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Collectif VAN
Turquie : 71ème année du génocide du Dersim
Publié le : 16-12-2009
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – Ali Ertem, militant turc des Droits de l’Homme vivant à Frankfort en Allemagne et Président de l’Association des Opposants au Génocide (SKD), a envoyé au Collectif VAN, un communiqué diffusé à l’occasion de la 71ème commémoration du génocide du Dersim en 1937/1938. Le Dersim est le nom d’une région située à l’Est de la Turquie. Plusieurs populations, dont les Kurdes et des Arméniens rescapés du génocide de 1915, y vivaient.
En 1937, l’armée turque prend position au Dersim. L’opération tourne au massacre. Résultat, environ 80 000 morts, plusieurs villages brûlés et des milliers de personnes déportées vers l’Ouest de l’Anatolie. Le Collectif VAN vous propose la traduction de cette déclaration en turc. L’occasion pour nous de rappeler les paroles de Mustapha Kemal : « Dersim est une tumeur pour le gouvernement de la République. Quel que soit le prix, cette tumeur doit être enlevée grâce à une opération définitive » (Atatürk).
Dossier CVAN/Dersim I
Frankfort, le 18 novembre 2009
Verein der Völkermordgegner e.V. Frankfurt / Main
L’Association des Opposants au Génocide (SKD)
"J’ai gardé ma tête haute, je ne me suis pas soumis, que cela soit votre souci !"
Seyit Riza
71ème année du génocide du Dersim
Entre 1937 et 1938, le génocide du Dersim a mis en évidence encore une fois que tous les peuples défendant leur propre identité nationale et religieuse sous la domination de la République turque, en résistant ainsi à la politique de turquisation, étaient la cible de génocide. Par conséquent, le génocide du Dersim est la prolongation directe du génocide de 1915. C’est un acte d’oppression contre ceux qui ne correspondent pas à la définition de la domination turque et qui ne sont pas musulmans sunnites, c’est une opération de défi contre eux.
Tant que le génocide du Dersim n’est pas – avec le génocide de 1915 - reconnu et condamné par la conscience commune, tant que le pardon n’est pas demandé aux peuples victimes de génocides, tant que des efforts sincères ne sont pas fournis pour soigner les plaies causées par ces crimes contre l’humanité, il n’y aucune garantie d’empêcher d’autres génocides, durant la domination de la République turque.
Le gouvernement de l’Etat poursuit avec obstination sa politique d’assimilation, et dans le cas du génocide du Dersim aussi, il agit de la même façon que dans le cas du génocide de 1915, préférant garder le “silence” et faire comme si rien ne s’était passé. Lorsque la question vient à l’ordre du jour, il tente de couvrir les vérités par des méthodes de menaces et de calomnies. Les vérités sont tenaces ! A l’intérieur, du fait de l’opposition kurde, à l’extérieur, du fait de la contrainte de l’opinion publique et de la pression de ses alliés mus par certains intérêts, la TC [République turque] se trouve dans l’obligation de changer sa politique. Comme on peut le constater lors des discussions actuelles, le génocide du Dersim est l’un des exemples des politiques d’éliminations ethniques téméraires de la TC, et a pris profondément place dans l’ordre du jour.
Ce que les habitants de la région appellent Dersim Tertelesi - l’un des crimes à plusieurs facettes, commis contre l’humanité -, a été laissé sans définition du fait des politiques d’oppression et des méthodes de tyrannies. Les témoins oculaires toujours en vie ont donné la description détaillée de sauvageries terrifiantes. Les aveux des complices des crimes ont autant d’importance que ces témoignages. Mais les détails principaux sont détenus par les Forces de l’Armée Turque, la TSK. Comme vous le savez, les archives de l’Etat Major sont fermées aux consultations publiques et aux recherches scientifiques. Il est certain que même la force de la TSK ne pourrait suffire à badigeonner le soleil avec de la bourbe [Nota CVAN : expression populaire signifiant que la vérité, la bonté, la beauté, ne peuvent être recouvertes éternellement par la saleté. Tôt ou tard, on voit la face brillante du soleil, la vérité resurgit.]
Et l’humanité qui garde un espoir de paix et de liberté, porte sur ses épaules la responsabilité de lever le voile et de découvrir les vérités du Dersim Tertelesi.
Tout au long de l’histoire, le Dersim, avec sa riche diversité ethnique, culturelle et religieuse, a été le bastion de la résistance et il a toujours su garder la tête haute face aux persécutions. Ses Alévis, ses chrétiens, ses musulmans sunnites cohabitaient en paix avec leurs croyances riches et diverses. Les ethnies aux langues différentes, comme les Zaza, les Kourmanchi, les Arméniens, ont vécu dans le respect mutuel. Le Dersim a simplement résisté à l’oppression exercée par l’autorité centrale ottomane. Il a fermé ses portes comme un bastion devant ses agresseurs. Il y a eu de nombreuses expéditions militaires au Dersim, il n’y a jamais eu de victoire !
C’est pour cette raison que, même après la création de la République turque, le Dersim a été la cible du Kémalisme, prolongation de l’Unionisme, qui visait à détruire les différences ethniques, culturelles et religieuses pour réaliser son projet « Une nation unique, un Etat unique, un drapeau ». Pour casser ce bastion de la résistance, ce jardin de diversités et de différences, ils ont promulgué des lois spécifiques. Des projets spéciaux ont vu le jour. Finalement, suite aux nombreux préparatifs militaires entre 1937-38, les cadres unionistes devenus experts en matière de ce genre de crimes contre l’humanité, ont essayé d’anéantir le Dersim.
Le leader de la résistance du Dersim, Seyit Rıza et ses camarades, ont été jugés dans la précipitation par les tribunaux militaires “İstiklâl Mahkemeleri”, créés spécialement à Erzincan en novembre 1938, avec un verdict connu d’avance : ils ont donc été exécutés et éliminés.
Le responsable de la sûreté de l’époque, İhsan Sabri Çağlayangil, à qui on a donné le devoir de mettre à exécution les pendaisons sans perdre de temps, allait - des années après – donner, dans ses mémoires, les détails des sauvageries opérées sur les civils et sur les innocents sans défense. İhsan Sabri Çağlayangil a, par la suite, accédé à des postes tels que ministre des Affaires étrangères et vice Président de la République. En 1986, lors d’un entretien, il explique les événements du Dersim, ainsi ;
« … Abdullah Pacha a dit que les affaires marchaient de cette façon jusqu’à aujourd’hui mais que le gouvernement avait pris la ferme décision de prendre le Dersim sous son autorité, comme les autres parties de la patrie, il a dit qu’il n’y aurait plus un seul territoire hors du contrôle de l’Etat, de ce fait, il ne fallait pas craindre les Aghas [Nota CVAN : les notables] et il ne fallait pas les écouter, qu’il fallait réétudier la situation. Ils ne l’ont pas accepté. Ensuite nous sommes rentrés. Je veux dire : nous sommes rentrés au parlement [Nota CVAN : à Ankara]. Je raconte la conclusion. Ils ne l’ont pas accepté. Ils s’étaient réfugiés dans les cavernes. L’armée a utilisé des gaz empoisonnés introduits par les entrées des cavernes. Ils les ont empoisonnés comme des rats. Ils ont égorgé les Kurdes du Dersim de 7 à 70 ans. C’était une opération sanglante. La question du Dersim était ainsi finie. L’autorité de l’Etat est entrée au village et au Dersim. Le Dersim a ainsi été exterminé. Aujourd’hui, vous pouvez aller au Dersim tranquillement. Vous pouvez y aller, les gendarmes peuvent y aller. Mais, ces dernières années, particulièrement à cause de provocations extérieures, le mouvement d’indépendance des Kurdes a commencé. Une partie des Kurdes vivent en Turquie, une autre en Iran… » (l’enregistrement se termine ici) .
C’est l’aveu clair, par la plus haute instance de l’Etat, d’un crime commis contre l’humanité. Un aveu semblable avait été prononcé par le ministre de la Défense [du gouvernement AKP], Vecdi Gönül, en 2008, lors des cérémonies du 10 novembre à Bruxelles :"Si on avait laissé les Arméniens et les Grecs, serions-nous la nation que nous sommes aujourd’hui ?".
Le 10 novembre de cette année, Onur Öymen, le diplomate expérimenté du CHP [Parti nationaliste kémaliste], a, lors des discussions au Sénat turc, le TBMM, exprimé ceci : “Durant la guerre de libération, lors des révoltes du Sheyh Said, des révoltes au Dersim, à Chypre, les mères n’ont-elles pas pleuré ? Quelqu’un a–t-il dit ‘nous cessons de combattre pour que les mères ne pleurent pas’ ?” . Ces paroles mettent en évidence la politique d’Etat de TC [de la République turque] telle qu’elle est jusqu’à aujourd’hui et telle qu’elle doit être à l’avenir : turquiser par la terreur les identités différentes sous l’autorité de la TC, et éliminer ceux qui résistent !
Malgré ses différences particulières, ses conditions historiques, le génocide du Dersim porte des caractéristiques semblables aux autres et a la particularité d’être un problème de l’humanité. Nous, l’Association des Opposants au Génocide (SKD), nous exigeons que le génocide du Dersim 1937-38, soit reconnu par les organismes internationaux et par les Etats nationaux, comme la continuité des politiques d’extermination ethnique pratiquées sur notre territoire appartenant à tous les peuples vivant sur ces terres. Ces génocides perpétrés par l’autorité turque, ne peuvent être reconnus autrement à cause de la politique de négation de l’Etat. Pour que le droit et la justice soient appliqués, il faut persuader la TC de reconnaître ses politiques génocidaires et de faire disparaître leurs conséquences. La reconnaissance d’un crime perpétré contre l’humanité est une condition préalable indispensable pour la signature d’accords sociaux qui peuvent garantir le droit à une vie respectueuse de l’existence de multiples croyances, de sociétés multinationales, multiculturelles.
L’oubli des génocides, des pogroms, l’indifférence face à leur négation, ne signifient pas seulement la complicité envers ces crimes. Car les plus grands dangers qui préparent le terrain aux autres crimes, sont l’indifférence et l’oubli. Sans affronter notre passé, sans tirer des leçons de nos erreurs et de nos défaillances, nous n’avons aucune chance de lutter contre le racisme. Dans les sociétés qui ont été instrumentalisées lors de crimes de génocides et pour les négations de ces crimes, la réparation de la fierté et la conscience humaine se trouvent face à une érosion des valeurs. La dégénération sociale, l’effondrement moral touchent le fond. La majorité écrasante des prolétaires, les travailleurs aveuglés par le racisme, deviennent la prolongation de l’autorité génocidaire. L’empathie pour les victimes de génocide, l’alliance à côté des Justes, deviennent une entreprise impossible dans la société. Les crimes politiques perpétrés aujourd’hui, sont oubliés demain. Les crimes comme la torture, l’exécution dans la rue, les enlèvements, les disparitions devenues parties intégrantes de la vie sociale, n’intéressent plus personne à l’exception des proches des victimes. Demander justice équivaut à demander sa propre mort. Dorénavant le champ est libre, il n’y a plus de danger pour les putschistes, pour les pratiquants de la torture, des calomniateurs, des escrocs qui empochent l’argent public. L’appareil dénommé ‘Etat’ entre les mains génocidaires des “détenteurs de la patrie” a le rôle d’un rouleau compresseur à l’encontre de ceux qui s’opposent à ce système arbitraire. Exactement comme l’Etat de la TC.*
Si on se donne la peine de faire un retour en arrière de 100 ans, depuis l’époque du pouvoir d’Union et Progrès, et si on se donne la peine d’observer les vérités sans fermer les yeux, il n’est pas difficile de comprendre la vérité sociologique formatée par cet Etat criminel et de comprendre que l’Etat turc TC est le produit du crime de génocide, du crime des crimes, non jugés, oubliés.
Ayant ces pensées et ces exigences, nous présentons nos respects devant la mémoire des victimes du génocide du Dersim 1937-38. Nous partageons les souffrances du peuple du Dersim.
Traduction du turc S.C. pour le Collectif VAN - 16 décembre 2009 - 14:30 - www.collectifvan.org
*Nota CVAN : Ali Ertem utilise l’expression « L’appareil dénommé ‘Etat’ », en tant que définition générale d’un Etat oppresseur, tout puissant, peu importe dans quel pays. Et il utilise les termes « l’Etat de la TC » - ‘TC’ pour République de Turquie – afin de lier l’Etat turc à la première définition. Une autre façon de dire que l’Etat turc a toujours été une dictature. Ce type d’analyse est très utilisé en ce moment en Turquie : les gouvernements turcs changent mais la politique d’Etat ne change pas, surtout sur les sujets concernant la sûreté et la sécurité de l’Etat. C’est un peu pour accentuer cela qu’Ali Ertem utilise souvent le mot Devlet (qui signifie ‘Etat’) et non Hukumet (Gouvernement). Car en ce qui concerne la politique de turquisation de l’Anatolie, la politique appliquée a toujours été constante depuis plus d’un siècle en Turquie.
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