Jean Ferrat est décédé aujourd'hui, d'une crise cardiaque à Aubenas en Ardèche - il résidait à Antraigues non loin de là.
On ne peut pas dire, bien sûr, qu'il incarnait la modernité : sa carrière a commencé dans les années 50... Son style musical était, bien sûr, celui de cette époque. Mais Jean Ferrat, qu'on l'aime, qu'on ne l'aime pas ou qu'on s'en soit lassé, fait partie du patrimoine progressiste français. Désormais pour l'éternité.
Pour les générations plus "âgées" - trentenaires ou presque, mais pas que, il a marqué les dimanches chez papy-mamie... Et pour beaucoup d'entre nous, il n'a pas été pour rien dans l'émergence d'une conscience politique.
Né en 1930, Jean Tenenbaum, qui deviendra Jean Ferrat, avait 11 ans lorsque son père est déporté à Auschwitz. Lui même est sauvé de l'extermination nazie par des militants communistes.
Toute sa vie, il restera donc fidèle au PCF, bien que n'y ayant jamais adhéré. Pour le meilleur et pour le pire.
Il suivra globalement, des années 1950 à nos jours, la transformation sociale-démocrate de ce parti - on peut même dire qu'il l'a précédée, bien des fois.
Mais il n'a pas manqué, également, de critiques et de critiques justes, sur le principe, envers le Parti comme l'URSS.
Il critiquera, par exemple, sa surdité à la question environnementale, allant jusqu'à se rapprocher des Verts.
Ou encore, son attitude en 1968 - Au printemps de quoi rêvais-tu, alors que le PCF de Duclos et Marchais dénonçait un mouvement "petit-bourgeois gauchiste". Il s'insurgera à juste titre, quand Georges Marchais osera parler, en pleine invasion de l'Afghanistan, de bilan positif. Et la chanson Camarade dénonce très justement l'invasion social-impérialiste de la Tchécoslovaquie...
Le problème, mais qui est loin d'être seulement le sien - plutôt celui de toute une génération - c'est qu'à chaque fois, sa critique le poussera vers la droite, vers la social-démocratie, vers le rejet de la politique révolutionnaire et un engagement de plus en plus romantique et sentimental vis à vis du PCF - indissociable du terrible vécu de son enfance...
Et non pas, vers un dépassement positif, révolutionnaire de ce que devenait d'année en année le PCF et le mouvement révisionniste pro-soviétique dans le monde.
Si l'on résumait, on pourrait dire que Jean Ferrat a vu les problèmes, cherché la sortie, mais toujours pris la porte de sortie de droite, jamais celle de gauche.
Par exemple, sa chanson Le Bilan (après le "bilan positif" de Marchais) marque le début d'une culture de l'auto-flagellation, qui marquera le mouvement communiste (pas seulement révisionniste d'ailleurs) tout au long des années 1980-90 et jusqu'à aujourd'hui.
Le discours bien connu de "nous avions les plus belles chansons", "ceux qui y croyaient étaient sincères", associé à un rejet en bloc de toute l'oeuvre communiste au 20e siècle, et finalement de l'idée même de révolution... Au lieu d'un bilan honnête, critique, sans concessions, mais débouchant sur une résolution optimiste inébranlable : faire mieux dans la dure lutte qui nous attend, la guerre révolutionnaire de longue durée contre un capitalisme en phase terminale.
Un hommage honnête, un hommage communiste à Jean Ferrat, ne peut pas garder sous le bras ces nécessaires critiques.
Ce sont les hommages bourgeois, qui encensent à leur mort ceux sur qui on crachait de leur vivant.
Jean Ferrat y a d'ailleurs eu droit, de Sarkozy à Fillon en passant par Frédéric Mitterrand. Les bourgeois célèbrent celui qui, compagnon de route d'un PCF jamais bien dangereux depuis les années 1950, avait suivi paisiblement son renoncement à la révolution - et même à tout "progressisme radical".
"Oubliant" (ou faisant semblant d'oublier) que, au temps du gaullisme triomphant, des chanson comme Nuit et brouillard et Potemkine étaient interdites à la radio, et que même Ma France, empreinte d'un "patriotisme populaire" tout thorézien, fut mal vue à sa sortie en 1969...
Car des grandes chansons de Ferrat, il y en a eu, ça oui !
Nuit et Brouillard, que nous avions postée à l'occasion de l'anniversaire de la libération d'Auschwitz, n'est par exemple pas pour rien, vraiment pas, dans notre première prise de conscience politique, encore adolescents - et beaucoup de communistes sont certainement dans le même cas. Une lente et sombre plongée dans l'antre de la barbarie fasciste, puis soudain comme un jet de lumière, l'invincibilité de l'optimisme révolutionnaire, de la détermination, non seulement à ne rien oublier, mais à vaincre la barbarie, partout et pour toujours : sol invictus.
Quant à Potemkine, c'est clairement un hymne et un appel à la révolte, au refus de l'oppression, et pas un refus pacifique : Ils tournèrent leurs carabines...
Tenez, on vous l'offre, pour la peine ;-) :
On concluera, en disant que Jean Ferrat a été ce qu'il a été : d'abord, un artiste "engagé", un "compagnon de route" et jamais un véritable théoricien ni militant révolutionnaire, ensuite un homme de son époque, celle de la trahison, par la bande révisionniste de Moscou et ses affidés partout dans le monde, de la vague révolutionnaire qui avait anéanti la bête fasciste et améné le soleil rouge à un tiers de l'humanité. Une trahison à laquelle il a réagi en renonçant peu à peu à la révolution (à la suite du PCF) et non en dénonçant les traîtres et en hissant le drapeau rouge plus haut qu'eux.
Mais il fait partie de notre patrimoine progressiste, engagé, militant, il a marqué (parmi d'autres bien sûr) l'éveil de nos consciences politiques (pour beaucoup d'entre nous en tout cas) et il ne s'effacera jamais de nos mémoires.
Il y aura toujours une place, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense.