L'Humanité
Carlos H. Reyes« Le Honduras est le gendarme des états-Unis en Amérique centrale »
Honduras, Envoyée spéciale.
Le Front national de résistance est organisé dans toute les régions du Honduras. Comment est née l’idée de vous constituer en coordination revendicative et politique ?
Carlos H. Reyes. Le Front de résistance a pour base la Coordination nationale de résistance populaire composée de divers organismes populaires : des syndicats, des associations de paysans de communautés indigènes, de défense des droits de l’homme, des organisations contre l’exploitation des mines, et la déprédation des forêts. Cette coordination est née au début de ce siècle contre les privatisations, les traités de libre-échange, l’Alca (1), mais elle lutte aussi en faveur du droit au travail et à la terre. La coordination a donné son sceau pacifiste à la résistance pour mettre en échec le terrorisme politique des putschistes depuis plus de cinq mois.
Selon vous, qu’est-ce qui a réellement motivé les auteurs du putsch ?
Carlos H. Reyes. La question clé est la Constitution de 1982. Elle a été approuvée durant la période de guerre de basse intensité, selon la doctrine de Washington. Elle a été rédigée sous trois principes fondamentaux : l’apparition et la promotion de l’entreprise privée sous l’impulsion du patron phare hondurien, Miguel Facussé, pour qui le Honduras est un pays à vendre. Le second est la réduction des dépenses de l’État au prétexte qu’elles génèrent du déficit fiscal et de la corruption. Le troisième, moins connu, établit que les forces armées (FFAA) sont le garant de la Constitution alors que le pays sort de gouvernements militaires.
Quelles ont été les conséquences de cette Constitution ?
Carlos H. Reyes. 30 % du territoire sont aux mains des transnationales (mines, pétrole, et ressources hydrauliques). Parallèlement, le rapport de forces a été modifié. Le rôle de l’État, ses institutions et ses ressources ont été terriblement affaiblis. Les droits du peuple ont disparu. La dévaluation monétaire et l’importation de produits des États-Unis, sans taxes douanières, ont conduit à la faillite de très nombreuses entreprises nationales.
Le président Zelaya va pourtant être à l’initiative de réformes sociales importantes…
Carlos H. Reyes. Dix jours après sa prise de fonction, il est invité à une réunion à laquelle participent l’ambassadeur des États-Unis, l’élite des patrons, les forces armées, les médias et l’Église. Il raconte qu’il y a une chaise vide qui semble présider la réunion. Il va pour s’y asseoir lorsqu’on lui signifie qu’elle est réservée à Carlos Flores (président libéral 1998-2002). Les présents le somment de poursuivre les privatisations de l’eau, l’énergie (plus tard les télécommunications). Il accepte. Puis il se rend compte que l’État est le grand perdant, et décide de stopper les privatisations. C’est à partir de là que ses problèmes vont commencer. Le gouvernement de Zelaya décide de faire une sorte d’appel d’offres à qui lui vendrait le combustible le moins cher. Il essuie une nouvelle guerre médiatico-politique mais tient bon. Il a voulu imposer des impôts aux entreprises, quasiment inexistants jusque-là. Il essuie des attaques et se rend compte qu’il est cerné de toute part.
Le rapprochement avec le Venezuela ne lui a-t-il pas également été reproché ?
Carlos H. Reyes. C’est le patronat qui va lui souffler l’idée de ce rapprochement. Il lui suggère de se joindre à PetroCaribe (2) afin d’acheter le combustible moins cher, espérant ainsi être exonéré d’impôts. Mais les transnationales lui tombent dessus, en estimant que cela revient à une expropriation. Vient ensuite l’adhésion à l’Alba (3). Elle offrait une aide pour l’État bien plus importante que celle des États-Unis. Là encore, les patrons putschistes étaient les plus favorables. L’adhésion est approuvée par le Congrès mais le conflit bat son plein. On accuse « Mel » de conduire le pays vers le socialisme.
L’enjeu salarial a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase…
Carlos H. Reyes. Zelaya décide de réajuster les salaires au niveau du prix du panier de base en augmentant les salaires de 80 %, soit un salaire minimum d’environ 260 dollars. La Cour suprême de justice a été saisie de plus de 2 000 plaintes. « Mel » Zelaya se voit pieds et poings liés, et se dit alors qu’il faut changer la Constitution parce que l’État ne peut rien.
Comment analysez-vous les événements de ces derniers mois ?
Carlos H. Reyes. Ils démontrent qu’on ne peut pas toucher aux intérêts de l’oligarchie, pas même avec un pétale de rose. Ils démontrent l’étendue des désastres lorsque le pouvoir d’un État et de son peuple est insignifiant en comparaison à celui des groupes privés. En Amérique centrale, la droite hondurienne est la plus archaïque. Et le Honduras est le gendarme des États-Unis en Amérique centrale.
À ce propos, à quel jeu se sont prêtés les États-Unis ?
Carlos H. Reyes. Le coup d’État du 28 juin a été concerté avec eux. En 1838, en raison de leurs intérêts, les Anglais et l’empire des États-Unis nous divisent en cinq républiques handicapées. Depuis, nous n’avons jamais pu construire un État national stable. L’essence du coup d’État repose sur cette relation historique avec Washington, le changement du rapport des forces et les mesures réformistes de Zelaya.
Comment poursuivrez-vous vos actions ?
Carlos H. Reyes. Il faut lutter pour le retour à la constitutionnalité avec une constituante à forte majorité populaire. Le résultat des élections démontre que le futur gouvernement est illégitime. Le futur gouvernement, pour survivre, va dévaluer la monnaie, accélérer les privatisations, bref, il va approfondir le modèle néolibéral. Or l’expérience latino-américaine est intéressante. Les gouvernements qui ont approfondi le modèle néolibéral ont dû démissionner ou ont été renversés par les peuples. D’autres ont cherché des voies politiques différentes mais tous en passant par des constituantes, comme au Venezuela, en Bolivie ou en Équateur.
Entretien réalisé par Cathy Ceïbe
(1) À l’initiative des États-Unis, cette zone de libre-échange, du Canada jusqu’au cône sud de l’Amérique latine, a été mise en échec. (2) PetroCaribe est une alliance de coopération énergétique entre les pays de la Caraïbe et le Venezuela. (3) L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba), créée en 2005 par Cuba et le Venezuela, comprend neuf pays.
La répression continue :
(Secours Rouge APAPC)
8 décembre 2009
Malgré la fin de la période pré-électorale et la tenue des élections il y a deux semaines, la répression se poursuit au Honduras. Hier matin, un militant de la résistance contre le coup d'état a été enlevé par des hommes cagoulés. Alors qu'il effectuait son travail de surveillance, un véhicule de type pick-up s'est arrêté à côté de lui. Quatre hommes cagoulés en sont descendus, l'ont menacé de manière violente et l'ont fait monter dans la voiture. Lorsqu'il leur a dit, pensant à une attaque pour le voler, qu'il n'avait que peu d'argent sur lui, ils lui ont répondu qu'ils le connaissaient bien et qu'ils étaient fatigués de lui, qu'ils allaient le tuer. Ils lui ont enfilé un sac sur la tête, l'ont insulté et lui ont posé des questions sur la résistance, lui ont demandé des informations sur le mouvement et ses leaders. Ils ont ensuite passé un coup de fil pour signaler qu'ils avaient accompli leur mission et qu'ils avaient le paquet, tout en continuant à le frapper. Le militant a alors tenté le tout pour le tout et s'est jeté du véhicule en marche. Il s'est enfui en courant et s'est longtemps caché dans un terrain vague. Ses agresseurs ne l'ont pas cherché, ou du moins, ne l'ont pas retrouvé. Il souffre d'une rupture de la cloison nasale et de contusions multiples sur le visage et le corps.