'organiser serait "d'la meeerde"), et répression ciblée des révolutionnaires - lire le Manifeste traduit p. 33] .(19)

Plus la crise avance et s’effritent les piliers des régimes de contre-révolution préventive, plus la lutte de classe manifeste ouvertement son caractère de guerre de classe (et plus l’inconsistence du mouvementisme devient évidente).(20) Ici, dit Gramsci, l’on passe à la guerre de siège, éreintante, difficile, demandant des qualités exceptionnelles de patience et d’esprit inventif.(21) La guerre de siège, ou guerre de position est la GPR de LD contre la bourgeoisie impérialiste, et le Parti communiste qui la conduit doit avoir patience, fermeté stratégique face aux attaques de l’ennemi et capacité à combattre pour tout le temps nécessaire, et esprit inventif, flexibilité tactique et capacité d’innovation nécessaire pour qui s’aventure en terrain inexploré, comme c’est le cas de la caravane du nouveau PCI.(22)

19. Ce que sont les régimes de contre-révolution préventive est expliqué dans le MP, pp. 46 et suivantes.

20. Mouvementisme : limiter la lutte de classe aux formes d’action conformes au sens commun et aux relations propres à la société bourgeoise, excluant la projectualité et encore plus la conception communiste du monde. En substance, équivaut à du spontanéisme. 

21. CP, p. 802 (C6 §138).

22. Gramsci revient sur l’opposition entre guerre de position et guerre de mouvement ou frontale, c-à-d. entre GPR de LD  et insurrection dont l’éclatement est attendu par les spontanéistes, économistes ou mouvementistes, dans les CP, p. 865 (C7 §16). Ici Lénine est désigné comme celui qui a mené la GPR de LD. Du côté opposé Gramsci place Trotsky, Sorel et Rosa Luxemburg.

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(1) Pour nous, il y a ce que nous appelons l'étape zéro de la Guerre populaire, entendue dans un double sens :

-          La résistance spontanée des masses à l'oppression du Capital (‘‘là où il y a oppression il y a résistance’’, ‘‘on a raison de se révolter’’), atteignant parfois un certain degré d'antagonisme, un degré ‘visible’, mais sans direction ni stratégie visant, pour les masses populaires, à prendre le pouvoir. L'on peut faire, en réalité, remonter le début de cette étape zéro au moment où le prolétariat prend conscience de lui-même et commence à lutter pour ses intérêts propres (en Hexagone, on admet généralement la date de 1848), ou encore au triomphe total de la bourgeoisie capitaliste sur la féodalité (fin 18e-début 19e siècle), ou encore aux débuts du capitalisme lui-même, au Moyen Âge. Mais en réalité, c'est dans tous les cas un conflit diffus, avec ses périodes de grande radicalisation et ses périodes de ‘trêve’, de ‘calme’, de ‘paix sociale’ : les périodes de grande accentuation sont globalement ce que le (n)PCI appelle ‘situation révolutionnaire en développement’, une situation ‘potentiellement révolutionnaire’ comme typiquement le Biennio rosso (1919-21) ou les années 1970 en Italie, ou 1968 et les années suivantes en Hexagone.

-          Les préparatifs du Parti, lorsqu’il existe, visant par l’élaboration et la diffusion pratique de sa conception du monde à constituer une ‘masse critique’ de soutien populaire où il sera ‘‘comme un poisson dans l’eau’’ ; le ‘‘remplissage du bassin’’ en quelque sorte…

19Ce que le (n)PCI appelle ici ‘‘première phase de la Guerre populaire’’, c'est en fait le travail préparatoire du Parti prétendant à la direction révolutionnaire des masses, au sein de l'étape zéro, pour passer à l'étape 1 : la défensive stratégique de la Guerre populaire déclarée, proprement dite. C'est le travail de construction de l'antagonisme et de la ‘rupture ’ sur le terrain de la société civile, et de préparation organisationnelle et opérationnelle sur le terrain politico-militaire. La ‘seconde phase’, c'est la Guerre populaire proprement dite ; une guerre d'intensité variable, peut-être faible au début mais allant en s'intensifiant, qui se caractérise par 1°/ un Parti dirigeant et identifié comme tel par les masses, avec sa Force combattive et son/ses Front(s) révolutionnaire(s) et populaire(s) uni(s) (organisations de masses générées, organisations alliées diverses), 2°/ une conception du monde (idéologie), une STRATÉGIE, un PLAN DE TRAVAIL et de lutte clairement établi (modifiable et rectifiable, mais établi dans son principe) pour la conquête du pouvoir par les classes exploitées. C'est l'affrontement clair entre deux camps, deux armées : la bourgeoisie avec principalement son État, mais aussi éventuellement des forces para-étatiques ; et le prolétariat à la tête des masses populaires, avec le Parti, sa Force de combat et son/ses Fronts. C'est à partir de là qu'il y a un sens à parler de défensive, équilibre et enfin, un jour (oser l'espérer, c'est oser lutter donc oser vaincre...), offensive pour la conquête du pouvoir. 

L'erreur du (n)PCI, selon nous, est de qualifier la phase préparatoire au sein de l'étape zéro de ‘défensive stratégique’, ce qui est la source de ses erreurs ou en tout cas, des malentendus qu’il suscite au sein des FSR (forces subjectives de la révolution). Par exemple, il qualifie pour le Parti lenin1917bolchévik la période qui va de sa fondation (1903) à février 1917 de défensive stratégique, la période de février à octobre d'équilibre et la Révolution d'Octobre puis la Guerre civile jusqu'en 1920 voire 1921 d'offensive. Pour nous, 1903 à février 1917 correspond à une phase de préparation dans l'étape zéro, février à octobre 1917 est une situation de défensive parvenant au début de l'automne au bord de l'équilibre (situation de double pouvoir), équilibre atteint avec la Révolution d'Octobre et ensuite c'est l'offensive (la Guerre civile) jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul pouvoir en Russie, celui des soviets et des bolchéviks : défensive et équilibre sont donc très courts, et l'offensive longue et difficile (ainsi que la préparation). Les différentes phases sont d'amplitude variable (de plus, dans l'exemple précis, les bolchéviks n'avaient pas eux-mêmes conscience du plan qu'ils suivaient), selon les milliers de situations révolutionnaires possibles : en Chine, au contraire, c'est la défensive stratégique qui est très longue, du premier Front uni (1924-27) jusqu'au sortir de la Guerre mondiale (1945-46) où l'on avait atteint l'équilibre, puis vint enfin l'offensive (1946-49). La situation fit que les préparatifs (1921-24) furent très courts et le Parti se lança très vite dans la guerre civile qui ravageait le pays. La période de réorganisation 1927-1930 (après le revers sanglant des massacres de Tchang Kaï-chek à Shanghai et Canton) est également assimilable à une phase préparatoire.  Mais ce qui est certain, c'est que dans des pays ‘avancés’ (à forte société civile), la Guerre populaire ouverte et sa préparation tendront certainement à être l'équivalent du papillon et de la chenille... Dans les pays ‘arriérés’ à société politico-militaire ultra-dominante en revanche, comme la Chine des années 1920 ou le Pérou de 1980, le Parti peut se lancer dans la Guerre populaire ouverte assez rapidement après sa création.

Cela ne veut pas dire que tous les aventurismes sont permis dans le ‘tiers-monde’ (l'exemple tragique de Che Guevara est là pour le démontrer), et cela ne veut pas dire que dans les pays ‘avancés’ il faille ‘attendre’ tranquillement, dans une activité revendicative légaliste, la ‘situation’ permettant de ‘donner l'assaut’ : une situation permettant de passer à la guerre ouverte contre les dominants, cela se construit. Mais cela veut dire qu'il faut savoir être patients et agir conformément à l'analyse concrète de la situation concrète, même si la situation (misère ou appauvrissement des masses, crise, montée de l’État policier et du fascisme, du militarisme etc.) peut donner un poder popularsentiment d'urgence. Y aller en kamikazes comme les CCC, la RAF ou le PC politico-militaire d'Italie, c'est réellement faire perdre aux masses (en prison ou au cimetière) des cadres révolutionnaires de très haute qualité !

Néanmoins, et cela reste pour nous le PRINCIPAL, le (n)PCI a l'insigne mérite de nous INDIQUER (même partiellement) la voie, dans une période où, quelles que soient les chansons que certain-e-s se chantent, le mouvement communiste avance encore à tâtons, encore abasourdi par l'onde de choc de la trahison ou de la faillite des expériences du siècle dernier. Il nous montre la voie en rejetant, d'un côté, le militantisme revendicatif ‘plan-plan’ (social/syndical, démocratique, internationaliste, écologiste, peu importe) qui attend désespérément les ‘conditions’ pour le 'Grand Soir' insurrectionnel ; et de l'autre, les appels aussi exaltés (‘possédés’ pour plagier Dostoïevski) que groupusculaires à l'insurrection ou à la ‘Guerre populaire’ (ce qui, comme incantation, revient au même), dont les sacro-saintes conditions ne sont là non plus jamais réunies, puisque les conditions OBJECTIVES de la révolution prolétarienne sont déjà là depuis plus d'un siècle tandis que les conditions SUBJECTIVES (celles qui manquent !) ne tombent pas du ciel mais SE CONSTRUISENT. Il nous indique la voie en rejetant aussi bien le ‘massisme’ (mouvementisme, spontanéisme), sacralisation de l'initiative des masses ou d'une fraction de celles-ci (la ‘classe ouvrière’), ce qui est par exemple le problème du NPA trotskyste ; que le ‘partidisme’, l'ultra-avant-gardisme pour lequel ‘‘sans le Parti il n'y a rien’’, un Parti omniscient et infaillible qui a toujours raison y compris contre les masses et, lorsque la réalité contredit son dogme, c'est la réalité qui se trompe (typiquement le ‘p’‘c’‘mlm’ ou encore les trotskystes de LO). En rappelant, également, le principe marxiste-léniniste essentiel de fermeté absolue dans la stratégie et souplesse absolue dans la tactique, contre les opportunistes qui rejettent la première (voire n'ont PAS de stratégie, voire ne veulent PAS la révolution, ce qui clôt le débat) et les dogmato-gauchistes (‘massistes’ comme ‘partidistes’) qui rejettent catégoriquement la seconde, rejoignant de fait les ‘incantateurs’ de l'insurrection ou de la Guerre populaire cités plus haut et, devant l'absence des ‘conditions’ pour que les masses ou la ‘classe ouvrière’ (fantasmée) mènent la révolution ‘puriste’ qu’ils appellent de leur vœux, tombent de facto dans le militantisme plan-plan ou ne font carrément RIEN.

Un point reste cependant à éclaircir : lorsque le (n)PCI dit que ce qui a conduit à l'échec de la première vague révolutionnaire mondiale, c'est que les communistes n'ont pas réussi à prendre le pouvoir dans les pays impérialistes. Entendu dans le sens où, en laissant les ‘têtes’ du système impérialiste mondial intactes, celles-ci ont fini par reprendre le dessus (comme une tique ou un ver solitaire), nous sommes d'accord. Si les communistes chinois n'avaient pas réussi à prendre les villes et les avaient laissées au Kuomintang et à l'impérialisme, il est évident que ces derniers auraient fini tôt ou tard par reprendre l'initiative et écraser les campagnes rouges. Ils y ont réussi, car dans les villes il y avait aussi des communistes qui faisaient leur travail. Mais si le (n)PCI entend que la nouvelle vague révolutionnaire mondiale doit PARTIR des pays impérialistes, des pays les plus avancés, que le ‘problème’ de la première vague a été justement de partir de pays arriérés, nous ne sommes pas du tout d'accord. Pour nous, l'universalité de la Guerre populaire est que la révolution (négation du capitalisme par le communisme) se déploie des PÉRIPHÉRIES, là où le IRA quote by ookami no getsueicapitalisme est à la fois le plus violent et le moins fort (et souvent un phénomène récent), vers les CENTRES (là où il est le plus avancé, généralement le plus ancien, et le plus fort). Nous pouvons nous agiter dans tous les sens que nous voudrons, nous pensons qu'il n'y a RIEN À FAIRE : le ‘Tiers-Monde’ (Asie, Afrique, Amérique latine et caraïbe) aura toujours un mouvement révolutionnaire quantitativement et qualitativement plus important que la ‘Triade’ Europe de l'Ouest/Amérique du Nord/Japon (+ Australie et Nouvelle-Zélande) ; et les régions et autres territoires les plus arriérés, ‘sous-développés’, ‘relégués’ d'Europe (péninsule ibérique, Italie du Sud, Balkans et ‘pays de l'Est’, Irlande-Écosse-Galles, Sud occitan, Ouest et bordure Nord de la ‘France’, Borinage wallon, ex-RDA etc., + les grands ghettos urbains) et d'Amérique du Nord (territoires à forte concentration indigène/métis, afro-descendante ou hispanique) auront toujours un mouvement révolutionnaire supérieur aux zones plus avancées, plus ‘développées’. Cela ne veut pas dire que les forces révolutionnaires de ces pays et zones avancés n'aient rien à faire sinon attendre passivement le ‘Messie’ d'une révolution à l'autre bout du monde (ce serait, en l'occurrence, une forme spécifique d'‘attente des conditions’) : au contraire, être aux portes des Centres veut justement dire beaucoup de pain sur la planche révolutionnaire, beaucoup de responsabilités ! Mais il y a un sens historique, objectif de déploiement de la révolution prolétarienne ; un ‘‘sens du vent de l'histoire’’ contre lequel on ne peut rien. Notre tâche est de déterminer dans chacun de nos États impérialistes où sont les périphéries, qui sont en quelque sorte les "failles de la forteresse". Nous y reviendrons dans la note critique n°2, après la deuxième partie de l'article.

 

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26 septembre 2013 4 26 /09 /septembre /2013 13:21

Retrouver l'article en bon état ici : Du païs à la Commune populaire, de la communauté populaire précapitaliste à la société communiste – suite

 

(1ère partie

L'organisation sociale médiévale, en résumé, c'est donc :

olargues castrum2 ll1°/ Une autorité politique féodale (éminente) qui a un rôle essentiellement subsidiaire ; qui n'intervient dans la vie sociale que lorsque l'on fait appel à elle (elle n'a même pas vraiment de percepteurs pour les taxes et redevances, puisqu'elle gère le 'commerce extérieur' du fief et ponctionne à ce moment-là). Le reste du temps, les nobles chassent, ripaillent, font la fête, écrivent des poèmes (troubadours), voyagent (beaucoup !) et font la guerre (leur fonction sociale première) ; les moines et autres hommes d’Église prient Dieu d'épargner au peuple les calamités naturelles ou autres (cela peut sembler ridicule, mais à l'époque c'est ainsi : on n'a pas d'autre 'recours' contre la nature), et compilent le savoir (en recopiant et recopiant à l'infini traités de science ou de jurisprudence et 'annales' historiques, les écrits d'alors ne se conservant que quelques dizaines d'années). Si leurs décisions sont contestables et donc contestées, on fait appel au suzerain (comte, duc), puis au roi ou à l'Empereur (dans l’Empire romain germanique), à l'évêque puis à l'archevêque puis carrément au Pape. Issus de l'administration (toute théorique) des royaumes germaniques (burgondes, wisigoths, mérovingiens, carolingiens), qui a elle-même succédé... à l'administration romaine (depuis le niveau le plus local jusqu'à celui de la grande province), ils assurent certes, politico-militairement et idéologiquement (religion, 'valeurs chevaleresques'), la cohésion de la société. Mais il faut s'enlever de la tête l'idée d'une autorité omniprésente dans la vie quotidienne des masses populaires : cela n'apparaît qu'avec l’État moderne, indissociable du capitalisme qui transforme la collectivité sociale en une somme d'individus, mode de production instable par nature qui doit en permanence être défendu de ceux qu'il exploite et gruge... et de lui-même, de ses propres contradictions, de la concurrence acharnée qui est son essence même. Les 'libéraux' ultra-capitalistes fantasment sur un ’État minimal' qui jouerait un rôle purement subsidiaire ; mais en réalité, si celui-ci est possible dans une féodalité 'qui va bien' (pas en crise), il est totalement impossible dans le capitalisme, qui a au contraire besoin d'une puissance publique maximale (la seule question étant, en réalité, de savoir si cette puissance publique doit faire du social ou se limiter au 'régalien').

2°/ Une communauté sociale et productive (urbaine et villageoise) qui l'essentiel du temps s'administre elle-même, en 'républiques' (avec des 'rangs' en fonction du patrimoine) qui ont leurs conseils, leurs magistrats élus etc. Les bourgeois urbains sont devenus la classe dominante, qui a paysansauchamppris totalement le pouvoir en 1789 ; ce sont donc eux qui ont laissé des 'traces' de cela ; mais il est certain que les villages de campagne ou les vallées de montagne fonctionnaient sur un mode similaire – dans ce dernier cas des exemples ont subsisté jusque très tard (1789), avec par exemple les Escartons des Alpes occitanes ou les 'républiques pyrénéennes', voire jusqu'aujourd'hui puisque la 'principauté' d'Andorre (en fait une république, l'autorité des ‘coprinces’ étant purement symbolique) ou encore les cantons suisses ne sont à l'origine rien d'autre. Ce rôle de la géographie dans le maintien tardif de l'organisation communautaire est évidemment à souligner, puisqu'avec les moyens techniques de l'époque une géographie montagneuse était un sérieux obstacle à l'imposition d'une autorité étatique moderne (n'oublions pas que si les Capétiens y ont finalement réussi, les grands féodaux avant eux avaient également essayé). Une géographie accidentée était également incompatible avec la grande villa romaine, devenue au Moyen-Âge le type de domaine féodal où la condition paysanne était la plus dure, la plus proche de l'esclavage antique (qui est l'étymologie de serf : servus = esclave) ou de l’hilotisme spartiate. Il suffit de regarder une carte de l’État français pour voir dans quelle partie de celui-ci le relief est le plus montagneux... 

Alors, peut-on parler d'ayllu, de communauté populaire 'communiste' en Europe médiévale ? Cela dépend, à vrai dire, du lieu et de l'époque.

C'est sans doute beaucoup plus vrai au Haut Moyen-Âge (avant l'An Mille) qu'ensuite, lorsque la féodalité entre dans sa première crise générale (12e-15e siècles), et a fortiori dans la féodalité 'en survie artificielle' de l'époque absolutiste (après 1500).

escartouLe paysan occitan est souvent plus libre (alleu, tenure libre ou servage réel) : à la veille de la Conquista, vraisemblablement près de la moitié des paysans sont ainsi alleutiers ; surtout dans les régions montagneuses plus difficiles d'accès où même prélever l'impôt relève pour l'autorité féodale de la gageure, au point que parfois elle y renonce en échange d'un tribut annuel symbolique (comme celui que versait, encore récemment, la principauté d'Andorre à la République française et à l'évêque d'Urgell, mais on trouvait aussi le cas dans d'autres vallées pyrénéennes et dans les Escartons alpins). Là, l’économie de type pastorale et forestière présente évidemment des caractéristiques collectivistes marquées, et les populations vivent en complète république villageoise. La majorité des autres est en tenure plutôt libre et même le servage est considérablement adouci par le droit écrit, hérité de Rome et des Wisigoths, qui limite l'arbitraire seigneurial [dès l'époque wisigothique (Bréviaire d'Alaric), le servus dispose librement quoi qu'il arrive de la moitié de ses biens]. "Paradoxalement", 6 siècles plus tard, au lendemain de la "Révolution", les départements occitans seront ceux qui compteront la plus forte proportion de métayers, statut paysan le plus défavorable : cherchez l'erreur ! "Que diable" a-t-il donc bien pu se passer... Mais quoi qu'il en soit, l'individualisation de la parcelle et de la production est donc, dès l'époque des comtes de Toulouse, bien prononcée dans les plaines de tenure.

De l'autre côté de la barrière de classe, ces conditions ainsi qu'un système d'héritage complexe affaiblissent considérablement l'aristocratie... qui est aussi l'institution militaire : c'est la cause du grand développement de l'économie marchande et de la civilisation urbaine dès avant l'An 1000, mais aussi sans doute l'une des causes de la défaite du 13e siècle face à des chevaliers francs féroces et déterminés, appuyés sur une masse de paysans quasi-esclaves.

Car au Nord de la Loire, en 'vraie France' (Bassin parisien), on l'a dit, le grand domaine féodal tend beaucoup plus vers la villa romaine esclavagiste (servage personnel, 'dur').

Dans tous les cas, la communauté villageoise médiévale est sans doute plus 'solidaire' que réellement collectiviste ; la propriété familiale (d’abord lopin de subsistance, puis s’étendant avec la tenure) y cohabite, à des degrés divers selon les régions, avec la propriété collective (pâturages, forêts etc.) et avec la propriété directe du seigneur (réserve), que l'on cultive dans des conditions qui peuvent être quasiment ‘asiatiques’ tributaires comme, au contraire, de servage 'dur', semi-esclavagiste (à la fin de l’Ancien Régime, la réserve directe du châtelain – ni affermée ni en métayage – sera surtout cultivée par des journaliers, des ouvriers agricoles au salaire de misère : au moins les choses étaient devenues claires)... Tout dépend !

Les villes, quant à elles, sont des républiques BOURGEOISES, à tendances oligarchiques, avec de fortes hiérarchies de fortunes et de privilèges, des 'grandes familles' etc. : pas l'ombre d'un collectivisme ici (d'ailleurs, si un mouvement politique met en avant cette organisation sociale corporatiste, ce sont les fascistes, pas les communistes !). La conquête capétienne s'appuiera rue_marchande.jpgd'ailleurs largement sur ces contradictions internes entre rangs sociaux, sur les rivalités entre grandes familles patriciennes urbaines etc. pour asseoir son autorité (on se vend à la monarchie pour devenir 'calife à la place du calife', pour prendre sa revanche ou éliminer ses rivaux etc.). 

Ce qu'il faut, selon nous, retenir de l'organisation sociale/politique médiévale, c'est plutôt son idée de subsidiarité, de la communauté politique locale vers l’autorité supérieure et encore supérieure, qu'un véritable mode de vie 'communiste' des communautés.

La communauté du pagus, qui a la propriété utile (concrète) des moyens de production (la terre, les semences, les troupeaux, les outils) répartie de manière variable entre le collectif et les familles individualisées, organise son travail de manière, une fois versé au seigneur (baron, abbaye, grand patricien vivant en ville) ce qui lui est ‘dû’, à garder le plus possible pour elle. Rien n’empêche le seigneur, sur sa réserve directe, de faire travailler ses serfs personnels (c’est la personne qui est servile, pas la terre qu’il travaille) comme des esclaves, avec des contremaîtres etc., mais cette organisation du travail a déjà montré ses limites sous l’Empire romain, et l’a conduit à la décadence. On ‘sait’ donc, en principe, que plus la communauté est librement organisée plus elle est productive ; et globalement, le servage personnel a pratiquement disparu à la veille de la Guerre de Cent Ans en 'vraie France', et bien avant la Conquista en Occitanie. Parfois, la communauté villageoise ‘fait sa vie’ pendant la plus grande partie de l'année, et ‘doit’ un certain nombre de jours de travail à la réserve seigneuriale (plus les redevances pour utiliser les équipements banaux : moulin, four, pressoir etc.) : les systèmes varient et abondent, il n’y a pas de ‘modèle’ établi. Et lorsque, dans la vie interne du village, un problème ne peut pas être résolu par l’application collective de la coutume, le seigneur intervient en juge de paix.

victorian UKDans le capitalisme, en revanche, l’individu possède sa force de travail (il n’y a plus aucune ambigüité là-dessus)… mais ne possède généralement QUE celle-ci. Il ne possède strictement plus rien des moyens de production (à la campagne, de plus en plus de tenures tendent vers cela, le seigneur devenant propriétaire terrien au sens moderne, le paysan locataire et la part laissée au paysan revenant à un salaire, cela jusqu’à la quasi-disparition de la paysannerie en Europe au 20e siècle), et, pour remplir les objectifs de valorisation du capital investi par l’employeur (la fameuse ‘compétitivité’ que l’on nous sert à toutes les sauces), il n’a AUCUNE PRISE sur l’organisation du travail, confiée à des ‘superviseurs’, des chefs d’ateliers et ingénieurs en tout genre.

[Lire : http://partage-le.com/2018/10/linvention-du-capitalisme-comment-des-paysans-autosuffisants-ont-ete-changes-en-esclaves-salaries-pour-lindustrie-par-yasha-levine]

L’organisation sociale politique prend alors la forme de l’organisation sociale productive : la société comme l’atelier est une somme d’individus vendeurs de force de travail en concurrence, ou acheteurs/exploiteurs de force de travail également en concurrence ; en conséquence, pour défendre le capitalisme contre ses exploités comme contre lui-même (les coups bas que chaque capitaliste est susceptible de faire aux autres), l’État à son service doit devenir tout-puissant, s’immiscer au plus profond de la vie productive et sociale en général, au service des deux préoccupations essentielles que sont l’ordre (la ‘stabilité’) et la productivité (valorisation du capital). Dès ses débuts le capitalisme a été confronté à cette double menace qui, si elle n’avait pas les outils idéologiques pour instaurer un nouveau mode de production (socialiste), pouvait en tout cas amener la destruction de toutes les classes en présence (le retour ‘à la case départ’, à l’An Mille justement !).

leviathanL’État devient le Léviathan de Hobbes : une fois qu’il est investi du Pouvoir par ‘la société’ (en réalité la/les classe(s) dominante(s) exploitant la force de travail ; il est peu probable que Hobbes envisage une autre ‘société’ que celle-là !), il l’exerce en majesté, sans entraves, du haut vers le bas, sans aucune place pour l’auto-organisation, pour le génie des masses. L’État français, qui s’incarnait hier dans le Roi-lieutenant-de-Dieu-sur-terre et aujourd’hui dans la ‘République’ avec sa statue de Marianne, est profondément et culturellement hobbesien. Certains États, anglo-saxons ou d’Europe du Nord, tentent de tempérer cela avec du ‘contrat social’ entre société (classe dominante) et État, une plus grande nécessité pour celui-ci de rendre des comptes, une plus grande marge laissée à la ‘puissance privée’ (le patron capitaliste) et à la gouvernance ‘horizontale’ de celle-ci, à la ‘main invisible’, ce qui n’est en définitive que de la treue germanique : appelons cela système lockien-smithien, mais dans le fond cela revient au même (ce libéralisme s’est implanté en France avec les philosophes du 18e siècle, mais il est toujours resté superficiel et dans les pays anglo-saxons et nordiques la réalité finit toujours par revenir au galop, tandis que les nouvelles puissances capitalistes russe ou asiatiques sont 300% hobbesiennes). Cela dit, on en a encore vu un exemple récemment au sujet de l’intervention en Syrie, puisque l’anglais David Cameron a dû reculer devant un vote défavorable du Parlement alors qu’en France absolument aucun aval parlementaire n’est nécessaire pour décider d’une telle intervention militaire.

À ce Léviathan, Hobbes opposait (dans une œuvre moins connue) une autre créature biblique : Béhémoth, synonyme de dissolution de l’État tout-puissant que Hobbes glorifie ; de tout, en fait, ce que redoutait le possédant de l’époque (après les terribles guerres civiles anglaises)… comme d’aujourd’hui : ingouvernabilité, ‘anarchie’ (= pouvoir auto-organisé des masses), révolte et guerre civile (= révolution !) ; en un mot, désordre sous le ciel ! Il est facile de voir combien toute la pensée politique bourgeoise d’aujourd’hui découle de cela (Hobbes est souvent présenté comme un théoricien de l’absolutisme, ce qui n’est pas faux, mais c’en est un théoricien bourgeois, pour qui le pouvoir souverain découle d'un ‘contrat’ – d’une délégation par la classe dominante – et non d’une onction divine surnaturelle) ; et combien il est grand temps de libérer le Béhémoth de la révolution contre le Léviathan de l’État moderne, devenu État contemporain du Capital pour le Capital !

1 8f6foLe prolétariat qui peuple aujourd’hui nòstra Occitània et tout l’État français n’est pas tombé du ciel avec l’apparition de la grande industrie, à partir du 17e siècle et aux suivants. C’est tout simplement la paysannerie arrachée à sa communauté villageoise (par l’individualisation de la propriété utile et sa ‘sélection naturelle’, l’appropriation aristocratique ou… bourgeoise rurale – ‘notable’ – de la ‘terre du commun’, la pression croissante des taxes et redevances etc. etc.) qui a été transvasée dans les villes et les grands bassins industriels, puis rejointe par des travailleurs immigrés d’abord européens, puis extra-européens, eux aussi généralement arrachés à une communauté villageoise traditionnelle. D’ailleurs, longtemps, si le prolétaire allemand ou des Îles Britanniques était réellement arraché à la terre, dans l’État français on a pu être ouvrier et paysan (c’était l’une de ses spécificités) : soit que l’on allait chercher du travail à la ville pendant les ‘périodes creuses’ de l’activité agricole, ou tout simplement à l’usine locale (elles étaient très nombreuses dans les campagnes encore au début du 20e siècle) ; soit que l’on y envoyait ses ‘jeunes’ lorsque l’on avait pas trop besoin d’eux, en attendant qu’ils puissent reprendre la terre familiale (ceux ‘en trop’ devenant ouvriers définitivement) ; soit que même sans exploitation agricole proprement dite, la famille ouvrière ‘provinciale’ avait gardé un lopin de subsistance, ce que l’on retrouvait d’ailleurs même au cœur des grandes villes, avec les jardins ouvriers : autant dire que les patrons n’avaient pas la vie si facile, car en cas de mécontentement et de grève, il y avait les moyens de tenir longtemps sans salaire !

article_0609-PAR02-GREVE.jpgCe n’est qu’avec les ‘Trente Glorieuses’ 1945-75 que le capitalisme a réussi à enfermer la grande majorité des masses populaires dans un métro-boulot-dodo citadin, ou même à la campagne qui est devenue de plus en plus souvent un ‘dortoir’ des grandes villes, ou carrément le lieu d’implantation de zones d’activité (bénéficiant de taxes légères) employant des travailleurs qui ne sont plus guère capables de faire pousser un chou. Le travailleur, seul face à la vie, n’a strictement plus aucune autre ressource que son salaire, tout en étant étranglé de charges et crédits en tout genre ; ce qui a évidemment rendu très difficile de mener de grandes luttes sociales comme il y a encore 50 ou 60 ans – et des ‘social’-fascistes, comme on pouvait s’y attendre, mettront évidemment cela sur la compte de l’’immigration’ qui aurait ‘brisé l’unité de la classe ouvrière’, alors que les derniers à faire encore un peu grève sont justement ces prolétaires d’origine ‘immigrée’, qui ont gardé des solidarités communautaires que le ‘Français moyen’ n’a plus. Pour beaucoup, que ce soit pour s’en réjouir ou pour le déplorer sur un ton aigri, c’est ‘la fin de la lutte des classes’, ce qu’évidemment nous contesterons, car 1°/ il y a selon nous d’autres terrains de lutte que l’entreprise : le capitalisme est partout, fait des profits partout et s’affronte partout, 2°/ il y a d’autres moyens de faire grève que ‘dans les règles’ (cesser le travail en se déclarant gréviste et ne plus être payé) : faire mal son travail par exemple, ou multiplier les arrêts-maladie pour ‘souffrance psychique au travail’, faire la ‘grève du zèle’, saboter la production ou voler de la marchandise (dans le commerce) etc. etc., toutes choses qui frappent le capitaliste dans son taux de profit – d’ailleurs ces phénomènes (absentéisme, ‘démotivation’ etc.) inquiètent aujourd’hui beaucoup plus le patronat que les grèves proprement dites, y compris les conflits ‘durs’ en cas de ‘plan social’ ou délocalisation, vus comme des ‘formalités’ incontournables.

30910.jpgPour autant, cette organisation sociale ‘solidaire’ continue à vivre largement dans les aspirations des masses qui, quelle que soit la faible conscience qu’elles en ont, ont soif de communisme. Un sentiment guère mieux résumé que par le slogan occitan des années 1970 : "Volem viure e trablhar al païs" ("Nous voulons vivre et travailler au pays"), véritable cri de guerre contre le déracinement, contre un capitalisme en phase terminale broyant la vie sociale, la communauté populaire ouvrière et paysanne, pour jeter les individus vers ses grands Centres économiques, armée impersonnelle de petites forces de travail isolées sur le grand ‘marché’ du métro-boulot-dodo. Au point que les fascistes, dans leur stratégie contre-révolutionnaire, tentent de s’en emparer, mettant en avant la ‘patrie charnelle’ locale comme les Identitaires (et de plus en plus de groupes à la droite du FN) ou encore un ‘solidarisme’ racial-corporatiste comme Troisième Voie, concepts opposés bien sûr à un ‘mondialisme’ unissant sous un même terme l’extension mondiale du capitalisme et l’internationalisme prolétarien – pour nous bien sûr, au contraire, la Commune populaire locale n’est conçue que comme un marchepied vers la Commune universelle. Cela ne veut nullement dire, comme l’affirmeraient des ‘marxistes’ à la petite semaine, qu’il faut rejeter cet attachement ‘nostalgique’ (‘anti-moderne’ patati patata) des classes populaires ; mais bien au contraire, cela ne fait que prouver sa réalité, son importance et son potentiel de mobilisation, dont les communistes doivent savoir s’emparer pour le porter à un niveau supérieur : vers une conscience socialiste de masse.

Étudier cette communauté sociale précapitaliste, que l’émergence et le développement accéléré du capitalisme (et la transformation de la propriété féodale qu’il a induite) a broyé et balayé, est donc d’une grande importance pour notre lutte révolutionnaire de classe et de libération populaire dans chacun de nos Peuples de ‘France’ ; elle peut et doit inspirer notre conception de la société future, avec sa solidarité, sa culture du bien et de l’intérêt collectif, et surtout sa subsidiarité des échelons politiques du bas vers le haut, contre la verticalité du haut vers le bas de l’État centraliste bourgeois.  Dazhai-1970 thumb5La Guerre populaire, négation du capitalisme par le communisme se déployant des zones périphérisées, où le capitalisme a concentré misère, exploitation et relégation, vers les Centres du pouvoir, amènera la Commune populaire qui ne sera, finalement, rien d’autre que cette communauté populaire précapitaliste ‘traditionnelle’ à un niveau supérieur.

À une nuance près toutefois : à la différence de la plupart des pays européens, où a subsisté très longtemps (parfois jusqu’au 20e siècle) la dichotomie/contradiction entre une communauté villageoise ‘solidaire’ et une propriété féodale qui, devenant soit capitaliste agraire soit courtisane parasite et criblée de dette, accentuait sur la première une pression quasi-esclavagiste et la jetait vers les villes et l’industrie ; dans l’État français, les exigences de la vie de Cour (autour du roi à Versailles ou autour de ses fondés de pouvoir en ‘province’) et la course aux offices (charges administratives ou militaires que l’on achetait au roi) ont poussé l’aristocratie (et la très nombreuse bourgeoisie anoblie !) à développer la tenure libre contre redevance, l’affermage etc. etc. pour s'assurer des revenus conformes à leurs besoins (le noble, en principe, ne pouvant vivre que des rentes foncières de ses terres et pas de vil négoce, même si en pratique beaucoup 'dérogent') ; en un mot l’individualisation familiale de la propriété de la terre, tendance déjà bien en place depuis les 12e-13e  siècles (notamment en Occitanie), finalement ratifiée par la Nuit du 4 Août 1789. De là l’importance, soulignée par Marx dans ses écrits sur les révolutions et contre-révolutions de 1848-51, de la petite propriété paysanne dans l’État français : encore en 1930, 60% des terres agricoles étaient exploitées par leurs propriétaires, environ un tiers en fermage (bail rural à perpétuité et à loyer fixe, où le fermier se sent quasi-propriétaire), et seulement un peu plus de 5% en métayage (le bail ‘féodal’ par excellence, où le loyer est un pourcentage du produit). C’est en réalité l’exode rural d’après la Seconde Guerre mondiale (les ‘Trente Glorieuses’) qui a peu à peu fait ‘exploser’ la proportion du fermage, jusqu’à représenter près des deux tiers aujourd’hui (tandis que le métayage disparaissait). Et de là l’origine, dans une société encore à majorité rurale à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avec ses industries rurales où l’on était à la fois ouvrier et paysan, etc. etc. (configuration unique en Europe), de l’idéologie républicaine, à la fois hostile aux ‘gros’ (grands propriétaires terriens et, par extension, de ico-commune-1moyens de production, 'privilégiés') et attachée à la propriété individuelle, hostile à l’égalitarisme et au collectivisme ‘partageux’. S’il est faux et injuste de caricaturer, comme l’ont beaucoup fait les marxistes, la ‘ruralité’ comme un ramassis de Versaillais réactionnaires (ce que dément une grande quantité de faits entre 1789 et nos jours), il est néanmoins vrai que les révolutions populaires, sociales et égalitaristes de 1848 et 1870-71 ont pu être écrasées en s’appuyant sur une frange de la paysannerie moins ‘catholique et royale’, à vrai dire, que bonapartiste et/ou partisane d’une république bourgeoise ‘modérée’ (à la Thiers ou Cavaignac), défenseuse de l’ordre et de la propriété, 'modèle' qui triomphera finalement dans les années 1870. On peut aussi y voir la source des épopées militaires napoléoniennes, ou encore du colossal effort de guerre consenti en 1914-18 et même (bien que non-victorieux) en 1870-71 : les soldats ‘français’, très majoritairement paysans (les ouvriers étaient généralement réformés pour leur mauvaise santé), ne se battaient pas seulement pour ‘la France’ comme une abstraction patriotique chauvine, mais pour une terre sur laquelle se situait la leur ; alors que les armées d’en face étaient, sous Napoléon, des serfs enrôlés de force et, en 1914-18, majoritairement des ouvriers industriels et des journaliers agricoles qui finiront par s’insurger et conduire l’Empire allemand à l’armistice. Au fil des exodes ruraux, cette conception idéologique s’est ‘transvasée’ dans les villes et les bassins industriels, contaminant même durablement le mouvement socialiste et communiste du 20e siècle, pour lequel la ‘République’ était finalement une ‘rupture’ avec le capitalisme en soi, et briser le pouvoir néfaste des ‘200 familles’ suffirait à mettre ‘tranquillement’ le pays sur la voie du socialisme – aujourd’hui, les ‘200 familles’ ont été remplacées par l’‘aristocratie de la finance’ (à laquelle se résumerait le ‘problème capitaliste’), dans le discours d’un Mélenchon par exemple. À vrai dire, à l’exception de peut-être 1% de royalistes (dont certains au demeurant ne se définissent pas comme d’extrême-droite, mais de ‘centre-droit’ voire de ‘centre-gauche’) et des quelques % de révolutionnaires prolétariens conséquents, cette idéologie ‘républicaine’ couvre aujourd’hui l’intégralité du champ politique bourgeois, de l’extrême-droite fasciste (FN et même à la droite de celui-ci) jusqu'à la ‘gauche de la gauche’ mélenchoniste.

Le prolétariat d’un pays (abstraction faite de l’immigration et quelque part, en ‘France’, heureusement qu’il y a les immigrés !) n’étant en fin de compte rien d’autre que sa paysannerie pré-industrielle jetée vers l’industrie (puis de l’industrie vers l’économie ‘tertiaire’ aujourd’hui dominante), cette longue (de la fin du Moyen-Âge au milieu du 20e siècle !) histoire de la petite propriété rurale est un paramètre que nous devons évidemment prendre en compte, et sur les implications culturelles/idéologiques duquel nous devons être vigilants.

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Petit lexique pour s’y retrouver : 

Dans la Haute-Antiquité (et bien au-delà selon les régions), au sortir de la communauté primitive, lorsque la production devient nettement supérieure au nécessaire pour la reproduction des conditions d’existence (‘survie’), il y a deux grands types d’organisation sociale (que l’on trouvait encore dans les Amériques à l’arrivée des Européens) :

-       Dans les zones ‘fertiles’ et massivement sédentaires ; ASIATISME [1] : une ‘caste’ (autochtone par fonction sociale ‘détachée’ de la production, ou issue d’envahisseurs) ‘coiffe’ un ensemble de communautés de producteurs demeurant collectivistes, qui lui versent régulièrement une partie de la production (‘tribut’), en échange de quoi la ‘caste’ se porte garante de la paix sociale, assure les grands travaux (routes, irrigation etc.), développe la science et les techniques, joue les ‘intermédiaires’ avec les ‘dieux’ (les forces de la nature, auxquelles l’humanité est encore totalement soumise). Les castes dominantes égyptienne, inca ou maya sont vraisemblablement autochtones, en revanche les Grecs (Achéens/Mycéniens puis Doriens) et les Aztèques sont des envahisseurs, en Crète (Minoens) les historiens en discutent encore.

-       Dans les zones ‘rudes’ au mode de vie nomade ou semi-nomade ; organisation GENTILICE : la communauté est divisée en gentes ou clans familiaux qui tendent à se hiérarchiser en ‘pyramide’ avec un clan dominant ; néanmoins la propriété des moyens de production (terres cultivables, troupeaux) reste propriété collective, au moins de chaque clan (qui compte des dizaines voire centaines de personnes). 

Lorsque ces formes sociales et productives entrent en crise générale (à la fin du 2e millénaire avant l’ère chrétienne), l’asiatisme évolue vers l’HILOTISME (terme employé en Grèce, en particulier à Sparte, mais valable pour l’Égypte tardive, la Perse, la Chine ou l’Inde, de grandes parties de l’Europe etc.) : la condition des communautés productives se ‘durcit’ pour se rapprocher de l’esclavage, leur humanité est niée etc. Les peuplades gentilices (comme les Indo-Européens) se lancent quant à elles à l’assaut des zones fertiles, et se substituent à leur caste dominante en important leur système ‘pyramidal’.

L’ESCLAVAGISME proprement dit, c’est lorsqu’au terme de cette crise générale (entre les 8e et 5e siècles avant J-C. en Europe-Méditerranée) la propriété des moyens de production (surtout la terre) et des producteurs s’individualise : elle n’est plus (même si cela persiste, jusque sous l’Empire romain) collectivement  celle de la Cité ou de l’État, mais celle de propriétaires particuliers, sur leurs propriétés (latifundia, villa etc.). L'évolution se traduit aussi au niveau de l'organisation de la production : ainsi, par exemple, les 'équipes' d'esclaves au travail ont un régisseur, un contremaître qui surveille et diligente la production ; ce que les hilotes n'avaient pas : ils s'organisaient à leur guise pour produire, du moment qu'ils pouvaient verser à la Cité la (lourde) contribution demandée, et garder suffisamment pour survivre. La main d’œuvre esclave provient soit des guerres (prisonniers), soit de producteurs misérables tombés en prolétariat (origine du terme, à Rome), s’endettant auprès des riches et finissant par se vendre à eux. Dans ce système, donc, non seulement les moyens de production mais également la force de travail (les travailleurs) sont la propriété privée du maître qui les exploite. D’abord principalement agricole et extractif (mines), l’esclavage englobe petit à petit (Grèce classique et surtout Empire romain) toutes les activités productives (artisanat, manufacture etc.) ; le petit peuple (plèbe) libre étant réduit à l’oisiveté. Sur cette base productive commence à se développer un premier capitalisme, où l’on fait produire mais aussi achète de la marchandise pour la vendre ou revendre avec un bénéfice – la monnaie fait alors son apparition, car une telle opération nécessite une mesure claire et précise de la valeur.

Mais cette main d’œuvre esclave s’avère à terme peu productive et d’une productivité limitée dans le temps, ce qui oblige à la renouveler en permanence (par des guerres) dès lors que l’économie en dépend totalement : c’est la principale cause de l’effondrement de ce système (hypertrophie militaire et tout ce qui en découle).

Lorsque des peuples gentilices (Germains et Arabes) se lancent à nouveau à l’assaut des Empires romain, byzantin et perse, et que triomphent le christianisme et l’islam qui sont des réactions intellectuelles à la cruauté de ce système, on entre alors dans la FÉODALITÉ. L’on comprend alors qu’une relative ‘liberté’ et dignité humaine du producteur sont des facteurs de productivité ; et de toute manière, généralement, cette ‘liberté’ le producteur la prend à la faveur de la confusion générale et des grandes contradictions (entre chefs ‘barbares’, entre Église et ‘barbares’ etc.). En (futures) Occitanie et Arpitanie, les Wisigoths et les Burgondes sont réputés avoir passé de véritables alliances de classe avec les esclaves agraires et la petite plèbe contre les potentats gallo-romains ; tout ceci finissant gravé dans le marbre juridique du Bréviaire d'Alaric (506) et de la Loi Gombette (501-502). L’organisation gentilice des envahisseurs (mais aussi l’héritage clientéliste du substrat romain, peuple également gentilice et ‘pyramidal’ à l’origine ne l’oublions pas !) donne à la classe dominante féodale une organisation ‘pyramidale’ de relations complexes vassal-suzerain, où la soumission du subordonné au supérieur n’a rien d’une évidence ; tandis que pendant un temps (5e-10e siècles) les villes périclitent (au nord des Pyrénées et des Alpes en tout cas), puisque s’effondrent tant l’autorité politique romaine que le proto-capitalisme esclavagiste qui fondaient leur existence.

Au niveau des producteurs, le SERVAGE (qui vient à l’origine du terme romain – servus – pour ‘esclave’) recouvre en fait des réalités très diverses, avec pour caractéristique comme qu’un territoire donné (le domaine) et sa population sont la propriété éminente d’un seigneur (noble ou religieux), mais que les producteurs sont censés avoir une propriété utile sur la terre et autres moyens de production. Le servage personnel, sur les anciens grands domaines (villae) romains devenus réserves seigneuriales, est au début du Moyen-Âge un esclavage ou un hilotisme amélioré : la terre et le paysan qui la travaille sont propriétés du seigneur. Le servage réel signifie que c’est la terre qui est servile, soumise à la propriété du seigneur et à tout un ensemble de droits et redevances, mais que le paysan et sa famille ne sont pas vraiment sa propriété, qu’ils sont libres d’aller et venir etc. Il y a aussi des terres libres ou semi-libres (tenure, alleu etc.) où le paysan n’est tenu qu’à des redevances symboliques, aux taxes communes à tout le domaine (péages, usages des équipements banaux – four, moulin, pressoir etc., denier de l’Église) et à certaines corvées. De manière générale, le grand distinguo avec l’asiatisme ou sa forme ‘dure’ hilotiste, c’est qu’au sein de la communauté productive la propriété est beaucoup plus (et de manière croissante) individualisée par famille, même si des terres du commun se maintiennent longtemps (parfois jusqu’au 18e voire 19e siècle) aux côtés des lopins familiaux et de la réserve directe du seigneur. En résumé, la féodalité consiste fondamentalement en la coexistence/contradiction, sur les moyens de production (surtout la terre) et la force de travail, d’une propriété éminente féodale et d’une propriété utile du producteur dans des rapports diversement en faveur de l’une ou de l’autre. La propriété féodale est personnelle (le fief appartient en propre au seigneur et à sa famille, qui a des suzerains mais cela n’est pas réellement un ‘titre de propriété’, ceux-ci ayant aussi leur domaine propre) ; la propriété utile des producteurs voit cohabiter et s’articuler propriété individuelle familiale (qui se développe au fil des siècles) et propriété collective (terre du commun, qui recule). Il est néanmoins possible de parler d’asiatisme à un niveau supérieur, dans le sens où l’on retrouve le même caractère tributaire de la communauté productive (taxes, redevances, corvées) vis-à-vis de la noblesse et du clergé, au service et en ‘échange’ de fonctions sociales assez similaires : protection militaire et judiciaire, ‘intercession’ avec le divin, organisation des grands travaux d’infrastructure, ‘temps libre’ pour se consacrer à la science, au progrès technique, à l’art etc. (cela surtout dans les pays musulmans, peu en Europe avant l’An Mille).

Dans les villes en revanche, l’esclavage artisanal/manufacturier a presque totalement disparu (après le 10e siècle en tout cas, sauf dans les ‘zones de contact’ chrétienté/islam puisqu’il est permis – de part et d’autre – de mettre les ‘infidèles’ en esclavage) : l’on revient à la plèbe romaine libre à un niveau supérieur, de manière très hiérarchisée et petit à petit organisée en corporations de métiers. C’est dans ce cadre qu’émerge à nouveau, sur une main d’œuvre ‘libre’ donc plus productive, le CAPITALISME. La grande accumulation de richesse et de ‘capital’ technique et scientifique par ce système permet aux villes, assez rapidement (entre le 11e et le 14e siècle), de s’émanciper quasi totalement de la propriété éminente seigneuriale (‘l’air de la ville rend libre’) ; mais il renforce également (à un niveau bien supérieur à l’Empire romain) la contradiction entre celles-ci et les campagnes (de plus en plus réservoirs de main d’œuvre). La bourgeoisie de Paris et des alentours s’allie avec la monarchie capétienne (dont l’autorité, en l’An 1000, était devenue toute symbolique) pour devenir la bourgeoisie dominante du Royaume de France (État français moderne) qui se forme progressivement ; puis elle s’en débarrasse à la fin du 18e siècle. Dans le capitalisme, la séparation passe entre les moyens de production, qui sont propriété d’un employeur (ou d’un propriétaire terrien, dans le capitalisme agricole), et la force de travail, propriété exclusive du travailleur, mais sa seule propriété : il ne peut donc pas (sans moyens, outils etc.) produire, et doit alors en quelque sorte ‘louer’ ses bras à celui qui les détient, mais aux conditions de ce dernier, car posséder sa force de travail pèse peu de chose face à la propriété des moyens de production, et (qui n’a jamais entendu cela de son patron ?) face aux ‘milliers prêts à prendre votre place’ en cas d’exigences excessives (la concurrence dans la location quotidienne de sa force de travail)… Nous avons donc ce que les marxistes ont pu souvent appeler un esclavage salarié ; et une organisation sociale, étatique et impériale rappelant l’Empire romain, à un niveau supérieur (avec tout le progrès technologique et scientifique depuis, et une plus grande productivité de la main d’œuvre juridiquement ‘libre’). Dans les plantations coloniales d’outre-mer (qui apparaissent au 16e siècle), le capitalisme en accumulation primitive, partant de la conception chrétienne qu’il est possible de mettre les ‘païens’ en esclavage, rétablira même l’esclavage de masse (comme main d’œuvre quasi-exclusive) pour les Africain-e-s, ce continent étant vu comme un réservoir inépuisable de paires de bras. Dès le départ des voix en souligneront la cruauté et (surtout) la faible productivité, mais celle-ci (par rapport à l’Antiquité romaine) était compensée par les nouveaux moyens techniques modernes, et l'esclavage des Africain-e-s ne sera finalement aboli qu’au 19e siècle (généralement au profit d’un métayage très dur). Pour ‘suivre le mouvement’, les États musulmans développeront eux aussi la traite à travers le Sahara (mais l’esclavage comme rapport de production gardera quand même un caractère ‘d’appoint’) ; tandis que l’Europe de l’Est mettra ses communautés paysannes (mir) dans un servage très dur (comparable au servage personnel de l’Hexagone médiéval).

[À lire aussi, très intéressant pour compléter et aider à la compréhension de tout cela : Samir-Amin-développement-inégal-question-nationale]

En ‘droit’ féodal médiéval ;

-         Le fief est le territoire où s’exerce l’autorité politique d’un seigneur (aristocrate ou ecclésiastique) et, sous des formes variables, sa propriété économique dite éminente : lorsque les Mérovingiens puis les Carolingiens tentent de maintenir ou restaurer l’État romain, le seigneur (duc, comte, marquis, baron, bailli, sénéchal etc. etc. et leurs équivalents religieux abbé, évêque, archevêque etc.) est en principe un administrateur, équivalent d’un préfet, préfet de région ou sous-préfet ; mais comme la monnaie est devenue extrêmement rare, il ne peut être rémunéré qu’en ayant un pouvoir économique sur son territoire. C'est l'origine du fief et du système féodal européen. Mais par la suite, ces tentatives de restaurer l'État romain échouant, le seigneur s'affranchit de l'autorité qui lui a confié ce domaine, il le rend (dans le cas de l'aristocratie guerrière) héréditaire de plein droit (transmissible à ses enfants sans confirmation du souverain), et il en devient le ‘petit roi’, ne devant guère de comptes à son supérieur (suzerain), et en même temps le propriétaire éminent de la terre, des habitants et de tout ce qui s'y trouve, selon des formes diverses : sur certaines terres il est le propriétaire direct et fait travailler sous ses ordres des serfs personnels quasi-esclaves (voir ci-dessous), sur d'autres les cultivateurs ne lui doivent qu'une partie de la production (redevances) et/ou des journées de travail (corvée), etc. Sur certaines terres, cependant, son autorité est purement politique et on ne lui doit rien ou presque (alleux, cf. ci-dessous). Il commence également, à son tour, à confier des terres avec leurs habitants à des hommes de main qui l'ont bien servi (et continueront, en vertu d'un ‘contrat’, l'hommage), qui deviennent ses vassaux.   

-         Le servage personnel est l’héritier direct de l’esclavage latifundiaire romain (villa), ‘humanisé’ par le christianisme. C’est la personne du serf qui est propriété du seigneur, pas sa terre (d’ailleurs généralement il n’en a pas, sinon un petit potager de subsistance). Le serf personnel vit et travaille sur la réserve ‘directe’ du seigneur. Ce qui le distingue du hilote grec antique (ou gaulois), c’est que la propriété seigneuriale est individuelle (familiale), et non collective (d’une ‘caste’). C’est un système surtout répandu en plaine (logique), et surtout au nord du Massif ‘central’, dans le Bassin parisien, en ‘vraie France’ (où il n’y a ‘nulle terre sans seigneur’) ; et c’est surtout un système du Haut Moyen Âge (époque mérovingienne et carolingienne), qui tend à disparaître totalement entre l’An Mille (en Europe du Sud, dont l'Occitanie) et la Guerre de Cent Ans (Europe du Nord).

-         Le servage réel est la propriété seigneuriale éminente d’une terre, exploitée par une famille paysanne contre une redevance (cens, taille), qui est une portion de la production (généralement lorsqu’est utilisé un équipement du domaine : tant de farine pour utilisation du moulin ou du four, tant de raisin pour utilisation du pressoir etc.), et une corvée (jours de travail obligatoire et gratuit sur la réserve ‘directe’ du seigneur), qui tend à disparaître à la fin du Moyen Âge (devient payée en monnaie) ; éventuellement dans certains cas un service militaire (‘gens à pied’), mais en principe la fonction militaire est un attribut de la noblesse. C’est finalement l’ancêtre de la forme juridique bourgeoise du métayage (bail agricole à loyer variable : un pourcentage du bénéfice), qui subsistera jusque très récemment (Trente Glorieuses !). L’autorité politique du seigneur (droit de justice) s’y applique évidemment. Cette forme prédomine en Occitanie après l'An Mille (si tant est qu'il en ait sérieusement existé une autre), les tenants bénéficiant du droit écrit, d'origine gallo-romaine et repris par les rois germaniques, qui offre une certaine protection contre l'arbitraire contrairement au droit coutumier franc du Nord. En Europe du Nord, elle ne se développe et supplante totalement le servage personnel qu'entre le 13e et le 16e siècle (yeomanry en Angleterre, fournissant à ce royaume ses redoutables régiments d'archers). Elle se prolonge sous l’Ancien Régime (métayers ou ‘ménagers’), avec cette fois une redevance monétisée.

-         La tenure est un terme juridique désignant la terre que l’on tient de quelqu’un. Ce peut donc être une tenure noble : la châtellenie, la baronnie confiée par un suzerain à son vassal, à un chevalier/gentilhomme, contre hommage et assistance militaire. Mais ce peut être aussi une tenure ‘vile’, roturière. Une tenure libre voit le paysan libéré de la plupart des redevances, corvées (celles qui touchent à la réserve seigneuriale, pas celles qui touchent les travaux d’intérêt public), etc. ; mais reste néanmoins précaire (puisque l’on tient la terre de la volonté seigneuriale). La notion de tenure servile tend quant à elle à se confondre avec le servage réel. Parfois s’instaure une redevance annuelle fixe (libérant le paysan de toute autre obligation) : c’est l’origine du fermage.

-         L’alleu est un autre terme juridique, désignant la terre que justement l’on ne ‘doit’ à personne, que l’on transmet de plein droit et sans aucune contrainte à ses enfants, etc. Ce peut être là encore un alleu noble (ou ecclésiastique) : une terre pour laquelle on ne doit aucun hommage ni service à un suzerain, comme ‘dégagée’ de la hiérarchie féodale (rare). Mais ce peut être aussi la terre d’un paysan ‘affranchi’, et ‘privilégié’ au sein de la communauté, généralement de condition aisée (possédant un cheval et une charrue, on commencera à parler petit à petit de laboureur) ; ou encore des communautés entières (villages, vallées) soumises juridiquement/politiquement à un seigneur (droit de justice) mais ne lui devant rien économiquement, sinon parfois un ‘tribut’ annuel collectif et symbolique, et la ‘corvée’ d’entretien des ouvrages publics (généralement exécutée sans contrainte, de manière coutumière). Ces communautés alleutières sont très répandues en Occitanie (particulièrement en région montagneuse), où l'on a pu parler de la moitié de la population rurale sous ce régime au début du 13e siècle ; ou encore dans les régions jurassiennes (Franche-Comté), vosgiennes et ardennaises (Alsace, Lorraine, Ardennes, Wallonie etc.). C’est là aussi une forme (sans doute) plutôt répandue au Haut Moyen Âge et (de source plus sûre) jusqu’au 13e siècle, sous l’autorité/’protection’ vague et lointaine du comte ou de l’évêque local, reculant ensuite à la fois face à l’individualisation de la propriété paysanne et à l’affirmation de l’autorité étatique moderne, certaines ne disparaissant toutefois qu’avec la révolution bourgeoise (les ‘droits’ de propriété seigneuriaux, qui ne voulaient plus dire grand-chose, étant ‘nationalisés’ puis rachetés par les notables, qui en font des exploitations capitalistes). Une ville ‘franche’ (comme il s’en multiplie à partir de 1150-1200), organisée en ‘république’ bourgeoise plus ou moins oligarchique, est quant à elle un grand ‘alleu’ urbain.

Dans tous les cas, ce qu’il faut retenir c’est que :

1°/ Hors la propriété directe (réserve) du seigneur, où sous l’Ancien Régime les journaliers ou ‘brassiers’ (ouvriers agricoles) remplacent les serfs personnels, la propriété paysanne se décompose en a/ une propriété individuelle (familiale) qui évolue au fil des siècles du lopin de subsistance vers la parcelle (libre/propriétaire, fermière ou métayère), plus ou moins grande donc inégalitaire, b/  une terre du commun, propriété collective de la communauté ‘libre’ ou propriété éminente du seigneur, mais dont celui-ci laisse le droit d’usage (pleine jouissance) à la communauté ; ce qu’aboliront peu à peu les domaines d’État ou de grands ‘pairs’ du royaume sous l’Ancien Régime puis (surtout) les ‘racheteurs’ bourgeois après la Révolution, dans un processus comparable aux enclosures britanniques qui verra triompher la propriété clôturée (tant seigneuriale que roturière) d'où vaine pâture et glanage sont bannis (au 19e siècle, les communes héritières des 'républiques' villageoises croiseront encore le fer là-dessus avec l'État, condottiere de la propriété privée).

2°/ Avant l’État moderne, qui émerge au 13e siècle mais se consolide définitivement entre 1450 et 1600 environ, l’autorité politique est caractérisée par sa SUBSIDIARITÉ du bas vers le haut, l’autorité supérieure étant finalement la ‘juridiction d’appel’ de l’autorité inférieure, totalement au contraire de ce que nous connaissons actuellement et depuis le 17e siècle.

3°/ L’affirmation du capitalisme, accumulation primitive (appuyée sur l’État monarchique moderne) puis 'révolution' bourgeoise (instaurant l'État bourgeois 'pur'), a été une guerre de classe et cette guerre de classe s'est menée sur deux ‘fronts’ : une guerre contre l'aristocratie et le clergé pour liquider leur suprématie sociale/politique/idéologique et abattre leur propriété éminente (donnant ‘droit’ à redevances) sur les terres et les populations, perçue comme arbitraire et (à mesure que s'effaçait leur utilité sociale) de plus en plus parasite ; mais aussi une GUERRE CONTRE LE PEUPLE pour arracher les producteurs aux moyens de production (terres, bêtes, outils), à leur propre force de travail (leur en laissant la propriété ‘symbolique’... et l'obligation de la vendre quotidiennement sur le ‘marché de l’emploi’) ainsi qu'aux moyens de subsistance collectifs offerts par la nature, afin de les enfermer totalement dans les chaînes du salariat (dépendance totale vis-à-vis de l'employeur capitaliste) voire carrément de l'esclavage colonial pour les peuples 'non-blancs'. La masse des producteurs représentant plus de 90% de la population contre 1 ou 2% pour l'aristocratie et le clergé réunis, ce deuxième ‘front’ verra naturellement une guerre beaucoup plus dure et brutale que le premier, se prolongeant jusqu’à la fin du 19e siècle et que le premier marxisme, dans un contexte d'hégémonie intellectuelle de la bourgeoisie 'révolutionnaire', tendra parfois à oublier ou à minimiser au profit des aspects positifs du capitalisme (contre l’arriération économique/technologique et l’obscurantisme intellectuel), bien qu'il soit faux de dire qu'il n'en parle jamais : Marx l'évoque très clairement dans le Capital [2] par exemple. Il n'y a absolument aucun problème et même au contraire une absolue nécessité à dire cela ; l'erreur à éviter est simplement de tourner cette dénonciation du 'progrès' capitaliste vers les anciennes classes dominantes féodales et leurs reliquats idéologiques, qui ne représentent en aucun cas une perspective sociale d'émancipation et d'avenir.

4°/ Notre Peuple occitan est le dépositaire d’un double héritage : des villes gardiennes d’un peu d’‘esprit civilisé’ romain au bon sens du terme (force du droit plutôt que de l’épée) et lieux de brassage culturel-intellectuel de toute la Méditerranée occidentale ; et des communautés rurales (surtout en montagne) ‘libres’, très ‘déliées’ d’une autorité féodale lointaine et symbolique, s’organisant de manière autonome, démocratique et solidaire. La fusion de ces deux héritages en une FORME SOCIALE SUPÉRIEURE peut et doit être la matrice de l’Occitanie révolutionnaire que nous voulons.

Tout ceci est TRÈS IMPORTANT car JAMAIS l’organisation sociale, les formes de la propriété etc. et la culture collective dans une société capitaliste ne sont ‘sans lien’ avec les formes de la propriété féodale et de la propriété utile paysanne de la société précapitaliste. Pour une illustration concrète de tout cela, il faut lire attentivement Illustration de la théorie par un exemple historique : la Guerre des Demoiselles en Ariège

  


[1] Sur ce mode de production assez 'controversé' entre les marxistes, lire cet article (social-démocrate) plutôt complet et bien sourcé : http://www.gauchemip.org/spip.php?article1174

[2] "Quant au travailleur, au producteur immédiat, pour pouvoir disposer de sa propre personne, il lui fallait d’abord cesser d'être attaché à la glèbe ou d'être inféodé à une autre personne; il ne pouvait non plus devenir libre vendeur de travail, apportant sa marchandise partout où elle trouve un marché, sans avoir échappé au régime des corporations, avec leurs maîtrises, leurs jurandes, leurs lois d'apprentissage, etc. Le mouvement historique qui convertit les producteurs en salariés se présente donc comme leur affranchissement du servage et de la hiérarchie industrielle. De l’autre côté, ces affranchis ne deviennent vendeurs d'eux-mêmes qu'après avoir été dépouillés de tous leurs moyens de production et de toutes les garanties d'existence offertes par l'ancien ordre des choses. L'histoire de leur expropriation n'est pas matière à conjecture - elle est écrite dans les annales de l'humanité en lettres de sang et de feu indélébiles." K. Marx, Le Capital Livre 1, Huitième section 'L'accumulation primitive', à lire ici (c'est l'une des parties les plus passionnantes et faciles à lire de l'ouvrage) : 

Huitième section : l'accumulation primitive
  1.    Le secret de l'accumulation primitive
  2.    L'expropriation de la population campagnarde
  3.    La législation sanguinaire contre les exprorpiés à partir de la fin du XV° siècle. - Lois sur les salaires.
  4.    Genèse des fermiers capitalistes
  5.    Contrecoup de la révolution agricole sur l'industrie. Etablissement du marché intérieur pour le capital industriel.
  6.    Genèse du capitaliste industriel
  7.    Tendance historique de l'accumulation capitaliste.
  8.    La théorie moderne de la colonisation
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26 septembre 2013 4 26 /09 /septembre /2013 13:20

Retrouver l'article en bon état ici : Grande étude historique : du païs à la Commune populaire, de la communauté populaire précapitaliste à la société communiste

 

maocNous sommes des marxistes, c'est-à-dire des socialistes scientifiques, des matérialistes DIALECTIQUES. Selon nous l’histoire avance en spirale, par un processus valable pour tous les phénomènes vivants, que Marx et Engels ont appelé négation de la négation. Dans ce processus, la nécessité historique du développement (qualitatif) de la production, du ‘progrès’ c'est-à-dire d’une meilleure maîtrise humaine (technique, scientifique) des conditions de reproduction de l’existence, conduit une organisation sociale supérieure à s’affirmer et à nier une organisation sociale qualitativement inférieure qui a atteint ses limites, le ‘point indépassable’ de ses contradictions (un mode de production, comme tout phénomène vivant, est animé par ses contradictions, dont une contradiction principale). Puis, cette organisation sociale (de la production et de l’ensemble des rapports sociaux sous-tendus par celle-ci) est à son tour niée par une autre, supérieure.

Or, il se trouve que dans l’Histoire, l’organisation sociale qui en nie une autre ressemble beaucoup à celle que cette dernière a précédemment niée, mais à un niveau supérieur. C’est pourquoi nous, communistes révolutionnaires d’Occitanie, pensons de plus en plus clairement que la société socialiste et communiste pour laquelle nous luttons doit en fait prendre appui sur les organisations sociales (au niveau populaire, productif !) précapitalistes, que l’affirmation du capitalisme a broyées dans les conditions décrites par Marx et Engels dans leurs travaux sur la guerre des paysans en Allemagne (16e siècle) ou sur la Grande-Bretagne où ils vivaient (8e section du Livre I du Capital), en les portant à un niveau supérieur… Et nous ne sommes pas les seuls à penser ainsi : en effet, de nombreux théoriciens communistes sont arrivés par le passé à des conclusions similaires ; d’autre part, l’on sent bien que cette conception existe de manière diffuse dans ce que Gramsci appelle le ‘bon sens’ populaire [1].

La littérature communiste comporte, essentiellement, trois grands exemples de cette 'communauté primitive subsistante' qui pourrait former la base d'une société communiste de demain :

ayllu- L'ayllu andin, étudié par le marxiste-léniniste péruvien José Carlos Mariátegui. C'est la communauté productive paysanne de l'Empire inca, qui se gère elle-même et ignore pratiquement la propriété privée ; elle travaille collectivement la terre d'un secteur donné, l'Empire se contentant de prélever sur elle un tribut annuel : exemple typique de mode de production dit asiatique ou 'tributaire' (Wikipédia). La latifundia coloniale espagnole (encomienda) se greffera dessus et lui imposera une exploitation féroce. Son équivalent mexicain était le calpulli, que la réforme agraire (suite à la situation révolutionnaire des années 1910) a tenté de rétablir sous le nom d'ejido (c'est généralement une forme de 'féodalité bureaucratique' déguisée).

- Le mir russe, évoqué par Marx dans une correspondance avec Vera Zassoulitch, à une époque où le débat fait rage entre le socialisme scientifique marxiste et le 'populisme' russe (ou 'nihilisme') qui considère qu'avec le mir la société russe est 'déjà' communiste de fait, mais qu'il faut simplement la 'débarrasser' des couches parasitaires de nobles, administrateurs tsaristes, religieux etc. qui se sont greffées dessus avec leur ‘modernité’ exploiteuse (modernité vue de surcroît comme étrangère, puisque les Romanov au pouvoir veulent imiter l'Occident). C'est là aussi une communauté 'communiste primitive' qui prévalait chez les Slaves avant que les Varègues ('Vikings' suédois) et l’Église 800px-Yuriev dayorthodoxe n'instaurent la féodalité. Mais sous le premier Empire russe (à l'époque d'Ivan le Terrible et consorts), cette féodalité avait encore un caractère nettement 'asiatique' : le mir était ponctionné collectivement par les nobles (boyards) et autres monastères orthodoxes. Puis l'absolutisme Romanov imposera à la paysannerie russe (pour sa magnificence et pour 'compenser' l'absence de colonies outre-mer) un régime de servage très dur, quasi-esclavagiste, qui ne sera aboli qu'en 1861. Dans sa correspondance avec Zassoulitch (ancienne 'populiste' russe en rupture), Marx rompt assez nettement le matérialisme historique 'linéaire' et l'euro-industrialo-centrisme de ses débuts (lire ici un bon article de Contretemps sur son évolution à ce sujet) : il en vient à penser que la Russie, avec sa société féodale basée sur le mir et l''irruption' subite de la modernité venue de l'Ouest, pourrait peut-être 'sauter' l'étape du grand capitalisme industriel et passer directement au socialisme, sur la base de cet 'esprit' collectiviste qui imprègne la paysannerie. En réalité, dans cet écrit, le vieux Marx au soir de sa vie commence à effleurer l’idée que la révolution prolétarienne, négation du capitalisme par le communisme, ne partira pas des Centres (là où le capitalisme est le plus ancien et avancé mais aussi - donc - puissant : Paris, Londres, Belgique ou Pays-Bas etc.) mais a au contraire vocation à se déployer depuis les Périphéries, où le capitalisme est encore directement aux prises avec l’organisation sociale antérieure, vers les Centres ; ce qui sera confirmé 35 ans plus tard par le fait que la première vague révolutionnaire serf russemondiale parte de Russie, pas précisément le pays d’Europe au capitalisme le plus ancien et avancé. Malheureusement, il meurt deux ans plus tard. Lénine, lui, ne partagera pas ce point de vue : selon lui, avec l'absolutisme Romanov le mir a cessé d'exister ; "le paysan était asservi au propriétaire du sol, il ne travaillait pas pour lui-même mais pour le boyard, le monastère, le propriétaire foncier" – certes... mais en était-il autrement dans l'Amérique espagnole de l'encomienda ? Dans l’Écosse ou l'Irlande des landlords (cf. ci-dessous) ? Il est bien évident que dans les Amériques de Mariátegui (années 1920) il ne restait plus vraiment trace de l’ayllu ou du calpulli ‘libre’ (contre tribut annuel) des Empires aztèque ou inca, que la terre était sans l’ombre d’un doute la propriété des grands latifundiaires criollos, que les paysans indigènes travaillaient comme des bêtes de somme non pas ‘pour eux-mêmes’ mais bien ‘pour le propriétaire foncier’  ; exactement comme les moujiks russes de la fin du 19e siècle. Mais cela voulait-il dire pour autant que la communauté paysanne collectiviste, subjuguée par le propriétaire foncier (transformé parfois en gentleman farmer capitaliste agricole), avait cessé de vivre dans le souvenir des masses et d'y être un ferment de résistance, de révolte et d’inspiration pour une société future libérée de l'exploitation ?

Maclean.jpg- Moins connu, le clan écossais selon John MacLean – l'un des premiers communistes écossais à considérer que le socialisme dans ce pays était indissociable de sa libération de l'impérialisme britannique. Pour lui, écrivant vers 1920, "le bolchévisme n'est autre que l'expression moderne du communisme du mir" et donc "le communisme des clans doit être ré-établi sur une base moderne", l’Écosse socialiste devant être "un seul clan, un peuple uni travaillant en coopération et partageant la richesse qu'il produit", concluant par le slogan "de retour au communisme, en avant vers le communisme" : là on est vraiment très proche de notre conception des choses, d'autant plus qu'il s'agit d'un pays 'avancé', industrialisé, ouest-européen, coupant court à l'incontournable argument des 'orthodoxes' qui avanceront que la Russie arriérée des tsars et a fortiori le Pérou de Mariátegui étaient des 'cas très particuliers' etc. etc. En l'occurrence, le clan écossais était plutôt ce qu'Engels (dans L'Origine de la Famille, de la Propriété privée et de l’État) appelle une organisation sociale gentilice, comme chez les indigènes Garenin Black House Village Isle of Lewis Outer Hebrides Scd'Amérique du Nord ou les anciens Germains : les clans (gentes en vieux latin) sont des groupes humains relativement consanguins, prétendant en tout cas descendre d'un même ancêtre mythique, qui se fédèrent ensuite à des niveaux territoriaux divers, avec une tendance à la hiérarchisation des clans en 'pyramide' (avec un clan dominant, 'royal'). Chaque clan formait néanmoins une communauté productive collectiviste où la propriété des moyens de production était très peu individualisée. Par la suite, des chefs de clans tendront à se 'vendre' aux Anglais pour supplanter leurs rivaux et mettre le pays en coupe réglée (s'appropriant les terres claniques dont ils n'étaient jusque-là que les possesseurs symboliques, éminents), aux côtés d'autres landlords venus directement d'Angleterre. Le premier d’entre eux sera le roi ‘régional’ de Strathclyde et Cumbrie, David Ier, qui pour succéder à son défunt frère le Alban (roi ‘suprême’ de toute l’Écosse) Alexandre Ier en évinçant son neveu, fera alliance en 1124 avec le roi d’Angleterre Henri Ier - à la Cour duquel il s’était formé politiquement. Il inspirera sa monarchie du ‘modèle’ mis en place par Guillaume le Conquérant et implantera en Écosse la féodalité ‘à l’européenne’, en saorpatroltribalsm1.jpgfaisant venir du sud des centaines de barons anglo-normands, ainsi qu’un embryon de capitalisme en fondant de nombreux bourgs (burghs) là encore essentiellement peuplés de marchands anglais ou normands voire flamands, allemands etc. Puis leurs chefs de file lors de la première tentative de mainmise anglaise (13e-14e siècles) seront les Balliol, opposés aux Bruce farouches défenseurs de l’indépendance… les deux familles étant elles-mêmes d’origine anglo-normande ! L’Écosse indépendante des Bruce et des Stuart (14e-17e siècles) est donc déjà une Écosse très féodalisée et éloignée de l’Écosse ‘communiste’ clanique des premiers légendaires, et le phénomène ira en s’accentuant de siècle en siècle jusqu’à l’Union de 1707, et du Sud (Lowlands) vers le Nord (Highlands et îles) où des phénomènes de liquidation de la terre collective clanique se produiront encore très tard, au début du 19e siècle, notamment avec la sinistre duchesse de Sutherland qui entre 1814 et 1820 chasse quelques 15.000 highlanders (3.000 familles) de leurs terres ancestrales[2]. L’Écosse est aujourd’hui l’un des pays les plus industrialisés d’Europe (au sud, avec Glasgow et la Clydeside)… mais aussi l’un des plus marqués par la féodalité dans son organisation sociale, l’un des plus inégalitaires, notamment, dans la répartition de la propriété foncière (pas seulement agricole), avec parfois des îles entières propriété privée (et leurs centaines d’habitant-e-s locataires) d’un landlord qui désormais, 'mondialisation' oblige, se trouve parfois être un oligarque russe, un prince arabe ou un nabab indien…

Un dernier texte de référence que l'on pourrait citer est La lutte contre l'économie naturelle de Rosa Luxemburg, chapitre 27 de son ouvrage de 1913 L'accumulation du Capital, développant principalement les cas (coloniaux) de l'Inde et de l'Algérie ; mais il porte plus sur la question de la destruction (capitaliste, en l'occurrence coloniale) de ce collectivisme populaire précapitaliste que sur celle de sa "restauration" à un niveau supérieur par la révolution prolétarienne - ce n'en est pas moins un texte très intéressant et enrichissant à lire.

Si l’on en revient maintenant à ce qui nous intéresse, l’État français et en son sein l’Occitanie, il faut revenir au plus profond de son processus historique. Il est évident que comme toutes les parties du monde il a connu, à la préhistoire, le communisme primitif. Au néolithique, des sociétés avaient peut-être une hiérarchie sociale, une caste dominante vivant d’un ‘tribut’ socialement ‘convenu’ (entre assentiment et coercition) prélevé sur la communauté productive collectiviste, comme les populations qui ont bâti les fameux monuments mégalithiques (alignements de menhirs, dolmens, cairns et autres tumulus), nombreux en Breizh comme en Occitània [cette civilisation s'étendant sur plusieurs millénaires avant l'ère chrétienne est sans doute celle qui a inspiré à Platon son "Atlantide"]. À l’Âge du Bronze, les Ligures qui vivaient dans l’actuelle Provença et les régions alpines (et peut-être au-delà, avant de reculer devant les Celtes) fonctionnaient très certainement ainsi. Ensuite, l’Hexagone français entre pleinement dans village2l’Histoire (et ses livres) avec les fameux, les incontournables "nos ancêtres les Gaulois" : Astérix et Obélix dans leur ‘village’ avec le chef sur son bouclier, le druide et son gui, le barde qui chante faux etc.

Seulement, là, l’histoire véritable et sérieuse est ‘troublée’ par le mythe idéologique, car "nos ancêtres les Gaulois" sont avant tout un mythe ‘national’ construit pendant et après la Révolution bourgeoise pour trouver une autre ‘origine’ à la ‘nation’ que les Francs, ‘ancêtres’ des aristocrates et de surcroît allemands d’origine, ainsi que pour justifier (du même coup) par la ‘Gaule de César’ (notion pourtant mouvante, très imprécise...) la politique expansionniste des ‘frontières naturelles’ poursuivie depuis Richelieu (l'un des premiers d'ailleurs à invoquer le ‘mythe gaulois’ - sur ce sujet, lire ici et ici). Dans une très large mesure, l’image de ‘cette’ Gaule (que César mettait toujours au pluriel, leS GauleS, expression géographique plus qu'autre chose) dans les manuels scolaires, caricaturée à l’extrême dans le village d’Astérix, n’était qu’une allégorie de la ‘France profonde’ glorifiée par le nationalisme 3e-République (... et son successeur de Vichy !) : petit village ou bourgade avec ses échoppes de commerçants et d’artisans, son chef/maire, son druide mélange de curé et d’instituteur (selon la sensibilité politique plus ou moins anticléricale) etc. etc. Une image d’Épinal à des années-lumière, on s’en doute, de toute réalité historique sérieuse.

paysan gauloisLe 'village gaulois' d'Astérix et Obélix, cela n'a jamais existé ! Il n'y avait pas de villages en Gaule pré-romaine (ni par la suite en Gaule romaine, d'ailleurs). Il y avait l'oppidum (petit bourg fortifié) où vivaient les Gaulois proprement dits (Celtes) : druides, nobles, guerriers de moindre rang et une foule d'artisans et de commerçants gravitant autour ; et il y avait des hameaux de huttes de branchages où vivait le substrat populaire productif (autochtone, d'origine préhistorique), communauté primitive collectiviste qui cultivait la terre, exploitait la forêt, élevait des bêtes, chassait, pêchait et versait son tribut annuel... à l'oppidum : système typiquement 'asiatique' (au pire hilotiste comme à Sparte : la population paysanne, dans une condition proche de l’esclavage, est la propriété collective de la cité aristocratique - groupe qui s'est imposé aux autres notamment par la maîtrise du fer - et non individuelle d'une famille de maîtres, à la différence des esclaves proprement dits ; et organise son travail au service des dominants de manière communautaire-collectiviste et non sur des lopins individualisés comme les serfs du Moyen Âge). Peut-être, sous l'influence des Grecs et des Romains, quelques nobles de certaines tribus avaient-ils déjà un domaine privé où ils faisaient travailler des esclaves (prisonniers de guerre ou personnes endettées envers eux), mais cela restait marginal. Il en allait de même dans toute l'Europe non-grecque et non-romaine, sauf en Germanie où l'on était encore plus proche de la communauté primitive, organisation tribale et semi-nomade hiérarchisée en mode 'pyramide de clans' (comme chez les Arabes ou les Écossais médiévaux). Le village tel que le représentent Goscinny et Uderzo n'apparaît, en réalité, pas avant le Moyen-Âge…

paysan gaulois villa romaineCe sont les conquérants romains (eux-mêmes ou en romanisant les élites gauloises) qui introduisent le modèle de la villa, grand domaine agricole privé (sans doute) semi-esclavagiste et semi-tributaire ('asiatique', persistance des communautés paysannes collectivistes ponctionnées annuellement par le propriétaire). Les villes ont une fonction purement administrative, commerciale 'en grand' (marchés sur lesquels s'écoule la production rurale) et militaire (garnisons).

À mesure que l'Empire s'étend, se renforce et développe une économie marchande axée sur le profit dont le débat sur sa nature "proto-capitaliste" fait encore rage aujourd'hui parmi les historiens marxistes, et voit ainsi ses "coûts de fonctionnement" et le souci de maintenir ces profits aller croissant année après année ; outre les milliers et les milliers de captifs de guerre ou de "barbares" achetés d'une manière ou d'une autre et réduits en esclavage, aux côtés des traditionnels individus devenus trop pauvres pour faire face à leurs dettes, et qui peuplent les villes (aucune civilisation antique, hormis peut-être l'Athènes classique, n'a jamais connu une telle proportion de force de travail non-libre, esclave...) ; la condition des masses rurales travailleuses de la terre se "hilotise", tend constamment vers le statut de bête de somme vouée à produire et produire encore sous le fouet.

Selon César lui-même, et bien qu'il soit connu qu'il ne faille pas toujours prendre ces chiffres strictement au pied de la lettre, sur environ 3 millions d'habitants que comptait la Gaule au début de sa guerre de conquête, un tiers, soit un million (!) périssent au combat ou d'une manière ou d'une autre au cours de celle-ci ; et un autre tiers, un autre million, sont réduits en esclavage : sans doute faut-il y voir non seulement les vaincus militaires envoyés en Italie ou ailleurs pour y être vendus, mais aussi les paysans producteurs locaux "confiés" aux légionnaires victorieux installés en colons (le terme naît à cette époque) sur les terres nouvellement conquises ; les élites gauloises soumises et progressivement romanisées ne tardant pas à s'y mettre elles aussi. Étant donnée la rentabilité apparente et immédiate de la force de travail esclave (bien qu'elle pose sur le temps long des problèmes qui se révèleront insolubles à terme), il est de toute manière logique que dans l'optique de profit maximum qui préside à l'économie impériale romaine, elle tende progressivement à supplanter dans les champs les communautés "collectivistes" libres versant simplement une part de leur produit à l'oppidum.

Grande étude historique : du païs à la Commune populaire, de la communauté populaire précapitaliste à la société communiste

Bien entendu, et "paradoxalement" après nous avoir chanté "nos ancêtres les Gaulois", les manuels scolaires de la Républiiiique deux millénaires plus tard ne nous parleront pas de tout cela : il faut dire qu'il ne fallait pas entrer en contradiction trop flagrante avec le discours sur les "bienfaits civilisateurs de la colonisation" qui régnait au même moment (et encore aujourd'hui avec la loi de 2005) ; en gros "nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons, bien que nous saluions l'héroïsme de la résistance de Vercingétorix, bénéficié des bienfaits d'une colonisation, alors soyez sages et faites en autant !" ; sans oublier aussi les "bienfaits" de la centralisation jacobino-bonapartiste sous une autorité étatique forte et bureaucratique ("comme les Romains empêchent les Gaulois de se faire la guerre entre eux, les habitants achètent, vendent, se promènent tranquillement" dans la nouvelle ville romaine, sur l'image ci-dessus : référence claire au "morcellement"/"chaos" féodal auquel l’État moderne aurait mis fin...).

maquette-de-villa-gallo-romaine-noyal-chatillon-sur-seicheLorsque l'Empire se désagrège (fin 3e-5e siècles), les villes dépérissent (puisqu'elles n'existent que par et pour l'Empire...) et à la campagne, l'hypothèse la plus probable est que les esclaves... se carapatent, 'marronnent' (en Occitanie sans doute plus qu'ailleurs, grâce au relief escarpé), voire… se révoltent (on les appelle alors bagaudes), et vont rejoindre les communautés 'libres' subsistantes, ou forment les leurs propres. Elles se placent sous la ‘protection’ des nouveaux venus, les chefs de guerre germaniques, ou de l’Église, qui affirme rejeter l'esclavage (pour les baptisés chrétiens en tout cas), combattre l'injustice et aider les faibles. Si, d’ailleurs, certains peuples germaniques (sur les ‘marges’ de l’ancien Empire) conservent un mode de vie ‘barbare’ (Francs, Alamans, Angles et Saxons en Grande-Bretagne), la plupart (Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes etc.) adoptent et reproduisent le mode de vie romain tardif, établissent des codes juridiques basés sur les anciennes lois romaines, reprennent le découpage administratif impérial (de ces provinces, diocèses et civitas confiées à leurs cousins et beaux-frères naîtront les duchés, comtés et autres seigneuries féodales) etc. etc. Et la dignité d’‘Empereur d’Occident’ (nécessitant le sacrement du Pape) restera la ‘course à l’échalote’ de tous les grands monarques ‘barbares’ jusqu’en… l’An Mille et même au-delà : c’est encore ainsi (‘Empereur des Romains’) que s’intitulent les souverains du Saint-Empire ‘romain’ germanique, du 10e siècle jusqu’à sa dissolution… par Napoléon en 1806 (c’étaient alors les archiducs d’Autriche, rois de Bohême et de Hongrie qui avaient le titre).

DESSIN-BELLAN-MediumLe domaine féodal c'est donc, en fin de compte, une villa romaine profondément transformée sous le choc des invasions couplées à l'humanisme chrétien. On peut y distinguer, globalement, les types suivants de propriété :

- une propriété de subsistance individuelle (familiale) : le petit lopin dont la famille tire sa nourriture de tous les jours, d'une surface (généralement) de quelques centaines de mètres carrés ; et pour lequel le principe est de verser un "loyer" (à l'origine, la monnaie étant rare, une part de la production en nature) appelé le cens – le paysan en a (telle est la distinction qui s'est opérée) la propriété utile, le seigneur la propriété éminente ;

- l’ancien latifundium resté gallo-romain ou repris par les conquérants 'barbares' ou par l'Église ; c'est à dire les 'grandes' cultures (céréales, vigne, oliviers etc.) et les équipements (pressoir, four, moulin, ateliers d’outillage) qui y sont liés (et où, de par leur fonction, est prélevé le ‘tribut’) ; devenus la réserve seigneuriale : les équipements sont l'équivalent de "services publics" mis à disposition de la population contre paiement d'un taxe (là aussi souvent en nature : une part de farine pour le moulin par exemple) ; les terres propres du seigneur sont exploitées soit par des descendants directs des anciens servi, les serfs personnels, mais ceux-ci tendent à disparaître à partir de la fin du 11e siècle, soit par des ouvriers agricoles salariés tout simplement, mais surtout, par les jours de corvée des paysans du fief, une certaine quantité de jours par an (généralement une huitaine) de travail dû sur ces terres, qui sont avec le cens une autre façon de nourrir celui qui est pour eux "l'État", le "juge de paix" et le "ministre de la défense" contre les agressions extérieures ; 

- une propriété de subsistance commune, la 'terre du commun' proprement dite : pâturages pour les bêtes (vaine pâture), bois (il y a aussi des bois seigneuriaux, 'réserves de chasse' des aristocrates, dont les paysans sont proscrits ; au fil des siècles - à l'époque moderne - la grande majorité des bois tendent à devenir seigneuriaux, saufs quelques uns justement appelés 'communaux') et même champs, vignes ou vergers en dehors des récoltes (droit de glanage). Cette terre 'communale' assure la subsistance d'une part considérable de la population, qui serait réduite à la famine autrement ; c'est justement celle-ci qui va peu à peu être démantelée à l'époque moderne (Ancien Régime), à travers un processus comparable aux enclosures britanniques culminant dans la seconde moitié du 18e siècle (succession d'édits comme celui de 1761 concernant le Béarn, la Bourgogne, la Champagne et la Lorraine, supprimant l'interdiction expresse de clôturer donc les droits de vaine pâture et de glanage) et bien sûr couronné/parachevé par la "révolution" bourgeoise (alors même que le rétablissement de ces droits était au cœur des doléances de 1789...) et au siècle suivant (on verra là encore les communautés, devenues communes, défendre bec et ongles ces droits face à l’État - monarchique 'constitutionnel' comme bonapartiste comme 'républicain' - pesant quant à lui de tout son poids législatif et réglementaire dans le sens inverse, celui de la propriété !).

- MAIS AUSSI tout simplement, du fait de l'effondrement de la grande propriété latifundiaire esclavagiste en tant que classe (après la chute de l'Empire), dans des proportions plus ou moins importantes selon les régions (très importantes en Occitanie et Arpitanie, à la géographie montagneuse, ou encore dans le nord-est de l'ancienne Gaule particulièrement touché par les invasions), des communautés héritières des anciens servi "marrons" restés sur les anciens domaines ou partis défricher la forêt et s'y installer : ce sont les alleux ; véritables petites républiques qui s'auto-administrent (gèrent leur justice, leur sécurité en partie, leur ouvrages et équipements publics) et éventuellement dans certains cas (pas tous) "payent" cette liberté et la "protection" seigneuriale d'un tribut annuel symbolique – ces "contrats" commencent à partir du 13e siècle à être couchés par écrit, et sont ainsi parvenus à notre connaissance... l'un des plus célèbres étant par exemple tout simplement le statut de la co-principauté d'Andorre (1278), ensemble de communautés montagnardes pyrénéennes placées sous la double "protection" de l'évêque d'Urgell et du comte de Foix (puis des rois de France, et enfin de notre République actuelle...), ou, aujourd'hui disparu, celui des Escartons du Briançonnais (1343) avec le Dauphiné du Viennois.

la-cuisson-du-pain-au-four-du-castrum 409080 510x255L'on en revient donc quelque part, à un niveau supérieur, à l'organisation 'asiatique' qui prévalait chez les anciens Gaulois [pour Samir Amin cependant, c'est l'inverse : la féodalité européenne médiévale, comme d'ailleurs l'Empire romain avant elle est selon lui une forme très 'imparfaite', 'inachevée', donc inférieure d'organisation tributaire - 'asiatique' - dont il voit en la Chine le modèle d'achèvement absolu] ; jusqu’à ce que le développement de la tenure vile (attribution claire et nette de terres cultivables à chaque famille paysanne, à charge de les exploiter et de payer dessus leurs redevances), dans la seconde partie du Moyen-Âge (pas avant le 12e siècle), ne la fasse voler en éclat en une myriade de parcelles dûment individualisées et cadastrées (les tenures ‘libres’ deviendront la petite propriété paysanne, tandis que les tenures serviles deviendront… les baux ruraux, fermage ou métayage)…

Sous l’Empire romain, le territoire d’une grande ou de plusieurs petites villae, soit la superficie d’un ou de quelques cantons actuels, en tout cas moins d’un quart de département, était désigné sous le nom latin de pagus, d’où découlent aujourd’hui les mots pays (qui désigne à l’origine un tel échelon territorial), paysan et… païen (christianisation tardive des populations rurales, bien après la fin de l’Empire). Le terme reste en vigueur sous les Mérovingiens et les Carolingiens comme découpage administratif (équivalent ou subdivision d’un comitatus/comté) puis se transmet au Moyen-Âge et jusqu’à l’Époque moderne, sous le nom de pays (occitan : païs), pour désigner un ‘bassin’ agricole duquel ne se détache qu’une seule véritable bourgade importante (qui lui donne généralement son nom). En Italie en revanche, un paese désigne un village, et le ‘pays’ d’une cité est le contado (‘comté’) qui désigne encore aujourd’hui la campagne (paysan = contadino). D’autres termes existent en lenga d’òc, comme lo vic (mais celui-ci désigne plutôt la bourgade dominante du ‘pays’ que le ‘pays’ lui-même : Vic-en-Bigorre, Vic-Fézensac) ou encore lo parçan. En tout cas, quelle que soit sa dénomination, c’est bien dans ce pagus, ce ‘bassin de vie productive’, que s’organise la vie sociale populaire à l’époque dont nous parlons.

paysans01C'est donc cette communauté paysanne qui est encore la cellule de base de la société (à 95% rurale) au début du millénaire dernier, à l’aube de la 'Renaissance médiévale', avec cependant une propriété des moyens de production sans doute un peu plus individualisée (familiale) que dans la communauté productive 'asiatique' proprement dite, mais néanmoins toujours beaucoup de 'terres du commun' : pâturages, forêts ; ainsi que les cultures 'en grand' appartenant juridiquement au seigneur ou à l'abbaye locale et cultivées par l’ensemble de la communauté (qui ‘mutualise’ et ainsi réduit, en même temps, les risques) dans des conditions sans doute plus ou moins ‘dures’ selon les seigneurs et les régions. Il est plus juste, en fait, de parler de communauté 'solidaire' (ou d'économie naturelle, comme Rosa Luxemburg) que réellement collectiviste. Un reflet de cela dans la culture populaire, ce sont par exemple les traditionnelles (‘folkloriques’ dirait-on aujourd’hui...) danses villageoises en cercle, symbole d’unité et de coopération entre les habitants.

Les villes (nouvelles ou anciennes cités romaines), où émerge le capitalisme, sont elles aussi organisées en 'républiques' autonomes, mais avec une société évidemment beaucoup plus inégalitaire et hiérarchisée (selon la richesse, le 'rang' dans les corporations de métiers etc.). Elles arrachent petit à petit de plus en plus de prérogatives et d'indépendance au princeps (comte, duc, évêque ou archevêque) local : ainsi, c'est en 1189 que Tolosa/Toulouse obtient de son comte l'indépendance politique totale (pouvoir de justice, de police, de libre administration, de lever l'impôt et de constituer une milice pour se défendre), sous l'égide de douze capitouls. République bourgeoise oligarchique, elle étend également sa... seigneurie sur la campagne alentour (près de 12.000 hectares, en fait peu ou prou le territoire de la municipalité actuelle), dont elle est le 'seigneur' percevant les redevances, puis, au cours des décennies suivantes, son influence économique sur de nombreuses petites bourgades (dans un rayon de 50 km environ) avec lesquelles elle passe des traités (inégaux, suite à des guerres...) pour constituer finalement quelque chose d'assez semblable à une république urbaine italienne avec son contado (cf. ci-dessous). La lutte de l'autorité royale capétienne, après la Conquista, contre le pouvoir des capitouls sera de longue haleine... Mais parfois aussi, cette 'libération' des villes sera le cheval de Troie du pouvoir capétien, comme dans le cas de Lyon : en 1312, le traité de Vienne tranche un conflit de près (voire plus) de deux siècles entre l'archevêque (reconnu 'primat des Gaules' en 1079 par le Pape et seul seigneur de la ville en 1157 par l'Empereur romain-germanique, malgré les revendications des comtes du Forez) et les grandes familles bourgeoises lyonnaises... qui se sont tournées vers le roi de 'France' Philippe le Bel, que le traité consacre (donc) suzerain du Lyonnais. La ville devient 'libre', république bourgeoise oligarchique... mais 'française'. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres : ce type de 'recours au roi' contre le seigneur féodal direct sera extrêmement fréquent du 12e au 15e siècle (... pour parfois le regretter ensuite, mais trop tard !).

1 1274189469C’est dans ces villes, on le sait, que va peu à peu émerger le capitalisme, par ‘saut’ du processus mercantile marchandise-> monnaie-> autre marchandise vers le processus capitaliste argent-> marchandise-> plus d’argent (investissement-> production-> vente-> retour sur investissement). Un tel capitalisme existait sans doute déjà dans l’Antiquité grecque et romaine, mais la base esclavagiste de la production de marchandise était trop fragile et peu rentable, et il s’était donc effondré en même temps que celle-ci. Au Moyen-Âge, sur la base productive (rurale) d’un mélange flou de propriété utile familiale, de propriété ‘commune’ villageoise et de propriété éminente seigneuriale, il peut enfin se développer au-delà d’un niveau élémentaire. Mais ce développement va précipiter la crise générale de la féodalité qui engendrera l’État moderne, lequel soumettra à son autorité centralisatrice ces petites ‘républiques’ urbaines : la cité bourgeoise médiévale périra des contradictions qu’elle aura elle-même engendré.

Car une autre chose qui distingue nettement l’ordre féodal médiéval du système ‘asiatique’ (l’Antiquité esclavagiste étant passée par là), c’est une plus nette (et bien sûr croissante de siècle en siècle) division du travail, et donc contradiction entre villes et campagnes. Une telle division/contradiction n’existe pas dans le système ‘asiatique’ ; il n’est à vrai dire même pas possible d’y parler de ‘villes’ : la ‘ville’ de Mexico que découvrent les Castillans en 1519 (entre 150.000 et 200.000 habitants selon les archéologues) est en réalité une concentration de villages autosuffisants (calpulli) qui se sont agglomérés (comme ‘aimantés’) autour de la cité impériale aztèque (où vivent prêtres, fonctionnaires, le roi et sa cour de guerriers, leurs ‘suivantes’ etc.) et que celle-ci a tenté de ‘rationnaliser’ (‘aménager le territoire’, en somme), mais qui sont absolument semblables à tous les calpulli isolés de Mésoamérique, à cela près que les grands temples et palais se dressent à l’horizon. Au contraire, la ville médiévale (comme avant elle la cité romaine) dépend de la campagne pour son approvisionnement alimentaire (ses conditions élémentaires d’existence !) et la campagne, même si les villages ont aussi leurs artisans, dépend de plus en plus de la ville pour toute une série de produits essentiels. L’émergence du capitalisme rendra évidemment totale cette division/contradiction, puisque le paysan passé en tenure (parcelle individuelle, ne pouvant lui assurer tout le nécessaire) n’aura pas d’autre circuit que le capitalisme (basé en ville) pour transformer sa production en valeur d’échange.

Cas particulier : en Italie, dans la continuité de Rome, ce qui fait office d’aristocratie terrienne vit généralement en ville, exploitant les terres du contado (campagne) alentour et alimentant autour d’elle (de ses devises) artisanat et commerce en tout genre. Très vite absorbée d’ailleurs par la ‘politique’ urbaine (luttes d’influence et règlements de compte entre ‘grandes familles’), elle tend à se désintéresser du contado qui n’est pour elle qu’une pure source de revenus et se gère lui-même (sous l’œil distant des régisseurs seigneuriaux). De là vient le fait qu’en Italie les grandes villes (sauf les grands centres industriels conçus comme tels) sont généralement huppées, bourgeoises, tandis que les classes populaires sont ailleurs : si le pays a effectivement une population ‘urbaine’ relativement faible pour l’Europe (69%), il a surtout le plus dense réseau de petites villes, bourgades et gros villages gravitant autour des grands centres urbains : il a, en fait, la plus importante population RURBAINE d’Europe ; et la paysannerie devenue prolétariat y a gardé cette culture que l’on nomme là-bas autonomia.

CASTRUM-DE-NEYRANAu-dessus de tout cela, l'autorité éminente (noble, évêque, abbé) a, en échange de l'impôt régulier, un rôle de 'protecteur' et de 'juge de paix' ; elle intervient en recours pour trancher les conflits, elle est la 'gardienne du temple' du droit coutumier ; mais l'essentiel du temps, les communautés (villes et villages) s'auto-administrent en 'républiques des chefs de famille'.

Il y a beaucoup d'idées reçues sur cette époque ! Les paysans misérables, affamés et écrasés d'impôts... largement FAUX : évidemment que le seigneur a ses besoins, de vie de tous les jours et, lorsqu'il est noble, ses dépenses militaires (service militaire dû au suzerain), qui vont croissantes avec la crise générale du mode de production (à partir de la fin du 11e siècle) ; et il faut les satisfaire. Mais l'impôt (alors très largement en nature, il y a encore peu de masse monétaire) est tout de même conçu pour être supportable : une famille de paysans qui meurt de faim, c'est une famille qui ne produira plus l'année suivante. Si les paysans meurent, c'est d'abord et avant tout en raison d'aléas climatiques ou d'épidémies, de circonstances naturelles face auxquelles l'humanité n'a alors (encore) aucun recours (ce à quoi la libération des forces créatrices techniques et scientifiques par le capitalisme, son véritable apport historique, remédiera progressivement, par 'sauts' successifs, jusqu'à nos jours) ; et c'est déjà bien suffisant pour que le seigneur en rajoute. L'impôt féodal devient insupportable, en réalité... lorsque se forme l’État moderne, avec sa fiscalité royale toujours plus avide (à cause des guerres, notamment), État dont le noble et l'ecclésiastique deviennent des rouages de l'appareil politico-militaire et idéologique, accroissant exponentiellement leurs prélèvements tout en n'ayant plus rien (bien au contraire…) de l'utilité sociale qui justifiait ceux-ci : ils deviennent totalement parasitaires. Ceci est déjà difficilement supportable pour les paysans (dont la propriété familiale concrète, et donc le sentiment d'être volés, image001s'accroît continuellement du 11e au 17e siècle) ; ça l'est encore plus pour les bourgeois des villes, qui ont certes (jusqu'au 18e siècle) besoin de l'appareil politico-militaire et idéologique royal pour protéger leurs affaires, mais qui ont de plus en plus le sentiment de ne rien devoir qu'à eux-mêmes et voient (à raison) dans la pression et l’incohérence fiscale une entrave à l'accumulation capitaliste et au 'saut' vers la révolution industrielle. C'est ce qui conduira à la révolution bourgeoise, mais la 'féodalité' des 17e-18e siècles n'a plus qu'un très lointain rapport avec celle du 11e ou 12e ! La corvée, autre symbole de l''arbitraire' et de l'oppression féodale, confond en réalité deux choses. D'une part, la corvée privée est une forme de redevance, consistant non pas à verser une part de son produit, mais à servir un certain nombre de jours (rarement beaucoup) sur la réserve seigneuriale, pour les paysans qui n'y étaient pas directement affectés (les serfs personnels). Par exemption ou rachat (transformation en prélèvement financier), elle se raréfie à partir des 11e-12e siècles en Europe du Sud (dont Occitanie) et des 14e-15e au Nord, se réduisant à quelques jours par an faciles à racheter ; elle a pratiquement disparu lorsque la Nuit du 4 Août 1789 l'abolit juridiquement (sur ses terres propres, le seigneur a alors recours aux journaliers ou brassiers, autrement dit au salariat agricole). Mais d'autre part, la corvée publique n'est en réalité que la continuation de ce qu'était la fonction de l'autorité politique dans la société 'asiatique' : organiser et mettre en œuvre les grands travaux nécessaires à tous (au-delà de l'aire géographique d'une seule petite communauté paysanne), voies de communication, ponts, irrigation, assainissement de marais etc. Il n'y a alors pas de corps spécialisé dans le génie civil, et lorsqu'il faut mener ce genre de travaux, tout le monde met la main à la pâte ! Le seigneur noble ou ecclésiastique (autorité politique) s'assure que personne ne s'y soustraie, que tout le monde s'acquitte de son 'service' (en jours de travail, généralement quelques jours par an) pour les infrastructures essentielles à la communauté (la communauté 'large', celle du fief, du 'pays'). Le paysan quel que soit son statut, même 'libre', y est astreint ; cependant, avec le développement de la monnaie, elle est de plus en plus souvent 'rachetée' (on y échappe contre une somme d'argent) au fil des siècles ; et avec le développement de l’État moderne, des corps spécialisés prennent de plus en plus en charge ces travaux. Elle a pratiquement disparu à la Renaissance (16e siècle), néanmoins des formes existent encore et jouent un rôle parfois important au 18e siècle (et même, comme forme d''impôt local' en 'nature'... dans certaines communes rurales jusqu'au milieu du 20e !). Dans les villes, ce sont les magistrats élus (échevins, consuls, capitouls) qui supervisent et imposent aux corporations et autres jurandes ces travaux publics nécessaires, avant que l'administration royale ne les prenne là aussi en charge. Là encore, c'est donc le développement du capitalisme (et de l’État moderne avec lui) qui a rendu profondément injuste (puisque ceux qui pouvaient payer s'y soustrayaient... et gagnaient ainsi des jours de travail pour eux, donc de l'argent, tandis que les plus pauvres restaient corvéables à merci) une institution féodale devenue symbole du 'ténébreux âge gothique'... mais qui était peut-être, en réalité, l'une des plus justes et égalitaires (puisque aucune distinction entre paysan libre et serf 'personnel' ou 'réel') !

250px-Gauvain et le pretreÀ la fin du 10e siècle se produit une autre ‘révolution’, ‘culturelle’ celle-là, sous la forme d’un triomphe (hégémonie) idéologique de l’Église sur la vie sociale ; ce que les historiens bourgeois du 19e siècle (Jules Michelet et autres) mettront sur le compte d’une ‘terreur millénariste’ à l’approche de l’An Mille. Il n’en est bien sûr rien : cette ferveur religieuse des masses populaires est en réalité le résultat du fameux mouvement de la ‘Paix de Dieu’. Aux 9e et 10e siècles, la féodalité européenne a traversé non pas une crise générale, mais plutôt une sorte de ‘crise d’ajustement structurel’, de ‘saut’ dans le mode de production : l’autorité féodale aristocratique va se revendiquer héréditaire de plein droit, acquise par la seule naissance sans nécessiter de nomination par quiconque (roi ou pape ou empereur) ; et va de surcroît totalement se confondre avec la propriété féodale stricto sensu, la propriété éminente sur les terres et les populations du fief, donnant naissance à ce que l'on appelle le pouvoir banal. C’en est donc fini du dernier avatar du centralisme impérial romain, la monarchie carolingienne ; et avec la fusion totale entre autorité politique et propriété (éminente) économique, l’on entre dans la féodalité ‘parfaite’, proprement dite. Mais cet ‘ajustement’ passe par un grand développement de la violence pour le partage aristocratique des terres et des populations, sous la forme de guerres privées qui ne sont pas vraiment des guerres avec de grandes armées, mais plutôt des règlements de comptes mafieux entre nobles et leurs bandes calligraphie02d’hommes de main, que l’on commence à appeler miles (qui sera traduit plus tard par ‘chevaliers’). Elles n’en affectent pas moins durement la vie productive, notamment parce que les bandes d’hommes de main se nourrissent alors sur la population ou encore parce que, faute d’avoir vaincu le rival, on incendie les champs et tue les troupeaux de son fief, etc. etc. : une ambiance de Far West… Mais cette violence va voir se dresser contre elle l’AUTRE grande autorité féodale de l’époque, l’autorité RELIGIEUSE qui a elle aussi des domaines que les guerres privées dévastent, et que la noblesse (ces descendants de ‘barbares’, de ‘païens’…) prétend de surcroît soumettre à son autorité. L’Église va donc montrer les dents… Mais, dira-t-on, quelles ‘dents’ si les religieux ne sont, par définition, pas des guerriers ? Par quelle force armée va-t-elle s’opposer aux féroces miles ? Et bien, l’Église va vraisemblablement s’appuyer sur la plus grande armée qui soit : la grande masse du peuple. Elle va se poser en protectrice des faibles, des pauvres, des ‘petits’ qui produisent tout et sans lesquels les guerriers nobles ne sont rien, et elle va s’appuyer sur eux ; non pas qu’elle les excite à l’insurrection violente (qui pourrait se retourner contre elle), mais peut-être à une sorte de ‘grève’ des taxes et redevances féodales, pourquoi pas sous la forme de ‘dons’ au culte (qui effectivement affluent, à l’époque, vers les églises et monastères) réduisant la part versée au baron local, qui ne peut protester puisque ce qui est donné l’est à ‘Dieu’ et abbaye-de-gellone-saint-guilhem-le-desert-herault-le-languene peut être repris. Cela fera sourire qui l’on veut, mais c’est la seule lecture des évènements compatible avec le principe marxiste : "les masses font l’histoire". Ainsi, de ‘conférences’ en ‘sommets régionaux’ avec les suzerains des miles, l’Église impose à la société féodale la ‘Paix de Dieu’ : sous peine de sanctions très ‘dures’ pour l’époque (acte de contrition, pénitence, amendes, excommunication), les guerres privées sont interdites à certaines périodes de l’année (généralement les périodes de semailles ou de récoltes), il est interdit de toucher aux édifices religieux (qui deviennent, du coup, des ‘banques alimentaires’ pour la population), etc. etc. Ceci (et non les irréductibles Gaulois...) va donner naissance aux villages, la population se rassemblant autour (et sous la protection) d'un lieu de culte, et va également gonfler la population (donc la force de travail) des villes, puisque ces reliques de l'époque romaine abritent généralement l'autorité religieuse (évêques, archevêques). Puis, le même phénomène se fera jour autour des castrum de la chevalerie ‘pacifiée’ : on parlera alors plutôt de bourgs (burg = château en langue germanique, qui a influencé les langues romanes) ; ce sont tous les lieux appelés aujourd'hui "XXX-le-Château" ou Château- (Castel- en Occitanie)-quelque-chose. L’effet sur la production et tout ce qui en découle est radical, marquant le véritable début de la Renaissance médiévale. Le mode de production féodal atteint proprement son ‘apogée’, dans le sens où la maîtrise de ses pires défauts (violence de ‘tous contre tous’, en l’absence d’État centralisé) permet l’épanouissement de toutes ses qualités : ‘humanité’ de la condition du producteur par rapport à l’esclave antique (donc meilleure productivité), grande autonomie politique locale, foisonnement intellectuel et artistique etc. etc. … mais aussi, en même temps, le développement du capitalisme qui sera son fossoyeur.

3-Saint-Sernin-3Ce qui apparaît encore une fois, c’est que les historiens bourgeois ont dépeint comme la plus ‘sombre’ période du Moyen-Âge (le terrible ‘An Miiiiille’) celle qui est en réalité la plus ‘lumineuse’, l’une des plus prospères et heureuses (dans la limite des forces productives de l’époque) pour les masses, celle où la vie intellectuelle de la ‘société civile’ sous l’hégémonie du clergé (qui ne s’est pas encore transformé en bras idéologique de l’appareil d’État) est peut-être la plus brillante et la plus libre ! Peut-être ne supportent-ils pas dans cette période la prépondérance de l’Église, qu’ils ne conçoivent que dans un rôle réactionnaire et subordonné, soit au service de l’aristocratie contre eux, soit à leur service pour l’encadrement des masses ; certainement pas dans un rôle dirigeant et… objectivement progressiste. Ou peut-être leur mépris des masses productrices (ancêtres du prolétariat) les conduit-il à ne voir dans la ‘ferveur religieuse’ populaire qu’ignorance et superstition, et non une claire et consciente alliance de deux classes contre les agissements d’une troisième, pour une société plus stable, 'juste', 'vivable' et prospère. Peut-être, enfin, que le ‘morcellement féodal’ qu’ils décrivent à cette époque ne désigne rien d’autre que l’absence de cet État centralisateur qui leur est si cher (et l’autonomie populaire qui en résulte !), la subsidiarité politique du bas vers le haut, le fait que le (titulaire) roi ‘de France’ ne règne réellement que d’Orléans à Compiègne, contesté par ses ‘vassaux’ jusque dans son propre Bassin parisien, alors que les systèmes féodaux du ‘Midi’ (duché d’Aquitaine, Gascogne, comté de Toulouse, royaume de Bourgogne-Provence etc.) fonctionnent beaucoup plus harmonieusement… Il faut dire que la ‘Paix de Dieu’ est d’abord, très largement, partie du ‘Midi’ occitan, où il restait des traces romaines de droit écrit, de contrat et de formalisme juridique ; face à la treue germanique du Nord (‘engagement’ d’homme à homme), qui n’avait guère d’autre sanction que le règlement de compte en cas de manquement. En résumé, peut-être la bourgeoisie a-t-elle un peu de mal à concevoir une société décentralisée, à forte autonomie populaire locale et sous hégémonie ‘cléricale’, c’est-à-dire, peut-être, animée par d’autres valeurs que vendre sa force de travail ou (surtout) exploiter celle des autres pour en retirer un profit !

Ceux et celles qui ont été à l’école se souviennent sous quels traits effroyables Voltaire, ce grand ‘saint laïc’ de notre République (pour qui Philippe Val continue à se prendre le matin en se rasant, mais qui a aussi donné son nom à deux sites internet… d’extrême-droite, le ‘réseau’ de Thierry Meyssan et le ‘boulevard’ de Robert Ménard), décrivait dans Candide les ‘réductions’ (missions) jésuites du Paraguay, qui étaient en réalité des communautés indigènes autonomes sous ‘parrainage’ religieux, au fonctionnement extrêmement juste et démocratique. Il ne mettait pas la même ardeur à dénoncer la traite esclavagiste, dans laquelle il trempait au demeurant ; d’ailleurs, ce sont justement des marchands d’esclaves espagnols et portugais, à la solde des hacenderos/fazeinderos (grands propriétaires fonciers) et avec l’appui de leurs monarchies respectives, qui ont liquidé les ‘réductions’ à l’époque même où Voltaire écrivait !

bucher_saint_louis.jpgEn fait, lorsque l’on met l’Histoire ‘grand public’ bourgeoise en perspective avec la réalité historique (soigneusement confinée dans les couloirs décrépis du CNRS, section ‘histoire des sociétés’), l’on s’aperçoit que la bourgeoisie a en réalité dépeint les ‘âges obscurs’ médiévaux sous les traits… de la période dont elle est directement issue et dont elle a profité pour devenir ce qu’elle est : la première crise générale de la féodalité (13e-15e siècles) qui a donné naissance à l’État moderne, puis la survie artificielle (15e-18e siècles) de celle-ci sous l’absolutisme et sa deuxième crise générale (des Guerres de Religion à 1789), conduisant aux révolutions bourgeoises. L’Inquisition avec ses chambres de tortures raffinées n’apparaît qu’en 1199 et ne se développe réellement qu’un voire deux siècles plus tard… comme police et tribunal politique des grandes monarchies étatiques modernes. C’est au début du 17e siècle qu’une Papauté aux abois (notamment face à la Réforme protestante) brûle Giordano Bruno, menace d’en faire autant avec Galilée et emprisonne Campanella pendant 27 ans, moins pour leurs découvertes scientifiques (qui finiront par être admises par l'Église) ou leurs thèses philosophiques au demeurant plus ou moins discutables (Campanella) que parce que leurs conclusions tendent vers l’inexistence d’un Dieu créateur, ‘pensant’ et ‘commandant’, et donc vers l’illégitimité de ses ‘lieutenants’ sur terre : Pape et monarques (et bon, Calvin à Genève, avec l'exécution effroyable de Michel Servet pour critique du dogme de la Trinité, c'était "pas mal" non plus !).

Ce n’est pas avant le 15e, et surtout au 16e et encore 17e siècle que l’on pourchasse et brûle massivement ‘sorcières’ et ‘sorciers’, ‘guérisseurs’, ‘sodomites’ (alors que les Églises chrétiennes du Moyen Âge célébraient fréquemment des sortes de ‘Pacs’ entre personnes du même sexe), supposés ‘loups-garous’ etc. etc. ; bref toutes les dernières expressions de la culture communautaire traditionnelle à la campagne, sans oublier les ‘hérétiques’ (contestataires sociaux avant tout, qui ne sont pratiquement pas persécutés avant le 13e siècle, de même que les Juifs). C’est à partir du 14e siècle (Guerre de Cent Ans) et protestants_heretiques_bucher.gifjusqu’au… 17e voire début du 18e siècle que les guerres incessantes déciment la population à coup de famines et d’épidémies. Et à la même époque que l’arbitraire de l’administration royale ou seigneuriale (devenue un rouage de la première) et la pression des impôts et autres taxes font se multiplier les révoltes populaires… Tout cela, la bourgeoisie de 1789 et postérieurement l’a bien entendu rejeté et condamné. Mais ses aïeux de l’époque en ont-ils fait autant ? Certainement pas : ils avaient certes leurs contradictions avec la monarchie absolue et sa Cour d’aristocrates parasites, mais ils s’appuyaient bien confortablement sur elle pour écraser tout ce qui dans les masses ressemblait à un début de ‘dissidence’ et de perturbation de l’ordre social, et pour étendre le territoire du royaume (leur ‘grand marché’ et base première d'accumulation !) par la guerre. Alors hypocritement, comme toute classe dominante qui réécrit l’Histoire à son avantage, elle met en avant une série de personnages (d’Étienne Marcel à Voltaire) pour exagérer son rôle de ‘contestation’ sous l’absolutisme, alors qu’elle a généralement appuyé celui-ci contre la féodalité locale (même si dans les nations annexées comme la Bretagne ou l’Occitanie/Arpitanie l’inverse a aussi été vrai) jusqu'à ses ultimes et indépassables limites historiques des années 1780 ; et elle fait de la féodalité une ‘longue nuit’ sans le moindre ‘apogée’ progressiste… Il ne s’agit pas pour nous de faire du milieu du Moyen-Âge (l'An 1000) un ‘paradis perdu’ et encore moins (comme pourraient le dire certains) de vouloir y revenir mais seulement, dans une démarche révolutionnaire scientifique, de rendre justice aux faits !

Lire la suite

 

[1] Compréhension du monde issue de l’activité productive, sociale, et qui exprime même de manière « embryonnaire » les intérêts réels des producteurs - lire par exemple ici

[2] Lire notamment ici (il y a quelques inexactitudes historiques et une vision quelque peu ‘angélique’ de la révolution bourgeoise cromwellienne, notamment son caractère colonialiste ANGLAIS et son génocide en Irlande, mais bon…) : http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/grande-bretagne-grande-propriete ; partie ‘Écosse : la révolution importée’ (mais le reste aussi, notamment sur la situation à Londres, est édifiant !). La principale source de l'article est le chapitre XXVII du Capital de Marx : L'expropriation de la population campagnarde

À lire aussi, très intéressant pour compléter et aider à la compréhension de tout cela : Samir-Amin-développement-inégal-question-nationale

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12 juin 2013 3 12 /06 /juin /2013 03:34


63546-simone-weil-1,bWF4LTY1NXgwVoici un nouvel extrait de ce que l'on peut appeler les réflexions occitanes de la philosophe - 'marxiste libertaire' passée 'catho de gauche' - Simone Weil.

Tout d'abord, il faut situer le contexte : lorsqu'elle rédige ces lignes, Simone Weil est installée en Provence (dans la région de Marseille) avec sa famille, au début de l'Occupation nazie et de la 'révolution nationale' de Vichy (1940-42) qui les menacent (bien sûr) directement en tant que Juifs 'ethniques'. Elle s'y plonge dans la rédaction de Cahiers où elle se penche, notamment, sur l'histoire de cette terre occitane qui lui offre un précaire refuge (non-occupée par les nazis, les Juifs y sont discriminés mais pas encore systématiquement pourchassés et envoyés vers les camps de la mort... jusqu'à l'été 1942 en tout cas, où Vichy prend alors l'initiative d'une grande rafle - 7.000 Juifs au total - dans toute la zone 'libre', sans la moindre présence militaire allemande...). À ce stade, sa compréhension très idéaliste du marxisme - comme, finalement, un 'humanisme radical' - a déjà 'craqué' ; et elle s'est tournée vers la foi chrétienne et le catholicisme 'de gauche', pensant y trouver les 'réponses' que le marxisme, mal compris par elle mais aussi... caricaturé, parfois, par d'autres, ne lui avait pas apportées. C'est donc un texte imprégné d'idéalisme et même, à bien des moments, mystique que nous avons là : tout, pour elle, dans le panorama historique qu'elle dresse, procède de l'idée - ce qu'elle appelle l''inspiration' ou la 'vocation' (de transcendance divine), véritable maîtresse d'œuvre de l'histoire, sans aucun fondement dans la réalité matérielle (qu'elle 'précède'). ET POURTANT... Encore une fois, comme dans les extraits publiés il y a quelques temps par les camarades de Sheisau Sorelh, une lecture ATTENTIVE de ce qui est écrit montre combien Weil, indirectement, à travers le prisme (déformant !) de son idéalisme religieux, saisit superbement, de manière matérialiste-dialectique, l'histoire de notre Occitanie et de son négateur l’État français... bien mieux que bien des personnes qui (aujourd'hui même !) se considèrent comme les 'gardiens du temple' de la science marxiste ! Il suffit, en fait, de traduire en 'langage' matérialiste dialectique ce que décrit Weil ; de le rattacher à une analyse marxiste de la réalité matérielle (modes de production et crises, classes et contradictions entre elles), pour s'en convaincre... 

Nous ne reproduirons pas ici le texte (on l'a dit, baigné d'idéalisme et de mysticisme 'philosophique') dans son entier ; mais seulement les passages selon nous les plus significatifs, ceux qui rejoignent notre analyse matérialiste/marxiste de la question.

Grèce AntiqueCe qui fonde, à la base, l''occitanophilie' de Simone Weil, c'est que l'Occitanie médiévale a été selon elle l'héritière véritable de la Grèce antique, dont elle aurait failli ("si on ne l'avait pas tuée") 'rééditer le miracle' : "Chaque pays de l'antiquité pré-romaine a eu sa vocation, sa révélation orientée non pas exclusivement, mais principalement vers un aspect de la vérité surnaturelle. Pour Israël ce fut l'unité de Dieu, obsédante jusqu'à l'idée fixe. Nous ne pouvons plus savoir ce que ce fut pour la Mésopotamie. Pour la Perse, ce fut l'opposition et la lutte du bien et platon et aristote1286365236du mal. Pour l'Inde, l'identification, grâce à l'union mystique, de Dieu et de l'âme arrivée à l'état de perfection. Pour la Chine, l'opération propre de Dieu, la non action divine qui est plénitude de l'action, l'absence divine qui est plénitude de la présence. Pour l'Egypte, ce fut la charité du prochain, exprimée avec une pureté qui n'a jamais été dépassée ; ce fut surtout la félicité immortelle des âmes sauvées après une vie juste, et le salut par l'assimilation à un Dieu qui avait vécu, avait souffert, avait péri de mort violente, et était devenu dans l'autre monde le juge et le sauveur des âmes. La Grèce reçut le message de l'Egypte, et elle eut aussi sa révélation propre : ce fut la révélation de la misère humaine, de la transcendance de Dieu, de la distance infinie entre Dieu et l'homme" : Weil énumère ici les civilisations qui, à leur endroit du monde et à leur époque donnée, ont été l'apogée progressiste de l'organisation sociale antique ("esclavagiste" ou plutôt et plus largement, selon les mots d'un Samir Amin qu'il est d'ailleurs absolument fascinant de mettre en face de tout ce qui va être dit, tributaire : texte-de-samir-amin), pour la mission historique qui était la sienne : dégager des tâches laborieuses de la reproduction de l'existence une fraction de la population pour lui permettre de ce consacrer exclusivement à la pensée, à la compréhension scientifique et philosophique du monde qui nous entoure.

La Grèce classique (entre 600 et 300 avant Jésus-Christ) est décrite comme le réceptacle et la synthèse (en Europe-Méditerranée) de cette toutes ces pensées et connaissances techniques et scientifiques, qui font faire à l'humanité un 'grand bond en avant' : l'on cesse alors de subir le réel en lui arrachant quotidiennement sa subsistance ; l'on s'efforce (et commence) désormais à le COMPRENDRE (la prochaine étape, comme le dira Marx environ 2000 ans plus tard, sera de commencer à le TRANSFORMER). Ceci dit, à ce stade, la mutation de l’organisation sociale ‘asiatique’ ou communautaire-patriarcale (gentilice) vers l’esclavagisme est totalement consommée : la ‘démocratique’ cité d’Athènes compte 10% de citoyens pour 90% d’esclaves, et il en va à peu près de même dans toutes les autres cités (y compris nostra Marselha). Mais, comme la quasi-totalité de louangeurs bourgeois (ou même prétendument ‘communistes’) de la Grèce classique, Weil fait complètement l’impasse sur ce point. La suraccumulation d’esclaves est pourtant le premier signe annonciateur du fait que l’organisation sociale esclavagiste antique va entrer en crise mortelle…

0.367EPuis, elle nous dit que : "Rome détruisit tout vestige de vie spirituelle en Grèce, comme dans tous les pays qu'elle soumit et réduisit à la condition de provinces. Tous sauf un seul. Contrairement à celle des autres pays, la révélation d'Israël avait été essentiellement collective, et par là même beaucoup plus grossière, mais aussi beaucoup plus solide ; seule elle pouvait résister à la pression de la terreur romaine. Protégé par cette carapace, couva un peu d'esprit grec qui avait survécu sur le bord oriental de la Méditerranée. Ainsi, après trois siècles désertiques, parmi la soif ardente de tant de peuples, jaillit la source parfaitement pure. L'idée de médiation reçut la plénitude de la réalité, le pont parfait apparut, la Sagesse divine, comme Platon l'avait souhaité, devint visible aux yeux. La vocation grecque trouva ainsi sa perfection en devenant la vocation chrétienne. Cette filiation, et par suite aussi la mission authentique du christianisme, fut longtemps empêchée d'apparaître. D'abord par le milieu d'Israël et par la croyance à la fin imminente du monde, croyance d'ailleurs indispensable à la diffusion du message. Bien plus encore ensuite par le statut de religion officielle de l'Empire romain. La Bête était baptisée, mais le baptême en fut souillé. Les Barbares vinrent heureusement détruire la Bête et apporter un sang jeune et frais avec des traditions lointaines. À la fin du Xe siècle la stabilité, la sécurité furent retrouvées, les influences de Byzance et de l'Orient circulèrent librement. Alors apparut la civilisation romane. Les églises, les sculptures, les mélodies grégoriennes de cette époque, les quelques fresques qui nous restent du Xe et du XIe siècle, sont seules à être presque équivalentes à l'art grec en majesté et en pureté. Ce fut la véritable Renaissance. L'esprit grec rome jeux cirquerenaquit sous la forme chrétienne qui est sa vérité"  ; et effectivement, c'est vrai : la Rome impériale, que l'on peut faire débuter au 2e siècle avant Jésus-Christ (avec la conquête de l'Afrique du Nord, de la Grèce et de l'Anatolie, de l'Espagne méditerranéenne et du sud de la Gaule etc.), fut en Euro-Méditerranée non pas l'apogée progressiste de l'Antiquité esclavagiste, mais son 'stade suprême' décadent et réactionnaire, une sorte de crise générale de la société antique : la 'libération' d'une élite de la population envers les tâches 'bassement productives' n'était plus mise au service de l'élévation intellectuelle et civilisationnelle, mais de la décadence, de l'orgie et des jeux de cirques, du pouvoir pour le pouvoir et de la richesse pour la richesse (l'esprit capitaliste d'investir, de faire fructifier la richesse accumulée, n'en était alors qu'à ses balbutiements).

Ceci conduisit à l'effondrement ; et Weil reprend là la position d'Engels dans L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, faisant des 'invasions barbares' un évènement positif et historiquement nécessaire, une 'régression féconde' d'ailleurs saluée comme une 'libération' dans la plupart des pays où les 'barbares' arrivèrent. Bien sûr, à cette époque où l'humanité entendait comprendre la réalité (et sa propre condition), mais pas encore la transformer, cet effondrement fut spontané, sous une multitude de 'coups' produits par les contradictions du mode de production esclavagiste : révoltes d'esclaves et des peuples conquis, guerres civiles et 'anarchies militaires' résultant de l'hypertrophie de la force armée (première fournisseuse d'esclaves par ses guerres, donc de la principale force de travail), et enfin les invasions de ces peuples 'barbares' relégués derrière les limes, comme réservoirs rome_antique_image789.jpgd'esclaves. Il n'y eut pas de 'révolution' consciente et organisée instaurant la féodalité. Il y eut un effondrement inexorable et finalement brutal, une régression 'féconde' certes, mais une régression, et la civilisation autour de la Méditerranée dut se reconstruire, ce qui fut long et laborieux. Ce furent les religions 'révélées' chrétienne au Nord de la mer, et musulmane au Sud qui accompagnèrent comme idéologies de progrès cette reconstruction. Le principe était simple : humaniser la condition du producteur, paysan (sur lequel tout reposait alors) ou 'ouvrier' artisanal, pour le rendre plus productif. L'esclave agricole devient un serf plus ou moins libre, qui peut produire en partie pour lui-même et sa famille ; l'esclave d'atelier ou de mine devient un 'compagnon', un proto-ouvrier rétribué pour sa force de travail, pouvant espérer devenir (un jour) 'maître' à son tour. L'esclavage ne disparaît pas (il est toujours permis de mettre en esclavage les non-chrétiens en Chrétienté et les non-musulmans en Islam), mais devient marginal comme rapport de production – avant d’être rétabli dans les colonies d'outre-mer pour les indigènes et les Africains à partir du 16e siècle… pour les besoins de l’accumulation primitive capitaliste (!), sous les hourras des penseurs ‘libéraux’ de l’époque (du hollandais Grotius aux anglais Locke et Smith, des ‘pères fondateurs’ américains Washington, Franklin, Adams ou Jefferson aux français Voltaire ou Tocqueville) ; tandis que l'Europe de l'Est, pour 'donner le change', remettait ses paysans dans un servage de fer[1]... Nous reviendrons sur ces ‘paradoxes’ de l’’humanisme’ libéral de l’époque moderne.

gran al andalusWeil souligne ici à juste titre comment la pensée grecque classique, qui avait profondément imprégné les rives orientales de la Méditerranée, 'accouplée' au monothéisme hébreu, a été directement la matrice de la religion/idéologie chrétienne (et tout autant de la religion/idéologie islamique) ; contrairement aux affirmations de 'philosophes' bobos, se croyant 'rebelles' et 'géniaux' à la Michel Onfray, faisant du christianisme et de l'islam des 'tsunamis' obscurantistes balayant les 'lumières' antiques - poursuite acharnée de l'erreur théorique anti-matérialiste fondamentale des Lumières, et des pré-Lumières ('Renaissance', classicisme) depuis le 16e siècle : Grèce et Rome antiques sacralisées (en ignorant délibérément leurs contradictions fatales) ; 'invasions barbares' et triomphe du christianisme et de l'islam ouvrant un 'âge des ténèbres'. Weil rappelle, en passant, que le christianisme s'est toutefois 'dénaturé' en devenant, sur les derniers siècles (à partir du 4e), la religion d’État de l'Empire romain finissant puis de son hériter byzantin, d'où, dès cette époque, la multiplication des 'hérésies' (arianisme, nestorianisme, monophysisme, gnosticisme etc.) contestant (sous couvert de théologie) le dogme officiel fixé au concile de Nicée (325 ap. J-C) ; tandis que dans les campagnes d'Europe profonde, le paganisme résistait et résistera encore pendant des siècles, sous le nom de 'sorcellerie'... L'islam, au contraire, 'surgi du désert' sans prévenir au 7e siècle, et doté (en plus) d'un véritable programme politique de gouvernement, aura cette dimension 'révolutionnaire' qui lui permettra la conquête rapide d'immenses territoires sur les Byzantins, les Perses et les Wisigoths (en Espagne) ; les populations se ralliant massivement aux 'envahisseurs' (en particulier les communautés 'hérétiques', comme les ariens d'Espagne).

Aux 10e-11e siècles, la reconstruction est achevée et c'est alors (au nord de la Méditerranée) l'âge ROMAN et la 'Renaissance médiévale', la 'vraie Renaissance' selon Weil : l'apogée du mode de production féodal en tant que mode de production supérieur aux précédents, porteur de progrès pour l'humanité euro-méditerranéenne. Une Renaissance dont l'Occitanie d'alors est un très important CENTRE ; lié via la Catalogne à l'Andalus ibérique, via les Alpes à la péninsule italienne, et via l'Arpitanie (alors 'royaume de Bourgogne') à l'Europe rhénane. Weil aborde cette période dans son texte sous l'angle de l'organisation socio-politique, de l'art (religieux) et de la littérature/poésie 3-Saint-Sernin-3(courtoise), etc. etc. - bien sûr, tout cela est décrit à travers le prisme de son idéalisme catho-mystique, donc forcément très éloigné d'une analyse scientifique marxiste (analyse des classes, de leurs relations et de leurs contradictions, du pouvoir politique et de la 'conscience collective' - dont la culture, l'art font partie - comme 'gestion' de ces relations et contradictions etc.).

[Sur la "genèse" de l'Occitanie dans ce contexte médiéval, lire : la-notion-d-ensemble-economique-tributaire-au-moyen-age-feodal-et-la-g-a161070402]

Weil nous dit ensuite : "Il y avait encore alors un lien vivant avec les traditions millénaires que de nouveau aujourd'hui nous essayons de découvrir avec peine, celles de l'Inde, de la Perse, de l’Égypte, de la Grèce, d'autres encore peut-être. Le XIIIe siècle coupa le lien. Il y avait ouverture à tous les courants spirituels du dehors. Si déplorables qu'aient été les Croisades, du moins elles s'accompagnèrent réellement d'un échange mutuel d'influences entre les combattants, échange où même la part des Arabes fut plus grande que celle de la chrétienté. Elles ont été ainsi infiniment supérieures à nos guerres colonisatrices modernes. À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire".

Nous ne sommes pas d'accord. Pour nous, le début des Croisades (1095) marque de fait l'entrée dans la première crise générale du mode de production féodal, dont elles sont en fait une 'soupape' qui prolonge, pour un siècle encore, la Renaissance médiévale romane [crise de "surproduction absolue d'atomisation micro-tributaire" en quelque sorte, surproduction de baronnies rétives à toute autorité supérieure et se faisant la guerre en permanence, causant une instabilité généralisée, d'où l'idée d'envoyer tous ces petits barons "propager la foi chrétienne par le glaive" au loin... et se tailler pour un siècle et demi les premières (quelque part) "colonies" européennes hors d'Europe, en déclenchant au passage, notamment dans les cités marchandes italiennes, des mécanismes relevant déjà de l'accumulation primitive rejoignant donc, comme manifestation concrète, ce que dit Amin des racines de la Modernité capitaliste dans l'instabilité du système tributaire de la féodalité européenne médiévale ; et au demeurant, n'oublions pas qu'ont aussi été des Croisades la Reconquista espagnole, qui s'accélère à cette époque, la conquête de la Sicile à partir de 1060 par des chevaliers normands, ainsi que... la conquête de l'Occitanie au 13e siècle, dont il est essentiellement question dans ce texte].

Le mode de production féodal, qui connaît son apogée au 11e siècle, a traversé en réalité deux crise générales, entrecoupées par ce que l'on appelle classiquement la 'Renaissance' : la première de la fin du 11e jusqu'au milieu du 15e siècle (Croisades, deux 'Guerres de Cent Ans' en Europe occidentale etc.), avec une petite stabilisation vers la fin du 13e/début du 14e siècle ; la seconde du milieu du 16e jusqu'au début du 19e siècle (avec les Guerres de Religion, la Guerre de Trente Ans puis toutes les guerres européennes de Louis XIV et Louis XV jusqu'à la Révolution et l'Empire ; et la première grande expansion coloniale de l'Europe), là encore avec des périodes de stabilisation de quelques décennies maximum. La première donne naissance à l’État moderne (absolutiste) ; la seconde se 'résout' par les révolutions bourgeoises et donne donc naissance à l’État bourgeois (contemporain).

Maintenant, il est vrai que l'époque des Croisades a été marquée par une interpénétration intellectuelle, qu'elle s'est caractérisée par une importation (par pillage violent !) en Europe de connaissances scientifiques et techniques voire (même) de conceptions humanistes du monde musulman attaqué, choses que l'on ne retrouve pas dans les conquêtes coloniales du 16e siècle jusqu'à nos jours, avec un Occident sûr de lui et 'supérieur', qui prétend 'civiliser' les peuples qu'il soumet.

1726705-cathedrale notre dame de rouen-rouenEt entre les deux, que s'est-il passé ? Weil nous dit que "À partir du XIIIe siècle l'Europe se replia sur elle-même et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire", et que "Le Moyen Âge gothique, qui apparut après la destruction de la patrie occitanienne, fut un essai de spiritualité totalitaire. Le profane comme tel n'avait pas droit de cité. Ce manque de proportion n'est ni beau ni juste ; une spiritualité totalitaire est par la même dégradée. Ce n'est pas là la civilisation chrétienne. La civilisation chrétienne, c'est la civilisation romane, prématurément disparue après un assassinat. Il est infiniment douloureux de penser que les armes de ce meurtre étaient maniées par l'Église. Mais ce qui est douloureux est parfois vrai. Peut-être en ce début du XIIIe siècle la chrétienté a-t-elle eu un choix à faire. Elle a mal choisi. Elle a choisi le mal. Ce mal a porté des fruits, et nous sommes dans le mal. Le repentir est le retour à l'instant qui a précédé le mauvais choix." : eh oui ! L'âge gothique (13e-15e siècles) voit la mise en place des États modernes et, dans chacun de ces États, l’Église passe au service du pouvoir monarchique ; elle perd son caractère 'universaliste' euro-méditerranéen pour devenir un pur 'bras' de l'appareil d’État, elle devient donc ce que Weil appelle 'totalitaire'. C'est l'époque où naît l'Inquisition, laquelle, contrairement à ce que l'on pense souvent, n'est pas un instrument du pape, indépendant voire en contradiction avec les monarchies : elle a un caractère national et agit totalement au service des jeunes États modernes, comme ce qu'il convient d'appeler une police politique, une Gestapo agitant de manière politique les accusations d'hérésie, de sorcellerie, de 'sodomie' et autres joyeusetés. Bernard Gui (début du 14e siècle), de naissance limousine, sévit en Occitanie pour le compte de la monarchie capétienne comme avant lui le tristement célèbre légat Arnaud Amaury/Amalric du massacre de Béziers (de naissance vraisemblablement languedocienne, en tout cas le nom Amalric est languedocien) ; tomas de torquemadaTorquemada (fin du 15e siècle), castillan, sévit dans la péninsule ibérique pour la monarchie de Castille-Aragon ; etc. etc. [on peut aussi évoquer, plus tard (1609), la 'chasse aux sorcières' en Pays Basque (Lapurdi) menée par les collabos bordelais d'Espagnet et de Lancre - ce dernier lui-même d'origine basque souletine...]. Là où, par la suite, c'est le protestantisme qui deviendra religion d’État, il existera également des formes d''inquisition protestante' comme le montrent les procès en sorcellerie de Salem en Nouvelle-Angleterre (colonie anglaise d'Amérique du Nord) tandis qu'à Genève, Calvin fera brûler vif Michel Servet - opposant politico-théologique aux thèses radicales...

En réalité, les choses se sont déroulées comme suit :

- L'ÂGE ROMAN (950-1200) correspond à la Renaissance médiévale, 'âge d'or' et apogée du mode de production féodal. Le régime seigneurial (éventuellement ecclésiastique) exploite la terre, première source de reproduction des conditions d'existence, de manière plus ou moins brutale (servile) ou 'libre' (alleutière) selon les régions (en fait, selon les climats et la fertilité des sols) [lire à ce sujet : grande-etude-historique-pais-commune-populaire]. Les artisans transforment la matière en marchandise ; les commerçants la commercialisent : le capitalisme apparaît. L'Église se charge d'encadrer et de 'pacifier' les comportements sociaux ('Paix de Dieu' etc.). La société est cohérente ; il y a des contradictions bien sûr mais la complémentarité des fonctions dans l'organisation sociale productive est principale ; et, lorsque les conditions climatiques et la fertilité des sols (forces productives essentielles à l'époque !) le permettent, comme en Occitanie ou en Andalousie, l'on atteint de hauts degrés de civilisation et de 'bien-être général', peut-être sans précédent dans l'histoire (Weil évoque fréquemment la Grèce antique, mais en est-elle si sûre ? 90% de la population de celle-ci n'était-elle pas esclave ou semi-esclave ?). Cette période donne naissance aux nations modernes/contemporaines ; comme la Nation occitane. Mais tout cela est forcément éphémère et, à un moment donné, le mode de production féodal va atteindre ses limites et voir ses contradictions exploser.

Assassinat Etienne Marcel- L'ÂGE GOTHIQUE (1200-1450) correspond à la première crise générale de la féodalité qui va donner naissance à l’État (et à l'époque) moderne, à l'absolutisme. Comme tout mode de production ayant atteint les limites de ses capacités historiques, la féodalité tend à la concentration par élimination : elle tend à l'accumulation de domaines entre quelques mains dynastiques, de manière de moins en moins pacifique (mariage, achat) et de plus en plus violente (guerre, conquête). Toute classe ou fraction de classe appelée à jouer un rôle historique à un moment donné produit son 'grand dirigeant', son 'homme providentiel' ; et la fraction de la classe aristocratique constituée par la maison capétienne et ses fidèles va le produire en la personne du roi Philippe II Auguste : en un peu plus de 40 ans de règne, celui-ci va étendre l'imperium (autorité effective) des Capétiens d'une région située entre la Loire, la Somme et la Meuse (à l'Ouest de la Touraine et de la Normandie), jusqu'à... l'actuel Hexagone entier, sauf les régions à l'Est de la Meuse, de la Saône et du Rhône, et un petit l5xyx6ko7wqbj1p8bi-474px-france 1154-frréduit (anglais, Plantagenêt) en Gascogne. Il donne naissance à la France dont il devient le premier roi, et non plus un symbolique 'roi des Francs occidentaux'. Il conquiert directement l''Empire plantagenêt', qui s'étendait de la Normandie aux Pyrénées en passant par l'Anjou, le Poitou etc. ; et indirectement, par le biais d'une 'Croisade contre l'hérésie albigeoise', l''Empire' arago-toulousain qui s'étendait du Rhône à la Garonne et du 'Massif central' aux Pyrénées. Ses successeurs (Louis VIII, 'Saint' Louis IX, Philippe III et Philippe IV le Bel) poursuivent et consolident son œuvre (mettant également la main sur le Dauphiné, la Provence, la région lyonnaise etc.). Après la mort de Philippe le Bel, les rois d'Angleterre (ses descendants par sa fille) tenteront de s'emparer de l’œuvre en invoquant cette filiation, mais ils seront mis en échec par la branche cadette des Valois et définitivement expulsés du continent.Conquetes Philippe Auguste

De son côté, comme chacun-e le sait, le capitalisme ne peut se développer que dans la concurrence : un capitaliste ne peut JAMAIS accumuler et valoriser 'mieux' son capital autrement qu'aux dépens des autres. Et, dans ce processus que nous venons de décrire... les capitalistes, les grands bourgeois de Paris et alentours, ayant les faveurs de la maison capétienne, vont évidemment profiter de l'expansion territoriale, de l'accumulation de domaines de celle-ci ; tandis que, de leur côté, les bourgeois 'de second rang' des territoires conquis vont, souvent, pactiser avec elle contre les très-grands-bourgeois ayant les faveurs du comte ou du duc local (des petits féodaux mécontents pactiseront aussi pour les mêmes raisons).

Le même processus s'accomplit dans les autres régions de l'Europe ; sauf en Italie où quelques tentatives (comme celle des Médicis auxquels Machiavel dédie son Prince) se heurteront à l'opposition papale soutenue par l'Autriche et l'Espagne, à la Contre-Réforme, à la rivalité des grands empires maritimes de Venise et Gênes etc. etc. (Gramsci dira notamment que "la Papauté fut trop faible pour faire l'unité, mais assez forte pour l'empêcher") et en Allemagne, où la Réforme achève la désagrégation politique commencée au 13e siècle (il y aura deux grands États moderne, l'Autriche et la Prusse, dont la conclusion de la lutte sera la naissance des États contemporains d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie - laquelle disparaît en 1918).

LouisXjuifscharte-copie-1.jpgLorsque le processus s'achève, l’État moderne ainsi constitué par le 'mariage' du féroce ost (armée royale) et des grands capitalistes/argentiers de Cour apparaît nettement comme l'appareil/cadre politico-militaire adéquat dans lequel le développement capitaliste va pouvoir se poursuivre et (même) s'accélérer [de leur côté, les éléments féodaux et cléricaux suffisamment 'pragmatiques' y trouvent un cadre de survie, au sein de l'appareil qui leur offre moult 'niches écologiques']. Car il ne faut pas oublier que, contrairement au noble, le bourgeois n'est à l'origine (et par définition) pas un guerrier : la totalité de son activité est consacrée aux 'affaires'. Les villes, certes, ont leurs milices bourgeoises et peuvent parfois se défendre vaillamment, mais de là à 'tenir' un État de la taille de la 'France', de l'Angleterre etc., c'est une autre paire de manche... Or, la force armée est l'instrument indispensable pour qu'une classe dominante puisse défendre ses intérêts, contre ses concurrents comme contre ceux qu'elle exploite - et qui se révoltent. C'est donc l'aristocratie qui se verra 'déléguer' cette tâche, sous l'absolutisme (aristocratie pro-monarchie) et même encore longtemps après les révolutions bourgeoises, lorsque la bourgeoisie sera seule au pouvoir : les aristocrates sont encore très nombreux dans le corps des officiers en Europe lors de la 2de Guerre mondiale.

Le bourgeois n'est d'ailleurs pas non plus, pour les mêmes raisons, un idéologue... C'est fondamentalement un cynique, qui ne croit qu'en l'accroissement de son capital. La tâche d'encadrement idéologique de la société, il va donc pendant longtemps la confier à l’Église, qui, selon les propres mots d'Adolphe Thiers, "propage cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici-bas pour souffrir, et non cette autre philosophie qui lui dit au contraire : jouis" ; faisant d'elle une religion d’État qu'elle n'était pas en l'An 1000 (où l’État tel que nous le concevons, de toute manière, n'existait pas !)[2]. Il est en fait possible de dire que, depuis les débuts de l'accumulation capitaliste, toute la praxis idéologique/culturelle de la bourgeoisie est en définitive une quête de sa 'virilisation' comme classe dominante (alors que la 'virilité' du seigneur médiéval 'coulait de source') ; d'abord par la quête de l'anoblissement (sous l'Ancien régime, mais très vite 'noble' devient synonyme de 'parasite décadent'), puis par des 'épopées' militaires (guerres de Cromwell avec sa  New Model Army, guerre d'indépendance US, guerres révolutionnaires et napoléoniennes - Valmy,  Grande Armée et tout le tralala ; rambo10guerres de l'Unité italienne et allemande, conquêtes coloniales, conquête de l'Ouest américain etc.), tentant d'établir un parallèle avec des 'mythes' du passé (Sparte, Rome, les Germains et les Chevaliers Teutoniques, etc. etc.) ; et la recherche, également, d'une idéologie cohérente et 'englobante', 'totale'. Le fascisme (et l'impérialisme en général) ne seront pas autre chose, avec la brutalité sauvage de ce stade où le capitalisme a perdu absolument tout caractère progressiste.

- IL Y AURA TOUJOURS DES CONTRADICTIONS PAR LA SUITE ; et, après la période communément qualifiée de 'Renaissance' (milieu 15e-milieu 16e siècle), la féodalité entre une nouvelle fois en crise générale (cette fois-ci, les classes féodales sont devenues totalement parasitaires, elles n'ont plus aucune utilité sociale à moins de se transformer en capitalistes - agraires, par exemple... mais en France, édits et ordonnances se succèdent aux 16e et 17e siècles pour le leur interdire, sous peine de perdre leurs privilèges et d'être 'ramenées en roture'). Ces contradictions vont notamment éclater dans les Guerres de Religion, qui marquent souvent, guerresreligionque ce soit du côté 'huguenot' ou du côté de la Ligue, l'expression d'un refus du centralisme et de l'absolutisme monarchique dans les terres conquises depuis le 13e siècle : l'Occitanie, l'Arpitanie et l''Ouest' poitevin-saintongeais et normand deviennent des bastions de la Réforme ; tandis que la Provence, la Bretagne, la région lyonnaise, la Picardie ou encore la Bourgogne deviennent des bastions catholiques anti-protestants, en même temps que Paris et sa région qui contestent également l'absolutisme ; les uns accusant la monarchie d'être trop anti-protestante, les autres de ne pas l'être assez. CEPENDANT, on notera qui si la politique du roi peut à tel ou tel moment être violemment contestée, le principe monarchique et le principe de l'unité du royaume n'est jamais remis en question : l'on défend ses 'libertés' locales (privilèges)... ou l'on dénonce celles du voisin ; on déplore que le roi écoute de 'mauvais conseillers' ; on souhaite, au pire, qu'il passe rapidement de vie à trépas et que lui succède un fils plus avisé (quitte à lui 'forcer' un peu la main, ce que fit Ravaillac...) ; mais JAMAIS l'on ne remet en cause le Royaume de France en tant que tel, qui apparaît sans l'ombre d'un doute comme le cadre politico-militaire dans lequel, à la fois, la bourgeoisie capitaliste peut se développer et l'aristocratie et le clergé prolonger leur existence sociale. C'est l'époque où, dit Weil, "Richelieu, dans son travail d'unification, eut tué en France tout ce qui n'était pas Paris" et où "Louis Richelieu1XIV imposait à ses sujets une soumission qui ne mérite pas le beau nom d'obéissance"...[3] Lorsque la Révolution bourgeoise viendra balayer ces privilèges anachroniques et parasitaires, elle ne remettra pas non plus en cause ce cadre essentiel à son existence : d'abord, parce que la bourgeoisie révolutionnaire n'était majoritairement pas républicaine (mais pour une monarchie libérale/constitutionnelle/parlementaire ou une 'solution Bonaparte'), jusqu'en 1870 en tout cas ; ensuite, parce que même la bourgeoisie républicaine la plus 'avancée', 'démocratique-radicale', mettra en avant, en lieu et place de la 'souveraineté de droit divin', la 'République une et indivisible' comme cadre du 'progrès' dont elle remplissait (comme toutes les autres fractions bourgeoises) ses coffres-forts. L'alliance objective entre cette bourgeoisie 'radicale' et le mouvement ouvrier naissant contaminera durablement ce dernier avec les conceptions de la première (c'est très net, notamment, dans les déclarations des Communes de 1871), en Hexagone mais aussi internationalement. L''accord de principe' sur la 'République une et indivisible' est encore aujourd'hui une passerelle essentielle entre les franges droitistes, opportunistes du mouvement ouvrier (les plus corrompues par les bénéfices de l'impérialisme !) et la 'gauche' de la bourgeoisie... voire le fascisme, lorsque celui-ci se présente comme 'ni droite ni gauche', 'social' etc. !

dragonnades- LE CAPITALISME SE DÉVELOPPE DONC pendant toute cette période entre la fin du 15e et la fin du 18e siècle, réalisant son ACCUMULATION PRIMITIVE jusqu'à la Révolution bourgeoise qui permet le 'saut' vers la révolution industrielle. Cependant, même si (pour rester en 'France') de très importants territoires seront encore annexés pendant cette période (ni plus ni moins que l'actuel Nord-Pas-de-Calais, l'Alsace et la Lorraine, plus le Roussillon, la Franche-Comté ou encore la Corse, sans parler de la Savoie, du Comtat/Vaucluse et de Nice annexés après la Révolution !), l'expansion territoriale en Europe même 'sature' : tout simplement parce que cela veut dire... se heurter à d'autres États modernes, dans des guerres longues, meurtrières et coûteuses, pour des gains territoriaux très en dessous de l''investissement'. C'est donc HORS D'EUROPE que vont se poursuivre (en symbiose) l'accumulation de domaines par les maisons monarchiques (féodalité totalement dépassée historiquement, parasitaire) et l'accumulation primitive du Capital. Évidemment, l'une comme l'autre vont se faire avec une brutalité sans précédent, et sans commune mesure avec les Croisades qui n'étaient pourtant pas, elles-mêmes, des parties de plaisir... C'est ce que dit Weil lorsqu'elle dit que "à partir du XIIIe siècle, l'Europe se replia sur elle-même, et bientôt ne sortit plus du territoire de son continent que pour détruire" : en effet, la construction des États modernes est un processus long, laborieux et souvent guerrier, où les grandes dynasties construisent leurs "États-nations" (en réalité, leurs États/cadres 03 ventepolitico-militaires où une nation - les grands possédants d'une nation - en dominent d'autres) ; et ce processus tend à fermer les États en construction sur eux-mêmes, mettant fin à l''universalité chrétienne' euro-méditerranéenne qui prévalait en l'An 1000, et a fortiori aux relations extra-continentales. Il ne faut pas oublier que cette période est aussi la phase de transition où, comme l'explique Samir Amin, l'Europe cesse d'être une périphérie d'un 'système-monde' dont le Centre s'étend du Maghreb à la Chine en passant par le Machrek, la Perse et l'Inde, pour devenir le Centre du nouveau monde moderne post-1500 : comme le dit Weil, elle se replie quelques siècles (200 à 250 ans) sur elle-même (en fait, chaque État en son sein se replie sur lui-même, ne communiquant avec les autres que par la guerre) ; puis, lorsque l'accumulation primitive capitaliste nécessite d'autres 'terrains' que ceux fournis par le 'Vieux Continent', elle va à nouveau les chercher par delà les mers, mais plus trop vers l'Orient (qui, avec l'Empire ottoman, s'est un temps ressaisi) : ce sera vers 'les Indes', que l'on va aller chercher par la navigation au long cours, le Portugal et la jeune 'Espagne' ouvrant le bal à peine achevée la 'Reconquista' de la péninsule par la prise de Grenade... L'Europe sort alors à nouveau de son continent, mais exclusivement "pour détruire" - ou plutôt, pour asservir.

françois 1Cette période coïncide, sur le continent même, avec ce que nous appelons communément la 'Renaissance'. De cette 'Renaissance' de 1450-1550, et des siècles qui suivirent, Weil nous dit : "Quelques siècles plus tard eut lieu l'autre Renaissance, la fausse, celle que nous nommons aujourd'hui de ce nom. Elle eut un point d'équilibre où l'unité des deux esprits fut pressentie. Mais très vite elle produisit l'humanisme, qui consiste à prendre les ponts que la Grèce nous a légués comme habitations permanentes. On crut pouvoir se détourner du christianisme pour se tourner vers l'esprit grec, alors qu'ils sont au même lieu. Depuis lors la part du spirituel dans la vie de l'Europe n'a fait que diminuer pour arriver presque au néant. Aujourd'hui la morsure du malheur nous fait prendre en dégoût l'évolution dont la situation présente est le terme. Nous injurions et voulons rejeter cet humanisme qu'ont élaboré la Renaissance, le XVIIIe siècle et la Révolution. Mais par là, loin de nous élever, nous abandonnons la dernière, pâle et confuse image que nous possédions de la vocation surnaturelle de l'homme". Là Montaigneencore, elle a raison : contrairement à la première, la 'vraie' des 11e-12e siècles, cette 'fausse Renaissance' (comme le classicisme louis-quatorzien qui suivra) ne fut pas l'expression spontanée ('d'en bas') d'un mode de production féodal à son apogée progressiste (au regard de l'histoire). Elle fut l'expression d'une féodalité 'pourrissante', historiquement dépassée, à son 'stade suprême' décadent-réactionnaire de concentration du pouvoir féodal sous la forme de l’État moderne ; dans le cadre et à l'abri duquel le capitalisme réalisait son accumulation primitive et, tout à cette préoccupation s'embarrassant fort peu de bons sentiments, était encore loin de son apogée progressiste à lui... Elle fut une 'séquence culturelle' de l'histoire totalement pilotée et encadrée 'd'en haut', par le mécénat des grands monarques ; et la très grande majorité de sa production culturelle, artistique et philosophique (Machiavel, Bodin etc.) est
machiavelvouée à magnifier et justifier l'absolutisme, désormais consolidé. Le développement accéléré du capitalisme... et, déjà, de ses contradictions avec les masses productrices (dont il a cependant conscience, contrairement aux autres modes de production, d'avoir un besoin vital) amène l'émergence d'une certaine pensée 'humaniste', 'contestataire' (de l'absolutisme et des privilèges), 'républicaine' (courants calvinistes de la Réforme, mais aussi courants catholiques comme notamment les Jésuites) voire 'démocratique' (Thomas More, Campanella), qui ouvre la voie aux Lumières (la véritable apogée progressiste du capitalisme) ; mais tout cela reste encore très marginal (et sévèrement réprimé comme le montre le sort de Thomas More, Campanella, Michel Servet, Giordano Bruno etc.). Comme nous le dit Weil, un 'point d'équilibre' est effleuré, mais finalement pas trouvé - car introuvable. Le courant luthérien (Martin Luther) de la Réforme s’accommode tout à fait de l'absolutisme, et sera fait religion d’État par de jeunes monarchies absolues comme le Danemark, la Suède ou la Prusse. Plus 'républicaines', les thèses de Calvin resteront limitées - comme religion officielle - à quelques républiques (ou fédérations de républiques) urbaines aristo-grand-bourgeoises comme les cantons suisses ou les Provinces-Unies des Pays-Bas. Ce qui est indéniable (et se poursuivra aux siècles suivants), c'est rabelaisle progrès scientifique et technique de l'époque, avec Ambroise Paré, Galilée, Copernic et d'autres ; mais, en plus de se heurter aux dogmes 'scientifiques' de l’Église, dont l'importance pour l'organisation sociale est encore trop grande pour qu'elle puisse être ainsi remise en question, ce progrès est tout entier mis au service de l'absolutisme et de l'accumulation primitive capitaliste que celui-ci abrite sous son aile, quand bien même un 'subversiviste' de l'époque, Rabelais, peut s'écrier que 'science sans conscience n'est que ruine de l'âme'. Ce que Weil explique, de manière alambiquée, c'est que finalement du christianisme on rejette l'humanisme roman, pour ne garder que le 'principe d'autorité' ('émanant de Dieu' à travers son représentant sur Terre, le roi) et le 'droit naturel' (qui rejette la tyrannie, mais tout autant l''anarchie', c'est-à-dire la démocratie authentique) ; et de l'Antiquité classique l'on reprend surtout le 'sens de l’État' et de sa magnificence, à laquelle tou-te-s doivent se soumettre sans broncher - les 'classiciste' de l'époque sont en réalité bien plus 'Romains' que 'Grecs'.

Tout ceci est, de fait, à mettre en parallèle avec le processus complexe et contradictoire d'émergence du capitalisme et de sa "Modernité" tel que nous avons pu l'analyser à la lumière des thèses d'Amin, notamment dans ce passage : img.over-blog-kiwi.com/3803.png.

rousseauCe n'est donc qu'à partir de la fin du 17e siècle, et surtout du milieu du 18e, qu'émerge massivement, dans ce que l'on appelle les Lumières, une pensée réellement libérale voire 'démocrate-humaniste' ; expression du stade où le développement du capitalisme 1°/ doit à tout prix se débarrasser des vieilles reliques féodales parasitaires, qui empêchent la révolution industrielle, 2°/ a déjà BEAUCOUP de contradictions à gérer avec les classes populaires laborieuses (et le prolétariat naissant), tout en ayant un besoin capital de leur alliance contre les forces féodales (et en ayant, on l'a dit, contrairement aux modes de productions précédents, conscience de ces contradictions qui 'creusent sa tombe'). Pour autant, le refus (fondamental) de remettre en cause la propriété privée des moyens de production et la liberté 'sacrée' d'entreprendre laisse, en pratique, les idées démocratiques/humanistes les plus radicales au stade de vain mot... Depuis lors, l'histoire des deux derniers siècles est en dernière analyse sous-tendue par la contradiction entre ces idéaux démocratiques, égalitaires et 'fraternels' que la bourgeoisie a utilisés pour prendre le pouvoir pour elle seule, et la réalité, qui est le pouvoir absolu du détenteur capitaliste de moyens de productions et/ou de capital financier sur la société. La solution de cette contradiction réside évidemment dans l'élimination du second, c'est à dire la Révolution prolétarienne : ALORS, comme nous l'enseignent les marxistes depuis plus de 150 ans, la démocratie qui règnera aura bien plus de réalité et de sens que tout ce qu'ont pu promettre aux masses les plus 'radicaux' des révolutionnaires bourgeois.

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Mais, nous l'avons vu, au moment où elle écrit ces lignes, Weil a totalement rejeté cette perspective au profit d'un idéalisme catho-humaniste de 'contrat social' basé sur le 'consentement' et non 'la force' ; un 'consentement' (elle dit 'obéissance') qui serait finalement le reflet terrestre du lien à Dieu - ce Dieu auquel on obéit, non parce qu'il nous pointe une arme sur la tempe, mais parce qu'il est Dieu... Toute la belle démonstration tombe à plat, dans un tortueux salmigondis philosophico-mysticoïde où tout repose sur la 'pureté' de l''idée' (elle parle d''inspiration' ou de 'révélation'), qui 'tomberait du ciel' (en l'occurrence, de Dieu).

L'Occitanie de la 'Renaissance médiévale', nous dit-elle, ne H063 Monfortressuscitera pas : "on l'a, par malheur, trop bien tuée". Elle a là à la fois raison et tort : pour nous non plus, l'Occitanie soumise dans le sang au 13e siècle, l'Occitanie des fiefs féodaux d'Aquitaine, de Toulouse et d'Aragon, ne renaîtra pas à l'identique (ce serait une absurdité au regard du matérialisme dialectique), et ne renaîtra pas non plus sous la forme d'un État tel que nous l'entendons communément, un État moderne... qu'elle n'a jamais été (voir note de bas de page ci-dessous) et qu'elle n'aurait, selon nous, JAMAIS PU ÊTRE. Comme il a été expliqué dans l'article de Sheisau Sorelh, le 'Sud' occitan (avec ses imprégnations latines, grecques voire orientales, que vomissait le fasciste Céline) a sans aucun doute, dans l'actuel Hexagone, 'inventé' le capitalisme (avant même les régions de l'axe Rhône-Saône-Rhin-Meuse), et l'humanisme 'spontané' qui va avec, qui en naît spontanément. MAIS le 'Nord', avec sa féroce féodalité guerrière franque (la 'vraie France', 'germanique et celte' du même Céline : voilà un bel exemple de cette quête de virilité de la bourgeoisie dont nous avons parlé), a fourni et pouvait seul 1768486817fournir, à ce capitalisme, le cadre politico-militaire lui permettant de se développer au-delà d'un niveau élémentaire ; et il ne pouvait pas en être autrement, car le capitalisme ne PEUT PAS (par nature) en rester à un tel niveau élémentaire. Il en a été ainsi dans toute l'Europe et, finalement, ce furent de nouvelles 'invasions barbares', une nouvelle 'régression féconde' : une nouvelle fois, la 'barbarie', les 'moins civilisés', ont amené aux terres 'plus civilisées' le 'fer' politico-militaire permettant aux forces productives de faire un 'bond'. Le capitalisme, peut-on dire en quelque sorte, sécrète spontanément de l'humanisme, car il met forcément (par nature) en valeur l'individu, il arrache l'individu aux liens de dépendance et de subordination personnelle (à justification divine) pour mettre en présence un vendeur et un acheteur, en principe égaux... Mais pour se développer, pour faire des 'bonds' (nécessaires) dans l'accumulation et la valorisation de son capital, il doit en permanence piétiner cet humanisme qu'il a précédemment sécrété.

Weil oppose au capitalisme monopoliste, impérialiste, militariste et fasciste de son temps, au capitalisme de 'minuit dans le (20e) siècle', un 'autre' capitalisme, le capitalisme tel qu'il aurait été 'si' l'Occitanie médiévale n'avait pas été égorgée par les hordes de Montfort... Pour nous, c'est de l'idéalisme complet. Cette Occitanie 'ne ressuscitera pas', ce avec quoi nous sommes d'accord... et alors, pour Weil devenue finalement 'démocrate-chrétienne de gauche', la 'Renaissance médiévale' des 10e-12e siècles dont cette Occitanie était l'un des 'centres' renaîtra sous la forme de "l'Europe de la paix et du droit" blablablabla ; cette Europe qui, elle n'en doute pas, naîtra forcément de la victoire certaine sur la Nouvelle Bête nazie (Simone Weil est, également, considérée comme une 'mère' de l''idéal' européen). Aujourd'hui, cette Europe existe, elle se 'construit' depuis 60 ans... et l'on voit bien ce qu'elle a donné ! Il est d'ailleurs probable que, percevant elle-même l'impossibilité de cet 'idéal', Simone Weil se soit donné la mort à Londres où elle avait rejoint la 'France libre', par refus d'alimentation et de soins (elle était tuberculeuse). Finalement, ce que Weil la parigao en exil 18 mars - Art de la Renaissance - Vue de la cité idéale (écrit ici sur notre Occitanie et sa perspective historique, pourrait tout à fait être repris par nos courants 'euro-régionalistes' petits bourgeois à la POc ou PNO - à vrai dire, il est pratiquement impossible qu'ils n'en aient pas connaissance et ne s'en réclament pas.

POUR NOUS au contraire, l'Occitanie de la Renaissance médiévale, qui ne renaîtra pas sous la forme d'un État moderne qu'elle n'a jamais été et n'aurait jamais pu être, le fera sous celle d'une Fédération socialiste démocratique de Communes populaires (ce qu'envisageait une partie du mouvement 'communard' de 1871), qui sera elle-même un bataillon de la grande Révolution prolétarienne mondiale et, à terme, une (petite) partie de la Cité universelle communiste.

Pour autant, jusqu'au 'crash' européiste-humaniste-catho-de-gauche final, Simone Weil n'en met pas moins impeccablement en avant les 'bonnes' (progressistes) et les 'mauvaises' (réactionnaires, antipopulaires) périodes historiques de l'Occitanie et de la 'France' depuis un millénaire. Puisque nous avons parlé de ces auto-proclamés 'gardiens du temple' marxiste, et puisque nous en avons aujourd'hui même des 'spécimens' sous nos yeux, dans la mouvance marxiste-léniniste-maoïste mais aussi 'ML tout court' ou encore trotskyste, que mettent-ils, eux, en avant ? Ils aiment bien, certes, l'âge roman de la 'Renaissance médiévale'. Mais ils n'en aiment pas moins l'âge gothique, celui de la construction pseudo-'nationale' totalitaire de l’État moderne absolutiste. Ils mettent, surtout, en avant l'absolutisme, de cet âge gothique jusqu'aux Lumières (qui, on l'a dit, n'était majoritairement pas républicaines et encore moins démocrates, mais pour une monarchie absolue 'tempérée' par une représentation 'nationale' permanente), en passant par la Renaissance et le conrad1classicisme : l'absolutisme, ce mariage de cinq siècles (non sans 'scènes de ménage', certes !) entre une féodalité dépassée et parasitaire (concentrée dans la royauté et sa Cour) et un capitalisme en accumulation primitive sauvage, ne s'embarrassant guère de bons sentiments - à peine gratte-t-on un peu le vernis 'humaniste' d'un Montaigne ou d'un Rabelais, d'un Descartes ou d'un Spinoza, ou d'une poignée d'Encyclopédistes... Ils célèbrent des serviteurs fondamentaux de cet absolutisme, intellectuels comme le grand bourgeois anobli Nicolas Boileau (Enfin Malherbe vint), ou artistes comme le jardinier royal Le Nôtre ou le bouffon de cour Molière. Ils célèbrent, évidemment, la période révolutionnaire bourgeoise (1750-1850), éclair de lumière où une bourgeoise sûre d'elle-même et de sa position voulait faire régner sur l'humanité (enfin, l'humanité 'civilisée', européenne-chrétienne !) le droit au bonheur... mais dût vite, très vite se raviser, car face à elle se dressait déjà la pléthorique 'vile multitude' du jeune prolétariat. Dès lors que le prolétariat révolutionnaire est entré en lice (1848 est la date communément admise), nos 'phares' du marxisme rejettent alors les idéologues de la bourgeoisie, avec des figures comme Victor Hugo etc... peu importe que ces idéologues ne disent absolument rien d'autre, sous une forme 'moderne', que ce que dit la bourgeoisie depuis la 'Renaissance' du 16e siècle (qu'ils encensent) : ne cherchez pas à comprendre ! Pour eux, dans leur compréhension linéaire et antidialectique de l'histoire marxiste, toutes ces phases, 'Renaissance médiévale' après les 'temps obscurs' du Haut Moyen-Âge, construction 'gothique' de l’État moderne, absolutisme, révolutions bourgeoises, s'enchaînent et sont 'nécessaires', elles représentent chaque fois un 'progrès'. Mais, si l'on regarde uniquement les forces productives, les sciences et les techniques, la 'culture' et la 'civilisation' (notions ultra-subjectives s'il en est)... hormis quelques phases comme la décadence de l'Empire romain, la décadence de la monarchie absolue au 18e siècle ou la décadence du capitalisme monopoliste aujourd'hui, QUELLE ÉTAPE HISTORIQUE n'a pas été un 'progrès', quelle étape historique n'a pas été 'nécessaire' ? Elles ont existé précisément PARCE qu'elles étaient nécessaires !!!

Mais peu leur importe que, pour qu'à chaque étape la classe dominante développe les forces productives, il ait dû y avoir des DOMINÉ-E-S ; que ceux et celles-ci aient pu avoir leur mot à dire et, souvent, l'aient dit ; que ceux et celles-ci, les masses populaires, aient aussi LEUR PROPRE HISTOIRE. Et que ce soit cette histoire qui, l'ancien se mettant au service du nouveau, guide les masses du peuple, prolétariat en tête, en Occitanie comme au 'Nord' et dans tous les pays du monde, dans leur titanesque tâche historique de faire triompher le communisme !

communismeRien d'étonnant, en réalité, pour de tels 'marxistes' ; vu que du capitalisme et de toute l'histoire de son développement, LEUR CLASSE EST UN PUR PRODUIT : la classe des 'petits mandarins' intellectuels donneurs de leçons, des fonctionnaires, des profs, des bureaucrates et autres petits chefs 'ouvriers', BREF les petits bourgeois 'français' et occidentaux dont le 'confort de vie' repose sur les épaules de 6 milliards d'exploité-e-s à travers la planète. Quoi d'anormal à ce qu'ils admirent cette période, du 13e au 19e siècle, où derrière le vernis de quatre humanistes qui se courent après (chaque 'bond en avant' du capitalisme, on l'a dit, piétinant l'humanisme qui l'a précédé), apparaît très vite la réalité d'une féodalité absolutiste pourrissante et d'une accumulation primitive capitaliste sauvage se nourrissant dialectiquement l'une de l'autre (jusqu'à ce que la seconde se débarrasse de la première, comme un serpent fait sa mue) ? Il suffit, à vrai dire, de lire leurs positions (sur le Honduras, la Syrie ou quelque sujet que ce soit), pour voir à quel point ils en sont dénués, d'HUMANISME. Qu'ils se réclament de Trotsky ou de Staline, leur matérialisme 'dialectique' est linéaire, leur idéologie est celle du 'progrès', reconvertie en la lamentable 'théorie des forces productives'[4]. Alors que de cet humanisme, produit de ce que le capitalisme a eu de progressiste (libérer la personne humaine des rapports de dépendance personnels 'de droit divin', valoriser l'individu sur un pied d'égalité 'de principe' avec ses semblables) ou alors, de la prise de conscience de ses propres contradictions et de la volonté (impossible) de les résoudre pour y survivre, le marxisme n'est rien d'autre que la systématisation scientifique, portée à un niveau supérieur. Le marxisme est l'ARME SCIENTIFIQUE (jamais vraiment maîtrisée, et finalement rejetée par Weil) du prolétariat révolutionnaire, rendant enfin possible, PARCE QUE scientifique, la réalisation ici sur Terre et dans les tous prochains siècles de ce mot d'ordre phare de l'humanisme chrétien : "les derniers seront les premiers" ; ou, comme disaient les maoïstes chinois, "la révolution, c'est retourner la société comme un gant" !

En vérité, il ne faut pas avoir peur des mots : si une personne du niveau intellectuel de Simone Weil s'est détournée du marxisme pour se tourner vers l'idéalisme religieux... ce sont plutôt les marxistes, en tout cas certains prétendus 'phares' de la pensée marxiste comme ceux précités, qui devraient se remettre en question ; même si l'on sait qu'hélas, l'autocritique, toujours prônée pour les autres, n'est pas vraiment leur fort !


SLP dédie, au risque (assumé) de surprendre, cette longue étude à la mémoire du camarade antifasciste assassiné Clément MÉRIC, tombé le 5 juin 2013 sous les coups de merdes fascistes arborant fièrement, dans leurs meetings, croix celtiques et drapeaux tricolores ; hérauts de la ‘France éternelle’ et (sans doute) lecteurs assidus de Louis-Ferdinand Céline. Clément a rejoint dans l’éternité de nos mémoires les milliers de héros, connus ou anonymes, de son Finistère prolétarien natal comme des maquis partisans de notre Occitanie et d'ailleurs. Nous lui dédions cet article car, lorsque l’on découvre certaines connexions, tout ce qui y est dit s’éclaire dans une magistrale illustration ; et apparaît clairement le ventre fécond d’où a surgi la Bête immonde qui a emporté notre camarade.

Nous avons critiqué ici l’idéalisme de Simone Weil, mais nous n’oublions pas qu’il y avait un monde pour lequel elle se battait, le même que nous et que Clément ; et puis il y avait le monde pour lequel se battaient les Céline et les Brasillach, et se battent aujourd’hui les nervis d’Ayoub et de Gabriac, du Bloc identitaire et de Marine Le Pen : deux mondes définitivement antagoniques, et le temps de la GUERRE DES MONDES est désormais venu !

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[1] En Grande-Bretagne, les paysans chassés de leurs terres par les enclosures, devenus ‘vagabonds’, sont quant à eux assignés au travail forcé dans les workhouses, gigantesques ateliers de confection semi-esclavagistes, donnant ainsi naissance au prolétariat britannique ; ou envoyés dans les colonies sous le régime très dur de l’’engagisme’ - indenture (ils y deviendront les ‘petits blancs’). Des choses similaires - mais pas aussi institutionnalisées - existèrent dans toute l’Europe occidentale (ateliers de charité en 'France' et 'engagisme' pour les Antilles ou le Canada, etc.).

[2] L'autorité politique, du seigneur local jusqu'au grand duché et au-delà au roi ou à l'Empereur germanique, et de l'abbé jusqu'à l'évêque, l'archevêque et le Pape, fonctionnait sur un mode de subsidiarité (l'autorité supérieure étant le 'recours' face à l'autorité inférieure) ; le seigneur ou l'autorité religieuse locale étant elle-même souvent un simple 'arbitre supérieur' des communautés villageoises ou urbaines s'administrant elles-mêmes : l'autonomie locale était énorme.

[4] Théorie selon laquelle une fois que le prolétariat (enfin bon... EUX-MÊMES prétendant incarner le prolétariat) a pris le pouvoir, le système politique est 'parfait', 'supérieur' ; tout ce qu'il reste à faire est de développer les forces productives, qui sont 'en retard' sur l'organisation politique de la société ; c'est cette contradiction qui est la contradiction principale du 'socialisme' tel qu'ils le conçoivent. Cette théorie a démontré, une fois mise en pratique, être une véritable usine à nouveaux bourgeois, ces bourgeois qui émergent au sein même de l'appareil - Parti, État - révolutionnaire ; car tous les rapports sociaux inégalitaires hérités du passé restent en place voire, même, sont renforcés comme prétendument 'nécessaires' à l'effort productif. Le maoïsme (le vrai, pas le fana-stalinisme vite fait repeint !) nous enseigne au contraire que le développement des forces productives, le 'progrès', ne PEUT PAS aller sans la transformation révolutionnaire de tous les rapports sociaux dans le sens du communisme : la révolution MARCHE SUR SES DEUX JAMBES, le mouvement de l'une accompagnant le mouvement de l'autre. Si l'on ne marche que sur une seule jambe, on ne peut pas avancer. La mise en pratique de cet enseignement fut la Grande Révolution culturelle prolétarienne (GRCP).

Lire à ce sujet : La théorie des forces productives à la base du révisionnisme moderne (texte de la "Cause du Communisme", brochure de l'OCML-VP, 1980)

Destroy the old world Cultural Revolution poster

[3] À ce sujet, l'on peut encore (aussi) lire ce texte, édifiant par rapport à tout ce que nous venons de voir (on passera généreusement sur le petit passage contre Staline "limite pire" que Hitler*, le propos n'en reste pas moins intéressant) :

La France éternelle

Ce bref rappel de faits universellement connus résout déjà la question posée en ce qui concerne la France. Il n’y a pas de « France éternelle », tout au moins en ce qui concerne la paix et la liberté. Napoléon n’a pas inspiré au monde moins de terreur et d’horreur qu’Hitler, ni moins justement. Quiconque parcourt, par exemple, le Tyrol, y trouve à chaque pas des inscriptions rappelant les cruautés commises alors par les soldats français contre un peuple pauvre, laborieux et heureux pour autant qu’il est libre. Oublie-t-on ce que la France a fait subir à la Hollande, à la Suisse, à l’Espagne ? On prétend que Napoléon a propagé, les armes à la main, les idées de liberté et d’égalité de la Révolution française ; mais ce qu’il a principalement propagé, c’est l’idée de l’État centralisé, l’État comme source unique d’autorité et objet exclusif de dévouement ; l’État ainsi conçu, inventé pour ainsi dire par Richelieu, conduit à un point plus haut de perfection par Louis XIV, à un point plus haut encore par la Révolution, puis par Napoléon, a trouvé aujourd’hui sa forme suprême en Allemagne. Il nous fait à présent horreur, et cette horreur est juste ; n’oublions pas pourtant qu’il est venu de chez nous.

Sous la Restauration, plus encore sous Louis-Philippe, la France était devenue la plus pacifique des nations. Pourtant à l’étranger, le souvenir du passé faisait qu’on continuait à la craindre, comme nous avons craint l’Allemagne après 1918, et à regretter que ses vainqueurs ne l’eussent pas anéantie en 1814 ou 1815. Parmi les Français eux-mêmes beaucoup désiraient ouvertement la guerre et la conquête, et se croyaient un droit héréditaire à l’empire du monde. Que penserait-on aujourd’hui, par exemple, de ces vers écrits en 1831 par Barthélemy, poète alors populaire :

... Berlin est le domaine / Que la France a pour but lorsqu’elle se promène.

Et que penser d’ailleurs de tant de vers de Hugo à l’éloge des conquêtes françaises, où l’habitude ne nous laisse plus voir qu’un exercice littéraire ? Par bonheur, ce courant ne l’emporta pas ; pour des raisons mystérieuses la France avait cessé d’être une nation conquérante, du moins en Europe. Le Second Empire même ne put par ses folies en faire une nation conquérante, mais seulement une nation conquise. La victoire de 1918 l’a rendue, si possible, moins conquérante qu’avant, de sorte qu’elle croit ne l’avoir jamais été et ne plus pouvoir le redevenir. Ainsi changent les peuples.

Si l’on remonte plus haut dans le passé, il y a analogie entre Hitler et Louis XIV, non certes quant à leur personne, mais quant à leur rôle. Louis XIV était un roi légitime, mais il n’en avait pas l’esprit ; les misères de son enfance, environnée des terreurs de la Fronde, lui avaient donné pour une part l’état d’esprit des dictateurs modernes qui, partis de rien, humiliés dans leur jeunesse, n’ont cru pouvoir commander leur peuple qu’en le matant. Le régime établi par lui méritait déjà, pour la première fois en Europe depuis Rome, le nom moderne de totalitaire. L’abaissement des esprits et des cœurs pendant la seconde partie de son règne, celle où a écrit Saint-Simon, est quelque chose d’aussi douloureux que tout ce qu’on a pu voir par la suite de plus triste. Aucune classe de la nation n’y a échappé. La propagande intérieure, malgré l’absence des moyens techniques actuels, atteignait une perfection difficile à dépasser ; Liselotte, la seconde Madame, n’écrivait-elle pas qu’on ne pouvait publier aucun livre sans y insérer les louanges du roi ? Et pour trouver aujourd’hui quelque chose de comparable au ton presque idolâtre de ces louanges, ce n’est pas même à Hitler, c’est presque à Staline qu’il faut penser. Nous avons aujourd’hui l’habitude de voir dans ces basses flatteries une simple clause de style, liée à l’institution monarchique ; mais c’est une erreur ; ce ton était tout nouveau en France, où jusque-là, sinon dans une certaine mesure sous Richelieu, on n’avait pas coutume d’être servile. Quant aux cruautés des persécutions et au silence établi autour d’elles, la comparaison se soutient facilement. L’emprise du pouvoir central sur la vie des particuliers n’était peut-être pas moindre, quoiqu’il soit difficile d’en juger.

La politique extérieure procédait du même esprit d’orgueil impitoyable, du même art savant d’humilier, de la même mauvaise foi que la politique d’Hitler. La première action de Louis XIV fut de contraindre l’Espagne, à qui il venait de s’allier par mariage, à s’humilier publiquement devant lui sous menace de guerre. Il humilia de la même manière le Pape ; il contraignit le doge de Gênes à venir lui demander pardon ; il prit Strasbourg exactement comme Hitler a pris Prague, en pleine paix, parmi les larmes des habitants impuissants à résister, au mépris d’un traité tout récemment conclu et qui avait fixé des frontières théoriquement définitives. La dévastation atroce du Palatinat n’eut pas non plus l’excuse des nécessités de la guerre. L’agression non motivée contre la Hollande faillit anéantir un peuple libre et fier de l’être, et dont la civilisation à ce moment était plus brillante encore que celle de la France, comme les noms de Rembrandt, Spinoza, Huyghens le montrent assez. On aurait peine à trouver dans la littérature allemande contemporaine quelque chose de plus bassement cruel qu’un petit poème gai composé à cette occasion par La Fontaine pour prédire la destruction des cités hollandaises . Que La Fontaine soit un grand poète rend seulement la chose plus triste. Louis XIV devint enfin l’ennemi public en Europe, l’homme par qui tout homme libre, toute cité libre se sentaient menacés. Cette terreur et cette haine, on les voit dans les textes anglais de l’époque, par exemple le journal de Pepys ; et Winston Churchill, dans sa biographie de son illustre ancêtre Marlborough, témoigne rétrospectivement à Louis XIV les mêmes sentiments qui l’animent contre Hitler.

Mais le véritable, le premier précurseur d’Hitler depuis l’Antiquité est sans doute Richelieu. Il a inventé l’État. Avant lui, des rois, comme Louis XI, avaient pu établir un pouvoir fort ; mais ils défendaient leur couronne. Des sujets avaient pu se montrer citoyens dans le maniement des affaires ; ils se dévouaient au bien public. L’État auquel Richelieu s’est donné corps et âme, au point de n’avoir plus conscience d’aucune ambition personnelle, n’était pas la couronne, encore moins le bien public ; c’était la machine anonyme, aveugle, productrice d’ordre et de puissance, que nous connaissons aujourd’hui sous ce nom et que certains pays adorent. Cette adoration implique un mépris avoué de toute morale, et en même temps le sacrifice de soi-même qui accompagne d’ordinaire la vertu ; ce mélange se trouve chez Richelieu, qui, disait, avec la merveilleuse clarté d’esprit des Français de cette époque, que le salut de l’État ne se procure pas par les mêmes règles que le salut de l’âme, parce que le salut de l’âme se fait dans, l’autre monde, au lieu que les États ne peuvent se sauver que dans ce monde-ci. Sans recourir aux pamphlets de ses adversaires, ses propres mémoires montrent comment il a appliqué ce principe, par des violations de traités, des intrigues destinées à prolonger indéfiniment les guerres les plus atroces, et le sacrifice de toute autre considération, sans exception aucune, à la réputation de l’État, c’est-à-dire, dans le mauvais langage d’aujourd’hui, à son prestige. Le cardinal-infant, dont on a pu voir récemment à Genève le visage courageux, lucide et triste, peint avec amour par Vélasquez, fit précéder ses armes en France d’un manifeste qu’il suffirait aujourd’hui de traduire, sans changer aucun mot que les noms de Français et de Richelieu, pour en faire une excellente proclamation au peuple allemand. Car c’est une erreur grave de croire que la morale de cette époque, même en matière internationale, différât de la nôtre ; on y trouve, et même dans des discours de ministres, des textes qui ressembleraient aux meilleurs textes d’aujourd’hui à l’éloge d’une politique de paix s’ils n’étaient mieux raisonnés et infiniment mieux écrits. Une partie des ennemis de Richelieu, de son propre aveu, étaient animés par une horreur sincère de la guerre. On avait la même morale qu’aujourd’hui ; on la pratiquait aussi peu ; et comme aujourd’hui tous ceux qui faisaient la guerre disaient, à tort ou à raison, qu’ils la faisaient pour mieux l’éviter.

Si l'on remonte plus haut dans l’histoire de la France, on voit notamment que sous Charles VI les Flamands se disaient entre eux, pour s’encourager à maintenir leurs droits les armes à la main : « Voulons-nous devenir esclaves comme les Français ? » À vrai dire, depuis la mort de Charles V jusqu’à la Révolution, la France a eu en Europe la réputation d’être la terre d’élection non pas de la liberté, mais bien plutôt de l’esclavage, du fait que les impôts n’étaient soumis à aucune règle et dépendaient exclusivement de la volonté du roi. L’Allemagne, pendant la même période, fut regardée comme étant éminemment une terre de liberté ; qu’on lise plutôt les notes de Machiavel sur la France et l’Allemagne. Il en est de même de l’Angleterre, bien entendu, quelques moments pénibles mis à part. L’Espagne n’a perdu toutes ses libertés que lorsque le petit-fils de Louis XIV en eut occupé le trône. Les Français eux-mêmes, depuis Charles VI jusqu’à l’écrasement de la Fronde, ne perdirent jamais le sentiment qu’ils étaient privés de leurs droits naturels et légaux ; le XVIIIe siècle n’a pas fait autre chose que reprendre une longue tradition anéantie pendant plus d’un demi-siècle par Louis XIV. C’est au XIXe siècle seulement que la France s’est regardée elle-même et a été regardée comme étant par excellence un pays de lumière et de liberté ; les hommes du XVIIIe siècle, dont la gloire a tant contribué à donner à la France cette réputation, pensaient cela, eux, de l’Angleterre. Du reste, jusqu’au XVIIe siècle, la culture occidentale formait un tout ; nul, avant le règne de Louis XIV, n’eût songé à la découper par nations. La « France éternelle » est de fabrication très récente.

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article893

[* Certes sur le volet du "concert de louanges" envers sa personne (et c'est peut-être vrai que Hitler était relativement "sobre" en la matière, le culte étant d'abord voué à la Nation et à la Race) ; pas de la criminalité proprement dite envers des gens qui n'ont fait que naître ce qu'ils sont, ce sur quoi Hitler reste hors catégorie...

Il n'empêche que ce courant "antitotalitaire" (lire ici, très intéressant : critique-de-la-categorie-totalitarisme-losurdo), grillé à juste titre par ses collaborations maccarthystes d'après-guerre (mais Weil, en l'occurrence, n'aura pas vécu assez longtemps pour cela), est tout de même peut-être celui qui s'est le premier penché, de manière assez intéressante, sur la question de l'État "totalitaire" en relation avec la Modernité ; Weil regardant en l'occurrence plutôt du côté du "colonialisme intérieur" (alors qu'Arendt, dans la deuxième partie "Sur l'impérialisme" des "Origines du totalitarisme", plutôt du côté du colonialisme proprement dit, "extérieur").

Il fallait tout de même un sacré culot, au beau milieu des gaullistes de Londres en 1940, pour oser proclamer que le totalitarisme est né... avec Richelieu et Louis XIV.

Elle oublie simplement le fait qu'un changement aussi radical qu'une révolution socialiste, comme le rêve ultra-démocratique égalitaire de 1793, implique forcément dans un premier temps une "dictature de salut public" et donc un prolongement temporaire, toujours chargé d'un potentiel très dangereux, mais inévitable, de l'État moderne... D'où à première vue, si on veut être idéaliste et ne pas voir cela, la qualification de "totalitaire" que l'on peut tout à fait coller sur l'URSS de l'époque - une dictature de salut public qui doit, bien entendu, savoir être transitoire et prendre fin, mais comme on l'a déjà vu http://ekladata.com/Staline-et-la-lutte-pour-la-reforme-democratique.pdf il y a eu des débats là-dessus au moment de la Constitution de 1936 et les Premiers Secrétaires locaux, déjà consolidés dans leurs privilèges de camarillas, ont gagné et empêché cette démocratisation ; embrayant immédiatement sur la Grande Terreur vite suivie de la guerre, un peu dans le même enchaînement que Grande Terreur de Prairial - Thermidor 1794 ici en Hexagone.]

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L'affaire Dieudonné-Valls :
Plutôt bon article sur la ‘Déclaration de guerre de la République à Dieudonné’ (la pseudo-controverse réactionnaire entre l’antisémite dégénéré et les gardiens du temple républicain)
Quelques mises au point complémentaires (et conclusives) sur la ‘‘question Dieudonné’’ (et Dreyfus, le Front populaire, l’antisémitisme etc.)
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Dossier Breizh :
Breizh : comment l'étincelle écotaxe a mis le feu à la lande
"Esclave", "identitaire", chouan, cul-terreux arriéré de service : pour paraphraser Césaire, "n'allez pas le répéter, mais le Breton il vous EMMERDE"
Considérations diverses – en guise de ‘‘petit debriefing’’ de ces derniers mois : Bretagne, fascisme, ‘‘Lumières’’ et Kaypakkaya… (point 1)
Considérations diverse (26/11/2013) : eh oui, Servir le Peuple a toujours quelques petites choses à vous dire ;-) (point 1)
Appel de la gauche indépendantiste bretonne (Breizhistance) pour le 30 novembre (avec notre critique de la position du ROCML)
Le Top Five des drapeaux qui n'ont PAS été inventés par un druide nazi  (mortel !)
Et en guise (provisoire) de conclusion : La Gauche indépendantiste bretonne revient sur la mobilisation de Karaez/Carhaix

Comité de Construction du PCR des Terres d'Òc : Déclaration du 11 Novembre

La phrase du moment :

"La tyrannie cessera parmi mon peuple ; il n'y aura que liberté, liberté toute nue, sans déguisement. Bouleversements d’États entiers : je les renverserai de fond en comble, il n'y aura rien de reste. Il va y avoir de terribles renversements de conditions, de charges et de toutes choses. Je veux faire un monde nouveau, je veux tout détruire. Je veux appeler à moi la faiblesse, je veux la rendre forte. Pleurez gens du monde, pleurez grands de la terre, vos puissances vont tomber. Rois du monde, vos couronnes sont abattues !"

Élie Marion, "prophète" et guérillero camisard cévenol, 1706.

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