Voici la traduction d'un texte publié par le site Revolution in South Asia. (Nouveau Népal)
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De Sukhdev Shah
My Republica, 20 décembre 2009
Note de SouthAsiaRev : Sukhdev Shah était ambassadeur du Népal aux Etats Unis de février à mai 2009, lorsque le gouvernement maoïste est tombé. Shah a travaillé vingt ans pour le Fond Monétaire International et est citoyen Etats Unien.
Selon l’évolution des choses depuis trois ans, le Népal est devenu un terrain fertile pour un renversement du gouvernement par le pouvoir militaire, sous la direction d’une autorité constitutionnelle ou indépendamment. Une telle possibilité est discutée dans des cercles restreints mais a été dévoilée par une délégation de quelques dirigeants du Congrès Népalais qui ont récemment demandé au Président Ram Baran Yadav de considérer l’imposition du Pouvoir Présidentiel pour aider à restaurer la paix et permettre à l’Assemblée Constituante d’achever l’écriture de la constitution avant l’expiration de la date limite dans cinq mois. Ce n’est pas une suggestion incroyable ou inappropriée au regard des obstructions marathoniennes par les maoïstes pour empêcher l’Assemblée Constituante de continuer son travail et mener à bien son mandat.
Même après avoir perdu le contrôle du gouvernement en mai de cette année à propos de l’énigmatique question de la suprématie civile, les maoïstes n’ont pas assoupli leur position à propos de l’action présidentielle de réinstaurer l’ancien chef de l’armée après son limogeage par le Premier Ministre d’alors, Pushpa Kamal Dahal [Prachanda]. Afin de mettre encore plus l’accent sur cette question, les maoïstes ont annoncé la formation d’états autonomes dans plusieurs endroits du pays, en contradiction avec les souhaits du gouvernement, qui semble également défier l’autorité de l’Assemblée Constituante d’écriture de la constitution. En faisant cela – décider unilatéralement de diviser le pays en enclaves ethniques -, les maoïstes ont entamé le processus d’une lente dissolution de l’Etat qu’ils transformeraient éventuellement en une dictature du prolétariat toute puissante. Cette perception particulière de l’objectif ultime des maoïstes et de planification à long terme n’est pas basée sur une chimère ou une supposition mais vient directement de leurs déclarations publiques qui affirment les vertus de la « fusion » de l’idéologie et du rôle de la Guerre Populaire – Janaa Yudhha – comme moyen de capturer le pouvoir d’Etat.
La stratégie maoïste de déclarer des états autonomes est probablement le moyen le plus subtil adopté jusqu’à présent pour saper la légitimité de la version maoïste de l’Etat bourgeois et d’affirmer le pouvoir populaire sous sa propre direction. Et cette stratégie devrait être très séduisante pour la base qui n’a pas une très grande admiration pour les gouvernements tout puissants basés à Katmandou et obéissant aux diktats de dynasties familiales et de politiciens corrompus depuis des générations. Avec les promesses d’autodétermination pour les majorités ethniques sous le système des états autonomes, les gens ordinaires peuvent voir les bénéfices de la localisation de l’autorité gouvernementale, avec une chance de se libérer eux mêmes des tyrannies du pouvoir autoritaire centralisé.
Faire face au défi
Il va sans dire que le gouvernement est perdu quant à la manière de faire face au nouveau défi maoïste. Le plus simple serait de l’ignorer – les laisser perturber les sessions parlementaires, manifester dans la rue, mettre en place des barrages sur les routes, étendre l’anarchie et déclarer plus d’états autonomes, qui peuvent être vus comme rien de plus qu’une défiance symbolique. Cependant, en ignorant de telles menaces à son autorité, le gouvernement au pouvoir ne pourra sûrement pas générer la confiance et gagner en sympathie, ou espérer que l’impasse actuelle prenne fin paisiblement et sans grand mouvement. Si les maoïstes continuent avec leur stratégie actuelle de rendre le gouvernement central hors propos, indifférent et détaché des fonctions basiques d’Etat, ils n’auront pas besoin de faire une entrée musclée dans la capitale pour s’emparer du pouvoir. Cela viendra à eux naturellement et sans efforts – à partir de l’absence de pertinence grandissante du gouvernement central, aidé par un glissement progressif des fonctions d’Etat aux états régionaux, autonomes.
Il ne devrait y avoir rien de mal à la lente dissolution et éventuelle disparition de l’Etat traditionnel et son remplacement par une entité de base, construite du bas vers le haut. En effet, en forçant la dissolution de l’Etat, les maoïstes feraient un coup d’Etat sans verser une goutte de sang, qui serait complètement légitime dans un environnement de conflit grandissant, un manque de direction, une incertitude accrue et un manque de contrôle sur les fonctions gouvernementales les plus importantes.
Il n’y a pas grand chose que la coalition gouvernementale actuelle puisse faire pour stopper ou même freiner le pays d’aller dans cette direction, à part s’il choisit un arrêt forcé du processus en faisant un effort ultime et en prenant une mesure extrême, similaire à celle préconisée par les dirigeants du Congrès Népalais mentionnée ci-dessus – Pouvoir Présidentiel soutenu par l’armée.
Compte tenu des options limitées que le gouvernement actuel a pour prendre le pas sur les maoïstes, il pourrait être attiré par s’en tenir à cette option et l’armée pourrait, plus certainement, choisir cette direction. Le désir de l’armée à se plier à une telle option peut être argumentée de deux façons, la première étant qu’elle n’a jamais eu à utiliser toute sa force pour réprimer les rebelles maoïstes durant leur insurrection d’une dizaine d’années. L’armée aurait été retenue par les ordres du palais [royal], qui en était arrivé à penser le défi maoïste comme une opposition aux partis politiques plus qu’à une menace pour lui même. Deuxièmement, en faisant de la suprématie civile leur cheval de bataille, les maoïstes, une fois au pouvoir, chercheront une dissolution rapide de l’armée, qu’ils voient comme le dernier obstacle pour atteindre la victoire.
Les maoïstes sont dans une sorte de guerre non-déclarée avec l’armée depuis quelques temps mais il devient de plus en plus sûr que l’armée ne restera pas inactive et ne se rendra pas. Au contraire, elle pourrait se préparer pour une confrontation et une guerre finale avec les maoïstes – une opportunité qu’elle recherchait durant le régime monarchique mais qui a été maintes fois refusée. L’envie de l’armée de faire face aux maoïstes sera renforcée si ses actes ont la légitimité de la mise en place du Pouvoir Présidentiel, ce qui est permis par la constitution.
Une perspective décourageante
Il y a plusieurs façons dont le conflit actuel pourrait être résolu et dont les efforts de paix tant vantés pourraient avancer vers leur conclusion logique – c’est à dire un accord sur la constitution, la tenue d’élections générales et l’entrée dans une ère de pouvoir constitutionnel qui ferait respecter la souveraineté populaire. Cependant, la perspective de construction d’un consensus et la restauration de conditions normales apparaissent de plus en plus faibles, et même inexistantes. La principale raison de ce pessimisme est que le communisme en général, et le maoïsme en particulier, est maintenant la réalité de terrain dans le pays, reflétant non pas tant l’intelligence de l’idéologie que les maoïstes ont porté à l’intérêt de la population mais plutôt l’incompétence totale, le manque de vision, et l’incorrigible malhonnêteté des régimes qui ont gouverné le Népal depuis des décennies et des siècles. En particulier, tous ces régimes ont échoué à créer un lien qui rassemble les gens, les encourage à poursuivre un objectif commun et à les motiver à travailler pour un avenir meilleur, pour eux mêmes et leurs enfants.
Les maoïstes ont pris avantage de ce vide en créant des organisations à la base pour rassembler le peuple, partiellement en alignant le peuple contre les intérêts héréditaires et traditionnels. Bien sûr, le bilan des neufs mois de direction des maoïstes ont causé beaucoup de déception et ont aidé à calmer l’enthousiasme pour sa durabilité à long terme mais ils continuent à rester dans la conscience collective comme le dernier espoir pour ceux et celles qui se considèrent comme dépossédés et qui n’ont pas grand chose à perdre d’une sérieuse anarchie et d’une rupture de l’ordre et la loi. Au moins la moitié de la population du pays correspond à cette catégorie qui semble unie dans le soutien à l’intension des maoïstes de surpasser et détruire la démocratie bourgeoise.
Le Pouvoir Présidentiel ou la prise de pouvoir par l’armée peuvent éliminer quelques maoïstes et soumettre leurs soutiens mais ils seront incapables de gagner la guerre idéologique. En même temps, si les camardes idéologiquement endurcis, dans leurs centaines de milliers, font face à l’assaut de l’armée et s’engagent dans une lutte continue, la situation peut facilement devenir incontrôlable et des millions fuiront pour se réfugier de l’autre côté de la frontière avec l’Inde. Il est difficile de prédire comment l’Inde réagira à l’émergence d’une situation calamiteuse de l’autre côté de ses frontières ouvertes longues de 800 kilomètres avec le Népal, mais il est difficile de penser qu’elle ne fera rien. Plus probablement, elle s’engagera activement à éviter la propagation de la violence, incluant le stationnement de ses propres forces de maintient de la paix pour maintenir l’ordre. Bien sûr, un tel événement aura des conséquences inconnues pour l’existence d’un Népal à part entière et indépendant.
Il y a peu ou rien à parier sur comment les évènements vont se dérouler pour les mois et les années à venir, mais le jeu actuel du chat et de la souris entre les partis politiques et les maoïstes amènera sûrement le conflit au centre de la scène pour une confrontation. Si cela arrive, l’armée aura une plus grande chance de revendiquer la victoire, sous réserve que le conflit implique principalement la direction au sommet. Une autre grande incertitude est est ce que le Népal aura la chance d’avoir un grand homme s’élevant pour l’occasion – semblable à un Park Chung-He en Corée, un Pinochet au Chili, un Suharto en Indonésie – pour assurer le défi de réprimer l’opposition en mobilisant la machine d’Etat pour se focaliser sur une unique mission : construire une nation forte et prospère.
Avec autant d’options essayées depuis tant d’années pour éradiquer la pauvreté et prendre le train en marche de la croissance, des opportunités et de la prospérité, cette dernière option pourrait avoir une chance d’y parvenir.