Article écrit par LOR, paru dans le n°2 du Starry Plough (fin 2009), traduit par nos soins. L’article explique comment les peintures murales du Nord de l’Irlande après avoir été détruites, sont volées aux populations et vidées de leur contenu. L’Etat colonial, aidé par les laquais social-démocrates du Sinn Fein, sponsorise des artistes vendus et neutralise la contestation en censurant à tout va et en déviant de leur sens les oeuvres populaires que sont les murals. Car la marchandisation touristique s’accompagne d’une ré-interprétation « identitaire » de ce qui est en réalité une lutte sociale et politique.
Les murals ont été l’un des plus importants symboles visibles du conflit au Nord. Depuis 1998, non seulement la plupart des murals – qui dataient du conflit- ont disparu, mais l’industrie du mural a été absorbée par le statu quo.
L’Etat a été capable de modifier et de neutraliser la réalisation de murals ainsi que d’en façonner le contenu politique. Dans le passé, les forces de sécurité jetaient de la peinture sur les murals pour essayer de les effacer. Maintenant l’État paie les peintres de murals pour leur travail.
Le programme « re-imaginons la société », un projet soutenu par l’État britannique et financé par le Conseil des Arts d’Irlande du Nord, a gratté plus de 3,34 millions d’euros (3 millions de livres sterling) pour organiser le remplacement des murals traitant du conflit par des murals plus « positifs ». Les changements sont plus que flagrants.
Un coup d’oeil a la carte 2008 de Failte Feirste Thiar des murals de Belfast Ouest montre que seulement deux murals datent d’avant 1998 et que très peu portent sur la lutte armée ou l’IRA. « Dans les quartier farouchement nationalistes que sont Ardoyne ou Falls, les murals belliqueux pro IRA sont inexistants. Les sujets d’aujourd’hui sont historiques, mythiques, culturels et internationaux » selon le Irish Times.
Pourquoi cette omniprésence de sujets historiques, mythiques, culturels ou internationaux? « Les nouveaux murals, souvent financés par le gouvernement local, sont soumis à certaines conditions. Il y a des règles strictes sur les sujets à aborder – et cela a poussé certains artistes et conservateurs de musée a se demander si ces murals étaient encore vraiment de l’art local ».
Deirdre Mackel de l’Institution pour le développement de l’Upper Springfield reconnait que certaines choses sont taboues sur les murals: « Oui, nous avons censuré » a dit Mme Mackel, dont l’institution est financée en partie par le gouvernement nord-irlandais.
« Nous ne pouvons pas peindre de drapeaux ou d’emblèmes et nous devons rester très clairement en dehors du champ politique. »
C’est pour cela que depuis quelques années, dans les quartiers républicains, les murals revendicatifs ont étés remplacés par des images parfaitement inoffensives représentant des dessins traditionnels celtiques, ou dépeignant des mythes celtes historiques comme ceux de Fin MacCumhail et Cuchulainn; et dans les quartiers loyalistes, les murals de CS Lewis, de Georges Best ou du Titanic ont remplacé les traditionnelles peintures d’hommes en armes.
Le peintre loyaliste Mark Revine a mis le doigt sur le problème en disant: « Voilà des inconnus qui arrivent et essaient de nous dicter à quoi doit ressembler une communauté! A mes yeux ça ressemble fortement à de la censure, ils cherchent à nier le fait même que le passé a existé, montrant aux gens ce qu’ils doivent penser… Les thèmes sont fantasmés par des fonctionnaires à Stormont, et ils vivent probablement a des kilomètres du mural le plus proche. Il ont un contrôle complet vu qu’ils tirent les ficelles, et je ne suis pas sûr qu’il y ait un dialogue avec les communautés. Les peintres ne sont pas informés avant que le Conseil des Arts ne prenne une décision. Ils sont en train de faire disparaître une tradition de la communauté, soutenue par la communauté. »
Duncan Morrow, le chef exécutif du conseil des relations avec la communauté, et figure centrale dans le projet nommé « re-imaginons la société », avoue que cette politique consiste a « utiliser les murals comme un outil de construction sociale ».
Kevin Rooney a raison quand il décrit les derniers thèmes comme une tentative administrative de remplacer la voix authentique de la classe ouvrière de Belfast par un art sponsorisé par l’État: « il n’y a rien de spontané ou d’authentique dans les nouveaux murals commandés par le gouvernement britannique et les conseils municipaux. »
Même si le langage de « l’inclusion » domine maintenant tous les débats politiques en Irlande du Nord, il est clair que les anciens murals sont exclus du processus de « re-imagination » et que seules les images acceptables par les autorités seront admises dans ce processus. Le programme de re-imagination ne contrôle pas seulement ce qui est acceptable, il pousse les artistes dans la voie de la plus cruelle instrumentalisation. »
Ces nouveaux artistes sont payés pour mener à bien les projets du gouvernement britannique, qui n’a que peu d’intérêt pour les arts mais bien plus pour la politique. L’objectif de cette « construction sociale » est de normaliser, dé-radicaliser et dépolitiser les murals et de les remplacer par de la « culture » ou de « l’art communautaire » dont le but est « d’affirmer l’identité ». « Leur objectif est de changertout cela.
Les images du conflit nord irlandais se réclament désormais de « l’affirmation identitaire »; de façon à ne ne pas être plus menaçante que le « morris dancing » en Angleterre. Cela fait partie de la stratégie de l’État britannique de transformer des aspirations politiques en aspirations culturelles.
Auparavant, les murals étaient l’expression d’une lutte, maintenant ils sont l’expression d’une culture et d’une identité. Même quand un mural montre quelque chose du conflit, son sens est modifié.
La « people’s gallery » dans le Bogside montre la violence politique, mais sous la forme d’images plus « acceptables ». Il y a eu aussi la volonté délibérée de marchandiser les murals et d’en faire des objets de consommation touristique.
« On dirait vraiment une volonté de tout marchandiser en Irlande du Nord pour le marché du tourisme! Quand cela arrive, les communautés perdent ce qui leur appartient ».
Auparavant, les murals étaient hors du marché touristique, l’ Office du Tourisme d’Irlande du Nord préférait se concentrer sur la Chaussée des Géants. Maintenant, il y a un spectacle acceptable pour les touristes, tous les visiteurs du nord doivent prendre des photos des murals. Les murals figurent également en carte postales vendues par les Offices du Tourisme. L’ironie de l’histoire est que peu de ces murals datent des années du conflit.
Les murals d’aujourd’hui sont essentiellement un spectacle sans bavures pour la consommation touristique. Reflétant son évolution, le peintre républicain Danny Devenny a dit au Financial Times: « J’ai l’impression d’être passé d’agitateur à figure officielle. Cela me donne de l’espoir pour le futur de l’Irlande ».
L’institutionnalisation des murals reflète l’institutionnalisation du mouvement Républicain Provisoire. Passant de l’expression de l’agitation politique à l’obtention de financement et de soutien dans les institutions.