Il y a deux semaines, une révolte populaire a secoué un quartier populaire d'Alger, faisant - exceptionnellement - un entrefilet dans les médias audiovisuels et papier français, et la une des médias algériens : le quartier en question étant situé à moins de 3 km des centres de pouvoir...
Pourtant, il suffit de consulter un simple site algérien d'opposition pour constater que les émeutes dans ce pays sont quasiment hebdomadaires... En fait, en 2008, jusqu'à 2 ou 3 "incidents de masses" (pour reprendre le terme chinois) par jour !!!
Pour comprendre cela, il faut comprendre la nature de l'Etat algérien, qui est (en langage courant) néo-coloniale, en langage marxiste-léniniste-maoïste semi-féodale semi-coloniale.
Comme tous les pays d'Afrique (et d'Asie, et d'Amérique latine), l'Algérie n'a qu'une indépendance factice, gérée par une élite locale mais s'inscrivant pleinement dans la domination impérialiste mondiale, pour le coup principalement française (et européenne).
Mais ceci, dans le cas de l'Algérie, malgré une longue et dure guerre de libération.
Que la bourgeoisie nationale ait dominé et dirigé la lutte de libération n'est pas critiquable en soi, dans un contexte où l'aspect principal est la libération nationale, c'est une question secondaire. Il est cependant clair que ce caractère bourgeois-national, et certaines pratiques injustifiables (même si plus isolés que ne nous le fait croire la propagande colonialiste) de terreur contre la population civile, ont gêné malgré les crimes de l'armée française la mobilisation de masse : jusqu'à la fin de la guerre il restait une forte population pro-française ou - surtout - neutre, les désertions de l'armée de libération étaient nombreuses etc...
Mais surtout, la guerre de libération algérienne a souffert d'un retard sur la stratégie militaire. Elle pensait avoir facilement raison d'un ennemi à terre, la France d'après Dien Bien Phu. Mais l'armée française avait appris de l'Indochine, et développé des stratégies de guerre contre-révolutionnaire qui feront école dans le monde entier, du Vietnam à l'Amérique latine.
Face à cela l'armée de libération algérienne n'avait ni le nombre, ni la solidité d'organisation ni la cohésion de l'Armée Populaire vietnamienne. L'ALN était un sigle de pure forme, en réalité, sur un modèle plus proche de la résistance afghane (contre l'URSS et aujourd'hui) des chefs de guerre locaux tenaient chacun "leur" maquis. L'ALN organisée sur le modèle d'une armée était stationnée en Tunisie et au Maroc, et des barrières électrifiées de plusieurs centaines de km leur interdisaient toute introduction massive d'unités de combat.
Par la suite, les révolutionnaires du monde apprendront de ces stratégies contre-révolutionnaires, pour les contourner.
Mais en attendant, l'indépendance de l'Algérie a été obtenue sur une défaite militaire, donc dans un rapport de force défavorable. Elle a été accordée sur des traités inégaux.
À l'origine la France voulait garder le Sahara, où avaient été découverts les premiers gisements de pétrole et de gaz. Finalement cette option sera abandonnée, pour des raisons pratiques et pour ne pas retarder les négociations alors que le mécontentement grandissait en France, à gauche contre la guerre et les "trouffions" tués tous les jours, à droite contre "l'abandon des départements"...
Mais la France a gardé le contrôle de fait de ce territoire et - surtout - des forages d'hydrocarbures, qui sont la raison profonde de la mainmise française.
De même la France a conservé jusqu'à la fin des années 60 des bases militaires, et des facilités depuis.
Il n'en fallait pas plus à la bourgeoisie nationale, qui a dirigé la guerre d'indépendance, pour se muer en nouvelle oligarchie au service de l'impérialisme.
Lors de l'indépendance, la présidence est attribuée (après une lutte de factions) à Ahmed Ben Bella. Celui-ci, influencé par la Yougoslavie de Tito et l'Egypte de Nasser, met en place un "socialisme autogestionnaire arabe". En réalité, un capitalisme bureaucratique avec des "conseils ouvriers" comme faire-valoir, un peu comme nos comités d'entreprise.
Il n'empêche que les trotskystes "pablistes" (ancêtres du NPA) en feront leur marotte, comme de la Yougoslavie 10 ans plus tôt. Des centaines de "pieds-rouges" iront conseiller le gouvernement Ben Bella.
Intéressant quand on regarde les faillites étrangement parallèles de ces deux "modèles"...
L'Algérie de cette période a tout de même joué un rôle ponctuellement progressiste à cette période, en accueillant notamment le Séminaire économique afro-asiatique d'Alger (février 1965) où le Che prononcera son fameux discours renvoyant dos à dos les USA et l'URSS.
Tout cela prend fin en juin 1965 avec le coup d'Etat du colonel Boumediene, qui marque la "reprise en main". La grande Conférence afro-asiatique ("nouveau Bandung") prévue quelques jours plus tard est annulée et dans les coulisses du coup de force se profile l'ombre du jeune ministre des Affaires étrangères, un certain... Abdelaziz Bouteflika, déjà lui ! Malgré la poudre aux yeux du "tiers-mondisme", du "non-alignement" et des nationalisations, l'économie algérienne restera aux mains de l'impérialisme français (avec quelques facilités également à l'URSS), comme tant de pays soi-disant "progressistes arabes" tels que la Tunisie, l'Irak...
À la mort de Boumediene lui succèdera Chadli Benjedid, puis, dans la terrible guerre civile des années 90, Boudiaf (assassiné), Kafi, Zeroual et enfin Bouteflika, indéboulonnable depuis 1999. Mais le fond est resté le même.
La France exploite le gaz du Sahara (avec des ingénieurs et des cadres français) et, après avoir pillé plus de 20 ans la main d'oeuvre algérienne pour les besoins de l'industrie hexagonale, commence à y délocaliser des productions, ce qui était impossible dans les années 90 en raison de l'instabilité.
Et le pouvoir "indépendant" ? Il garde la chiourme, et s'en met allègrement plein les poches au passage... Les garden parties du luxueux Club des Pins, à Alger, avec généraux, dignitaires du régime et nouveaux riches du - jeune - secteur privé, sont de notoriété publique.
Le chômage est, officiellement, de 13%, en réalité 2 ou 3 fois plus, le pouvoir d'achat misérable. Et l'Etat (ou plutôt la clique qui se pare de cette appelation, en Algérie on parle de "pouvoir") est tout-puissant : la moindre démarche demande de payer un passe-droit, et quand un "projet" immobilier décide qu'il faut dégager, il faut dégager... C'est ce qui passé il y a 2 semaines et a provoqué la révolte. Car la moindre étincelle "met le feu à la plaine"...
L'alternative ? Après les violentes émeutes de 1988, qui ont fait 500 morts et dont le déclenchement reste trouble (des factions du pouvoir les auraient provoquées, en stockant la farine de blé pour faire exploser les prix), il y a eu le raz de marée islamiste. En 1992, ils remportent les élections législatives et l'Algérie s'apprête à devenir une république islamique. L'armée l'empêchera.
Par la suite les islamistes montreront leur visage réactionnaire : divisions, massacres des civils, attentats aveugles.
Il semble aussi qu'ils aient eu, du moins jusqu'en 1994, le soutien discret des Etats-Unis, dans leur stratégie de "virer la France d'Afrique", avant que les Américains n'arrêtent de jouer avec le feu islamiste.
Qui a commis tel ou tel massacre pendant cette décennie, on ne le sait toujours pas, en tout cas on dénombre 60 à 150.000 morts dans cette "guerre sale".
Le berbérisme, bien que 90% des algériens aient du sang berbère, prône une pureté ethnique qui n'augure rien de bon, et en tout cas ne mobilise que sur une base très régionale (Kabylie et kabyles d'Alger).
Les communistes sont inexistants, les progressistes faibles et divisés. Il y a un "parti frère" de notre POI ex-PT lambertiste : l'Algérie est parfois appelée "l'autre pays du trotskysme"...
Mais avec ou sans parti, la révolte du peuple monte et monte encore, surtout que la chute des cours des hydrocarbures a fermé les robinets des programmes sociaux.
Ce qui est sûr, c'est qu'une révolution quelle qu'elle soit, ou même une simple paralysie de l'Algérie provoquerait un grave crise économique en France : 16% de notre gaz naturel (c'est beaucoup) et 6% de notre pétrole (c'est moins mais pas mal) proviennent de ce pays.
Avec la crise économique actuelle, la situation révolutionnaire en France pourrait donc naître de l'autre côté de la Méditerranée, dans les "anciens départements"... Cela illustre parfaitement notre conviction, que le capitalisme impérialiste périra par la périphérie, les "provinces de l'Empire".
Bien sûr, cela n'arrivera pas tout seul, nous devons non seulement travailler à créer les conditions révolutionnaires subjectives (conscience révolutionnaire et organisation) dans notre pays, mais également soutenir et aider de tout notre possible les luttes de d'Algérie et du Sud en général.
C'est tout le sens de notre combat anti-impérialiste, combat central de notre époque.