Nous sommes un certain nombre de communistes, bien que pour certains maoïstes, à avoir pris conscience que l’étape actuelle en Hexagone en est (malheureusement) à la défense des bases élémentaires du léninisme, voire tout simplement du marxisme, plus qu’à la défense du maoïsme comme saut qualitatif dans un mouvement marxiste-léniniste qui serait déjà conséquent. Toute l’expérience de Servir Le Peuple, depuis près d’un an, tend vers cette conclusion.
Construire un Parti léniniste est la priorité, car toute défense des apports de Mao Zedong reviendrait autrement à construire sur du sable.
Dans ce cadre, Servir Le Peuple se propose de fournir un travail de réflexion théorique et d’analyse sur les principales déviations anti-léninistes. Ce travail est donc inauguré, avec la déviation ouvriériste. Il s’agit d’un travail de longue haleine, qui s’étalera sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Ce sera également un travail collectif : des précisions et des corrections viendront certainement améliorer ce premier jet.
La déviation ouvriériste est une déviation historique, pratiquement aussi ancienne que le mouvement communiste lui-même.
Elle se base sur une interprétation étriquée des textes de Marx et Engels, en particulier Le Capital, écrits à une époque où le prolétariat consistait en pratique à 95% dans les ouvriers/ères (de l’industrie, des mines, de la construction etc.) car le capitalisme n’avait pas encore absorbé toute l’activité productive des pays industriels.
Ce n’est cependant pas aussi évident, car en anglais et en allemand (leurs langues d’expression principales), Marx et Engels parlaient de « travailleurs » : working class ou arbeitersklasse. Cette interprétation est aujourd’hui dévoyée par les révisionnistes et certains trotskystes qui, en parlant de « travailleurs », veulent mélanger les intérêts de classes différentes, à la conscience et aux intérêts immédiats très différents, parfois clairement antirévolutionnaires, pour mettre finalement en avant un programme minimal de type social-démocrate.
Pour autant, Marx et Engels ont eux-mêmes souvent souligné le rôle que pouvaient jouer les travailleurs intellectuels dans le mouvement révolutionnaire : n’étaient-ils pas eux-mêmes des intellectuels prolétarisés ?
Et Lénine disait même en 1902, dans Que faire ?, que « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l'on pourrait puiser cette connaissance est celui des rapports de toutes les classes et couches de la population avec l’État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles. C'est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? - on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l'économisme, à savoir “aller aux ouvriers”. Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. »
C’était bien sûr une autre époque, où l’analphabétisme, l’absence d’instruction, l’absence de temps laissé à la réflexion personnelle, empêchait la classe ouvrière de développer par elle-même les instruments scientifiques de sa libération. L’eau a bien sûr coulé sous les ponts, le niveau culturel des masses en général et du prolétariat en particulier s’est considérablement élevé, et aujourd’hui des camarades de la première importance sont issus directement des rangs ouvriers. Mais on peut retenir deux choses dans ce que dit Lénine :
- d’abord, que l’idée de la révolution socialiste n’est pas liée de manière absolue avec l’appartenance à la classe ouvrière, ce qui serait une vision totalement mécanique du matérialisme. L’idée du socialisme et du communisme naît dans le mode de production capitaliste, de la contradiction centrale entre le caractère social de la production et l’appropriation privée de la plus-value du travail. A partir de là, cette idée communiste se répand dans l’ensemble des classes de la société, de même que l’idéologie bourgeoise influence toutes les classes, y compris le prolétariat. Bien sûr, la conscience révolutionnaire l’emporte sur l’influence bourgeoise d’autant plus facilement (j’y reviendrai) que l’intérêt de classe à la révolution est clair, que la contradiction entre production sociale et appropriation privée est directement ressentie. Il n’y a pratiquement aucune chance pour qu’un bourgeois, vivant du revenu de ses actions, puisse envisager la moindre option révolutionnaire…
- ensuite, le capitalisme est devenu (déjà en 1902 lorsque Lénine écrit) un ordre social et non plus un simple mode de production. Il englobe toute la société, toutes les classes, tous les rapports sociaux sous son pouvoir politique et dans ses valeurs culturelles. Autrement dit : le capitalisme ne s’arrête pas à la porte de l’usine. La mission historique du prolétariat ouvrier n’est pas seulement sa propre libération : c’est la libération de la société entière. Lénine pourfend alors ce qu’il appelle l’économisme : nous y reviendrons.
Quoi qu’il en soit, Servir Le Peuple confesse de toute façon une fâcheuse tendance : celle de vivre dans le réel et non dans des « Textes Sacrés » et, accessoirement, d’avoir conscience que nous ne sommes plus en 1848, ni en 1880 ou 1914. De considérer le marxisme (Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao et d’autres auteurs) comme une grille d’analyse scientifique de la réalité qui nous entoure, et non comme un ensemble de « principes » intangibles qu’on récite comme un mantra.
Aujourd’hui, la réalité dans un pays impérialiste comme la France est que s’est développée une importante économie de services, par exemple, tandis que la production industrielle non qualifiée a été très largement exportée vers des pays comme l’Inde, la production moyennement qualifiée vers l’Europe de l’Est etc.
Or les travailleurs des services, qui peuvent être la caissière de Carrefour ou de McDonald’s comme le réparateur qui vient réparer votre plomberie, ne sont pas des ouvriers au sens marxiste strict, c'est-à-dire qu’ils ne transforment pas la matière pour lui donner une valeur ajoutée… Ce sont pourtant bien des prolétaires.
Servir Le Peuple a donné, à l’époque où le rédacteur de ces lignes n’était membre d’aucune organisation, la définition suivante du prolétariat :
--> les travailleurs non propriétaires des moyens de production. C'est le caractère fondamental. Les moyens de production sont la propriété du bourgeois capitaliste, c'est la définition de la bourgeoisie. Le prolétaire n'est propriétaire que de sa force de travail.
--> ensuite, car jusque là cela pourrait être n'importe quel salarié, échangeant leur force de travail (seul moyen de production dont ils disposent) contre juste de quoi la reproduire.
--> enfin extorqués, donc, de la plus-value de leur travail : c'est-à-dire que la différence entre ce que leur travail quotidien rapporte à l’employeur capitaliste, et ce qu’il leur est rétribué pour vivre sous forme de salaire (charges comprises), est accaparé par celui-ci.
La classe ouvrière, en laquelle consistait 95% du prolétariat à l’époque du Capital, n’en représente plus une telle proportion aujourd’hui. Elle en est simplement le noyau dur, la classe révolutionnaire jusqu’au bout, parce que, comme on l’a dit, elle crée la valeur ajoutée en transformant la matière (extraire le minerai du sol, transformer le morceau de métal en pièce d’automobile, le ciment en maison), et deuxièmement, parce qu’elle vit au quotidien le caractère social de la production et sa contradiction avec l’appropriation privée de la richesse créée.
Cela dit, si fertile que soit notre imagination, la conception du prolétariat exposée ici n’en est pas sortie toute habillée, puisqu’à vrai dire elle est totalement inspirée de celle de nombreuses organisations maoïstes.
Pour le PCR du Canada, le prolétariat consiste en :
L’aristocratie ouvrière : Il s’agit de prolétaires dont le revenu leur permet, outre de reproduire leur force de travail, d’accumuler un certain montant pour avoir accès à des actifs mobiliers et immobiliers et s’affranchir de l’endettement. On en rencontre une part importante parmi la couche des employéEs techniques et une fraction appréciable du prolétariat industriel. C’est une couche très syndiquée.
Les employéEs techniques : Ce sont souvent des employéEs qui ont obtenu des formations techniques au niveau collégial dans les domaines de la santé, des sciences de la nature et les arts. Les pompiers/ères font aussi partie de cette couche. Leurs salaires sont supérieurs à ceux de l’ensemble du prolétariat.
Les employéEs exécutantEs : Parmi cette couche, on retrouve les emplois les moins payés, les plus féminins et avec le taux de temps partiel le plus élevé. La qualification scolaire est légèrement supérieure à celle du prolétariat industriel. On retrouve beaucoup d’emplois de passage pour des étudiantEs. Ces emplois, on en retrouve dans la restauration, l’hébergement, la vente au détail, les services sociaux, les emplois de bureau, le secrétariat, etc. La syndicalisation y est faible.
La classe ouvrière : On y retrouve toute la classe ouvrière traditionnelle des industries, des métiers de la construction et du transport. On ajoute aussi des ouvriers agricoles. Il y a un taux de travail à temps partiel supérieur à la moitié. La présence féminine est faible (le sixième). La majorité des hommes de ce secteur qui ont travaillé à temps plein font partie de l’aristocratie ouvrière. Ceux-ci sont fortement syndiqués.
Les rentiers/ères prolétaires : L’essentiel de leurs revenus provient des régimes de pensions de vieillesse, de supplément de revenus garantis et de régimes de pensions gouvernementaux. Par contre, pour les ancienNEs membres de l’aristocratie ouvrière, les fonds de pension privés représentent une part appréciable de leurs revenus.
L’armée de réserve : Dans l’armée de réserve, nous retrouvons touTEs les personnes qui sont en âge de travailler mais que, parce que le capitalisme ne permet pas à tout le monde de travailler pour des raisons de santé ou des raisons intrinsèques à ce régime, ne peuvent pas le faire. Les 2/3 de l’armée de réserve sont des femmes. Lorsqu’il y a de l’emploi disponible, l’armée de réserve diminue. Lorsque, suite à des récessions et des crises économiques, l’emploi diminue, l’armée de réserve croît. CertainEs sont bénéficiaires d’assurance-emploi, d’autres d’assistance-sociale. Par contre, une partie des membres de l’armée de réserve doivent se faire vivre par leurs conjointEs.
Pour le (nouveau) Parti Communiste Italien : « Travailleurs dont le revenu vient, au moins pour la partie principale, de la vente de leur force de travail. En Italie, ils sont environ 15 millions. Avec le reste de leurs familles et les retraités, cela fait 36 millions.
1. Classe ouvrière
Les prolétaires embauchés par les capitalistes pour valoriser leur capital en produisant des marchandises (biens ou services). Il faut que celui qui les embauche soit un capitaliste (de l'industrie, de l'agriculture, des services, de la banque, des finances, etc.) et qu'il le fasse non pas pour qu'ils prêtent leurs services à des institutions ou à des organismes “ sans but lucratif ”, mais pour qu'ils travaillent dans une entreprise dont le but principal est la valorisation du capital.
Parmi les ouvriers, il existe des divisions objectives politiquement importantes, comme travailleur sans qualification et travailleur qualifié, ouvrier et employé, la possession de revenus autres que ceux du travail, la dimension de l'entreprise, le secteur auquel appartient l'entreprise, ouvriers des villes et ouvriers des zones rurales, sexe, nationalité, etc.
Ne sont pas des ouvriers, ces employés qui travaillent dans des entreprises capitalistes, dont le travail est, au moins pour une partie importante, un travail de direction, d'organisation, de préparation et de contrôle du travail d'autrui, pour le compte du capitaliste (pour donner un indice sommaire et approximatif mais simple, nous pouvons considérer qu'appartiennent à cette catégorie tous les subordonnés qui reçoivent des salaires ou des appointements annuels nets supérieurs à 25.000 €). Les ouvriers, ainsi répertoriés, en Italie sont environ 7 millions (dont presque un million travaillent dans des grandes entreprises, de plus de 500 personnes). En comptant leurs familles et les retraités, cela fait 17 millions.
Cela, c'est la classe ouvrière qui dirigera la révolution socialiste. Le parti communiste est son parti.
2. Autres classes prolétaires
Les membres des classes indiquées ci dessous sont les alliés les plus proches et les plus solidaires de la classe ouvrière. Au cours de leur vie, beaucoup de travailleurs passent de l'une de ces classes à la classe ouvrière et vice versa. Cela renforce les liens de ces classes avec la classe ouvrière (et apporte dans la classe ouvrière les qualités et les défauts de ces classes). En Italie, ils sont environ 8 millions. En comptant leurs familles et les retraités, cela fait 19 millions. Ils se divisent dans les trois grandes classes suivantes :
- les salariés (on en exclut les dirigeants) de l'administration publique centrale et locale et des organismes qui dépendent de l’État ;
- les travailleurs employés dans des entreprises non capitalistes (entreprises familiales, d'artisanat et d'autres que les propriétaires créent et gèrent non pour valoriser un capital, mais pour en obtenir un revenu) ;
- les travailleurs qui sont attachés aux services personnels (serveurs, chauffeurs, jardiniers, etc.). »
Bien sûr, on peut légitimement être en désaccord avec ces définitions. Par exemple, les communistes de France classent rarement (comme le fait le PCR Canada) l’aristocratie ouvrière et les agents de maîtrise technique dans le prolétariat. L’analyse du prolétariat des camarades italiens semble plus juste, en revanche ils classent dans les classes populaires des personnes gagnant entre 2000 et 4000 € nets par mois… Dans le « sens commun » de populaire en France, il est clair que ces gens-là n’en font pas partie, mais appartiennent bien aux classes moyennes (et même moyennes supérieures !), à la petite-bourgeoisie salariée. Ils ne vivent pas dans des quartiers populaires, mais résidentiels.
En revanche, l'on comprend plus mal en quoi le débat franc et ouvert entre camarades ne pourrait se passer d’insultes…
La déviation ouvriériste, donc, n’est pas nouvelle. Et si elle n’est pas extrêmement répandue, contrairement aux déviations révisionnistes et trotsko-réformistes trans-classistes, elle est encore bel et bien présente de nos jours.
Elle est très présente dans le trotskysme « canal historique » dont l’exemple type est Lutte Ouvrière, en tout cas avant le virage « antilibéral » populiste des dernières années. Car si Trotsky n’était pas spécialement ouvriériste (plutôt arriviste), il a ramassé dans son combat contre l’URSS des ouvriers et des paysans tous les débris de conceptions anti-léninistes, et celles-ci imprègnent encore certains courants « orthodoxes ».
Elle est représentée, également, dans la « Gauche communiste », les gauchistes au sens historique strict.
Mais on la trouve également, malheureusement, dans le marxisme-léninisme. Il s’agit notamment d’une déviation de personnes et de groupes issus du courant pro-albanais, dont la lutte déterminée contre le révisionnisme et contre la théorie des trois mondes (soutenir les « petits impérialismes » - France etc. – contre les « deux superpuissances », puis tout simplement l’Ouest contre le « social-impérialisme », théorie attribuée à tort à Mao) ne souffre pas de remise en cause. La théorie des trois mondes étant, elle, la déviation historique du courant prochinois.
Cette déviation est souvent portée par des petits-bourgeois, visiblement en quête de radicalité : ainsi à Lutte Ouvrière, la très ouvriériste Arlette Laguiller était employée du Crédit Lyonnais, la plupart des cadres sont des profs et le « leader de l’ombre » Hardy est propriétaire d’une petite entreprise… De son côté, Anton Pannekoek (1873-1960), le père de la "Gauche communiste germano-hollandaise", était astrophysicien de son état.
Mais parfois, elle provient aussi directement des rangs ouvriers. La classe ouvrière de l’État de France a connu pendant les « Trente glorieuses » (1945-75) une élévation continue de son niveau de vie, puis avec la crise générale du capitalisme, une dégradation continue. D’où chez certains éléments assez âgés (au moins la quarantaine) un sentiment d’amertume et une radicalisation sectaire, un repli sur une classe ouvrière mythifiée : une dérive comparable au gauchisme de la petite-bourgeoisie broyée par le Grand Capital. Une amertume qui peut aussi provenir, chez certains vieux militants, des revers stratégiques du mouvement communiste au niveau mondial, dans les années 1970 à 1990. Des revers qu’ils mettent de façon simpliste sur la trahison des intellectuels, bien réelle, mais qui serait plus une conséquence qu’une cause à notre humble avis…
Quoi qu’il en soit, l’amertume n’est jamais un sentiment qui produit les grands révolutionnaires, ni une conception du monde juste. Lénine, Staline, Mao n’étaient pas des individus amers, mais au contraire des dirigeants d’un optimisme révolutionnaire et d’une positivité inébranlables.
Ces ouvriéristes en arrivent à oublier la mission historique de la classe ouvrière et du prolétariat révolutionnaire, qui n’est pas seulement de se libérer elle-même, mais de libérer l’humanité.
Leur conception considère que seule la classe ouvrière, et encore dans une définition ultra restrictive, constitue les prolétaires : les caissières, les esclaves-salariés de plateformes téléphoniques n’en sont pas !
Mais surtout, au-delà de la définition du prolétariat, ils ont une vision sectaire des alliances de classes indispensables à toute révolution. Ils considèrent que seule la classe ouvrière est vraiment révolutionnaire, de manière presque « innée » (la domination culturelle de la bourgeoisie ? connaît pas…) tandis que les autres ne le seraient pas, et seraient même foncièrement contre-révolutionnaires : elles devraient « se plier » aux conceptions de la classe « ouvrière » pour mériter un minimum de considération.
Les petits employés, les paysans pauvres, les petits indépendants et les travailleurs intellectuels pauvres : des contre-révolutionnaires, pourris de conceptions petites-bourgeoises ! De là à considérer qu’un ouvrier communiste est plus proche d’un ouvrier fascisant que d’un travailleur intellectuel progressiste, il n’y a parfois qu’un tout petit pas…
L’oppression générale, à l’époque de l’impérialisme, des monopoles grand-capitalistes sur les masses populaires (et qui dit oppression, dit résistance), les luttes populaires démocratiques (l’oppression capitaliste ne s’arrête pas à la sortie de l’usine), les luttes contre la destruction de l’environnement des masses populaires, tout cela n’existe pas, c'est "petit-bourgeois".
L’aspect démocratique du combat révolutionnaire dans les pays impérialiste est nié, alors qu’à mesure que la « démocratie bourgeoise » tombe le masque dans la crise générale du capitalisme, le rôle des communistes est de montrer aux masses populaires qu’il n’y a de vraie démocratie, de vraie « justice » (mots d’ordre idéalistes petits bourgeois) que dans la révolution socialiste. La concentration du pouvoir économique (et donc politique) par les monopoles fait que finalement, toutes les classes populaires, y compris les petits fonctionnaires et employés exécutants, les travailleurs intellectuels, les petits artisans/commerçants ou les petits paysans propriétaires ont intérêt à long terme dans le socialisme : le problème c’est qu’ils n’y ont pas forcément intérêt à court terme, et donc ne perçoivent pas cet intérêt.
De même, le rôle de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie non-liées à l’impérialisme dans les pays arriérés et/ou dominés, est tout simplement nié.
Toutes ces conceptions ont notamment été, vers 1920, celles des gauchistes qui reprochaient aux bolchéviks leur travail en direction de la paysannerie et des autres classes exploitées dans l’Empire tsariste : Lénine l’a pourfendue dans La Maladie infantile (que nous aurons l’occasion de creuser ensemble dans de prochains articles).
Généralement, cette déviation ouvriériste conduit à des positions objectivement réactionnaires sur les pays dominés par l’impérialisme, car tout ce qui n’est pas dirigé par la classe ouvrière urbaine dans ces pays est à rejeter. Or, en l’absence de pays socialiste guidé par le marxisme-léninisme, ce n’est pour ainsi dire jamais le cas, et même les Guerres Populaires pour la Démocratie nouvelle, menées en Inde, aux Philippines, dans l’État turc, au Pérou, en Colombie, au Mexique (EPR) etc., reposent sur des alliances de classes : prolétariat urbain, prolétariat rural, paysannerie pauvre, petite-bourgeoisie, intellectuels etc.
Prenons par exemple la Palestine. Le discours type est « sous les bombes des sionistes, sous les roquettes du Hamas, un seule classe ouvrière ! ». Ils ne font tout simplement aucune différence entre une classe ouvrière de type européen, dans ce qui est une « enclave » d’Europe au Proche-Orient, embourgeoisée par les bénéfices de l’occupation ; et un prolétariat de pays occupé et colonisé, une classe ouvrière comparable à la classe ouvrière noire en Afrique du Sud d’apartheid…
Et ici, dans les pays impérialistes, l’ouvriérisme mène tout droit à l’économisme : la limitation de la lutte de classe au strict cadre de l’usine, patron-ouvrier. Les luttes populaires démocratiques (contre la répression, contre la destruction de l’environnement, contre le développement du mouvement fasciste), ou encore les luttes des nations opprimées (basque, corse, bretonne etc.) sont rejetées comme « petites bourgeoises », sans autre forme de procès.
Finalement, quand les échecs répétés ont usé la détermination des nos « communistes ouvriers », on en arrive… au réformisme pur et simple ! Un cas emblématique est le PCOF (PéCOF pour les intimes), organisation historique « pro-albanaise » en France, qui a fini par intégrer le Front de Gauche « antilibéral » (social-démocrate).
Ce processus était déjà pointé du doigt par Lénine au tout début du 20e siècle :
« (…) nous pouvons dès la première manifestation littéraire de l'économisme, observer un phénomène éminemment original et extrêmement caractéristique pour la compréhension de toutes les divergences entre social-démocrates d'à présent : les partisans du "mouvement purement ouvrier", les adeptes de la liaison la plus étroite et la plus "organique" (expression du Rab. Diélo) avec la lutte prolétarienne, les adversaires de tous les intellectuels non ouvriers (fussent-ils des intellectuels socialistes) sont obligés, pour défendre leur position, de recourir aux arguments des "uniquement trade-unionistes" bourgeois. » (V. I. Lénine, Que faire ?, 1902).
Le travail de réflexion se poursuivra dans de prochains articles. Toutes remarques et suggestions sont les bienvenues et, comme on l'a dit, des précisions et corrections seront sans doute à apporter à cet article-ci.