Cet article assez catastrophé de la presse bourgeoise est révélateur de l’inquiétude de l’impérialisme britannique face à la réalité du retour de la révolte dans les 6 comtés occupés, avec l’émergence des émeutes de jeunes qui n’ont pas grand chose à perdre. Et face à la révolte du peuple, un « nouvel » aspect est désormais établi et officiel, c’est que les politiciens de Sinn Féin provisoire (Gerry Adams, Martin McGuiness et compagnie) sont clairement de l’autre côté de la barricade.
On dit qu’à la naissance de l’Irlande du Nord au début des années 1920, son premier Premier Ministre James Craig expliquait que cet Etat « était destiné à connaître le désordre et que les étincelles voleraient toujours plus haut ». Cette sombre prophétie semble s’être confirmée cette semaine, alors que la saison des marches loyalistes a atteint son pic le 12 juillet, entraînant des scènes de violence prolongée à Belfast. Lors des affrontements à la nuit tombée, les étincelles ont volé toujours plus haut, des cocktails molotov, des briques, des balles de golf et autres projectiles ont été lancé sur la police, en particulier dans le quartier d’Ardoyne.
Les émeutiers s’en sont bien sortis. Bien qu’il n’y ait aucun blessé civil, plus de 80 policiers ont été blessés. Ils ont subi des tirs de pistolet à mitraille, et une femme policier a été lourdement frappée à la tête par la chute d’un bloc de béton. Ces images de jeunes gens attaquant des policiers et leurs véhicules, d’une façon « méchante » et « animale » comme le dit Irish News, le journal nationaliste de Belfast, étaient irrésistiblement télégéniques. Pour le spectateur non averti, ces scènes de voitures incendiées pouvaient laisser penser que tout Belfast était en flammes, et non une toute petite partie de la ville. En conséquence, les efforts pour développer le tourisme nord-irlandais peuvent s’appuyer sur une nouvelle tactique publicitaire pour la haute saison : Voulez-vous visiter le pays du cocktail molotov, des boucliers anti-émeute et des voitures en feu?
Ardoyne est l’un des quartier à problèmes d’Irlande du Nord, il est situé dans Belfast-nord, où sont tombées un cinquième du total des victimes lors des « Troubles ». A la pire des périodes, dans les années 1970, une guerre à trois belligérants s’est déroulée dans les rues, impliquant l’IRA, l’armée et les loyalistes. Les habitants de ce quartier connaissent en général des dizaines de personnes tuées et emprisonnées pour actions liées à l’IRA. Une plaque commémorative dans une des rues d’Ardoyne porte les noms de plus de 120 personnes mortes dans le quartier, mêlant des noms de membres de l’IRA à des noms de vieilles dames frappées par des balles perdues lors des fusillades de rue.
Ces mauvais jours sont finis, mais nombre de problèmes restent en suspens, comme la pauvreté, le chômage et une aliénation multiforme. Bien que le processus de paix ait pratiquement effacé les assassinats, il n’a pas fait beaucoup en terme d’amélioration économique. Il y a quelques années, une vague de suicide de jeunes a été le signe éloquent du degré de l’effondrement familial et social.
Les désordres de cette semaine ont concerné majoritairement des adolescents et des enfants de neuf ou dix ans participant fiévreusement à ce qu’on appelle des « émeutes récréatives ». Pour certains, la violence annuelle de juillet est l’événement le plus excitant de toute leur jeune existence : ils envoient des texto à leurs potes pour les appeler à l’émeute.
Pour des centaines de jeunes, pas besoin d’encouragement spécial pour aller se battre contre la police, mais cette année un stimulant de plus est intervenu avec l’implication des groupes républicains dissidents dans des fusillades et des attaques à la bombe. Le 10 juillet, dans le sud rural du comté d’Armagh, ils ont fait explosé une bombe, du type de celles que les soldats britanniques en Afghanistan ne connaissent que trop bien. En agissant ainsi, ils donnent la preuve qu’ils ont regagné la capacité de désosser des véhicules militaires blindés.
Dans le comté d’Armagh, les dissidents ont recruté d’anciens artificiers de l’IRA pour semer le désordre; à Belfast, ils font confiance aux jeunes. A Ardoyne, des dissidents ont gonflé les rangs des émeutiers. Les groupes dissidents, qui sont petits mais meurtriers, espèrent qu’une partie de ces adolescents emprunteront le chemin traditionnel – qui va de l’émeute récréative jusqu’au terrorisme caractérisé.
Outre le fait d’avoir transformé Belfast en zone de guerre, au moins pour les télévisions, les dissidents ont réussi à enfoncer un coin entre les politiciens et la police. Un haut-gradé de la police, peut-être troublé par le sort subi par ses hommes, a appelé en urgence Peter Robinson, le premier ministre loyaliste du Royaume-Uni, et le député Sinn Féin Martin McGuiness, à former un gouvernement conjoint pour faire face à ces troubles.
Mais en réalité, les deux hommes ont travaillé dur et ont pour la première fois conclu un accord, qui permettra l’année prochaine une meilleure régulation de la saison des parades. Personne ne croit qu’ils résoudront ainsi les problèmes profondément enracinés d’Ardoyne, mais l’espoir est que l’organisation de ces marches ne donnera plus de prétexte facile pour déclencher violence et destruction.
source : The Economist, 15 juillet 2010.
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