Un texte d'une beauté à couper le souffle qui nous parle de la classe ouvrière de Lorraine, cette provincia (pays conquis) et périphérie quart-mondisée du système France, dont il faut rappeler qu'après avoir été un État (duché) semi-indépendant (comme tous les États) du Saint-Empire germanique puis complètement indépendant, elle ne fut progressivement annexée qu'à partir du milieu du 16e siècle ("chevauchée d'Austrasie" d'Henri II amenant dans l'escarcelle royale les Trois-Évêchés en 1552) et définitivement (non sans avoir connu les affres de la Guerre de Trente Ans et de toute une série d'occupations françaises, perdant peut-être les deux tiers de sa population...) en 1766 seulement (!), vingt-trois ans à peine avant la Révolution et trois ans avant la Corse, après avoir été pendant 30 ans une sorte de "protectorat" gouverné par le beau-père de Louis XV (Stanislas Leszczyński qui a donné son prénom à la célèbre place nancéienne). Lors de la création des départements en 1790, comme une ultime humiliation, on fera faire à sa frontière avec la Haute-Marne (département champenois) un détour de plusieurs kilomètres afin de lui arracher les vestiges de l'ancienne citadelle de La Mothe,
Elle devint alors très vite une périphérie populaire vouée à l'industrie lourde sous la houlette des tout-puissants De Wendel [firme familiale qui deviendra après-guerre Sacilor puis (après nationalisation) Usinor-Sacilor en 1986, Arcelor en 2002 et enfin Arcelor Mittal en 2006, la firme elle-même devenant une société d'investissement présidée par... Ernest-Antoine Seillière], se peuplant d'un prolétariat ouvrier de toutes les origines européennes puis extra-européennes, mais cadenassé dans un système paternaliste qui verra toujours un mouvement communiste historiquement assez faible et une large hégémonie du syndicalo-réformisme voire du syndicalisme cogestionnaire chrétien, et même d'une assez forte droite ouvrière (en Moselle surtout) donnant aujourd'hui de puissants bastions FN.
À la fin des années 1970 (nouvelle crise générale du capitalisme) la sidérurgie commence à être peu à peu démantelée, soulevant un mouvement de résistance populaire magnifique qui réussira même l'exploit d'assombrir l'"état de grâce" mitterrandien mais qui sera malheureusement défait ; le territoire devenant alors définitivement une vaste zone de relégation plongée dans le chômage et la désespérance, le désert de services publics, la pauvreté urbaine et rurale, l'alcoolisme et autres fléaux psycho-sociaux (avec toutes leurs conséquences sanitaires), le vote populiste d'extrême-droite etc. ; bien que parallèlement aux gesticulations du Montebourg succédant à celles de Sarkozy, les sacro-saints "z'élus locaux" tentent de restructurer cela en une "métropole dynamique et prospère au cœur de l’Europe" (dans le texte) qui d’Épinal jusqu'à la frontière luxembourgeoise compterait quelques 1,5 millions d'habitants et qui s'intégrerait à la "dorsale européenne" rhénane...
Espérance de vie parmi les plus basses d'Hexagone dans certains secteurs, augmentation de plus de 16% du nombre de suicides en 10 ans, taux de cancers nettement supérieur à la moyenne nationale (première cause de mortalité) : il y a là de ces crimes contre le Peuple que les forces de l'Histoire ne pardonnent pas, et qui recevront tôt ou tard leur juste châtiment !
Nous, communistes révolutionnaires d'Occitanie et d'ailleurs luttant pour la Libération des Peuples et pour jeter à bas la forteresse d'exploitation et d'oppression mondiale dénommée "France", nous travaillerons d'arrache-pied pour que tu deviennes, Lorraine, une forteresse rouge de la Guerre du Peuple !
Je suis né dans la vallée des Anges, là où les chérubins nimbés côtoient les monstres d’acier et les titans de feu. Partout leurs masses se dressaient vers le ciel, comme les clochers des églises, comme les beffrois des hôtels de ville, comme autant de points de repères pour les habitants des lieux. Des confins des Ardennes au sud de Nancy, en passant par Thionville, Metz et Pont-à-Mousson, notre bassin prenait des airs d’Enfer lorsque les cheminées hululaient, crachant dans l’air des fumées sulfureuses. L’odeur de souffre emplissait les narines et on respirait à plein poumon un air gorgé de scories. Les vitres se recouvraient d’une pellicule de suie, et le ciel demeurait tristement gris.
Parfois, nous montions sur les crassiers, voir d’en haut les anciens lorsqu’ils coulaient la fonte. Des éclairs de feu jaillissaient et la lave serpentine fusait dans un bouillonnement d’or. Partout, la nuit ne laissait apparaître que le rougeoiement des hauts-fourneaux. Pareils à des dragons bienveillants, les mastodontes insomniaques entretenaient jusqu’à l’aurore, dans une pluie d’étincelles, le brasier ardent. Les enfants regardaient passer les wagonnets, leurs lumières et leurs cliquetis, semblables à ceux d’une fête foraine.
Gueules noires aux yeux bleus, les ouvriers ne comptaient pas leurs heures. Les cris, la chaleur et le grondement des gestes en cadence rythmaient les journées et les nuits. Quand nos pères rentraient le soir, il ne fallait pas faire de bruit. L’alcool coulait souvent jusque tard dans leurs gorges irritées par la poussière, soulageant leurs dos usés et leurs mains calleuses, attisant leur fatigue et calmant leurs angoisses. À table, on parlait parfois des De Wendel car ici, tout leur appartenait. C’était leurs murs, leurs usines, leurs échoppes et leurs bars. Nous étions leurs ouvriers, leur main d’œuvre, leurs gagne-pain. Pourtant, c’était nos pères qui se levaient chaque jour pour rejoindre les hauts-fourneaux et les chevalements, les mines de fer et la houille.
Les gens venaient de partout pour travailler ici. Algériens, Espagnols, Italiens, Polonais et Français. Tous se côtoyaient, effectuaient les mêmes taches dans les mêmes monstres d’acier, fréquentaient les mêmes épiceries, se rendaient aux mêmes sorties d’écoles, se retrouvaient dans le même bar PMU le dimanche matin et assistaient aux mêmes matchs de football le dimanche après midi. La vallée brassait toutes les populations, toutes les origines et toutes les cultures. Les gens savaient vivre ensemble et la richesse ne se trouvait que dans les cœurs.
Le ciel gris était le même pour tous et les petites maisons ouvrières s’alignaient dans tous les villages-rues de la vallée. Les légumes que l’on cultivait dans les jardinets, radis, carottes et salades, étaient mis à tremper dans de grandes bassines dont l’eau finissait par prendre la couleur de la rouille. Chaque jour les femmes balayaient la poussière épaisse, déposée par les fumées des usines sur les balcons et les parvis et plusieurs fois par semaine, il fallait nettoyer les vitres, noires de suie.
Puis, la rumeur a commencé à enfler. Les usines allaient fermer. Les laminoirs, les mines de fer et les trains à fil, les aciéries et les hauts fourneaux, bientôt, ne seraient plus. Le jour où ils ont arrêté la coulée, le ciel est devenu clair, on revoyait l’azur, mais cela ne présageait rien de bon. La poussière a peu à peu disparu, laissant apparaître le vert de la végétation foisonnante attisée par une pluie fréquente. Les sidérurgistes ont continué à travailler durement, mais l’envie n’y était plus. La résignation se voyait parfois sur leurs visages marqués par le labeur. Beaucoup se préparaient pour les manifestations futures tandis que d’autres démontaient déjà les ponts roulants et les installations d’acier, sous les regards désespérés.
L’appel à la grève générale, un mois d’avril morne et froid, avait été largement suivi. Les odeurs de pneus brûlés succédaient à celle du souffre. Les frontières avec l’Allemagne et le Luxembourg furent fermées, les routes bloquées, les rails occupés et les commerçants laissèrent clos leurs rideaux de fer. Plus rien ne circulait et partout dans la vallée, on se mobilisait. Les cloches des églises sonnaient à la volée, dans un écho funeste.
Les promesses des politiques n’ont jamais été tenues et la Vallée de la Fensch a été abandonnée. L’extraction et la fusion du fer ont laissé place à des usines désertes qui pointent toujours vers le ciel leurs carcasses de fonte. Au printemps, leurs silhouettes fantomatiques percent la brume aux premières lueurs du jour et l’automne, leurs lignes aiguisées se dessinent au bord des routes derrière l’épais brouillard. Les galeries vides et les effondrements du sous-sol ont remplacé l’effervescence des travailleurs. La région est endeuillée par le chômage et la misère, tandis que les nouvelles générations cherchent à partir au plus vite pour trouver du travail. Les villages-rues se sont transformées en cité-dortoir où la vie n’est plus.
Il y a eu du sang et des larmes ici. Des coups de grisou, des suicides. Et partout, la silicose qui ronge les poumons. La sirène retentissait quand un accident grave se produisait, et on priait pour qu’il ne s’agisse pas de notre père, de notre frère ou d’un proche. Malgré tout cela, la vallée abritait un vivier culturel, une clayère d’âmes et d’esprits. Les anciens étaient fiers de ce qu’ils faisaient, même si le labeur était éreintant. Leur savoir faire unique s’est envolé lorsque les usines ont fermé leurs portes et avec lui, des milliers d’emplois. Le ciel a retrouvé ses couleurs, la poussière ne se dépose plus sur la terre que l’on cultive, les fumées ferrugineuses ont disparu, mais plus personne ne souhaite en profiter.
Du bord de la route, je regarde les hauts fourneaux et leur allure spectrale qui me fascine tant. La nature y a repris ses droits et une herbe émeraude recouvre leurs pieds, tranchant avec les reflets argent des carcasses d’acier. Je dévisage ces titans figés dans un immobilisme immuable et je me souviens des odeurs de souffre, de la poussière et du bruit permanent. Je les observe mais, pourtant, ce sont eux qui aujourd’hui contemplent la région de leur majesté rouillée.