AU fur et à mesure que la route se fraie un passage dans la puissante Sierra Madre del Sur, les visages entrevus changent, jusqu’à devenir purement indiens. Forêts, rocaille, cactus géants et misérables champs... il faut cinq heures, depuis Chilpancingo, la capitale de l’Etat (1), pour qu’apparaisse Tlapa de Comonfort, centre administratif de la région du Guerrero qui porte bien son nom, la Montaña (la Montagne).
Hormis le marché, où les paysans descendent le samedi et le dimanche, aucune industrie, aucune activité salariée. Rien. Des bouquets de fer à béton hérissent les nombreuses bâtisses en construction. Elles seront achevées au rythme des mandats qui arrivent de « là-bas ». « J’ai quatre cousins aux Etats-Unis », lâche Benito, vingt-deux ans, qui envisage de suivre le même chemin.
Pourtant, force est de constater qu’une nouvelle activité a réveillé depuis peu la bourgade. Une caserne - 600 soldats - vient d’y être installée. Et les gens d’en commenter à mi-voix la cause déclarée : une ténébreuse histoire de groupes armés. « Ça a commencé dans le Chiapas, murmure Juan Basurto. Mais, là-bas, ils sont plus politiques. Marcos diffuse mondialement. Ici, c’est une autre équipe, on la connaît moins bien. »
Cette Armée populaire révolutionnaire (EPR) qui hante le maquis guerrerien, Benito en a entendu parler par les journaux. Il insiste bien : par les journaux. Lui qui milite au sein de l’Union des communautés indigènes de la Montagne (UCIM) a cependant sa petite idée sur la question. « On n’a rien à voir avec eux, précise-t-il prudemment, mais on les respecte. Ce sont des travailleurs sociaux, comme nous, mais par d’autres voies. »
TOUT autour de Tlapa, entre 600 et plus de 3 000 mètres d’altitude, s’étend la Montaña, la partie la plus abrupte, la plus accidentée de l’Etat. La région est très pauvre. Maïs, haricot, riz, ses productions ne valent rien. Là où il fait très froid, même la milpa (2) ne produit pas. Deux chapeaux de paille, confectionnés en une journée, rapportent 1 peso (3). Chacun de ces chapeaux sera revendu 17 pesos par les acaparadores (profiteurs) du commerce ambulant. La Montagne est peuplée d’Indiens - Nahuas, Mixtèques, Tlapanèques - qui, eux non plus, « ne valent rien ». Ils possèdent leurs coutumes, sèment et récoltent leurs trois bricoles, et les vendent à bon marché. Le bois, ils en font littéralement cadeau. « Il leur manque une orientation politique à ces pauvres gens. »
Outre son activité au sein de l’UCIM, Benito milite dans l’opposition avec le Parti de la révolution démocratique (PRD) du doctor Cuauhtemoc Cardenas. Evoquant avec fougue ses ancêtres autochtones (il est métis), vêtu de son large tee-shirt qu’ornent une inscription - Hard Rock Café - et un gigantesque Mickey, il rêve de San Francisco ou de Washington, transporte ses tracts de l’UCIM - « Nous considérons qu’on acquiert une conscience de classe quand on sait : à quelle classe on appartient ; qui sont nos ennemis de classe (l’Etat, la bourgeoisie, l’impérialisme) » - et se découvre respectueusement devant l’imposante église qui domine Chalpatlahua : « C’est un sanctuaire très miraculeux. » À lui seul, Benito, c’est tout le Guerrero.
Tototepec n’appartient pas à la cohorte des caseríos (hameaux) dépourvus de toute voie de communication. Mais l’extrême pauvreté y est présente. Seuls les sympathisants du parti au pouvoir depuis la nuit des temps, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), reçoivent de l’aide - riz, haricots, sucre - à l’occasion (en général juste avant les élections). Ici, tout manque. « Il y a de l’eau, s’insurge M. Primo Alvarez, mixtèque, instituteur bilingue, si on avait une pompe, elle bénéficierait à tout le pueblo. Il y a du bois, mais pas moyen de l’exploiter. On pourrait produire de la chaux, il y a les pierres nécessaires, mais nous ne disposons d’aucun moyen... »
Les militants du PRD, minoritaires dans ce village tenu par le PRI, se battent auprès des autorités pour obtenir des engrais. Le 1er juin dernier, pour toute réponse, ils reçoivent la visite des judiciales (police judiciaire) et de l’armée. Les portes sont défoncées, les maisons fouillées, les ustensiles de cuisine brisés, le grain dispersé aux quatre vents. Une jeune femme est violée devant son époux. « Ils m’ont accusé d’être un chef de l’EPR », soupire M. Primo Alvarez. Directeur de l’école (cinq instituteurs), à la tête d’une classe de 45 élèves, il doit également cultiver son champ : son salaire mensuel, 1 600 pesos (1 180 francs), ne lui permet pas de vivre.
« Où vais-je trouver le temps d’aller avec un groupe armé ? » D’un geste écoeuré, il montre sa masure. « Au lieu de nous envoyer la troupe, qu’ils construisent des écoles, des cantines, qu’ils donnent des bourses, des vêtements et des chaussures pour les enfants, des logements décents pour les maîtres !... » Puis, revenant sur cette fameuse EPR qui leur vaut tant de désagréments : « Nous, nous luttons démocratiquement. Nous n’avons jamais porté d’armes. Mais on respecte leur lutte, leur manière de penser. Parce qu’ils sont également porteurs des demandes du peuple indigène. »
A Cochoapa el Grande, dans un presque-bout-du-monde qui survit au-dessus des nuées, c’est le 13 juillet 1998 que l’armée a surgi. Maison par maison, elle a tout fouillé. Elle a frappé les gens. Pas tous, juste les « subversifs » du PRD. Comme partout, elle établit régulièrement des barrages où chacun est interrogé sur ses faits et gestes, harcelé sans aménité. Dans ce pueblo très divisé, le comisario (4) est perrediste (membre du PRD). Depuis son élection, l’électricité a fait son apparition. En son temps, le comisario priiste (membre du PRI) avait reçu des crédits pour construire un pont. Il n’y a toujours pas de pont. Dans la communauté, malgré ces évidences, les clivages demeurent abyssaux.
C’est que le parti « officiel » sait aussi se faire comprendre. À dix-sept heures, plusieurs dizaines de paysans, outil sur l’épaule, regagnent le caserío. Payés sur un programme gouvernemental, ils reboisent les versants érodés. Tous sont membres du PRI. Aucun des habitants catalogués « opposant » n’a eu accès à ce travail. « Les gens sont fatigués, lâche un indigène qui, méfiant tout de même, enchaîne par une périphrase. Ici, on raconte l’histoire d’une guérilla du temps passé, celle du maestro Lucio Cabañas. Ça va recommencer. Il va finir par y avoir une guerre ou je ne sais quoi... »
Un jeune qui l’accompagne, une fois n’est pas coutume, n’use pas de circonlocutions. Il fixe les sommets qui bousculent l’horizon : « C’est bien qu’ » ils « soient là, parce que maintenant, si un problème nous tombe dessus, » ils « vont nous aider. » Fort aimablement, il refuse ensuite de décliner son identité. Par les temps qui courent, on meurt pour beaucoup moins que cela.
Le Guerrero est, avec le Chiapas et l’Oaxaca, ses voisins d’infortune, l’un des Etats les plus pauvres du Mexique. Dans les années 60 qu’inaugura la tuerie de Chilpancingo (30 décembre 1960), aux revendications des cultivateurs de coprah et de café, des instituteurs et des étudiants ne répondit qu’une violente répression. En 1963, Genaro Vásquez, un maître d’école, prit les armes à la tête de l’Association nationale civique révolutionnaire (ACNR). Après le massacre des producteurs de coprah, le 20 août 1967 à Acapulco, un autre instituteur, Lucio Cabañas, fonde le Parti des pauvres (PDLP). Les actions armées se multiplient dans les années 70 et culminent, le 29 mai 1974, avec l’enlèvement de Ruben Figueroa (père) . Candidat priiste au poste de gouverneur de l’Etat, l’individu est connu pour ses méthodes de gangster (5). La chasse à l’homme fait rage, Lucio Cabañas meurt dans une embuscade au mois de décembre suivant. Les cadres survivants de l’organisation démantelée s’évanouissent dans la clandestinité.
« E N ce temps- là, se souvient un ancien , les droits de l’homme n’existaient pas ! » Une centaine de morts, plus de 300 disparus, l’armée nettoie cruellement la région. Peu à peu, cependant, des milliers de têtes se relèvent qui ne pouvaient demeurer indéfiniment courbées. Une Union de ejidos (6) voit le jour au sud de la Montaña, sur la Costa Grande (7). « On avait des délégués dans toutes les communautés, rappelle M. Hilario Acosta. Le gouvernement a invité tous ces délégués, il leur a donné de la nourriture, de l’argent, des femmes, en leur demandant de se rallier à la Confédération nationale paysanne [CNC, syndicat officiel]. Le jour de l’élection de la nouvelle direction, ils ont tous voté pour la CNC. » Les incorruptibles repartent de zéro, forment une Coalition d’ ejidos, commencent à travailler sur la commercialisation du café. « Mais les priistes se sont infiltrés et la coalition s’est divisée. »
L’époque, pourtant, n’est pas à baisser les bras. Après l’élection frauduleuse de M. Carlos Salinas de Gortari à la présidence, en 1988, les paysans proposent à M. Cuauhtemoc Cardenas, candidat spolié, futur fondateur et dirigeant du PRD, de « donner leur vie pour défendre le vote », les armes à la main. Son refus - il choisit alors « la voie de la légalité » - provoque une immense frustration. Tout en demeurant fidèles au PRD, dont l’influence contestataire s’accroît considérablement dans le Guerrero, ils retiennent la leçon : ils compteront désormais, et avant tout, sur leurs propres forces.
En janvier 1994, naît l’Organisation paysanne de la Sierra du Sud (OCSS), le plus puissant des multiples mouvements qui font du Guerrero un chaudron bouillonnant. En gestation depuis de nombreux mois, l’OCSS, qui regroupe sans distinction métis et indigènes, apparaît quelques jours après le soulèvement d’une mystérieuse armée, dans le Chiapas voisin. Le gouverneur Figueroa entreprend d’anéantir cette organisation indépendante (l’OCSS) qui refuse de se laisser corrompre, tout comme il lâche ses chiens sur toute forme d’opposition. Tous sont accusés d’entretenir des liens avec l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Assassinats, exactions et arrestations se multiplient.
C’est pour protester contre la disparition d’un des leurs, Gilberto Romero, que plus d’une centaine de membres de l’OCSS descendent en camion, le 27 juin 1995, vers Atoyac de Alvarez. Au lieu-dit Aguas Blancas, les forces de sécurité arrêtent le convoi. Après avoir fait descendre des véhicules une partie de ces civils désarmés, elles ouvrent délibérément le feu. M. Marino Sanchez : « J’étais allongé au sol, les balles passaient tout près, on était complètement entourés de policiers. J’ai vu qu’ils donnaient le coup de grâce à des compagnons blessés. » Comme dans un cauchemar : 17 paysans assassinés, plus de 20 blessés.
Douze mois plus tard, aucun des instigateurs du massacre n’a été jugé. Seul résultat obtenu par la mobilisation populaire, le gouverneur Ruben Figueroa (fils) a démissionné. Le jour anniversaire du massacre, alors que, sur place, se déroule une cérémonie commémorative regroupant 6 000 personnes, une centaine d’hommes et de femmes armés, le visage masqué par l’inévitable passe-montagne, surgissent. Pour la première fois, l’Armée populaire révolutionnaire apparaît publiquement.
« Après le [premier] moment de surprise, dit en souriant rétrospectivement un témoin, on a vu sur les visages des expressions de plaisir. Beaucoup ont applaudi. Un curé est allé les embrasser en disant : "enfin !" ». Evidemment, le communiqué lu en cette occasion - le Manifeste d’Aguas Blancas - a peu à voir avec la prose lyrique du sous-commandant Marcos. « Nous voulons l’établissement d’une République démocratique populaire (...) et appelons à la formation de tribunaux populaires pour juger les ennemis du peuple. »
TERRORISTES ! Le gouvernement Zedillo, qui a enfermé les zapatistes dans une négociation en trompe-l’oeil, tente d’accréditer l’idée qu’il existe une bonne guérilla, l’EZLN, possédant une base sociale, et une mauvaise, l’EPR, qui n’en a pas. Il est aidé, consciemment ou pas dans un premier temps, par le sous-commandant Marcos, dont les commentaires sont glaciaux. Les « nouveaux venus » devront « gagner leur légitimité ». Paraphrasant le médiatique zapatiste, le comandante José Arturo expédie une réponse cinglante : « À qui devons-nous demander pardon pour le fait de ne pas permettre que le gouvernement continue à assassiner ? À qui devons-nous demander pardon pour notre soulèvement armé ? Devons-nous demander pardon, par exemple, au gouvernement ? Devons-nous demander pardon à l’oligarchie ? Devons-nous demander pardon à l’EZLN pour cette décision ? (8) » Puis il conclut sèchement : « La poésie ne peut être la continuation de la politique par d’autres moyens. »
A défaut de devenir cordiales, les relations (ou plutôt l’absence de relations) se détendront. Sans occulter les divergences, l’EPR se réfère avec respect à l’EZLN. Mais elle ne cache pas que son objectif est la prise du pouvoir et que, pour ce faire, elle combinera la voie civile et la voie armée.
En fait, l’EPR existait depuis de longues années. Si son apparition ne provoque guère d’enthousiasme, c’est qu’en son sein le Parti révolutionnaire ouvrier clandestin Union du peuple-Parti des pauvres (Procup-PDLP) occupe une position dominante. Surgie dans les années 60, cette organisation très fermée, de tendance maoïste, « a plus qu’une mauvaise réputation, souligne à Mexico M. Enrique Avila, l’un des dirigeants du Front zapatiste de libération nationale (FZLN), constitué, dans la société civile, à l’initiative du sous-commandant Marcos. Elle a tué plusieurs compañeros appartenant à la gauche qu’elle appelle réformiste pendant ces vingt dernières années. » Le Procup n’a guère hésité non plus à utiliser la pratique consistant à éliminer ses dissidents.
Au long de ces années, le Procup a aidé le Parti des pauvres à se réorganiser et à reprendre pied dans le Guerrero. Dans sa mouvance, s’activent 14 organisations révolutionnaires (9) qui, à diverses époques, se rapprochent, tout en continuant à agir en ordre dispersé. Le soulèvement zapatiste et l’espoir qu’il soulève accélèrent l’unification. Le 1er mai 1994, cet ensemble disparate se réunit en un seul front et compose l’EPR. Le 18 mai 1996, est constituée une seule structure politico-militaire, avec une seule armée.
Le 30 août 1996, l’EPR passe à l’offensive dans 7 Etats du pays, en particulier dans ses fiefs du Guerrero et d’Oaxaca (elle est également présente dans l’Etat de Veracruz et le Chiapas). Fin octobre, une nouvelle campagne provoque une dizaine de morts dans les rangs des forces de sécurité. Des actions sporadiques suivront. Pas de chocs frontaux, des actions limitées. « Compte tenu du rapport de forces, admettra, début 1998, » Manuel « , un membre de la guérilla, nous sommes dans une étape d’autodéfense, nous répondons à l’agression de l’armée. »
Comme pour confirmer les rumeurs qui circulent - « Ces dernières années, le Procup a évolué » - , le ton se fait moins « années 70 ». « On nous a comparés à Sentier lumineux... On n’est pas des provocateurs. C’est un travail de vingt ans avec des gens qui meurent de faim. Aguas Blancas a accéléré le processus. La base sociale a demandé : » Qu’est-ce qu’on fait ?« Nous avons répondu présent. Le socialisme n’est pas à l’ordre du jour, la lutte armée à elle seule ne peut provoquer le changement. Toutes les formes de lutte démocratique, pacifique, parlementaire sont nécessaires. Mais, compte tenu de la situation, il faut une pression armée. » Une seule question subsiste. À ce moment, et alors que rien ne transpire des dissensions internes, Manuel appartient-il encore à l’EPR ou déjà à l’Armée révolutionnaire du peuple insurgé (ERPI) ?
Ce sont les événements d’El Charco (Costa Chica) qui sortent à la lumière l’existence de l’ERPI. Au pays d’Acteal (10) et d’Aguas Blancas, rien que de tristement répétitif. À l’aube du 7 juin 1998, l’armée attaque une école où étaient rassemblés plusieurs dizaines d’indigènes et, au terme d’un « affrontement » qui dure six heures, tue 11 guérilleros sans déplorer, elle- même, de victime dans ses rangs. La polémique éclate lorsque les survivants et les détenus dénoncent : il n’y avait pas de guérilleros, il n’y a pas eu combat, et les victimes (majoritairement des habitants du village) ont été exécutées.
La seconde partie de l’explication se révélera conforme à la réalité. La première, paradoxalement, sera remise en question après une embuscade contre l’armée dans la région des Terres chaudes (Tierra Caliente), le 22 juin, et, le 4 juillet, contre une patrouille de judiciales sur la route Chilapa-Tlapa (la Montaña). « Oui, nous étions à El Charco, réunis avec des paysans. Les "compas" (11) n’ont pas pris les mesures de sécurité nécessaires, et nous avons été surpris. Cela est notre réponse », revendique ce groupe jusque-là inconnu.
Soixante pour cent des colonnes de l’EPR interviennent dans le Guerrero. L’ERPI naît, le 8 janvier 1998, d’une scission menée par les (ou des) unités combattantes du Guerrero et les instances du Parti démocratique populaire révolutionnaire (PDPR, bras politique clandestin) dans l’Etat. « De nombreuses communautés, expliqueront en août les comandantes Antonio et Santiago, exigeaient une réponse aux agressions. L’EPR n’agit pas ainsi et organise des opérations qui répondent non aux attentes des populations, mais à des épisodes conjoncturels surgis dans le pays. Nous proposions de répondre à la répression, mais nous n’avions pas l’autorisation de l’EPR pour de telles actions. »
Les prochaines opérations, est-il annoncé, seront déterminées par la nécessité de réagir aux exactions des autorités. « Cette armée, jusque-là, appartenait à un parti, nous la remettons au peuple. Décidez ce que nous devons faire. Nous agirons uniquement là où le peuple le décidera. » Un discours que ne désavoueraient pas... les zapatistes, avec lesquels il n’existe cependant toujours aucune relation (12). « Mais l’EZLN, admet-on au sein de l’ERPI, a fait des apports importants, qui ont à voir avec la démocratie, à travers la formule "commander en obéissant". Dans ce sens, oui, il y a un rapprochement » - unilatéral jusqu’à présent.
Des 580 militants du PRD assassinés ces dernières années, 207 l’ont été dans le Guerrero (35 % du total). Accusé d’être un dirigeant de l’EPR, ce dont il se défend énergiquement, l’ex-député PRD Bernardo Ranferi a dû demander l’asile politique en France. Depuis 1996, circule une liste noire de 106 noms élaborée par le groupe Confidentiel 08 (paramilitaire) et liant les « futures cibles » à la lutte armée. « Sur la Costa Grande, dénonce Mme Norma Mesino, dirigeante de l’OCSS, 34 de nos militants ont été tués depuis 1995. En juillet dernier, ils ont assassiné un dirigeant, Eusebio Vásquez. Depuis longtemps, il était menacé par José Vargas, commandant de la police de Tepetixtla, mais c’est l’un des nôtres, Erasto Hurtado, qu’on a arrêté en l’accusant du meurtre ! Leur but : nous présenter comme une organisation violente et, qui plus est, nous diviser. »
Cinquante-deux membres du Front ample de construction du Mouvement de libération nationale (FAC-MLN), regroupement de 300 syndicats, partis et organisations né à Acapulco et particulièrement présent dans le Guerrero, croupissent en prison sous les accusations les plus diverses. Ceci expliquant cela, le FAC-MLN, pressé par le gouvernement, a refusé de condamner explicitement la lutte armée. La militarisation de l’Etat s’intensifie, les paramilitaires, comme au Chiapas, laissent dans leur sillage de larges traces de sang.
Un pueblo pouilleux perché sur un piton, au coeur de la Montaña. Attablés, une bière à la main, des militants indiens du PRD - des enseignants - envisagent les prochaines élections. Selon les probabilités, le PRD pourrait remporter le poste de gouverneur dans le Guerrero, en février 1999, et la présidence de la République, en l’an 2000, avec l’ ingeniero Cuauhtemoc Cardenas. Le propos est à la fois volontariste - « Nous continuons à croire dans la lutte démocratique pour obtenir le changement »... - et désabusé - « ... mais on pense que cette lutte démocratique ne va pas réussir. »
Si le gouvernement, sous la pression de l’EZLN, du PRD et de l’opinion internationale, a ouvert des espaces politiques, allant jusqu’à permettre la victoire de M. Cardenas à la mairie de Mexico, en juillet 1997, et la perte, par le PRI, de la majorité absolue au Congrès, tous savent que la situation reste bloquée dans leurs campagnes quasi féodales, aux mains des caciques locaux.
Certes, Chilpancingo et Acapulco ont basculé dans le camp du PRD lors des élections municipales du 6 juillet 1997, mais les zones rurales sont encore aux mains du PRI. Depuis quelques mois, ce dernier a commencé à ratisser les campagnes, achetant les consciences, distribuant cadeaux, vêtements, maïs, engrais. « À ces gens, avec leur pauvreté, on offre un repas, quelques haricots, et on les emmène là où on veut, comme un troupeau. » Qui plus est, M. Ruben Figueroa, gouverneur poussé à la démission après le crime d’Aguas Blancas, a annoncé son retour en politique pour empêcher, par tous les moyens, la victoire de l’opposition dans cet Etat.
Toutefois, le PRD ne paraît même pas enthousiasmer les... perredistes. « La résolution de nos problèmes ne passe pas seulement par un changement de personne, dit-on à Tlapa. Le PRD n’est pas la solution. » Puis on tempère : « Mais, en contribuant à ouvrir des espaces, il permet au moins d’avancer. » Dans la chaleur suffocante de Tepetixtla, on va plus loin : « Que ce soit le PRI ou le PRD qui l’emporte, il n’y aura pas une grande différence. Je préférerais que le vainqueur soit le peuple. » Le PRD local est incontestablement radical. De fait, ses militants ne sont pas « militants du PRD », mais d’organisations paysannes ou populaires du type OCSS ou FAC-MLN, ils sympathisent plus ou moins ouvertement avec la guérilla et, en fait, utilisent le parti pour s’ouvrir des espaces et éviter la répression.
A l’échelle nationale, sans pouvoir récuser ces voix dont on a besoin, on voit d’un mauvais oeil ce gauchissement, qui risque d’aliéner au parti social-démocrate le centre politique sur lequel il fonde ses espoirs. Cette base radicale n’a pas fini de poser des problèmes, y compris et surtout en cas de victoire, en l’an 2000, de M. Cardenas. Soucieux de conquérir l’Etat, celui-ci ne condamne pas fermement le néolibéralisme, dont il veut simplement supprimer les épines, ne refuse plus l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), qu’il souhaite juste réaménager.
Quant aux pratiques locales, elles font souvent parler de PRI bis. En vue des élections de 1999, le PRD ne possède pas moins de sept pré-candidats au poste de gouverneur du Guerrero - les deux principaux aspirants, MM. Félix Salgado et Xavier Olea, étant des transfuges du PRI. Ce n’était sans doute pas suffisant. Le 21 août, M. Octaviano Santiago, président du comité d’Etat du PRD, annonçait que son parti avait entamé des discussions avec certains des neuf pré-candidats du PRI pour qu’ils abandonnent leur parti et participent aux primaires pour déterminer le candidat PRD (13).
En tout état de cause, « pour les prochaines élections, nous faisons une alliance totale avec le PRD, affirme Mme Norma Mesino, dirigeante de l’OCSS. Sans nous bercer d’illusions, nous croyons qu’il y aurait avec lui une relation plus positive, une réponse à certaines de nos demandes ». Ne serait-ce que la mise entre parenthèses de la répression. Car , à Metlatonoc, dans le plus misérable des municipios de l’Etat, M. Felipe Ortiz, PRD, avertit : « Le gouvernement a deux chemins. Respecter la volonté populaire ou provoquer une radicalisation. Les gens sont décidés. Le Guerrero est une poudrière qui peut exploser d’un moment à l’autre. » L’ERPI, pour sa part, a déjà annoncé la couleur : elle se trouve dans une phase d’ « accumulation silencieuse des forces » pour appuyer une situation insurrectionnelle. « Nous pensons qu’il est nécessaire de se préparer parce qu’il peut y avoir, dans certaines conjonctures, des détonateurs qui font que les masses se soulèvent. »
CHIAPAS, Guerrero, Oaxaca, Veracruz, c’est tout le sud du Mexique qui hésite entre violence et paix civile. Une défaite - fût-elle régulière ! - de M. Cuauhtemoc Cardenas, à l’élection présidentielle de 2000, et nul ici ne parie sur ce qui peut arriver. Une imprudence avant cette échéance, fraude électorale dans le Guerrero, intervention militaire au Chiapas, et tout peut basculer. « Si l’armée attaque l’EZLN, confiait "Manuel", membre de l’EPR (ou de l’ERPI), au début de l’année, Marcos a dit qu’il ne voulait pas de sauveur. Mais on ne peut pas rester les bras croisés. On passerait de l’autodéfense à la déclaration de guerre. » Une petite Amérique centrale au sein de l’espace de l’Alena ! Avec toutes les composantes, non d’un conflit classique, guérilla-armée, mais, compte tenu des ingrédients présents dans la région, en particulier les nombreuses communautés paysannes que le clientélisme a attachées au PRI, d’une guerre civile localisée.
La guérilla n’a aucun avenir, en tant que telle, dans un Mexique où l’option électorale existe désormais et où le PRD alimente les espoirs réformistes [inévitable baratin réformiste façon Monde Diplo NDLR]. Mais elle a de beaux jours devant elle, et une légitimité durable, si la démocratie sociale et politique ne parvient pas à s’établir dans les Etats les plus pauvres. Plutôt que de réduire le danger, le pouvoir l’attise et ne joue que sur un levier. À Tlapa, alors qu’il sortait du local de l’UCIM, Benito a croisé un judicial. L’homme l’a arrêté, a posé sa main sur son bras, l’a froidement fixé et a seulement lâché : « Je sais qui tu es. Je connais tes activités. »
Ici, un article de François Orget et Hannah Paris : "Nouveau brasier au Guerrero"
Lorsqu'elle apparut pour la première fois à Aguas Blancas, dans le Guerrero, profitant de la cérémonie du souvenir organisée en mémoire des paysans massacrés un an plus tôt par la police, l'EPR s'est heurtée au scepticisme des commentateurs et des journalistes. Chez les zapatistes et dans les mouvements qui gravitent autour d'eux, le discours était unanime : « Ils doivent faire leurs preuves. » Preuve qu'ils existent bel et bien, preuve de leur implantation dans la population, preuve qu'ils ne sont pas des provocateurs manipulés par le pouvoir. Depuis la fin juin, l'EPR a multiplié les actions de « propagande armée révolutionnaire », levant ainsi les doutes sur le premier point. Il ne s'agit pas seulement d'une « pantomine » organisée par un petit groupe, mais il y a bien une organisation, présente dans au moins deux régions du Mexique, s'étendant sur une demi-douzaine d'Etats (1).
Selon la structure classique des organisations politico-militaires d'Amérique centrale et latine, l'EPR est la branche armée du Parti démocratique populaire révolutionnaire (PDPR), né le 18 mai dernier de la fusion de plusieurs groupes (2). Ce parti, dirigé par un comité central, exerce son autorité à la fois sur les militants et sur les miliciens armés. L'EPR est organisée en commandos de quatre combattants chacun, en pelotons de trois commandos, en détachements, en brigades et bataillons, selon les commandants José Arturo et Francisco, lors d'un entretien accordé début août à un groupe de journalistes de Mexico, « quelque part au coeur de la Sierra Madre orientale ».
Soigneusement mise en scène après plusieurs journées de contacts secrets et de marche, l'entrevue a eu lieu dans la Huasteca, alors que les principales actions militaires de l'EPR se sont produites dans les Etats du Guerrero et de Oaxaca, pour bien montrer que l'organisation était présente tant sur la côte Atlantique que sur la côte Pacifique. Seuls les journalistes de Proceso ont eu droit à un second entretien, dans une maison de sécurité à Mexico. Dans la Sierra Madre orientale, les journalistes ont été accueillis par une centaine d'insurgés, dont une cinquantaine d'hommes en armes. Mais les commandants n'ont pas révélé les effectifs de leurs troupes. Ils ont seulement indiqué que l'EPR était née de la fusion de quatorze groupes armés clandestins, dont le plus connu est le Procup-PDLP (3), issu de la guérilla « historique » menée au Guerrero par Lucio Cabañas dans les années 70 (4).
L'EPR est dotée d'un armement de guerre relativement moderne, notamment des AK47 (5). À la question des sources de financement de ces acquisitions, les dirigeants de l'EPR citent, à côté du soutien populaire, les rançons obtenues lors d'enlèvements de grands entrepreneurs « membres de l'oligarchie financière » et les « expropriations bancaires » (hold-up).
L'EPR affirme être passée à l'action militaire en réponse à la « guerre non-déclarée de basse intensité » déclarée par le « gouvernement de massacreurs », de façon à révéler la situation réelle du pays. Ils considèrent que là où le gouvernement réprime, il doit y avoir une réponse armée, que de nouvelles armées révolutionnaires doivent surgir car c'est l'unique issue imposée par le gouvernement. Il s'agit de « propagande armée révolutionnaire ».
L'image très militaire des commandants de l'EPR, dont font état les journalistes de Proceso, a été confirmée par la violence des actions déclenchées dans la nuit du 28 août dans les Etats du Guerrero et de Oaxaca. Dans Proceso du 25 août, les commandants Oscar et Vicente multiplient les rodomontades, déclarant qu'ils « disposent de forces fraîches dans différentes régions du pays », qu'ils sont « prêts à les mettre en action dans la mesure où le gouvernement continuera à harceler le peuple » ou répondant au ministre de l'Intérieur, qui avait déclaré savoir qui ils sont et combien ils sont : « La vérité est qu'ils ne nous ont pas frappés parce qu'ils n'ont pas pu. »
Quant au langage politique de la nouvelle guérilla, il a de fortes connotations léninistes, tranchant en cela avec le discours beaucoup plus souple de l'EZLN. Le ton de l'appel aux intellectuels à « se déterminer entre l'oppresseur et le peuple » est également très loin des appels de Marcos aux « forces de la société civile ».
L'EPR a profité de la rencontre organisée avec les journalistes pour lancer le Manifeste de la Sierra Madre orientale, dans lequel elle appelle le peuple mexicain à oeuvrer pour l'instauration d'une « république démocratique et populaire ». De nombreux éléments du programme en 45 points qui y figure sont des revendications déjà exprimées par les zapatistes ou proches de leurs exigences : formation d'un gouvernement provisoire, élaboration d'une nouvelle Constitution, autonomie des peuples indiens, redistribution des terres. Dans le Manifeste sont aussi exigées les allocations chômage, la fin des grandes exploitations agricoles, la démilitarisation du pays, le respect de la souveraineté nationale et des droits de l'homme, etc.
L'EPR appelle la population à s'organiser dans « une seule force sociale et historique pour libérer la nation mexicaine de l'Etat oppresseur », par la combinaison de toutes les formes de lutte : « économique, politique, et idéologique, légale, clandestine, électorale, parlementaire, l'action politique des masses et la lutte armée révolutionnaire ». Il en appelle également à la solidarité internationale et au respect de la Convention de Genève.
Mais plus que la liste des propositions figurant dans son programme, c'est la perspective d'ensemble tracée par l'EPR qui la distingue de l'EZLN. Alors que les zapatistes ont toujours déclaré ne pas vouloir du pouvoir, l'EPR affirme au contraire sa volonté de le prendre pour changer la société, en envisageant une « issue militaire » à la crise. S'ils reconnaissent que la verve de Marcos a donné à l'EZLN une « grande capacité de mobilisation » de la société, les commandants de l'EPR ajoutent aussitôt que « la poésie ne saurait être la continuation de la politique par d'autres moyens, et elle ne résout ni avance dans la direction que doit prendre le mouvement ». « La parole a réussi à consolider une force morale, mais si elle n'est pas soutenue par des éléments plus solides d'un point de vue théorique, politique, idéologique, elle tend aussi à s'affaiblir et à se disperser. Le défi n'est pas seulement de créer une force morale, mais aussi de la matérialiser afin qu'elle soit capable de réaliser les tâches sociales et historiques auxquelles nous sommes confrontés. »
Deux différences substantielles apparaissent donc par rapport à l'EZLN. La première concerne les justifications de l'insurrection armée et surtout le rapport à l'action militaire. L'EPR assume la lutte armée comme un moyen direct d'obtenir le changement, une option politique parmi d'autres, alors que pour l'EZLN le soulèvement n'est que le moyen de contraindre le système au changement par une voie non militaire. Autrement dit, le soulèvement zapatiste s'affirme antimilitariste.
L'autre grande différence tient à l'affirmation (par l'EPR) ou non (par l'EZLN) d'une perspective de prise du pouvoir. C'est bien sûr sur ce point essentiel que Marcos a tenu à marquer sa différence : « Vous, vous luttez pour le pouvoir. Nous, nous luttons pour la démocratie, la liberté et la justice. Ce n'est pas pareil. Nous n'avons pas besoin de votre appui, nous ne le cherchons pas et ne le voulons pas. Le seul appui que nous cherchons, que nous voulons et dont nous avons besoin, c'est celui de la société civile nationale et internationale. »
Pour le reste, Marcos a tenu à affirmer dans sa lettre « aux combattants et aux responsables de l'EPR » : « Nous ne sommes pas tombés dans le piège du pouvoir dominant qui incite à un affrontement entre la ``bonne'' guerrilla et la ``mauvaise''. Vous n'êtes pas notre ennemi, pas plus que nous serons le vôtre. Nous ne vous considérons pas non plus comme des ``rivaux dans la direction de la lutte au Mexique''. Notamment parce que nous ne prétendons pas mener une lutte qui ne soit pas celle de notre dignité. Nous ne souscrivons à aucun des qualificatifs que l'on vous appose (et que l'on nous apposait hier). » (...) Il faut s'attendre également à ce que le gouvernement durcisse encore plus son attitude à notre égard, et opte pour une solution militaire. L'opinion publique y est pratiquement préparée et nous ne nous faisons aucune illusion quant à la volonté de négociations du pouvoir. Enfin, tant pis. »
En l'état actuel des informations disponibles (début septembre, NDLR), la prudence des analyses reste de mise. La plupart des reproches ou des soupçons aujourd'hui portés contre l'EPR, l'étaient il y a deux ans contre l'EZLN, dont on disait, dans les sphères du pouvoir mexicain, qu'elle était une « organisation marxiste mal déguisée », liée au narco-trafic, voire une créature des dinosaures du PRI pour saboter la modernisation entreprise sous le sextennat de Carlos Salinas. On sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de ces accusations... Par ailleurs, l'EPR-PDPR ne tient pas le discours sectaire et intolérant qu'avaient les groupes armés qui l'ont précédée envers les partis politiques. Elle juge simplement que la lutte politique pacifique est « limitée » et lui « paraît condamnée à l'échec si elle ne débouche que sur un accomodement avec le système politique existant ».
Quoi qu'il en soit, l'irruption de l'ERP a d'ores et déjà modifié la situation mexicaine, faisant resurgir le spectre de la guerre civile généralisée et d'un déchaînement de violence incontrôlable. Les développements trop prévisibles de la répression (6), avec la carte blanche donnée par Ernesto Zedillo à l'armée en septembre lors de son informe anual (7), pourraient rapidement fermer la voie de la négociation prônée par les zapatistes. Le risque est d'autant plus grand que le dialogue de San Andrés est aujourd'hui au point mort.
Plus que jamais, le gouvernement Zedillo donne l'impression de ne rien maîtriser, ni l'évolution de la situation économique, ni la crise du PRI, ni les scandales politico-financiers, ni la multiplication des conflits et leur gestion par son appareil répressif. L'Etat mexicain semble ainsi se décomposer.
Dans ce contexte, et sans préjuger de l'évolution prochaine des diverses luttes armées (lesquelles peuvent amorcer un rapprochement ou au contraire se disqualifier mutuellement), on peut faire du mouvement zapatiste le bilan suivant : par son habileté, par sa capacité à relancer la dynamique du dialogue et à toujours l'élargir, par la dignité de sa lutte incarnant un idéal de démocratie véritable qui lui vaut de bénéficier d'un mouvement de solidarité mondial, il est parvenu à tenir le gouvernement mexicain suffisamment en respect pour que celui-ci ne puisse ni le balayer ni l'ignorer. Mais il n'a, en revanche, pas atteint son objectif premier, qui consistait à fomenter dans l'ensemble de la société mexicaine un mouvement assez puissant pour renverser le système actuel.
Il s'est lancé, avec la proposition d'un Front zapatiste de libération nationale, dans le projet de créer cette force populaire dans tout le pays, projet qui prend effectivement forme : plus de 400 Comités civiques municipaux s'étaient déjà formés en juillet. Cette proposition secoue également toute la gauche mexicaine, contrainte à repenser son rôle et traversée de nouveaux clivages dans le paysage dessiné par le zapatisme.
La question aujourd'hui, au Mexique, impuissant à sortir de la crise et menacé de connaître une deuxième secousse financière, est de savoir si ce vaste mouvement de la société civile - où tous ont leur place même si les zapatistes ont été les premiers à fédérer les mécontentements tout en sortant du jeu pipé des partis traditionnels aura le temps de s'épanouir et de porter ses fruits, la justice sociale et la véritable démocratie, ou s'il sera rattrapé par le chaos et le déferlement de violence où l'idéal humaniste et la volonté de concertation des zapatistes seraient emportés comme un fétu de paille.
Le calme et la maturité des zapatistes leur ont jusqu'à présent permis de tenir compte de façon nuancée tant des caractéristiques du peuple mexicain que de la situation internationale. Le mouvement zapatiste procède avec lenteur, évitant de tomber dans des situations extrêmes dont il perdrait le contrôle et que la conscience politique de la masse des Mexicains n'est pas prête à assumer.
Le gouvernement a parié sur le pourrissement du zapatisme, sans se rendre compte que la situation globale du Mexique pourrit beaucoup plus vite.
1) La région de la Huasteca, sur la Sierra Madre orientale, s'étend sur les Etats de Hidalgo, Veracruz, San Luis Potosi, Tamaulipas et Puebla.
(2) Dans un communiqué de juillet 1996, l'EPR se présente comme « une structure politico-militaire dotée d'un programme politique, d'un uniforme, de grades, d'insignes et de ``mandos responsables'' » (Paru dans « Resistencia Mexicana », seconde série, n°10, juillet-août 1996, Paris).
(3) Procup : Parti révolutionnaire ouvrier et paysan Union du Peuple ; PDLP : Parti des pauvres.
(4) Parmi les treize autres groupes cités par les dirigeants de l'EPR figurent les Commandos armés mexicains, les Brigades ouvrières d'autodéfense, la Brigade ouvrière du 18-mars et la Brigade paysanne de justiciers, les Cellules communistes, l'Organisation révolutionnaire Ricardo-Flores-Magon, l'Organisation révolutionnaire armée du peuple.
(5) Ce qui leur a valu d'être soupçonnés d'être liés avec le narco-trafic, accusation qu'ils ont vivement démentie.
(6) De nombreuses arrestations ont déjà eu lieu. En outre, un certain nombre de prisonniers politiques - tous ceux du Procup, et quelques autres, dont le docteur Felipe Martinez Soriano, du Front national démocratique populaire (FNDP)- ont été transférés en quartier de haute sécurité, d'abord le 30 août à Almayola de Juarez, puis dans le Jalisco, le 5 septembre.
(7) Message annuel à la nation du président.
La plupart des informations de cet article sont tirées des numéros des 11 et 25 août 1996 de « Proceso », notamment de l'entretien accordé par les commandants José Arturo, Francisco, Oscar et Vicente à G. Correa et J. Cesar Lopez.
L'EPR (présentation wikipédia en anglais) est toujours active, elle a mené récemment des actions contre divers intérêts monopolistes, (compagnie pétrolière Pemex, banque nationale BANAMEX, centre commercial Sears) ainsi que contre les forces de répression de l'Etat.
L'EPR n'est que l'organisation militaire du PDPR - Parti Démocratique Populaire Révolutionnaire (marxiste-léniniste), issu de la fusion du Parti Révolutionnaire Ouvrier Clandestin - Union du Peuple (PROCUP) et du Parti des Pauvres.