Le 23 septembre prochain, se profile la énième « journée de mobilisation » appelée par les confédérations syndicales et les partis de gauche bourgeoise et petite-bourgeoise.
Malgré les 2 à 3 millions de personnes mobilisées le 7, le gouvernement de la droite bourgeoise reste sur ses positions, et les « représentants de travailleurs » (enfin, au grand maximum de 7% d’entre eux) se préparent à la négociation, à arracher quelques miettes pour capituler sur l’essentiel.
En outre, cette « journée » n’a encore une fois guère mobilisé au-delà des manifestants « habituels », fonctionnaires des administrations et salariés des entreprises publiques ou semi-publiques (SNCF, EDF, Poste etc.).
Mais cette fois, le craquement des clôtures du « syndicalisme responsable » se fait clairement sentir. Déjà pour la mobilisation du 7, l’appel des ouvriers en lutte de la CGT Goodyear avait fait grand bruit : « Depuis des mois nous ne cessons d’appeler à une lutte plus dure et concrète et non des rassemblements avec promenade de santé. Nous sommes persuadés que la seule façon de faire réellement reculer le gouvernement c’est de durcir le ton, faire comme nous l’avons fait pour le CPE avec des blocages de zones industrielles et des poumons financiers du pays. Le fait de vouloir absolument faire des intersyndicales avec des syndicats qui ont signé un recul sur les droits aux retraites à plusieurs reprises, freine notre centrale et oblige à des compromis de formes de lutte bien en deçà des besoins et des attentes de nombreux salariés. La CGT Goodyear a demandé un blocage de la zone et à ce jour nous n’avons aucun retour. Tant que nous ne nous engagerons pas dans un mouvement plus radical le gouvernement ne reculera pas, au mieux il fera semblant d’écouter mais il validera son projet (…) La CGT Goodyear Amiens Nord n’appellera donc pas à la grève parce que pour nous il faut passer à la vitesse supérieure. Mais pour ceux qui le souhaitent un rassemblement est prévu à la MACU à 14h30 heures. Ras le bol de perdre des journées pour ne rien bloquer et laisser les entreprises et les banques fonctionner normalement. Pendant que l’on marche dans les rues les actionnaires continuent à faire du fric sur notre misère, le gouvernement doit avoir une réponse concrète face au mépris qu’il nous impose. »
La source est ici. C’est intéressant de la mettre, car les commentaires sont instructifs. On y voit les « traditionnels » des défilés syndicaux, salariés du public, affirmer que « si nous avions décidé de ne rien faire parce que les luttes ne correspondaient pas à ce que nous souhaitions LOCALEMENT, je n’aurai jamais fait une grève de ma vie »… Mais aussi (et surtout !), de très nombreux commentaires de soutien à cette initiative, venant essentiellement de travailleurs du privé (dont beaucoup ne pourront peut-être même pas faire grève…).
Bien sûr, la question du pouvoir n’est pas posée : comme expliqué dans un récent article, cette question dépasse encore l’écrasante majorité de la classe ouvrière et des autres prolétaires exploité-e-s ; il n’est encore et toujours question que de faire plier le gouvernement, et de la méthode la plus efficace pour cela. Mais les lignes bougent.
Cette fois-ci, deux nouvelles fractions de la CGT (fédération de la chimie et syndicat CGT Total) lancent un mot d’ordre à la grève reconductible, contre l’appel à la journée de mobilisation.
C’est que la question des retraites, qui n’en est pas à sa première « réforme » réactionnaire, cristallise tout le sentiment d’exploitation et de prolétarisation qui grandit depuis des années dans la crise générale du capitalisme.
La question en effet n’est pas neutre. Il ne s’agit pas de « repos bien mérité », à quoi les réactionnaires pourraient répliquer qu’on vit aujourd’hui de plus en plus vieux et en meilleure santé. Non, comme l’expliquent les marxistes-léninistes du ROC-ML, la question du temps de travail sur la durée de la vie est au cœur des rapports d’exploitation : en dehors du temps nécessaire pour produire la valeur de son salaire, le plus de temps on travaille (sur la semaine comme sur la vie), le plus on produit de plus-value accaparée par le capitaliste !
Les ouvrier-e-s et les autres travailleur-euse-s exploité-e-s comprennent très bien cela.
Il y a longtemps que ces travailleur-euse-s non seulement ne se syndiquent plus (pour 93% d’entre eux-elles), mais ne participent plus aux mouvements sociaux : à la peur de la répression patronale et de la perte de revenu d’une ou plusieurs journées de travail, à la précarité et au souci de simple survie de beaucoup de travailleur-euse-s, s’ajoute le sentiment d’inutilité de telles mobilisations. Le sentiment que celles-ci ne mènent finalement qu’à la négociation et à la trahison des intérêts de classe par les syndicats, ou sont simplement ignorées par l’Etat bourgeois…
Si aujourd’hui la classe ouvrière syndiquée (souvent pas la plus exploitée, ni la plus révolutionnaire !) crie son ras-le-bol et déborde les directions syndicales (ces permanents qui n’ont pas vu un poste de travail depuis des années), c’est qu’elle n’est elle-même que l’expression d’une lame de fond dans la classe ouvrière et toutes les masses exploitées !
Une lame de fond à suivre avec la plus grande attention…
Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui en 2010, les causes du réformisme internes à la classe ouvrière (la fameuse spontanéité trade-unioniste dont parlait Lénine) ont largement reculé : le réformisme est surtout injecté dans la classe ouvrière de l’extérieur, par la bourgeoisie et ses agents, conscients (les social-traîtres) ou inconscients (ceux qui se limitent à ce qu’ils croient possible de faire).
Concrètement, ce qu’Engels voyait naître en 1892 a gagné la classe ouvrière de tous les pays impérialistes : les bénéfices (surprofits) de la domination impérialiste sur les néo-colonies, permettent d'acheter une bonne partie des ouvrier-e-s et autres travailleur-euse-s, sous forme de niveau de vie relativement confortable, de "rêve américain" ou "rêve européen", d’illusions démocratiques et sociales, d’acquis sociaux (comme la sécu ou les retraites), tandis que la bourgeoisie exerce sa domination culturelle à travers ses médias, son contrôle de l’information de masse, sa culture (art, littérature, musique), son éducation scolaire ("le socialisme, on a vu ce que ça a donné !") etc. Si bien que la majorité de la classe ouvrière et des travailleurs exploités ne croient plus qu’on puisse renverser le capitalisme, mais seulement en réduire les pires effets.
Mais voilà : ce qui vient de l’extérieur est toujours beaucoup plus faible et précaire que ce qui vient de l'intérieur. Or, aujourd’hui, tout s’effondre. Avec la crise générale du capitalisme (depuis les années 70) entrée dans sa phase terminale (dans les années 2000), la bourgeoisie capitaliste reprend aux travailleurs tout ce qu’elle a pu leur donner dans la période précédente. Elle ne peut, tout simplement… plus payer !
Les déficits invoqués ne sont pas un mensonge, un complot pour affamer les classes laborieuses, mais bien la triste réalité de la crise générale du capitalisme.
Donc, les moyens (tout simplement financiers) d’imposer le réformisme à la classe ouvrière de l’extérieur se réduisent de jour en jour, tandis que les causes internes qui existaient à l’époque de Lénine (manque de conscience de classe et de confiance en soi, origine paysanne ou petite-bourgeoise individualiste récente, influence de l’idéalisme "charitable" religieux…) ont largement disparu dans le flot de la première vague de la révolution prolétarienne mondiale (1905-1976)…
A mesure que ces moyens reculent, les illusions sur un capitalisme inéluctable ("fin de l’Histoire"), ou "réformable" ("anti-libéralisme"), reculent également.
S’y ajoute la prolétarisation générationnelle : la fameuse "génération qui vivra moins bien que ses parents". Les enfants d’aristocrates-ouvriers ou de petits-bourgeois salariés (petits cadres etc.) viennent grossir les rangs du prolétariat et les espoirs d’ascension sociale "à l’ancienneté" ou "au mérite" (comme pour leurs parents) s'envolent en fumée…
Tout cela fait que les barrières du réformisme et de la contestation "raisonnable" peuvent de moins en moins contenir la révolte des masses contre le capitalisme. Une révolte anticapitaliste, qu’il faut maintenant rendre révolutionnaire.
Appeler à bloquer la production, cœur vital du pouvoir de la bourgeoisie, plutôt que de défiler pour la énième fois dans le calme, le bon ordre et les chansonnettes débiles… Mettre en lumière l’exploitation, l’extorsion de la plus-value, derrière la question de la durée du travail sur la vie... Remettre en cause non seulement la réforme, mais le patronat et la "classe" politique bourgeoise dans son ensemble, des fascistes au P"c" et au NP"a"… Toutes choses, qui seraient un pas en avant vers la Question du Pouvoir !
Un petit pas en avant, sur le long chemin de la révolution…
Le 23 septembre prochain, et pour toutes les autres « journées » qui suivront, le rôle de tou-te-s les révolutionnaires communistes du prolétariat exploité ou de la jeunesse populaire, allant aux manifestations ou préférant rester dans leur usine, leur fac ou leur lycée, ou ne pouvant tout simplement pas faire grève pour cause de répression patronale ou raisons financières ; le rôle de tou-te-s est de porter ces mots d’ordre révolutionnaires, de classe, de combat.
Dépassons les « journées » de mobilisation pantouflardes et sans lendemain qui ne mènent à rien !
Grève illimitée !